Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Parfum de livres… parfum d’ailleurs

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 Emile Verhaeren

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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyDim 23 Sep 2012 - 16:03

bix229 a écrit:
Sur la bruyère longue infiniment,
Voici le vent cornant novembre ;
Sur la bruyère, infiniment, Voici le vent
Qui se déchire et et se démembre
En souffles lourds battant les bourgs :
Voici le vent,
Le vent sauvage de novembre.

Ce poème, je l' ai épinglé il y a longtemps et j' ai associé l' auteur au vent de novembre...

L'automne a beaucoup inspiré Emile Verhaeren!

Heure d'automne

C'est bien mon deuil, le tien, ô l'automne dernière !
Râles que roule, au vent du nord, la sapinière,
Feuillaison d'or à terre et feuillaison de sang,
Sur des mousses d'orée ou des mares d'étang,
Pleurs des arbres, mes pleurs, mes pauvres pleurs de sang.

C'est bien mon deuil, le tien, ô l'automne dernière !
Secousses de colère et rages de crinière,
Buissons battus, mordus, hachés, buissons crevés,
Au double bord des longs chemins, sur les pavés,
Bras des buissons, mes bras, mes pauvres bras levés.

C'est bien mon deuil, le tien, ô l'automne dernière ?
Quelque chose, là-bas, broyé dans une ornière,
Qui grince immensément ses désespoirs ardus
Et qui se plaint, ainsi que des arbres tordus,
Cris des lointains, mes cris, mes pauvres cris perdus.


Automne

Matins frileux
Le vent se vêt de brume ;
Le vent retrousse au cou des pigeons bleus
Les plumes.
La poule appelle
Le pépiant fretin de ses poussins
Sous l’aile.
Panache au clair et glaive nu
Les lansquenets des girouettes
Pirouettent.
L’air est rugueux et cru ;
Un chat près du foyer se pelotonne ;
Et tout à coup, du coin du bois résonne,
Monotone et discord,
L’appel tintamarrant des cors
D’automne.
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyMer 26 Sep 2012 - 22:49

Terminé ma lecture et je l'ai beaucoup appréciée. je suis très content d'avoir pu entrevoir et ressentir ce monde et observer cette écriture qui cherche à maintenir une force présente. C'est sensible dans les derniers poèmes présentés qui extraient une présence épique du temps et des dimensions, de leur narration. Et pour ne pas oublier l'aspiration positive que démontre aussi Verhaeren il y a à côté des métaux et des étoiles la terre et l'identification à l'arbre, une identification qui revient avec la sève et le printemps. C'est très appréciables dans ce recueil mélangé de voir revenir les motifs, de pouvoir les sentir hanter et se développer, les saisons, un flux antérieur et plus grand que l'homme qui le vit cependant. Ce mélange est même explicite dans les derniers poèmes qui viennent en quelque sorte résumer le voyage des pages précédentes.

très très belle lecture, pas loin d'être indispensable (au moins pour les pandas). Toute cette tension, cette sourde mélancolie et cet élan à la fois puissant, mesuré et choisi avec ses débordements nécessaires. Et quelle vision !

Emile Verhaeren - Page 2 62b26810


Et si ailleurs on parle de se sentir réfractaire, peut-être, à la poésie (ça reste éventuellement mon cas), l'extrême lisibilité de cette ensemble a un sens.
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyJeu 27 Sep 2012 - 22:31

L'Est, l'Ouest, le Sud, le Nord

Quand tu marches, le pas rythmé, le long des champs,
Aime à nommer pour te plaire à toi-même
Le sud, l'ouest, l'est, le nord,
Mots clairs et doux, mots terribles et forts,
Qui décorent les beaux poèmes.

Qu'ils t'évoquent les bois, les monts et le soleil ;
Qu'ils t'évoquent la mer et le grand port vermeil
Illuminant là-bas les confins de la terre ;
Qu'ils t'évoquent la brousse et les déserts de feu
Et le minaret blanc sur le ciel rouge et bleu
Ou le gel coruscant des montagnes polaires.

Au mois d'avril, au mois de mai,
Le bras ballant, le pas rythmé,
Aime à dire et à redire, pour t'y complaire,
Leurs syllabes autoritaires.

