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| Ilarie Voronca | |
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Auteur | Message |
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Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Ilarie Voronca Lun 3 Juin 2013 - 12:53 | |
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Hommes de l’avenir. Tout ce que je dis dans ce livre sera-t-il un jour Comme ces légendes que l’on écoute sans y croire ? C’était pourtant l’époque où j’ai vécu, La gloire était pour quelques-uns seulement et ils parlaient de surproduction et de chômage et de statistiques,
Qu’ils faisaient fabriquer à leur gré en se moquant des chiffres Comme des hommes. Et ces sentences de mort et de faim Ces diagrammes, ces graphiques, ces index numbers Ils les faisaient établir par des pauvres qui signaient aussi leur propre arrêt de misère.
Comment auraient-ils pu, ceux de mon temps, penser à vous hommes de l’avenir. Dénués de tout : agenouillés devant des gardiens implacables Comment auraient-ils pu penser encore ? Et pourtant s’ils avaient regardé dans les champs Ils auraient vu qu’il n’y a jamais trop de fleurs, si belles dans leur simplicité. Et les abeilles ? S’il y a trop de miel en sont-elles malheureuses ? Et les rossignols : s’ils chantent trop en résulte-t-il du chômage ?
Vous ne saurez rien de tout cela, hommes de l’avenir Vous pourrez voir, entendre, penser en toute liberté.
C’est ainsi que le soir je m’éloignais des habitants de la ville, Qu’auraient-ils pu me faire, leur orgueil, leurs disputes ? "Cet honneur, cette place sont à moi ", disaient-ils. Je sais Mais dans les champs Un espoir, comme une herbe fraîche, après la pluie, reprenait vie.
La forêt n’était pas loin. On pouvait l’apercevoir Comme une mer bien heureuse, aux arbres pareils à des navires, Entourés de l’écume des nuages. Ils se tenaient là immobiles, ces arbres et cependant Ils voyageaient à travers les saisons et les orages innombrables.
Une vie âpre était en eux : délires des sens Qui ne sont qu’une conséquence de la marche : vue, odorat, ouïe. Non, les arbres avaient mieux que cela : ils étaient mêlés à l’argile Et au ciel : comme un sens plus vaste comprenant tous les sens C’est là près de ces arbres que je voyais venir Vers moi une autre forêt : celle des foules heureuses de l’avenir. Quand ce temps sombre aura disparu. Et tous les hommes Et leurs pensées, leurs joies, seront comme des vases communicants.
(Extrait de La poésie commune, in Poèmes choisis/Seghers)
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| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Ilarie Voronca Dim 23 Juin 2013 - 16:20 | |
| J’ai été vivant ... J ’ai été vivant comme vous, mes amis, et dans les jardins Tristes, provinciaux, j’ai fait de longues confidences Et j’ai été aussi l’errant qui désire un toit familier Et qui n’a pour tout vêtement que la lumière et la pluie. Ô ! Être votre compagnon, vous reconnaître Une fois encore. Ma vue pleine de choses de ce monde Comme une eau très poissonneuse. Et ce regard du mourant Bu par le visage, comme une rivière qui sèche. De ce promontoire on aperçoit la mer, Comme une fenêtre éclairée doucement Derrière laquelle, très tard, dans une nuit d’hiver Le poète cherche une aurore nouvelle parmi ses manuscrits, Mais cette transfusion lente vers l’immobilité, vers la mort Ces vases communicants – la vie et la mort – dont je prends conscience Cette source qui est en nous dès notre naissance Et qui ne jaillit qu’au moment même de notre mort, Nous fera-t-elle enfin tout savoir ? Ces couleurs, Et ce grand jour, sans aube, dont on s’approche Le visage est ici mais son contour est ailleurs, On peut s’en éloigner, on reste toujours proche. Tout cela appartient à un autre temps, ô mes amis ! Et cette porte où l’on frappe. Et quand on l’ouvre Il n’apparaît personne. Ô ! comme j’aurais voulu Reconnaître celui qui est là sur le seuil, Sans figure et sans voix. Car j’étais vivant comme vous. Mais aujourd’hui, je suis celui-là même Que vos yeux cherchent en vain, