Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Parfum de livres… parfum d’ailleurs
Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Karel Capek [République tchèque] Dim 2 Sep 2012 - 21:32
La Maladie Blanche (Bílá nemoc, 1937). Drame en trois actes et quatorze tableaux. traduit du tchèque et préfacé par Alain Van Crugten. 157 pages. Déjà, et avant toute chose. Les Editions Minos/La Différence sont bien inspirées de rééditer Capek (le texte ayant déjà été publié aux Editions de l'Aube, en 1997). Mais pourquoi mettre le résumé complet de la pièce en quatrième de couverture, crénom ? Heureusement que je ne lis jamais les quatrièmes de couverture, sinon ça m'aurait bien gâché tout le plaisir de lecture. C'est du foutage de g[censuré]. Pfff... M'énerve.
Bon. La pièce : une mystérieuse maladie blanche est apparue et s'est répandue dans le monde entier.
Citation :
"PREMIER LEPREUX. C'est la peste, je vous dis, la peste. Dans notre rue, il y a déjà plusieurs personnes touchées dans chaque maison. L'autre jour, je dis au voisin : Vous aussi, vous avez une petite tache blanche sur le menton. Et lui, il ne sent rien. Mais maintenant il lui tombe déjà des morceaux de chair, comme à moi. C'est la peste.
DEUXIEME LEPREUX. Pas la peste, la lèpre. On appelle ça la maladie blanche, mais on devrait dire : le châtiment... Une maladie comme ça ne peut pas venir d'elle-même. C'est Dieu qui nous punit." (page 15).
Maladie bien curieuse, appelée par les professionnels "maladie de Tcheng", et vraiment pas sympathique du tout. Ecoutons un éminent médecin, le Professeur Sigelius, interviewé par un journaliste.
Citation :
"SIGELIUS [...] Comme vous le voyez, nous travaillons d'arrache-pied. En outre, il est formellement établi que la maladie de Tcheng ne touche que les sujets qui ont au-dessus de quarante-cinq ans ou cinquante ans. Apparemment, ils présentent un terrain favorable en raison des modifications organiques normales dues au vieillissement...
LE JOURNALISTE C'est extrêmement intéressant.
SIGELIUS Vous trouvez ? Quel âge avez-vous ?
LE JOURNALISTE Trente ans.
SIGELIUS Bien sûr. Si vous étiez plus âgé, ça ne vous paraîtrait pas tellement intéressant. En outre, nous savons avec certitude que dès le premier symptôme le pronostic est fatal ; la mort survient dans les trois à cinq mois, habituellement par septicémie..." (pages 22-23).
Ça discute dans une famille. Le père ne comprend pas :
Citation :
"LE PERE [...] Ce serait une drôle de justice, ça, si seulement les gens de cinquante ans l'attrapaient. Pourquoi je te demande ?...
LA FILLE, qui jusqu'à présent lisait un roman sur le sofa. Pourquoi ? Mais papa ! Pour qu'on fasse enfin place aux jeunes, non ? Les jeunes ne savent plus où se mettre." (page 44).
Ah ! Elle peut avoir du bon, cette maladie ! Place aux jeunes : des postes vont se libérer !
Comme dans L'Aveuglement (de Saramago) et bien sûr dans d'autres livres ou films dans lesquels une épidémie se déclare, l'armée prend les choses en main. Et, ici, elle les prend d'autant mieux qu'elle est déjà au pouvoir.
Citation :
"LE PERE [...] C'est un grand homme. Et un grand soldat.
LA MERE Pourquoi ? Il va y avoir la guerre ?
Le PERE Mais bien sûr. Ça serait vraiment une bêtise de ne pas la faire quand on a un tel chef militaire. Chez nous, au trust Krüg, on travaille en trois-huit maintenant, rien que pour les munitions. Il ne faut raconter ça à personne, mais on a commencé chez nous à fabriquer un nouveau gaz. Il paraît que c'est un truc extraordinaire." (page 83).
Epidémie, dictature militaire, rumeur de guerre... Un remède à cette maladie blanche pourra-t-il être trouvé ? La paix pourra-t-elle paradoxalement venir de l'épidémie ? Les bien portants qui ont des idées arrêtées sur la maladie seront-ils toujours aussi inflexibles une fois contaminés ? Ajoutez à tout ceci suspens, magouilles, morts, suicides, chantages...
