Lecture en commun - Henri Bosco : Le Mas Théotime

ah dommage, Nezumi, mais c'est peut-être plus un roman à lire en vacances, dans un hamac, sous une pinède ?...

je viens de finir le Mas Théotime... la fin qui s'étire le long de l'automne jusqu'à Noël est plus mélancolique, plus triste (surtout le journal final) suivant le rythme des saisons. Pascal dont le sang s'alourdit pendant les saisons d'hiver cherche la paix et finit par la trouver dans une sorte de léthargie patiente.

En tout cas une lecture vraiment superbe qui donne envie de poursuivre la découverte de Bosco...

shanidar a écrit:

ah dommage, Nezumi, mais c'est peut-être plus un roman à lire en vacances, dans un hamac, sous une pinède ?...

bof, je ne sais pas, ce n'est pas vraiment une lecture de vacances et de plage, c'est assez lourd comme thématique. J'ai essayé de passer à côté volontairement de ce symbolisme car justement il ne m'intéressait pas, mais si on reste en surface de ce genre de livre, c'est beau mais ça vire vite au décoratif. C'est très lyrique comme évocation de la campagne provençale et des travaux des champs mais justement ça sonne un peu cliché des fois...

J'avoue que comme évocation de la Provence, Giono et même Pagnol m'ont plus convaincue, moins esthétisants, plus humanistes. Mais bon, ce n'est que mon avis.

ah oui j'ai eu quelques hésitations au début (surtout à propos de l'hérédité, de la voix du sang... toutes ces évocations qui peuvent vite partir sur des choses très rétrogrades surtout venant d'un auteur considéré comme 'régionaliste'), mais très vite la langue m'a séduite et le symbolisme a fonctionné pour moi à merveille. Je vois Geneviève en femme de l'air et loin de me troubler; cette image m'aide à l'entendre, la voir, la vivre... de même pour les autres. Et puis, j'ai aussi beaucoup apprécié la manière dont Bosco parle du silence dans ce livre.

shanidar a écrit:

En tout cas une lecture vraiment superbe qui donne envie de poursuivre la découverte de Bosco...

Tu devrais lire Hyacinthe...

Marko a écrit:

shanidar a écrit:

En tout cas une lecture vraiment superbe qui donne envie de poursuivre la découverte de Bosco...

Tu devrais lire Hyacinthe...

J'y pensais...

Pour prendre les extrêmes, je regrette ,Nezumi et Mimi, que vous n'ayez pas plus apprécié cette lecture...Et me réjouis que Shanidar y soit finalement devenue carrément accro, après les réticences du début...

Quant à moi, je continue à suivre ce fil et interviendrai peut-être encore mais je sais que je ne suis pas faite pour les lectures communes (troisième essai seulement, et je n'y prends pas vraiment plaisir)...
J'aime bien être livrée toute seule au texte et m'abandonner à mes sensations, mes images, mes rêveries, et mes questions propres , sans que celles des autres interfèrent...Ne le prenez pas mal surtout! C'est moi qui goûte infiniment la solitude dans une activité de lecture...sans date, sans rythme, sans contrainte (car je vis la participation sur le fil comme une obligation contraignante...)
J'ai appris cependant plein de choses à vous lire: vos ouvertures...vos regards différents...Et je vous en remercie!

Dommage pour Mimi et Nezumi mais on ne peut pas nécessairement apprécier les mêmes choses et c'est très bien comme ça. Il y a des moments de rencontres et d'autres où on diverge. J'espère juste que Nezumi aura plus de plaisir à lire un jour "Le Sanglier" ou un autre Bosco ... qui sait? Si tu as aimé L'enfant et la rivière, peut-être trouveras-tu plus ton bonheur dans le "cycle de Pascalet" qui comprend L'enfant et la rivière, Le renard dans l'île, Barboche, Bargabot, Tante Martine (superbe!) et qui établit des ponts avec Le Sanglier, Malicroix et aussi L'âne Culotte (qui de son côté appartient au cycle de Hyacinthe).

J'aime aussi beaucoup le cycle des Balesta: Les Balesta, Sabinus, L'épervier où on retrouve un peu de réalisme magique mais qui est plus autobiographique (c'est une vision romancée de son histoire familiale). Par contre si la dimension symbolique te rebute évite son "oeuvre au noir": Un rameau de la nuit, L'antiquaire, Le récif et Une ombre. Le Mas Théotime à côté c'est presque du naturalisme!

Merci en tout cas pour vos réactions respectives (positives ou négatives). Je n'ai pas souvent l'occasion de partager la lecture d'un Bosco

Marko a écrit:

Merci en tout cas pour vos réactions respectives (positives ou négatives). Je n'ai pas souvent l'occasion de partager la lecture d'un Bosco

C'est vrai...presque personne ne lit Henri Bosco...

Je ne sais pas s'il y aura encore des commentaires sur ce fil mais j'avais envie de terminer par ce passage sur l'absence de Geneviève qui laisse une présence dans la maison... Car Le Mas Théotime reste à mon sens, au-delà de toute considération métaphysique, une magnifique histoire d'amour en même temps qu'un poème sur les cycles de la nature:

D'abord, apparemment, je n'en parus pas très touché; mais aussitôt, avec une clairvoyance bizarre, je compris que j'allais tout de même souffrir.
La souffrance se fit un peu attendre; mais elle vint. Elle vint d'en bas, du fond. Ce fut cette masse de chair, de sang, de vie, tout humide encore, et qui fume habituellement au-dessous de mon âme, qui monta. Dès qu'elle m'atteignit, un choc sourd ébranla mon coeur encore calme et une petite amertume s'infiltra dans mes veines, puis s'étendit. De mon corps, saisi peu à peu par ce poison actif, le mal s'éleva jusqu'aux parties obscures de mon âme, et tout l'édifice fut ébranlé. D'un point noir situé en moi, qui se mit à vibrer, de grandes ondes se formèrent avec une rapidité croissante; et, au bout d'un moment, leur intensité devint telle que, sous ces vibrations, ma lucidité vacilla et je fus aveuglé par les vapeurs d'une ivresse sombre, cruelle, chaude. Je souffrais bien. Plus j'allais, plus ma souffrance se rapprochait de moi. Bientôt elle m'enveloppa de la tête aux pieds; et je sentis qu'elle me touchait, me palpait, pénétrait, imprégnait, occupait les lieux vides de mon être, jusqu'à chasser irrésistiblement de ma conscience épouvantée tout ce qui n'était pas elle. Cette douleur, ce n'était plus la douleur de Pascal, c'était Pascal. Pascal souffrait. En deçà, en delà de lui il ne restait plus rien. Mais là où brûlait sa douleur Pascal vivait. Aucun lien ne m'attachait plus à ma personne; car je n'avais plus personne. J'habitais un délire, une onde, qui me faisait tourner rapidement, et, au coeur de ce tourbillon, l'acuité d'une pointe de feu me transperçait.

Je me souviens que, de temps à autre, je tapotais contre le chevet de mon lit; car je me trouvais dans ma chambre, où j'étais venu avec l'idée absurde que, peut-être, Geneviève s'y était réfugiée. D'abord j'avais couru au grenier. Le grenier était vide. J'avais alors frappé à la porte de Geneviève. Personne ne m'ayant répondu, j'étais entré. C'était là que j'avais commencé à souffrir. Du palier j'avais appelé; mais ma voix m'avait fait un effet si étrange que j'en avais eu peur, et je m'étais tu.

Alors j'avais exploré, une à une, toutes les pièces de l'étage, visité les combles, puis le cellier, les caves. A la fin, je m'étais introduit dans ma chambre, le coeur battant, car c'était là mon dernier recours et il était absurde. Je le savais si bien que j'avais hésité un moment à ouvrir, pour garder une raison d'espérer. Pourtant j'avais déjà compris que Geneviève avait abandonné la maison; mais j'agissais toujours comme si elle eût encore été là; je me promettais de lui faire des reproches; et je lui parlais en moi-même, comme il arrive que l'on parle à une personne familière qui, d'un moment à l'autre, peut apparaître devant vous, avec son corps, sa voix, son regard et la puissance de son âme. Geneviève était bien partie, je le savais, et cependant l'absence qu'elle avait laissée créait une extraordinaire présence. Partout où, la cherchant, je ne la trouvais plus, je la voyais surgir du vide matériel, pour prendre corps; et plus je découvrais de points d'où elle était absente, plus sa présence se multipliait. Je ne la voyais nulle part et elle était partout; cependant je ne pouvais plus l'atteindre. Si elle n'avait pas disparu, elle s'était rendue inaccessible.
Cette étrange impression me rendit le séjour de la maison intenable, et je descendis de ma chambre, comme un fou; pour regagner les champs.
En bas, je rencontrai Françoise. (...)

Marko a écrit:

J'espère juste que Nezumi aura plus de plaisir à lire un jour "Le Sanglier" ou un autre Bosco ... qui sait? Si tu as aimé L'enfant et la rivière, peut-être trouveras-tu plus ton bonheur dans le "cycle de Pascalet" qui comprend L'enfant et la rivière, Le renard dans l'île, Barboche, Bargabot, Tante Martine (superbe!) et qui établit des ponts avec Le Sanglier, Malicroix et aussi L'âne Culotte (qui de son côté appartient au cycle de Hyacinthe).

Oui, peut-être. S'il y a cette présence de la rivière ça me plaira, c'est ça que j'avais surtout aimé.

Ah, moi j'ai aimé cette lecture commune. D'abord parce que ce n'est pas du tout sûr que j'aurais lu ce roman sans cela. Et pourtant je l'avais acheté dès que Marko en avait parlé.. Que j'ai trouvé que c'était un très beau roman. Et que toutes vos pistes de réflexions éclairaient des aspects qui m'avaient moins marquée, et c'est très intéressant de voir ce que chacun retient.
J'y reviendrai avec plus de temps,!