Aux jours d'été, quand midi bout,
Ils sont pareils à quatre aigles qui, tout à coup
Battent l'espace avec de grands vols fous
Et voyagent dans les nuages.
Aux jours d'été, ils sont pareils encor
A des boules d'argent et d'or
Qui dessinent des monts et des vallées,
Immensément, dans les moissons bariolées.
Ils sont aussi les cavaliers du vieil hiver
Qui chevauchent l'averse et fouettent la bourrasque.

Le givre les habille et le brouillard les masque.
Qu'ils s'élancent soit de la plaine ou de la mer,
Dieu sait vers quelle immense et formidable joute,
Ils ravagent les carrefours
Et les villages et les bourgs,
Et les arbres qui font le tour
De l'infini, le long des routes.

Quand tu t'en vas le long d'un champ,
Scande pour toi leurs noms puissants.

Ainsi, la marche alerte et la chanson rapide
Qui célèbrent l'Est, l'Ouest et le Sud et le Nord
Les feront comme entrer dans la chair de ton corps,
Avec leur souffle ardent et leur vol intrépide.
Peut-être ils te diront l'astre qu'ils ont frôlé
Au delà de l'éther où vivent d'autres mondes,
Et Persée et Vénus palpitante et féconde,
Et la Lyre debout sur l'abîme étoilé,
Et la Vierge et Véga et le Lion et l'Ourse,
Tu sentiras alors ton être impétueux
Trouver sa loi dans l'ordre et la splendeur des cieux
Et ton rêve régler son élan et sa course
Sur le cortège d'or des étoiles, là-haut,
Et ta force grandir et tes pensers sans nombre
Laisser choir peu à peu et leur poids et leur ombre
Et l'immensité claire entrer en ton cerveau.
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptySam 29 Sep 2012 - 23:35

Je me rappelle avoir appris par coeur Le vent en récitation lorsque j'étais à l'école primaire, je me souviens encore de certains passages...

Tu en as déjà cité un bout animal, pour le plaisir le voilà en entier :)

Le vent

Sur la bruyère longue infiniment,
Voici le vent cornant Novembre ;
Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent
Qui se déchire et se démembre,
En souffles lourds, battant les bourgs ;
Voici le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Aux puits des fermes,
Les seaux de fer et les poulies
Grincent ;
Aux citernes des fermes.
Les seaux et les poulies
Grincent et crient
Toute la mort, dans leurs mélancolies.

Le vent rafle, le long de l'eau,
Les feuilles mortes des bouleaux,
Le vent sauvage de Novembre ;
Le vent mord, dans les branches,
Des nids d'oiseaux ;
Le vent râpe du fer
Et peigne, au loin, les avalanches,
Rageusement du vieil hiver,
Rageusement, le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Dans les étables lamentables,
Les lucarnes rapiécées
Ballottent leurs loques falotes
De vitres et de papier.
- Le vent sauvage de Novembre ! -
Sur sa butte de gazon bistre,
De bas en haut, à travers airs,
De haut en bas, à coups d'éclairs,
Le moulin noir fauche, sinistre,
Le moulin noir fauche le vent,
Le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Les vieux chaumes, à cropetons,
Autour de leurs clochers d'église.
Sont ébranlés sur leurs bâtons ;
Les vieux chaumes et leurs auvents
Claquent au vent,
Au vent sauvage de Novembre.
Les croix du cimetière étroit,
Les bras des morts que sont ces croix,
Tombent, comme un grand vol,
Rabattu noir, contre le sol.

Le vent sauvage de Novembre,
Le vent,
L'avez-vous rencontré le vent,
Au carrefour des trois cents routes,
Criant de froid, soufflant d'ahan,
L'avez-vous rencontré le vent,
Celui des peurs et des déroutes ;
L'avez-vous vu, cette nuit-là,
Quand il jeta la lune à bas,
Et que, n'en pouvant plus,
Tous les villages vermoulus
Criaient, comme des bêtes,
Sous la tempête ?

Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent hurlant,
Voici le vent cornant Novembre.


