Mishima Yukio

Queenie a écrit:

Pour un point de vue documentaire, Confession d'un masque peut plaire, oui. Mais... soit faut avoir une empathie de malade pour coller à l'histoire, soit être juste très curieux.

Plus qu'une fascination pour la Mort, c'est en fait une consolation, un Réconfort : dès qu'il est perturbé il imagine les gens s'entretuer à l'arme blanche, le plus longtemps et le plus sanglant possible.

Il aurait dû être serial killer.


(C'est parce qu'il n'y a pas de "fin". Tu pourrais prendre une page du milieu et décider de la mettre en fin de livre, tu n'y verrais que du feu)

ce que tu dis de la Mort en tant que Réconfort me fait immédiatement penser à Après le banquet dans lequel l'héroïne Kazu se rend dans un cimetière et éprouve une sorte de paix à regarder la pierre tombale qui devrait la recevoir quand elle sera morte, elle éprouve une attirance morbide et en même tant réconfortante pour ce lieu du dernier repos, ce passage va à l'encontre de l'image de cette femme, une femme très forte, décidée, très engagée politiquement et socialement et en même temps on comprend très bien que par fatigue elle éprouve cette fascination. Après le banquet reste pour moi un livre très fort parce que très juste sur un destin de femme, Mishima n'y est pas dogmatique comme dans le Pavillon d'Or et même s'il se dégage de ce livre une philosophie et une réflexion sur la politique, le roman n'est pas démonstratif, il décrit une histoire, il raconte une vie et de cette vie nait quelque chose de beaucoup plus grand. Dans le Pavillon d'Or, j'ai eu l'impression que Mishima tentait un peu l'inverse : décrire une philosophie du Beau et la démontrer à travers un personnage qui reste figé, englué dans cette philosophie et qui du coup devient mortellement redondant.

shanidar a écrit:

Après le banquet reste pour moi un livre très fort parce que très juste sur un destin de femme, Mishima n'y est pas dogmatique comme dans le Pavillon d'Or et même s'il se dégage de ce livre une philosophie et une réflexion sur la politique, le roman n'est pas démonstratif, il décrit une histoire, il raconte une vie et de cette vie nait quelque chose de beaucoup plus grand. Dans le Pavillon d'Or, j'ai eu l'impression que Mishima tentait un peu l'inverse : décrire une philosophie du Beau et la démontrer à travers un personnage qui reste figé, englué dans cette philosophie et qui du coup devient mortellement redondant.

C'est l'éternel débat concernant ce clivage entre les romans psychologiques et les romans métaphoriques (même si les frontières sont souvent floues dans les 2 sens). Tu es sensible à ce portrait de femme et à son "histoire" personnelle alors que tu trouves le personnage du pavillon d'or "figé" et comme une sorte d'entité abstraite qui n'aurait pas d'existence et de profondeur autre que d'incarner des concepts. Mais c'est bien de ça qu'il s'agit et ce roman est manifestement à part dans la production de Mishima d'après ce que j'en ai lu. Je suis au contraire plus sensible à cette épure abstraite qui devient comme un conte où beau et perversité s'affrontent à travers des représentations fantasmatiques à la fois très belles et très morbides. Je suis de la même façon plus sensible à une toile abstraite de Picasso qu'à une peinture naturaliste qui est de toute façon elle-aussi un mensonge. Mais la toile abstraite me semble mieux rendre compte de la nature humaine paradoxalement que la toile naturaliste qui toute précise ou touchante qu'elle soit ne reste qu'une surface. L'abstraction laisse une place à d'autres dimensions qui enrichissent la psychologie en la dépassant. On s'approche alors davantage de l'inconscient, du mythe ou dans le cas de Mishima de la spiritualité ou de la philosophie bouddhiste, du zen... De fait le personnage devient universel et ses questionnements me touchent plus que le parcours de cette femme dans Après le banquet que j'ai observée d'un peu loin sans me sentir vraiment emporté. Il est moins "réel" ou incarné mais il contient plus de choses par ces forces antagonistes qui le traversent. Enfin c'est en gros ce que je ressens. Et il y a surtout l'écriture que je trouve souvent somptueuse et inspirée tout en restant sobre et limpide. Idem pour le Kawabata qui est constamment à la frontière de la réalité et du rêve, du conscient et de l'inconscient dans ce voyage troublant et flottant vers la mort.

j'ai l'impression de sentir très nettement une cassure dans le Pavillon d'Or, il y a d'un côté la théorie et de l'autre une tentative de la personnifier à travers le personnage principal ; Mizogushi m'apparait comme hyper matérialisé, parce qu'il ne cesse de s'observer et de nous faire part de ses observations, il m'a étouffé à force de pragmatisme, rien à voir avec l'épure abstraire dont tu le pares, Marko. En revanche cette épure, cette abstraction je la vois chez Kafu, qui de petite femme pleine d'ambition devient une espèce d'absolu, une sorte d'autorité qui dépasse toutes les autres. J'ai beaucoup aimé toutes les réflexions philosophiques et ayant trait à la spiritualité dans le Pavillon d'Or mais à chaque fois que Mizogushi redevenait Mizogushi, un sentiment d'ennui, de répétition inutile, de matérialisation presque caricaturale (le Beau/le Laid ; l'ange gardien/le mauvais ami) me glaçait.

