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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Enfin, j'ai retrouvé l'auteur des Voix du Pamano, que j'avais cherché en vain dans Confiteor !
Même écriture, mêmes secrets à rebondissements, mêmes questions de conscience sur fond historique, mêmes êtres enflammés et pourtant paumés. Ainsi, l'eunuque symbolise t-il l'esthète, capable de contempler, mais pas de créer. Une déficience en somme. Il y a la musique de Cabré, celle du goût de la beauté, de l'art, du sens.
Un petit bémol : sur la fin, je trouve un côté too much à l'histoire avec Teresa (si ce n'est pour la description de son milieu d'élite que l'auteur adore). Cette histoire d'amour me semble un peu surcharger le récit déjà assez complexe de la généalogie familiale, de l'oncle et surtout, de la jeunesse meurtrière de Bolos et Miquel.
Enfin, j'ai retrouvé l'auteur des Voix du Pamano, que j'avais cherché en vain dans Confiteor !
Même écriture, mêmes secrets à rebondissements, mêmes questions de conscience sur fond historique, mêmes êtres enflammés et pourtant paumés. Ainsi, l'eunuque symbolise t-il l'esthète, capable de contempler, mais pas de créer. Une déficience en somme. Il y a la musique de Cabré, celle du goût de la beauté, de l'art, du sens.
Un petit bémol : sur la fin, je trouve un côté too much à l'histoire avec Teresa (si ce n'est pour la description de son milieu d'élite que l'auteur adore). Cette histoire d'amour me semble un peu surcharger le récit déjà assez complexe de la généalogie familiale, de l'oncle et surtout, de la jeunesse meurtrière de Bolos et Miquel.
Mais ça reste DU TRES GRAND ART.
Ta réaction ne me surprend pas Tina : effectivement c'est dans la même veine que Les Voix du Panamo , Confiteor étant très à part !
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Petite piqûre de rappel pour moi...Je veux lire aussi L'ombre de l'eunuque!
topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
Sujet: Re: Jaume Cabré [Espagne] Mer 12 Nov 2014 - 22:09
L'ombre de l'eunuque
Citation :
« Il ne t'est jamais arrivé, Miquel, que tes actes dépassent tes intentions ? »
Apparemment, on peut lire n'importe quel livre de Jaume Cabre et identifier l'auteur à ses thèmes, ses personnages, son style si personnel. A travers la saga des Gensana, cinq générations de propriétaires de filatures, accrochées comme à un radeau dans la tempête à leur demeure familiale proche de Barcelone, Jaume Cabre nous parle d'un demi siècle d'histoire de l'Espagne après la guerre civile avec ses rancœurs et ses peurs , sa culpabilité jamais absorbée.
Deux personnages, deux rebelles qui font foirer les beaux rouages de cette implacable dynastie entremêlent leurs récits : l'oncle Maurici l'homosexuel, joueur invétéré - joueur de cartes et joueur de mots - , éternel perdant, et Miquel , dernier du nom, guerillero sans envergure puis repenti de la lutte armée contre Franco, devenu un personnage falot et insatisfait, amoureux fou et toujours incapable de saisir sa chance, passionné d'art sans talent, ami inconstant.
Les récits s'entremêlent, les époques se mélangent, le je et le il alternent. Cabre aime nous perdre, se refuse à baliser son histoire, à y planter des repères ; il joue de la fiction et de la réalité et nous entraîne dans un jeu de piste à étapes et à fausses pistes, jouissant à l'évidence, tout comme le lecteur, de cette manipulation malicieuse et foisonnante de ses conteurs.
Je viens de commencer Confiteor et je suis complètement conquise par le propos de l'auteur. Afin de ne pas perdre certaines réflexions qui me viennent immédiatement et parce que Bédoulène est elle aussi embarquée dans cette lecture et trouvera sans doute un peu de temps pour me rejoindre ici, voici une idée glanée au fil du texte.
Il s'agit d'une confession (Confiteor = je confesse à Dieu), une confession des péchés, écrites par un père à son fils, un père qui semble vouloir faire certaines révélations (mais pas immédiatement à ce fils dont on ne sait rien). Le lecteur est donc déjà dans un univers à plusieurs entrées temporelles, entre le présent de l'écriture et le passé de l'homme qui se confesse.