Petit détail amusant dont je viens de me rendre compte en relisant le poème : dans la deuxième strophe, la maîtresse avait dû supprimer le dernier vers "Toute la mort, dans leurs mélancolies", probablement pour ne pas nous choquer... La strophe s'arrêtait donc à "grince et crie" et je me rappelle très bien que cela me gênait, j'avais l'impression que c'était bancal. Marrant de découvrir maintenant qu'il restait un vers à la fin de la strophe ! Comme quoi, le rythme, c'est important en poésie Very Happy

A part ça, superbe poème, quelle langue, quelle richesse dans les sonorités !
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swallow
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyLun 1 Oct 2012 - 10:36

Moi aussi, j´avais Verhaeren au programme, avec les maîtresses de mon école communale de banlieue parisienne.
Merci à tous ceux qui m´aident ici à retrouver ce grand poète. Very Happy
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyLun 1 Oct 2012 - 18:55

huhu. j'ai du y avoir droit aussi, de loin, à l'école.

je reviendrai encore prochainement puisque j'ai Les forces tumultueuses (le début de la préface m'intrigue, mais je vais lire d'abord). Et je tenterai peut-être la biographie écrite par Zweig (et c'est une occasion d'y revenir tout en esquivant ce qui ne m'a pas emballé).
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyLun 1 Oct 2012 - 18:56

et si quelqu'un peut remonter le fil d'une rubrique. cat
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyMar 2 Oct 2012 - 8:27

animal a écrit:
et si quelqu'un peut remonter le fil d'une rubrique. cat
c'est fait, petit mélange de rubrique en le déplacant du portail Wink
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyLun 6 Mai 2013 - 17:35

Emile Verhaeren - Page 2 34669a10

Le travailleur étrange et autres récits

Citation :
Verhaeren fut un magnifique conteur, au style chatoyant et imagé, usant volontiers du fantastique et du merveilleux. On trouvera ici, réunis pour la première fois, la totalité de ses récits et de ses contes (introuvables aujourd'hui), publiés par lui dans des revues ou ceux recueillis après sa mort dans deux ouvrages ( Cinq récits , 1920 ; Le Travailleur étrange et autres récits , 1921), illustrés de cinquante-quatre bois de Frans Masereel, graveur belge d'origine fl amande, considéré comme un maître de la gravure sur bois.

Très bien présentés ces petits contes nous placent en Belgique ou en Espagne dans des projections sombres et presque violentes juste au seuil (ou un peu après) du fantastique. Parfaitement dans une tonalité de nouvelles fantastiques de tournant de siècle ou dans une variation de l'anecdote de voyage ce qui surprend toujours c'est la force immédiate du texte qui use et abuse comme il faut de contrastes très tranchés pour mieux faire courir le lecteur après un étrange sentiment de perte. Ce qui est perdu étant le plus diffus sous l'ombre de ce qui ressemble par moments à une malédiction, qui s'échappe de sous cette ombre.

Les illustrations de Frans Masereel sont en phase avec cette manière et sont surprenantes d'efficacité, de lourdeur, de présence charnelle ou spirituelle. En plus elles suivent les textes de très près.

Elles font ressortir aussi à quel point il n'est pas question que d'individus dans ces contes et récits, qu'il se trame quelque chose dans l'inconscient, un inconscient qui pourrait bien être collectif et lié aux lieux et aux croyances, à l'histoire.

Très très bonne petite lecture. ça ne révèle pas une autre facette de l'auteur mais donne la même chose de façon à peine différente dans l'effet, bien plus dans les coulisses... et il faut ajouter que les notes pertinentes éclairent les derrières amicaux et familiaux de ces récits ainsi que la dynamique des groupes d'artistes et intellectuels et de leurs publications.

Je recommande chaudement ce petit livre.
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyLun 9 Déc 2013 - 20:43

Emile Verhaeren - Page 2 800px-10
Theo van Rysselberghe, La lecture par Emile Verhaeren, 1903

Les forces tumultueuses (tout court)

Recueil de 1902. Volontairement dans l'air du temps et ayant pour objet de célébrer un monde nouveau. S'il y a bien quelques effets crépusculaires l'histoire se joue bien différemment.