Pour approfondir un peu ma lecture du "Pavillon d'or" j'ai lu ces 2 articles remarquables d' Hélène De Groote consacrés aux liens entre les univers de Mishima et de Yourcenar. C'est extrêmement enrichissant:

1er article: Eponges flottantes Yourcenar/Mishima, Les harmoniques de l'eau

2e article: Aveuglants soleils Yourcenar/Mishima, Les harmoniques du feu

Et je lis parallèlement au Maupassant cet essai de Gérard Siary sur le pavillon d'or que j'essaierai de résumer. J'espère y trouver tous les éléments qui me manquent concernant les références religieuses et symboliques du roman.

Le pavillon d'or .

S'inspirant d'un fait divers ayant marqué le japon d'après guerre , Mishima raconte le parcours d'un jeune bonze shintoiste emmuré dans un schéma mental destructeur , tortueux , complexe mais fascinant .....
Mizoguchi , bègue et dénué de tout attrait physique , a fait le choix ou le non choix de se retirer dans une bulle , le mettrant à l'abri du regard du monde .

Citation :

"Je ne différais des autres que par mon bégaiement , et parce que j'étais un tantinet plus laid" .

De cette légère différence , mais reliée à la laideur et l'inacceptable pour lui dans son obsession de la recherche de LA beauté dont il se sent violemment exclu , Mizoguchi s'appuiera pour bâtir tout un édifice psychique , prison égotique suprême , complexité brillante et dangereuse ; de cette souffrance narcissique naitra une personnalité bancale , mutilée et malsaine , capable du meilleur comme du pire dans sa recherche de l'inaccessible .
Ce fameux Pavillon d'or dont Mizoguchi s'accapare intérieurement pour en faire LA représentation de la Beauté ultime deviendra un pilier de son édification psychique : sans lui tout s'écroule et le sens de la vie semble disparaitre .

Tout au long de ce parcours presque initiatique , on assistera à ces oscillations intérieures , ses tentatives vaines pour "entrer dans la vie ", briser cette glace qui le coupe du monde réel , des sens et du plaisir , on se glissera dans la peau de cet être morcellé , coupé de lui même , en balancement continuel entre ce qu'il croit être le bien et le mal , en recherche éperdu d'une beauté  absolue au delà des apparences , torturé et tout aussi enclin à trouver l'issue dans la pureté et la noblesse de coeur que dans les formes les plus perverses dans de subtils jeux de soumissions et dominations .....
Qu'est-ce que LA beauté , comment vivre avec la dualité du bien et du mal , où se situe la connaissance et qu'apporte-t-elle à l'humanité , l'art est-il un moyen d'accéder à l'ultime vérité ....

Mishima n'a de cesse de bousculer le mental de son lecteur , multipliant les questionnements et les approches , s'appuyant sur une culture zen qui déroute le lecteur occidental plus linéaire dans son approche .
Mishima dérange par son regard clinique de la dualité du bien et du mal , Mishima séduit par son écriture magnétique , Mishima agace par l'élégance de son discours au sommet d'une perfection de forme ....tel le Pavillon d'or dans son abstraction ....
Un ouvrage brillant , dont l'épure apparente cache une richesse de fond difficilement appréhendable en une seule lecture : les thèmes abordés sont infinis et les approches peuvent se faire sur plusieurs niveaux ( psychologie pure , analyse psychanalytique , raisonnement théologique ....)
Belle découverte pour moi pour une presque première approche de la littérature japonaise ....Il est bien évident que quantités de références culturelles m'ont manqué pour en saisir toute l'étendue mais portée par une lecture plus intuitive peut-être certaines portes se sont ouvertes autrement et ce fut un moment de grande intensité !

En cours de lecture du fil, j'aime les images qui semblent se telescoper :

shanidar a écrit:

Mishima a l'art de prendre ses personnages et de les déshabiller lentement, pour nous offrir le coeur de leur âme comme s'il s'agissait d'oranges à peler.

Troglodyte citant Mishima a écrit:

Assurément, pour le coeur, la seule façon d'être certain de l'existence, c'est d'exister et de voir à la fois. Il n'est qu'une méthode pour résoudre cette contradiction. C'est de plonger un couteau au plus profond de la pomme afin de la fendre en deux, exposant ainsi le coeur à la lumière, c'est-à-dire à la même lumière que la peau superficielle. Et pourtant, alors, en tranchant la pomme, son existence tombe en morceaux ; le coeur du fruit sacrifie son existence à son envie de voir.