Je trouve la technique de Cabré très proche de celle de Claude Simon, non pas tant dans le style que dans la manière d'utiliser le temps, de créer des aller-retour improbables, compliqués entre le passé, le présent et le temps parfait de l'écriture (temps parfait parce que suspendu). Tout comme Simon, mais en y mettant moins de forme et plus de fluidité, Cabré parvient à intégrer à l'intérieur même de son récit des strates successives de temps de récit, sans jamais casser ni suspendre la lente marche de la confession, sans jamais devoir indiqué les différences de temps.
oui j'ai entamé aussi cette lecture. Avec quelle habileté l'auteur lie les évènements du passé et du présent, interférant dans la lettre testament du narrateur(Adrià) à son fils.
Dans ce récit le destin des personnages est dévoilé grâce à l'âme des objets, textes anciens, dont la rareté les rend unique, arrachés, pas toujours honnêtement par les protagonistes, et récupérés par Félix Averdol le père d'Adria.
Deux phrases illustrent la situation de l'enfant Adrià : " Ce n'est que hier soir, alors que je marchais dans les rues trempées de Vallcarca, que j'ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable. "
"Ce qui me pesait chez papa c'est qu'il savait seulement que j'étais son fils. Il n'avait pas encore compris que j'étais un enfant."
Pas étonnant que cet enfant, aussi doué fut-il et il l' était, ait choisi pour soutiens et confidents deux jouets : le chef indien Aigle-Noir et le Shériff Carson (bravoure et sagesse)
En exergue de ce premier chapitre, ce pourrait-être le sentiment de l'enfant : "Je sera rien" Carles Camps Mundo
C'est le père d'Adria qui choisit l'éducation qui convient à son fils (lequel doit faire mieux que tous parce qu'il le peut et que son père le veut) effacement de la mère qui doit s'incliner.
Au fil des études d'Adria, de ses sentiments se révèle une vérité pas toujours comprise par l'enfant mais qui découvre l'homme qu'est Félix Ardèvol, le père. Un homme qui a épousé par intérêt la fille d' un paléographe, qui dans sa jeunesse a été indigne, adulte ignoble et dont la veuve demandera des années durant, la tête de l'homme qui l'a assassiné en le décapitant (a capite)
Adrià apprend aussi le violon, mais ce n'est qu'à l'adolescence qu'il consentira à jouer devant un public.
j'ai dressé la chronologie de certains faits qui facilitent le suivi des choses et personnages
vers 1400 frère Julia de Sau (ex Fra Miquel moine hérétique dernier vivant du monastère Sant Pere del Burgal (assassiné) avait en sa possession l'acte fondateur du monastère que récupèrera des siècles plus tard Félix Ardèvol
1690 Jachiam Mureda de Pardac tue Bulchanij Brocia incendiaire de la forêt et s'enfuit emportant le médaillon que lui donne sa petite soeur Bettina (médaillon de leur mère, représentant Santa maria dai Ciüf (médaille de Pardac)
Quelques années après Jachiam retourne à Pardac portant un chargement de bois d'érable et d'un autre bois noble, dans lesquels Lorenzo Storioni confectionnera son premier violon dénommé Vial (c'est une autre histoire d'assassinat) qui sera plusieurs siècles plus tard l'une des pièces de Félix Ardèvol
en 1918 alors qu'il est étudiant à Rome (ecclésiastique) Félix tombe amoureux de Carolina qui lui offre la médaille de Pardac héritée de son oncle (nous saurons certainement plus tard ce qu'il est advenu de Carolina)
à l'âge de 40 ans Félix Ardèvol se marie avec Carme Bosh ils ont un enfant, le narrateur Adria.
Merci Bédou pour cette chronologie qui permet d'avoir une vision claire des différentes strates chronologiques. Je reviens sur une autre idée (je n'ai pas encore lu les autres commentaires -ou presque pas- concernant ce texte donc désolée s'il y a redites), je trouve que Cabré parvient non seulement à lier d'une manière tout à fait personnelle et passionnante les temps évoqués plus haut par Bédoulène, mais il parvient également (et avec quel génie) à parler de ce que l'on pourrait appeler une culture élitiste (le violon, la collection de manuscrit, l'appartement fabuleux, les études religieuses poussées) et une culture populaire (le bûcheron qui choisit le bois dans lequel le violon sera fabriqué, l'artisan qui le fabrique, la simplicité des vies de ceux qui la gagent avec leurs mains). Ce mélange parfait entre culture manuelle et culture intellectuelle (l'ami Brensat semblant faire le lien entre les deux mondes car lui sait jouer merveilleusement du violon alors qu'il vit petitement -en tout cas plus petitement que le narrateur) trouve un équilibre parfait en fur et à mesure que la lecture passe (sans hiatus) de l'un à l'autre...
Je continue à me régaler !
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Tout à fait d'accord avec le lien que tu fais avec l'ami d'Adrià.
J'ai aussi relevé dans l'écriture une récurrence ; il fait une description (n'importe le sujet) en tant que spectateur aussitôt suivie d'une en tant qu'acteur (j'espère que vous me comprendrez avec cet exemple)
"Adrià était très content de connaître le cadre de vie de cette fille qui lui entrait dans la peau........"Et la chambre de Sara était plus grande que la mienne..."
une autre manière de liaison.
Après la disparition du père d'Adrià, une jeune femme (Danièla) se présente au domicile de la famille Averdol, elle revendique une part d'héritage, c'est la fille que Carolina a eu de Félix Averdol alors qu'il étudiait à Rome, et qu'il a lâchement abandonnée.
Adrià à présent âgé de 20 ans ne souhaite pas exercer en tant que violoniste, au grand dam de sa mère, il veut continuer à étudier et devenir "philosophe de la culture" comme il l'avait annoncé à l'un de ses camarades. Son amitié avec Bernat se poursuit, ils ont besoin l'un de l'autre, une amitié orageuse certes, mais quoi de plus beau quand l'un console l'autre en lui jouant un morceau au violon ?
Par sa demi-soeur, Adrià prend connaissance d'une personnalité de son père qui lui était inconnue, toute la part d'ombres. Il s'est aussi rendu compte du poids négatif que son père faisait peser sur sa mère, laquelle se révèle habile, autoritaire, gérant le magasin de façon utile. Mais leur relation restera ce qu'elle était, sans tendresse, dialogue restreint au minimum.
Les plus belles pièces de la collection privée de Félix Ardevol ont été acquises en spoliant les Juifs pendant la seconde guerre mondiale ; le sang d'une victime signe d'ailleurs l'étui du violon Storioni le Vial. (après l'assassinat du violoniste Leclaire par Vial, le violon était donc en la possession de cette vieille femme Juive)
Ce livre demande a être écouté pour la musique du rythme et des richesses.
à suivre
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Alors il m'apparait que le narrateur n'écrit pas à son fils, non, je pense à celle qu'il a aimée, Sara et que c'est son autoportrait dont il est question, à plusieurs reprises, et qui se trouve dans le bureau d'Adrià ! D'ailleurs il dit suite à une dispute avec sa mère : "Si un enfant m'avait répondu comme je répondais à maman, je lui aurais donné une claque mais je n'ai pas d'enfant."
Par contre, malgré des hauts et des bas dans leur relation il gardera l'amitié de Bernat et c'est d'ailleurs à lui qu'il confiera le récit de sa vie alors qu'il se sait malade.
Sara sa bien-aimée s'enfuit à Paris, le laissant abattu devant cet acte incompréhensible pour lui ; il part pour l'Allemagne étudier et sa présence dans ce pays est l'occasion d'en connaître plus sur certains personnages. La mort d'un SS nommé Grübbe Franz atteint par les balles d'un ami étudiant de Félix Ardèvol à la Gregoria et qui pour défendre sa patrie a quitté la soutane, Drago Gradnik.
Adrià lit dans la presse qu'un psychiatre a été assassiné, il s'agit du Dr Voigt, alias Zimmermann, alias Falegnani, à qui Félix Ardèvol a acheté le violon Vial ; souvenons nous que cet ignoble docteur qui faisait des "expériences" sur les prisonnières des camps de concentration, avait lui-même volé ledit violon à une vieille Juive après l'avoir abattue. Adria à ce moment là ignore les faits qui le relient à ce docteur.