Vous saurez tout si vous lisez cette très bonne pièce (qu'il est difficile de lire en faisant abstraction de l'époque où elle a été écrite)... ou si vous lisez la quatrième de couverture.
Dernière édition par eXPie le Mar 18 Sep 2012 - 21:38, édité 1 fois
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
La vie et l'oeuvre du compositeur Foltyn (Život a dílo skladatele Foltýna, publié pour la première fois en 1939). Traduit du Tchèque par François Kérel. 171 pages.Bibliothèque cosmopolite Stock
Comme la plupart des Čapek, il ne faut pas trop en dire, car la découverte de l'histoire est un élément non négligeable du plaisir que l'on a à lire ses livres.
Ce roman retrace la vie d'un compositeur - on pourrait dire un Artiste avec un grand "A", puisqu'il donne dans la grande poésie et la grande musique - reconstituée grâce à des interviews : un ami de jeunesse, actuellement juge, qui fut un de ses camarades de classe ; une ancienne camarade de lycée... Un ancien voisin de pension :
Citation :
"Je crains que mes souvenirs de Bedrich Foltýn ne soient injustes. Car il m'a été antipathique dès notre première rencontre. Je venais de rentrer de vacances pour commencer ma quatrième année d'études à la faculté des sciences quand ma logeuse m'annonça que j'allais avoir un nouveau camarade dans la pièce où se trouvait le piano." (page 47).
Il rencontre alors Foltýn :
Citation :
"C'était un jeune homme au long nez et à l'abondante chevelure, au menton rentré et faiblement dessiné, au cou de girafe, et avec une expression de suffisance peu commune dans ses yeux pâles." (page 48). "[...] il pérorait sur l'art, il avait appris une douzaine de grands mots tels qu'intuition, subconscient, substance originelle et je ne sais quoi, et il en avait plein la bouche. C'est inouï comme on arrive facilement à fabriquer de grandes idées avec de grands mots. Certaines gens n'auraient plus rien à dire si on leur simplifiait le vocabulaire. Quand j'entends ou quand je lis toutes ces élucubrations sur la cristallisation spirituelle, la présubstantiation formelle, la synthèse créatrice ou je ne sais quoi, ça me rend malade. Je me dis toujours, messieurs, si on vous mettait le nez dans la chimie organique (et je ne parle même pas des mathématiques) vous auriez bien du mal à écrire ! C'est, à mon avis, le plus grand malheur de notre siècle ; d'une part, nos cerveaux travaillent sur des microns et des grandeurs infinitésimales avec une précision presque parfaite, mais, d'un autre côté, nous admettons que les mots les plus brumeux gouvernent notre cerveau, notre sensibilité, notre pensée." (pages 48-49).
On retrouve l'humour de Čapek, qui aime bien égratigner l'évolution de la société !
La femme de Foltýn a un autre regard rétrospectif :
Citation :
"Monsieur Foltýn me plaisait ; il était si courtois, si élégant et portait monocle ; sans perdre une minute, il s'est mis à me faire une cour terrible, même ma mère en était si envoûtée qu'elle l'a aussitôt invité à la maison." (page 58).
L'un des intérêts de ce livre est la multiplicité des points de vue. Ainsi, Mme Foltýnova reparaîtra en personnage secondaire, un peu falotte. Ces différents points de vue permettront au lecteur de cerner la personnalité - pas sympathique, on l'a compris - de Foltýn.
Citation :
"Pourquoi est-ce que je l'aimais tant ? Comme si on savait jamais pourquoi ! C'était fou comme il m'impressionnait, parce que c'était un artiste et qu'il composait ; cela me plaisait qu'il soit si instruit, si mondain et si tendre, et surtout qu'il soit si faible et si doux !" (page 58).
On voit la double identité de Foltýn : il est faible, oui... mais dans le même temps, il joue à l'Artiste qui compose dans des affres immenses le grand oeuvre de sa vie,son opéra, Judith... ou bien Abélard et Héloïse, dont il est l'auteur du livret et de la musique, s'il vous plaît ! Une oeuvre grandiose, qui va impressionner le monde entier ! Si, si.
A travers d'autres interviews encore : professeur d'université, musiciens,... on comprendra tout.
La fin est un peu perturbante, quand on sait que ce roman est posthume et qu'il est théoriquement inachevé.
"Théoriquement", car on lit : "Ici se termine le texte de Karel Čapek". Mais suit le Témoignage de la femme de l'auteur, qui commence ainsi : "Plusieurs témoins devaient encore compléter les détails et les dépositions devaient apporter quelques éclaircissements sur la fin du compositeur Folten." Et la suite est tellement bien écrite, semble tellement intégrée, qu'on a un doute passager... mais il semble que non, il est vraiment inachevé, c'est bien sa femme (qui a elle-même fait carrière comme écrivain, après celle d'actrice) qui a dû brosser la fin de l'histoire. L'effet est tout de même très étrange, car le livre était ancré dans le réel (à un moment, une note en bas de page précisait : "Texte établi d'après le sténogramme de la déposition de Mme Foltýnová").
Encore un bon livre de Čapek !
Dernière édition par eXPie le Mar 18 Sep 2012 - 21:41, édité 3 fois
Invité Invité
Sujet: Re: Karel Capek [République tchèque] Mar 18 Sep 2012 - 8:42
Je vous conseille " La guerre des salamandres" qui est excellent. faudrait que je le relise.
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Karel Capek [République tchèque] Mar 18 Sep 2012 - 19:44
Kierkegaard a écrit:
Je vous conseille " La guerre des salamandres" qui est excellent. faudrait que je le relise.
De ce que j'en ai vu, la mise en page est originale (en tout cas dans la réédition... je ne sais pas du tout à quel point elle est identique à la précédente édition française... ou à la version tchèque) avec polices de caractères diverses, collage d'articles, etc.
Invité Invité
Sujet: Re: Karel Capek [République tchèque] Mar 18 Sep 2012 - 19:48
De ce que j'en ai vu a Prague la disposition est similaire.
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Karel Capek [République tchèque] Dim 23 Sep 2012 - 19:26
R.U.R. Rossum's Universal Robots (en fait, Rossumovi univerzální robotia). Drame collectif en un prologue de comédie et trois actes. Traduit du tchèque par Jan Rubeš en 1997 et préfacé par Brigitte Munier. Minos. La Différence. 219 pages. Création mondiale à Prague en 1921. La pièce fut jouée à New York en 1922, et la première française eut lieu en 1924.
C'est la première apparition du mot robot, terme inventé par le frère de l'auteur, Josef (terme qui supplanta automaton, utilisé précédemment par Capek dans sa pièce Opilec, 1917). Dans les langues slaves, Robot veut dire quelque chose comme travailleur (travailler, en russe, c'est работать).
Contrairement à l'idée qu'on pourrait s'en faire, ces robots sont des êtres biologiques, et pas mécaniques. Rossum, philosophe et jeune chercheur, s'isola dans une île : son but était de reproduire la matière organique par la synthèse chimique. Bref, créer de la vie, artificiellement. L'expérience réussit en 1932. Mais il voulait parvenir à créer un vrai homme, à l'identique. Cela l'occupa des années... Son neveu, l'ingénieur Rossum, avait une idée différente : simplification, industrialisation. Et c'est ainsi que les robots, être humains incomplets, ont été créés à la chaîne pour servir l'Homme. On est plus proche d'une production en série de Golems que de R2D2.
Hélène Glory, la fille du président, vient en visite sur l'île où se trouve la fabrique de robots. Elle est aussi la représentante de la Ligue de l'Humanité, dont le but est d'améliorer la condition des robots. Elle est reçue par Harry Domin, 38 ans, directeur général des entreprises R.U.R., grand et bien rasé. Il lui résume l'histoire de l'entreprise.
Citation :
"DOMIN Alors le jeune Rossum s'est dit : Un homme, ça ressent par exemple de la joie, ça joue du violon, ça a envie de se promener, bref il y a tant de choses qui sont, au fond, inutiles.
HELENE Oh non !