Marie a écrit:

J'y reviendrai avec plus de temps,!

A Bosco aussi j'espère

Citation :

A Bosco aussi j'espère

Mais bien sûr! Le premier pas est fait, et j'avais tout acheté tellement ton enthousiasme était agréable à lire!
Mais j'aurais adoré lire ce roman à 16 ans..

Citation :

il est en-dehors... Pascal donne l'impression d'être lui aussi en fuite, toujours dans l'évitement, le secret (il se cache avant l'arrivée de Geneviève, ses décisions sont lentes à murir et puis tout d'un coup la réaction se fait avec la rapidité de l'éclair, comme s'il était mû par une force extérieure qu'il ne contrôle pas)

En fait, je le vois comme un personnage double de part sa double hérédité. Son côté Dérivat et son côté Claudius. Qui constamment résiste ( même enfant) à son attirance pour une passion qui l'égarerait.
Mais ce qui m'a intéressée, et c'est là où on se rapproche de la tragédie antique , ou biblique , donc un thème très universel, c'est l'importance que Bosco donne au choix et à l'acceptation de son destin ( seule façon de vivre en paix) . Et au renoncement, il y a effectivement un côté très mystique dans ce roman .
C'est la presque fin qui résume ce côté du roman :

Nous sommes les gens de ce lieu, les possesseurs héréditaires du quartier
Il est à moi, je suis à lui; le sol et l'homme ne font qu'un, et le sang et la sève.
Ici, nous avons dressé l'acte, signé l'accord et marqué les confins du travail agricole. C'est là que se sont arrêtés nos pères ; juste au pied des collines, sous le roc...
Cette terre, nos pères l'ont aimée. Elle les a fait vivre...Et ils ont aimé les bois et les solitudes, si j'en crois mon sang .
Mais ils n'ont pas cédé à l'attrait du sauvage, car c'étaient des paysans sûrs, des laboureurs qualifiés...
Ils ont eu du blé et de l'huile , des fils, des filles et des maisons. Et ,tous, ont soutenu avec obstination pendant des années longues, dures, souvent hostiles, la fécondité de la terre, sans rien voir au delà des labours, des semailles et de la moisson.

Ils savaient simplement, de père en fils, que ces grands actes agricoles sont réglés par le passage des saisons; et que les saisons relèvent de Dieu.
En respectant leur majesté, ils se sont accordés à la pensée du monde, et ainsi ils ont été justes, religieux.

Ils sont morts. Je suis le dernier.
Et je sais qu'ils sont morts et que je suis le dernier.
Mais savoir ne saurait suffire. On ne détache pas la connaissance de l'amour ni l'amour de l'acte.

J'aime mon sang, celui des miens. Ils sont partis d'un seul, qui a voulu, et qui a fait.Celui-là est mon père.
Ils sont retombés à un seul, moi, le dernier. C'est de moi qu'il faut repartir, car tout est à refaire.
Mais je ne suis privé ni de force, ni d'espérance. Et si j'ai regardé au-dessus de l'épi, c'est qu'ils sont maintenant au- dessus de l'épi. Je les vois et je vais vers eux.


Fais ce que dois et ce que te dicte ton destin et la loi de tes aïeux., et tu trouveras la paix de l'âme..

Et accessoirement, envoie la cousine au couvent, et épouse Françoise , une vraie femme de la terre ... bon, je passe!, ça va avec le reste!

Marie a écrit:

Fais ce que dois et ce que te dicte ton destin et la loi de tes aïeux., et tu trouveras la paix de l'âme.

Parfait résumé de la 'morale' du roman. On peut l'appliquer à chaque personnage, y compris celui d'Alibert fils, lequel peut prétendre épouser trois jeunes filles mais se pliera à la décision non pas de ses parents mais du maître de la terre à savoir Pascal. Cette façon de sceller le destin des êtres fait un peu froid dans le dos, mais comment l'amour pouvait-il se rencontrer dans ces régions reculées dans lesquelles personnes ne passent hormis des colporteurs et Monsieur le curé ? A-t-on le choix quand il s'agit d'une chose aussi sacrée que la terre ? Tout cela peut sembler archaïque mais renvoie à un temps qu'il nous est impossible de juger parce que nous n'avons plus les mêmes repères. Je crois avoir aussi aimé Bosco pour ça, pour nous donner à voir un autre temps (quand on se lève et se couche avec le soleil), un autre rapport au monde (sauvage, lent, dur), un autre rapport aux autres (dans un monde où la communication est partout, où l'on est sommé de parler, s'entretenir...), Bosco parle du silence, du renoncement à l'autre, de la communication des êtres au delà du langage, par la grâce d'une communication intuitive, d'une profonde écoute de l'autre, d'une sorte de symbiose qui ne se rencontre pas ou peu dans notre société ultra médiatisée... et cette respiration fait beaucoup de bien.