On apprend aussi la raison de l'assassinat de Frau Julia de Sau (ex Fra Miquel), il avait refusé de couper la langue à un Juif accusé à tort par l'Inquisiteur Nicolau Eimeric.
A travers les siècles l'Inquisiteur et l'Obersturmbannfürher Rudolf Hoss révèlent les mêmes exactions sur des victimes , cette alternance de l'un à l'autre simule un échange entre ces deux personnages ignobles.
le plaisir de lecture ne me quitte pas, à suivre
Dernière édition par Bédoulène le Dim 8 Fév 2015 - 20:27, édité 1 fois
Oui, Bédou, j'ai également compris tardivement que cette confession s'adresse à Sara, cette première jeune femme aimée, jamais oubliée et dont la disparition soudaine hante le narrateur.
Le texte de Cabré est absolument magnifique. Tant dans son style enchâssement des récits et jeu avec les pronoms, passant du 'je' au 'il' dans une même phrase avec un brio remarquable, mais aussi dans la forme, avec les enchâssements des récits les uns dans les autres comme de merveilleuses matriochkas, enchâssements qui pour moi culminent dans le rapprochement entre un Inquisiteur du 14ème siècle et Rudolf Höss, dirigeant le camp de concentration d'Auschwitz. Ce rapprochement qui permet de placer sur le même plan les exactions des uns et des autres, de ces fanatiques de causes différentes mais aboutissant à la même barbarie, me semble être un coup de maître irrésistible.
Je suis complètement sidérée par l'aisance de Cabré, son humour, son audace stylistique (en particulier dans les dialogues).
Encore une fois : quel talent !!
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Oui, Bédou, j'ai également compris tardivement que cette confession s'adresse à Sara, cette première jeune femme aimée, jamais oubliée et dont la disparition soudaine hante le narrateur.
Le texte de Cabré est absolument magnifique. Tant dans son style enchâssement des récits et jeu avec les pronoms, passant du 'je' au 'il' dans une même phrase avec un brio remarquable, mais aussi dans la forme, avec les enchâssements des récits les uns dans les autres comme de merveilleuses matriochkas, enchâssements qui pour moi culminent dans le rapprochement entre un Inquisiteur du 14ème siècle et Rudolf Höss, dirigeant le camp de concentration d'Auschwitz. Ce rapprochement qui permet de placer sur le même plan les exactions des uns et des autres, de ces fanatiques de causes différentes mais aboutissant à la même barbarie, me semble être un coup de maître irrésistible.
Je suis complètement sidérée par l'aisance de Cabré, son humour, son audace stylistique (en particulier dans les dialogues).
Encore une fois : quel talent !!
oui c'est vraiment génial les 2 personnages semblaient vraiment se répondre, vanter "leurs mérites" !
Je passe du temps à rechercher les livres dont Adrià parle, les musiques qui l'accompagne, tant de pages et pour l'instant que du plaisir de lecture.
à plus tard
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
j'ai terminé ce livre de passions, de toutes les passions humaines les plus ignobles comme les plus belles, physiques, morales ou spirituelles.
En suivant le destin de ces objets, animés dans ces pages ; violons, médaille, tableaux, tissu, manuscrits et incunables le lecteur suit celui de l'humanité, en Europe notamment sur des siècles. Ces objets sont des témoins de l'histoire, du Mal qui a sévit dans ces siècles et jusqu'au dernier jour d'Adria spolié par son ami.
J'ai bien apprécié l' "échange" entre les trois illustres du nouvel essai d'Adria : Lull, Berlin et Vico sur l'attentat de l'immeuble d'Oklahoma city. Egalement "les gardiens" d'Adria qui dialoguent aussi, Aigle-Noir et le shériff Carson.
La métaphore faite par Adria avec la création du monde quand il emménage son appartement avec Benart.
Ce livre m'a passionnée, avec quelle maîtrise, quelle recherche l'auteur l'a composé, construit pour rendre crédibles tous les évènements, les personnages et que l'ensemble de ces morceaux d'histoire s'imbrique dans un tout harmonieux.