DOMIN Attendez un peu. Qui sont inutiles lorsqu'on doit, disons, tisser ou calculer. Un moteur diesel ne doit pas non plus avoir des franges ou des ornements, mademoiselle Glory. [...] Que pensez-vous, quel est le meilleur ouvrier possible ?
HELENE Le meilleur ? Probablement celui qui... qui... est honnête... et dévoué.
DOMIN Non. Celui qui coûte le moins cher. Celui qui exige le moins. Le jeune Rossum a mis au point l'ouvrier qui a le minimum d'exigences. Il l'a simplifié. Il l'a débarrassé de tout ce qui n'est pas absolument nécessaire pour qu'il travaille. Ainsi, à force de simplifier l'homme, il a créé le robot." (pages 30-31)
Représentation de 1921 (semble-t-il). On voit nettement que les robots relèvent plus de l'androïde que de la machine avec parties métalliques apparentes.
Lorsqu'un robot est créé, il ne sait encore rien faire. Il faut le "charger."
Citation :
"HELENE Comment ça ?
DOMIN C'est la même chose qu'à l'école pour les humains. Ils apprennent à parler, à écrire, à calculer. Comme ils ont une mémoire sans faille, vous pouvez leur lire vingt volumes d'une encyclopédie et ils vous répéteront tout dans le même ordre. Mais ils n'inventent jamais rien. Au fond, ils pourraient très bien être professeurs dans les universités." (page 43).
Ah, toujours son humour !
Dernière édition par eXPie le Dim 23 Sep 2012 - 21:35, édité 2 fois
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Karel Capek [République tchèque] Dim 23 Sep 2012 - 19:26
Hélène est un peu ennuyée : comment améliorer la condition des robots, alors qu'ils n'ont besoin de rien ? Ils n'ont pas de goût, pas de volonté ni de passion. Ni d'âme. Ils ne ressentent rien.
Citation :
"HELENE Ni amour ? Ni haine ?
HALLEMEIER [Directeur de psychopédagogie des robots] Cela va de soi. Les robots n'aiment rien, même pas eux-mêmes. Et la haine ? Peut-être, mais c'est rare ; de temps en temps...
HELENE Comment ?
HALLEMEIER Non, ce n'est rien. Il leur arrive d'avoir une crise. Une sorte de crise. On l'appelle le spasme robotique. Ils jettent ce qu'ils tiennent dans les mains, ils grincent des dents... il faut les mettre tout de suite à la casse. Probablement une panne d'organisme." (pages 56-57).
Représentation américaine des années 1920.
Le but final semble très louable, même si...
Citation :
"ALQUIST [Architecte, directeur des bâtiments] Et tous les ouvriers du monde seront au chômage.
DOMIN C'est vrai, Alquist, ils n'auront plus de travail, mais d'ici dix ans, mademoiselle, les robots universels de Rossum produiront tant de blé, tant de tissus, tant de tout que nous dirons : les choses n'ont plus de prix, alors chacun n'a qu'à prendre ce qu'il lui faut. Il n'y aura plus de misère. Sans doute qu'ils n'auront plus de travail mais le travail n'existera plus ! Tout sera fait par des machines vivantes. L'homme pourra se consacrer à ce qu'il aime. Il ne vivra que pour se perfectionner. [...] Il se peut qu'avant d'en arriver là, l'humanité vive des catastrophes. Ça, on ne peut pas l'empêcher. Mais plus tard, l'homme ne sera plus l'esclave de l'homme ni de la matière. Fini de crever pour un morceau de pain. Finis les ouvriers, finis les copistes, finis les mineurs, finis la corvée à la machine qui usait l'âme et que l'on maudissait !
ALQUIST Mais Harry, ce que vous dites, ça ressemble trop au paradis ! Il y a quelque chose de beau dans la servitude et quelque chose de grand dans l'humilité. Je crois en la vertu du travail bien fait et de la fatigue." (pages 61-62)
On a eu un peu ça avec l'importation massive de produits chinois à bas prix. Un commissaire européen au commerce avait dit que c'était une chance, que ça allait faire augmenter le pouvoir d'achat des Européens. Qui n'auraient plus de travail, bien sûr, mais qu'importe !
Evidemment, tout ne va pas se passer comme prévu (là, je parle de la pièce, pas de politique européenne, même si, hem...).
Représentation de 1922 ? ou bien de 1928-1929 ?
Le Dr Gall, directeur du Département de la recherche physiologique, fait à un moment une remarque assez pertinente (et un peu provoc) :
Citation :
"Dr GALL Domin a ses idées. Je regrette de vous le dire, mais ceux qui ont des idées ne devraient pas avoir de pouvoir." (page 110).
De toute façon, personne n'est coupable :
Citation :
"BUSMAN Vous croyez encore que c'est le patron qui dirige l'entreprise ? Non ! C'est l'offre et la demande qui commandent !" (page 158).
Eh oui, rien n'a changé. Il y a des responsables, sans doute. Mais pas de coupables.
Une bonne pièce (personnellement, j'ai tout de même préféré la Maladie Blanche, qui brasse plus de thèmes).
Production de la BBC du 11février 1938 (il s'agit d'une adaptation de 35 minutes). Il ne reste que quelques images de cette diffusion en direct. Les robots ont une apparence un peu plus mécanisée.
Affiches pour une représentation à New York, 1939. Ça sent la guerre...
Côté cinéma, Perte de sensation (Gibel sensatsy, 1935), réalisé par Alexander Andrievski est, semble-t-il inspiré de la pièce de Capek. Les travailleurs se font remplacer par ce qui est clairement une machine non humaine, ici un R2D2 soviétique.
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Karel Capek [République tchèque] Dim 23 Sep 2012 - 19:41
Ma parole, tu te fais une intégrale.
Je ne vais, en principe, pas tarder à le découvrir
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Karel Capek [République tchèque] Dim 23 Sep 2012 - 19:52
Arabella a écrit:
Ma parole, tu te fais une intégrale.
Je ne vais, en principe, pas tarder à le découvrir
J'aime beaucoup, c'est sérieux, et en même temps il y a de l'humour irrévérencieux. Et on sent de l'intelligence. Tiens, La fabrique d'absolu ressort début octobre...
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Plus la Maladie Blanche que R.U.R., mais c'est parce qu'on en a vu et lu tellement, depuis... Mais à l'époque, ça a vraiment dû être quelque chose ! D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que R.U.R. a été jouée dans le monde entier (enfin, le monde occidental) en un rien de temps...
shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
Sujet: Re: Karel Capek [République tchèque] Jeu 4 Oct 2012 - 11:12
La Maladie blanche (1937)
je n'ai pu m'empêcher de tisser un parallèle entre cette maladie blanche et la pandémie de grippe espagnole de 1918. La grippe espagnole a été la maladie la plus mortelle recensée dans le monde (100 millions de morts d'après les dernières estimations) et elle était également appelée (au Québec) la maladie bleue car les malades souffraient d'une double pneumonie et finissaient par mourir cyanosés et donc bleus... Cette maladie s'attaquait essentiellement à des gens jeunes qui n'ayant pas eu d'autres grippes auparavant n'avaient pas fabriqué les anticorps de leurs aînés. A l'inverse, la maladie blanche de Capek s'attaque aux personnes de plus de cinquante ans, comme pour rayer de la carte du monde les 'vieux', les malades, les poussifs mais aussi les décideurs, les arrivés, les hommes de pouvoirs. Et c'est là l'intelligence du texte, alors que le médecin Galen, médecin des pauvres et des démunis, pense avoir trouvé le remède à la pandémie, tous les dirigeants s'opposent à sa volonté d'échanger le remède contre l'assurance de signer la paix, de démilitariser le monde et de fermer les usines d'armement. La pièce écrite en 1937, se fait ici l'écho troublant des agissements politiques de l'Allemagne hitlérienne prête au combat et qui a relancé son économie grâce à l'acier dont on fait les canons. La maladie blanche (cette maladie qui fait se décomposer la chair, comme se décompose le substrat social d'un pays fanatique et ultramilitarisé) pourrait également être l'allégorie de l'antisémitisme, cette peste qui tue.
La lecture de cette pièce est inévitablement une lecture politique. Elle soulève la question du pouvoir mis aux mains d'hommes belliqueux, qu'il s'agisse d'ailleurs des militaires ou des médecins, ils ont pour horizon unique le gain (d'argent, d'autorité, d'espace vital...).
Une pièce qui pourrait paraître un brin désuète si elle ne rappelait pas les éternels petits arrangements de nos dirigeants et que la métaphore du corps malade quand elle est utilisée par les politiques conduit bien souvent à désastre plus grand.
shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
Sujet: Re: Karel Capek [République tchèque] Lun 8 Oct 2012 - 11:55
R.U.R (1920)
comme le dit eXPie cette pièce est un peu moins intéressante que la Maladie blanche parce qu'elle m'a semblé plus figée...
La révolte des machines. Depuis le moment où l'homme a commencé à rêver de machines intelligentes, la question s'est posée et elle l'est de façon très frontale dans R.U.R. Et si nos machines intelligentes prenaient le pouvoir (voir HAL dans 2001 l'odyssée de l'espace ; voir aussi la réponse de 'vieux' cybernéticiens comme N. Wiener qui n'y ont jamais cru). C'est surtout intéressant si on lit bien le propos de Capek : les robots se rebellent pour devenir comme les humains : des êtres libres, puisqu'en asservissant les machines , l'homme de Capek est devenu jouisseur, seulement jouisseur et que cette position fait rêver. Mais après les robots il faudra donc inventer une nouvelle machine pour servir les robots. Nous sommes dans un système sans fin, comme est le notre avec les nantis et les esclaves, rien n'est différent, tout est reproductible à l'infini d'un esclavage à l'autre.
D'ailleurs le propos politique est constant, on nous parle (en 1920) de l'homme nouveau, de Surhomme, de société de consommation... C'est intriguant, effrayant même de retrouver dans la bouche de scientifiques censés créer la société future des propos que l'on retrouvera dans l'Allemagne nazie (dont les scientifiques furent si novateurs que plusieurs furent intégrer aux recherches américaines sur la bombe atomique…, par exemple).
Intéressante aussi l'idée que la biologie est l'avenir de l'homme, ce qui est particulièrement visionnaire en 1920 et qu'un jour nous pourrons construire des sortes de clones sans affect faisant pour nous les tâches les plus ingrates ! Le rêve ! Sauf que… il faut toujours qu'une femme, pleine d'humanité vienne mettre son grain de sel dans la belle organisation et parle d'âme, de conscience de soi… A ce sujet je pense que nous avons peu progressé, nous sommes en passe de créer des ordinateurs à base de composants organiques (pour aller plus vite, pour être plus performant, pour augmenter la mémoire sans augmenter l'espace requis) mais nous n'avons aucune idée de ce qu'est exactement ce composé organique (tout au plus une ou deux cellules qui se rencontrent et ne possèdent aucun organe, aucune réceptivité)… C'est à peu près aussi vertigineux qu'a pu l'être le texte de Capek, qui a sans doute été novateur à son époque mais dont la facture a beaucoup vieilli, qui manque un peu de rythme et qui s'achève sur une idée un peu simpliste, une sorte de retour à la normalité par la force de l'amour… un brin romantique et irréaliste...
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Karel Capek [République tchèque] Lun 8 Oct 2012 - 23:10
shanidar a écrit:
qui s'achève sur une idée un peu simpliste, une sorte de retour à la normalité par la force de l'amour… un brin romantique et irréaliste...
Oui, on sent un peu tout venir, mais ça reste pas mal. La fin de La Maladie Blanche est nettement meilleure. Il y a plus de mouvement, en fait en lisant la Maladie Blanche je visualisais autre chose qu'une pièce de théâtre, alors que là - peut-être parce que cela se passe sur une île, qui évoque l'enfermement, j'étais toujours dans une pièce de théâtre... Mais La Maladie Blanche parle surtout de politique, de motivations humaines (pouvoir, etc.), ce qui vieillit moins que l'illustration des risques de la science (si la pièce ne parle que de ça... mais bon, elle date de 1920, juste après la première guerre mondiale, il y a un fond guerrier, mais pas aussi lourd que dans La Maladie Blanche)... Mais en 1920, la pièce a dû sacrément impressionner, ouvrir des horizons. On en a tellement vu depuis... Il reste que je ne me suis pas ennuyé, elle continue à tenir la route, ce qui pour une pièce de théâtre de SF, n'est pas rien.