M'a l'air flippant cet auteur !

mais non il est fruité !

(Le banquet n'est pas du tout flippant et vraiment passionnant dans le genre : dissection d'un cœur de femme !)

Confession d'un masque

La personne de Mishima me fascine et me fait peur tout en même temps. Ce bouquin est tiré de son parcours. On pourrait dire que c’est un bouquin autobiographique. Et tout y est. Sa fascination pour les jeunes hommes musclés et pas très intellectuels, qu’il imaginera transpercée par toutes sortes d’armes blanches, et dont le sang coulera. Sa fascination pour la mort des autres et la sienne. Son impossibilité d’avoir une pulsion pour une femme. Et qui n’a rien à voir avec la relation amoureuse qui pourrait s’instaurer. La détestation de son corps faible et maigrelet. Tout y est, et tout convergera autour et vers les mêmes points jusqu’à sa mort. Il ne retournera pas sa veste, il s’organisera pour obtenir ce qu’il veut. Il changera ce qu’il veut changer (il aura finalement le corps d’athlète qu’il voulait). Et il restera lui-même.

Mishima écrit très bien la complexité du masque qu’il doit porter pour que personne ne sache son « inversion » comme il dit, ou ses petits secrets terrifiants. Le masque tel un mensonge auquel il s'oblige à croire, qui l'épuise et le mystifie parfois.

J’ai vraiment beaucoup aimé et suis heureuse de savoir que plein de ses écrits m’attendent encore.

Allez, merci Pia, je vais le dénicher Confession d' un masque !

Il n'y a pas de quoi!

pia a écrit:

Sa fascination pour les jeunes hommes musclés et pas très intellectuels, qu’il imaginera transpercée par toutes sortes d’armes blanches, et dont le sang coulera.

Je me souviens que ça m'avait intrigué cette fascination pour l'imagerie du Saint Sebastien que je crois même avoir découverte à travers son roman quand j'étais adolescent. Ce mélange d'érotisme et de souffrance.

Autoportrait:



Et son modèle de fascination... la version de Guido Reni:

L' écrivain, ça va, mais l' homme qui voulait tenter un coup d' état au Japon, NON, merci !

Marko a écrit:

Je me souviens que ça m'avait intrigué cette fascination pour l'imagerie du Saint Sebastien que je crois même avoir découverte à travers son roman quand j'étais adolescent. Ce mélange d'érotisme et de souffrance.

Je n´avais pas osé mettre le Saint-Sebastien. Fascination très forte et qu'il a gardé toutes sa vie manifestement puisqu'il a fait des représentations de lui en Saint-Sebastien de Guido Reni. C'est ça qui est étrange, il est resté fidèle toute sa vie à certaines choses immuables. Quand je pense à mon propre parcours depuis petite j'ai changé mille fois, j'ai aimé quelque chose et je l'ai détesté etc...Lui non. Toujours accroché à ce qu'il avait découvert enfant. Très intriguant en effet l'extase par la souffrance des autres. Un peu terrorisant aussi....

bix229 a écrit:

L' écrivain, ça va, mais l' homme qui voulait tenter un coup d' état au Japon, NON, merci !

Il y a des théories qui disent que c'était un coup de provoque pour se donner le droit d'avoir honte, et donc de faire ce qu'il a fait juste après...son seppuku? Pour se repentir. (enfin j´ai crû lire ça quelque part) Cela va bien avec sa personnalité...

pia a écrit:

[quote="Marko"
Je me souviens que ça m'avait intrigué cette fascination pour l'imagerie du Saint Sebastien que je crois même avoir découverte à travers son roman quand j'étais adolescent. Ce mélange d'érotisme et de souffrance.

Je n´avais pas osé mettre le Saint-Sebastien. Fascination très forte et qu'il a gardé toutes sa vie manifestement puisqu'il a fait des représentations de lui en Saint-Sebastien de Guido Reni. C'est ça qui est étrange, il est resté fidèle toute sa vie à certaines choses immuables. Quand je pense à mon propre parcours depuis petite j'ai changé mille fois, j'ai aimé quelque chose et je l'ai détesté etc...Lui non. Toujours accroché à ce qu'il avait découvert enfant. Très intriguant en effet l'extase par la souffrance des autres. Un peu terrorisant aussi....

Tout cela donne terriblement envie !! à rapprocher peut-être de L'érotisme de Georges Bataille qui traite en partie de l'extase dans l'iconographie religieuse et ses statues se donnant toute entière à un Dieu immanent...

Sainte-Thérèse