Mishima Yukio

The Valuk a écrit:

Le marin rejeté par la mer

Revoilà un Mishima plutôt sombre annonçant des thèmes dans sa tétralogie La mer de la fertilité. Il est question d'un marin solitaire qui s'entiche d'une femme au point de renoncer à l'appel de la mer. Le fils de cette femme fait partie d'une bande de jeunes aux visions très particulières du monde... Sombres, viles. A la Mishima en somme. Le marin en fera-t-il les frais?
Un récit au final plutôt intéressant qui vaut la peine d'être lu si on apprécie l'oeuvre de l'auteur.

Je l'ai lu à l'adolescence et je me souviens de la fascination/répulsion qu'exerçait l'amant de la mère sur ce gamin. Figure virile troublante et attirante mais incarnant en même temps des valeurs masculines traditionnelles qu'il rejetait. La violence de ce qui suit ne peut naître que de ce mélange de frustration et de crainte sous l'influence des valeurs de ce groupe d'ados maléfiques. Doit on y voir la vision ambivalente du jeune Mishima vis à vis de la figure masculine? Mélange de trouble érotique et de menace? Le plus étrange étant que la violence se déclenche lorsqu'il se rend compte que ce marin est inoffensif...

Après le banquet

Commencer tout de suite par vous dire que ce livre m'a enthousiasmée. Ils sont rares les livres qui vous transforment, qui révèlent ou réveillent quelque chose d'enfoui en vous, Après le banquet a eu cet étrange effet de miroir sur moi, c'est pourquoi ma lecture n'en est que plus personnelle, douloureuse et éblouie...

Kazu est une femme de cinquante ans, un peu 'rustique' à cause de ses origines campagnardes, elle est pleine de forces et de joie de vivre, elle tient un restaurant qu'elle a bati toute seule, grâce à ses relations, grâce à son entregent et elle fière de sa réussite professionnelle et de sa fortune. Elle est la maîtresse orgueilleuse de son destin, elle est d'une incroyable vitalité. Ses passions la mènent et l'entrainent, la poussent, la guident, la portent et parfois la dépassent. Elle est forte et faible à la fois, femme d'une complexité rare, d'une profonde sincérité, d'une rage de vivre impressionnante.

Et puis un jour, au restaurant, elle rencontre Noguchi, un ancien ministre un peu rude, érudit et sec. Il vont s'aimer. Il sera calme et furieux, elle sera emportée et calculatrice. Il sera doux et intransigeant, éducateur et imbécile, elle sera insaisissable et aimante, plaisante et lointaine, soumise et indépendante...

Ensemble ils feront de la politique pour s'apercevoir qu'ils ne regardent pas dans la même direction, qu'ils sont étrangers l'un à l'autre. Alors que faire ? Kazu est une femme d'une lucidité confondante, Noguchi a renoncé ; elle trouvait auprès de lui ce qu'elle avait cherché : un tombeau... mais cette quête de sécurité qui passe par la poésie, par l'érudition et par le renoncement n'est-elle pas en totale opposition avec la vitalité de l'héroïne ? Alors que faire ?

L'écriture de Mishima est composée de phrases courtes, incisives et précises, simples elles pourraient être simplistes, si leur manière d'appréhender les comportements humains, les passions et les rêves n'était pas aussi fine. Mishima a l'art de prendre ses personnages et de les déshabiller lentement, pour nous offrir le coeur de leur âme comme s'il s'agissait d'oranges à peler. Lentement, savamment, à force de tourner et retourner vers les mêmes thèmes, il tisse une toile d'araignée, dans laquelle le lecteur s'empêtre avec délices, découvrant le plaisir d'être ligoté par une narration d'une beauté, d'un calme, d'une sérénité envoûtante. Il se pourrait que la promenade proposée par Mishima se passe dans une barque, dérivant lentement sur les bords d'un lac aux eaux limpides, il se pourrait que durant cette promenade l'histoire qui sera raconter à mots doux transforme votre monde, comme ça, l'air de rien. Il se pourrait que le rythme charmant des phrases s'enroule autour de vous comme un rayon de miel pour mieux vous endormir et que, telle une chrysalide vous en ressortiez papillon.
Et puis surtout, il y a Kazu, dont le portrait est dessiné comme une estampe dont chaque détail serait pensé, pesé, placé, déplacé pour que rien ne puisse échapper à la compréhension. J'ai rarement lu des romans dans lesquels la psychologie d'une femme était aussi bien dite, aussi bien vue. Mais Kazu n'existerait pas sans le contraste qu'elle forme avec Noguchi. Elle connait les hommes et pourtant avec lui elle se heurte à quelque chose qui la dépasse. En grande politique elle aura le choix de la trahison ou de la soumission.

De très belles images traversent ce roman fait de rien, un souffle, une évidence, un art du poétique qui frôle sans cesse le politique. De très beaux passages nous livrent l'âme d'une femme perdue par ses passions, ses violences, ses manoeuvres, ses amours.

J'ai trouvé dans ce roman la part d'exotisme, de 'japonisme', de traditions qui manquait à mon envie d'aller plus loin dans ma rencontre avec cette terre étrangère. J'y reviendrai...

Merci! Très beau commentaire.

Hé oui, Mishima est tout aussi capable de concision, sensibilité et subtilité que de tartines esthétisantes et narcissiques lourdes à digérer (à mon seul avis, hein!).
C'est ce premier Mishima que je veux explorer. Je lirai donc prochainement Après le banquet!

ah oui, très beau.. tu me donne envie de le lire aussi..

Pareil... En plus, cela fait longtemps que je n'ai pas lu un livre de Mishima.