On est prévenu par une préface en nuances (Ed Palimpseste) avant de découvrir les poèmes. J'ai eu du mal au début, pas trop la tête dedans, du mal à rester concentré sur les textes mais petit à petit l'effet du recueil prend sens et ça devient plus facile. Il faut dire qu'on part d'un panorama historico-mythologique et humain qui se conclut sur le monde moderne. En fait on part de la mer et on finit par la mer, et en chemin les figures et les croyances se mêlent ou s'abandonnent. Il y a tout un effet de transformation qui se fait plus ou moins, on sait que la croyance religieuse ou la superstition sont remplacés par la science mais dans les jeux des figures c'est plus compliqué : le capitaine, le tyran, le banquier, Vénus, l'amazone... entre les incrustations d'or (il y a des motifs qui reviennent à dessein dans le vocabulaire) on ne sait pas trop ce qu'on perd ou ce qu'on gagne.

Ça redevient plus évident dans la seconde partie à partir des Villes. Si le monde moderne et la connaissance et l'élan entrepreneur  sont célébrés c'est à la façon du voyage de découverte et comme en chemin vers une énigme ou par une énigme de savoir, connaissance, maitrise. On est, lecteur d'aujourd'hui, un peu gêné par la célébration assez folle et sans trop de conditions d'une Europe "occidentale du nord" mais en contrepartie le contexte et l'ampleur de l'entreprise, de la croyance recherchée est palpable.

La structure des poèmes, les répétitions, leur aspect narratif aussi renforcent leur immédiateté, leur manière de jouer presque exclusivement de figures et de figures humaines ou quasi humaines (les bateaux et leurs équipages) pour traduire les sentiments (pas non plus sans réserves ou finesse) est parfois bigrement efficace. A tel point qu'on est tout surpris quand revient (au moins une fois) un poème à la première personne du singulier.

Au début j'étais un peu déçu car je gardais d'excellent souvenir des premières tentatives, au fur et à mesure j'ai mieux compris et je reste (volontiers) sensible à l'élan et au résultat (même si j'imagine un effet de mode post exposition universelle & co). Il y a aussi que certains moments ont leur justesse et leur grâce (pas si abstraites).

Je passerai plus certainement par les Villes je ne sais plus quoi avant de revenir dans ce recueil (à part pour des extraits) mais je vais garder un bon souvenir de cette enrichissante expérience. Il y a des idées, des forces, recherchées brutes, mais pas que ça, et dans l'assemblage il y a de bien troublantes perspectives. Perspectives qui ne sont pas morales mais qu'on pourrait bassement imager par les justifications ou conséquences qu'impliquerait la science (des fois).


Pour le tableau, en partant de la gauche : Felix Le Dantec; Emile Verhaeren; Francis Vielé-Griffin; Henri-Edmond Cross; André Gide; Maurice Maeterlinck; Felix Fénéon; Henri Ghéron.
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyLun 9 Déc 2013 - 21:55

La table des matières justement :

SUR LA MER
L’ART
L’AMOUR
   Vénus
   Madeleine
   Théroigne de Méricourt
LES MAITRES
   Le moine
   Le capitaine
   Le tribun
   Le banquier
   Le tyran
LES FEMMES
   L’éternelle
   L’amante
   L’amazone
LES VILLES  
LA CONQUÊTE
LA SCIENCE
L’ERREUR
LA FOLIE
LES CULTES
LES BAPTÊMES
LES HEURES CRÉATRICES
L’UTOPIE
LES BAGNES
LES CRIS DE LA VIE
   Ma race
   L’impossible
   Un matin
   L’en-avant
   Les vents
   Le repos
   Le voyage
   L’étude
   Sur les grèves
   À ceux qui partent
UN SOIR
SUR LA MER


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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyLun 9 Déc 2013 - 21:55

et un extrait :

La Science

Qu’ils soient sacrés par les foules, ces hommes
Qui scrutèrent les faits pour en tirer les lois,
Qui soumirent le monde à la mesure, et, comme
Un roc hérissé d’or, ont renversé l’effroi.

Jadis, c’était la mort, son culte et son délire
Qui s’emparaient de l’homme et l’entouraient de nuit
Pour lui masquer la vie et maintenir l’empire
Debout du dogme et du péché ; mais aujourd’hui

Le mystère géant n’est plus même funèbre,
Ombre après ombre, il disparaît dans les clartés
Si bien qu’on songe au jour où toutes les ténèbres
Choiront, mortes, sous les pieds clairs des vérités.


La fable et l’inconnu furent la double proie
D’un peuple de chercheurs aux fulgurantes mains
Dont les livres ont dit comment la force ondoie
Du minéral obscur jusqu’aux cerveaux humains ;

Comment la vie est une, à travers tous les êtres,
Qu’ils soient matière, instinct, esprit ou volonté,
Forêt myriadaire et rouge où s’enchevêtrent
Les débordements fous de la fécondité.

Ô vous, les éclaireurs des tragiques visages
Tournés du fond des temps vers nos âges vermeils,
Dressez votre splendeur, comme, en tels paysages,
Luisent, de loin en loin, des tours dans le soleil.

A-t-il fallu scruter sous l’examen les choses
Pour limiter d’abord et affirmer après
Ce qui dans l’univers fut origine ou cause,
Sans s’égarer encor dans le dédale abstrait !

Ô les contrôles sûrs ! les batailles précises !
Les vieux textes croulés sous des arguments clairs !
L’âme de la réalité qu’on exorcise
Et qu’on libère enfin dans la santé de l’air !


Tout l’infini peuplé d’hypothèses logiques !
Le fourmillement d’ombre et d’or des cieux hautains
Soustrait lui-même aux puissances théologiques
Et dominé par des calculs froids, mais certains.

Les neuves vérités ainsi que des abeilles,
Pour une ruche unique et pour le même miel
Peinant et s’exaltant et saccageant la treille
Des beaux secrets cachés qui joint la terre au ciel.

Les recherches foulant le sol des consciences ;
Ordre et désordre unis et beaux comme la mer ;
Le germe humain reproduisant en sa croissance,
Les grands types de vie au cours des temps amers.

Et chaque élan vainqueur de la pensée entière
Qui n’a qu’un but : peser, jauger et définir,
Se confondant comme une flamme dans la lumière
Et la lucidité, qui seront l’avenir.

L’homme s’est assigné, sur le globe, sa place
Solidaire, dans l’attirant affolement
Et le combat entre eux des atomes rapaces
Depuis les profondeurs jusques au firmament.


Chaque âge exige enfin du temps son rapt de flamme
Et s’il est vrai qu’après mille et mille ans, toujours,
Quelque inconnu nouveau surgisse au bord de l’âme,
Les poètes sont là pour y darder l’amour,

Pour l’explorer et l’exalter avant les sages,
Sans que les dieux s’en reviennent comme jadis
Introniser leur foi dans les vallons des âges
Pâles encor d’éclairs et d’oracles brandis.

Car maintenant que la voie est tracée, immense,
Droite et nette, tout à la fois ; car maintenant
Qu’on regarde partir, robuste et rayonnant,
Vers son travail, l’élan d’un siècle qui commence ;

Le cri de Faust n’est plus nôtre ! L’orgueil des fronts
Luit haut et clair, à contre vent, parmi nos routes,
L’ardeur est revenue en nous ; morts sont les doutes
Et nous croyons déjà ce que d’autres sauront.
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyMer 13 Mai 2015 - 20:16

Je ne sais pas si je devais placer l'information ici ou sur le fil des expositions à venir (au besoin un modérateur pourra déplacer).

Le musée des Avelines à Meudon présentera du 15 octobre 2015 au 6 mars 2016, à l'occasion du centenaire de sa mort, une exposition consacrée à Emile Verhaeren. cheers En effet, le poète vécut les seize dernières années de sa vie dans cette commune. Les différentes facettes de sa personnalité seront abordées et particulièrement sa relation avec le milieu artistique (livres illustrés par Odilon Redon ou Théo van Rysselberghe) ainsi que l'importance de ses écrits dans ce domaine (soutien aux symbolistes dont Ensor, néo-impressionnistes etc.)
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colimasson
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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyLun 9 Nov 2015 - 22:50

Campagnes hallucinées (1893), Villes tentaculaires (1895)


Emile Verhaeren - Page 2 Verhae10

Ce recueil marche comme un diptyque à l’époque où la révolution industrielle vide les campagnes et traîne ses paysans fatigués, grisés par la promesse d’un avenir éblouissant, vers de nouvelles villes dont on ne remarque d’abord que l’ombre d’une usine dans la brume.


Les Campagnes hallucinées sont secouées de leurs derniers soubresauts. Déliquescence des générations précédentes, tout fout le camp dès lors qu’au loin, l’appel d’une ville glorieuse agite le dégoût des campagnards pour leur terre d’origine. Il ne reste plus rien des complaintes lestes et joyeuses des temps médiévaux, si ce ne sont les complaintes folles des fous, aussi nombreux que ceux qui ont gardés leur conscience pleine, mendiants, moralistes ou malades. Les dernières fêtes se transforment en manèges terrifiants, plus personne n’est capable de se réchauffer le cœur. Il est temps de partir, ou de mourir.


On arrive alors dans les Villes tentaculaires. Les fous se sont tus, on les a figés dans des statues. L’usine n’est plus un horizon lointain, elle happe les nouveaux-venus et les soumet à une valse où le métal remplace la terre, le whisky le lait, les éclairs la bougie, l’insomnie la paix. C’est l’hymne du déracinement, la complainte des nouveaux-venus qui, fuyant leurs campagnes sans avenir, contribuent désormais à un nouvel avenir qui ne les concerne en rien. Si on a ainsi l’impression qu’Emile Verhaeren écrit d’abord pour déplorer l’abandon des campagnes ancestrales et l’inhumanité des villes nouvelles, il semble que le passage de la Mort avec sa faucille l’exalte finalement à reléguer l’individu aux préoccupations d’un temps qui n’a plus lieu. Qu’il se sacrifie s’il le veut, sa courte vie et sa triste mort suffiront cependant à exalter le règne de la science et des idées. « On les rêve parmi les brumes, accoudées ; En des lointains, là-haut, près des soleils ». Les campagnes n’avaient plus rien à donner, les villes pas davantage, mais un horizon qu’on ne peut pas atteindre horizontalement, seulement verticalement, un surplus de rêve inatteignable qui apprend enfin à l’homme que sa destinée est d’une valeur dérisoire.


Ces poèmes séduisent et dégoûtent, parce qu’on sent la chair parsemée de moisissures se faire happer par les dents métalliques de l’usine, ses mycoses se faire brûler par la flamme du chalumeau, les cendres plus propres remplaçant les vieux cadavres qu’on oubliait dans les maisons humides ; ces poèmes ne laissent pas indifférents, même s’ils portent la trace d’un idéalisme dont nous sommes revenus.


Emile Verhaeren - Page 2 Cloist10
Cloisters, Esao Andrew


CHANSON DE FOU
"Je les ai vus, je les ai vus,
Ils passaient, par les sentes,
Avec leurs yeux, comme des fentes,
Et leurs barbes, comme du chanvre.

Deux bras de paille,
Un dos de foin,
Blessés, troués, disjoints,
Ils s’en venaient des loins,
Comme d’une bataille.

Un chapeau mou sur leur oreille,
Un habit vert comme l’oseille ;
Ils étaient deux, ils étaient trois,
J’en ai vu dix, qui revenaient du bois.

L’un d’eux a pris mon âme
Et mon âme comme une cloche
Vibre en sa poche.

L’autre a pris ma peau
— Ne le dites à personne —
Ma peau de vieux tambour
Qui sonne.

Un paysan est survenu
Qui nous piqua dans le sol nu,
Eux tous et moi, vieilles défroques,
Dont les enfants se moquent. »


Quelques extraits :


« C’est la plaine, la plaine blême.
Interminablement, toujours la même.

Par au-dessus, souvent,
Rage si fort le vent
Que l’on dirait le ciel fendu
Aux coups de boxe
De l’équinoxe. »

Les plaines



« Ô les siècles et les siècles sur cette ville !
Le rêve ancien est mort et le nouveau se forge.
Il est fumant dans la pensée et la sueur
Des bras fiers de travail, des fronts fiers de lueurs,
Et la ville l’entend monter du fond des gorges
De ceux qui le portent en eux
Et le veulent crier et sangloter aux cieux. »

L'âme de la ville



« Dites ! quels temps versés au gouffre des années,
Et quelle angoisse ou quel espoir des destinées,
Et quels cerveaux chargés de noble lassitude
A-t-il fallu pour faire un peu de certitude ? »

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MessageSujet: Re: Emile Verhaeren   Emile Verhaeren - Page 2 EmptyMer 11 Nov 2015 - 19:00

Verhaeren lisant "Le Vent". Ca crachouille pas mal, mais c'est émouvant cette voix venue de si loin sourire
https://www.youtube.com/watch?v=FmzM0NgdDR8
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