Cet été, une amie est allée au Japon et comme elle sait que je suis fan de Mishima, elle m'a ramené une édition japonaise d'un de ces livres. Bon, je ne le lirai sans doute jamais (je suis déjà incapable de savoir le titre), à moins de me mettre enfin au japonais, mais j'ai un vrai Mishima de là-bas dans ma biblio (un joli livre, en plus !)!

Depuis, je me la pète comme pas permis

Ha, la classe en effet!

Hope a écrit:

Pareil... En plus, cela fait longtemps que je n'ai pas lu un livre de Mishima.

Cet été, une amie est allée au Japon et comme elle sait que je suis fan de Mishima, elle m'a ramené une édition japonaise d'un de ces livres. Bon, je ne le lirai sans doute jamais (je suis déjà incapable de savoir le titre), à moins de me mettre enfin au japonais, mais j'ai un vrai Mishima de là-bas dans ma biblio (un joli livre, en plus !)!

Depuis, je me la pète comme pas permis

J'ai la même... Je suis revenue du Japon avec un manga. Bon c'est moins dur à lire qu'un roman, mais je n'y arriverais sûrement jamais. Pas grave. C'est top Péteux, et alors ?!

shanidar a écrit:

Après le banquet

ce beau commentaire nous a donné envie de faire une lecture en commun ici

Sortie du 7 décembre, en dvd :



Et la bande annonce m'a donnée envie : clic

Queenie a écrit:

Sortie du 7 décembre, en dvd :



Et la bande annonce m'a donnée envie : clic

Ah oui, je ne l'ai jamais vu... la BO de Philip Glass, je l'ai entendue plein de fois, je l'aime beaucoup...

Le film de Paul Schrader contient beaucoup de fulgurances, et sa construction est audacieuse, mélangeant la biographie de Mishima avec des éléments de ses romans.
Mais je trouve la mise en scène trop forcée, trop chaotique, manquant de nuances à force de chercher à percer la personnalité de l'écrivain. La démarche est souvent esthétisante au détriment de l'analyse psychologique.
Et si la BO de Glass fait d'abord forte impression, elle est utilisée et réutilisée jusqu'à l'excès...frustrant.

Avadoro a écrit:

Le film de Paul Schrader contient beaucoup de fulgurances, et sa construction est audacieuse, mélangeant la biographie de Mishima avec des éléments de ses romans.
Mais je trouve la mise en scène trop forcée, trop chaotique, manquant de nuances à force de chercher à percer la personnalité de l'écrivain. La démarche est souvent esthétisante au détriment de l'analyse psychologique.
Et si la BO de Glass fait d'abord forte impression, elle est utilisée et réutilisée jusqu'à l'excès...frustrant.

Même ressenti mais je ne l'ai jamais revu depuis. J'en ai gardé le souvenir d'un objet un peu glacé, morcelé, trop conceptuel et esthétisant. Mais ça ne m'avait pas forcément déplu à l'époque. L'occasion de le revoir...

Marko a écrit:

Avadoro a écrit:

Le film de Paul Schrader contient beaucoup de fulgurances, et sa construction est audacieuse, mélangeant la biographie de Mishima avec des éléments de ses romans.
Mais je trouve la mise en scène trop forcée, trop chaotique, manquant de nuances à force de chercher à percer la personnalité de l'écrivain. La démarche est souvent esthétisante au détriment de l'analyse psychologique.
Et si la BO de Glass fait d'abord forte impression, elle est utilisée et réutilisée jusqu'à l'excès...frustrant.

Même ressenti mais je ne l'ai jamais revu depuis. J'en ai gardé le souvenir d'un objet un peu glacé, morcelé, trop conceptuel et esthétisant. Mais ça ne m'avait pas forcément déplu à l'époque. L'occasion de le revoir...

C'est vrai que c'est une façon hypra originale et osée que ce biopic esthétique, qui mélange plein de styles de narration. Et oui, ça étouffe un peu l'œuvre, mais je trouve que ça donne l'essentiel à voir. Et il s'en dégage beaucoup de force et d'admiration pour le travail et l'auteur Mishima.
Et puis je préfère une forme un peu casse gueule mais qui tente, parce qu'elle tente de retrouver un peu de l'esprit de Mishima, qu'un biopic classique et souvent chiantissime. Là, au moins, on sent qu'il y a un vrai savoir sur l'auteur et ses œuvres, et une vraie envie d'hommage artistique.

Il est vrai que Paul Schrader tente beaucoup de choses, et son film s'imprègne de sa personnalité de cinéaste...tout sauf une approche timide. Plastiquement, il y a des choses très belles et très rigoureuses, avec malheureusement des tendances parfois clipesques, très 80's, qui sonnent un peu gratuites.
Mes regrets viennent plutôt de la perception de l'homme Mishima. Schrader cherche le coup d'éclat, interroge violemment son rapport aux femmes, à la mort, sans parvenir à trouver une cohérence. C'est dommage car l'interprétation de Ken Ogata est très puissante.

J'ai terminé tout à l'heure Après le banquet, mon premier Mishima; il y en aura certainement d'autres car j'ai adoré ! Jusque là, je n'avais lu que Haruki Murakami parmiles auteurs japonais, et même si ça n'a rien à voir, j'ai retrouvé un peu le même climat "apaisant", une attention extrême portée à l'environnement, la nature (enfin, typiquement japonais, j'en suis bien consciente). J'ai apprécié le personnage de Kazu, femme qui souhaite rester indépendante et qui pourtant se donne à fond pour les ambitions de son mari, j'ai trouvé que c'était un très, très beau portrait. Je rejoins l'avis de shanidar, qui parlait d'"envie d'exotisme" : c'est exactement ce que je cherchais (même s'il n'y avait pas que cela, bien sûr), et je n'ai pas été déçue.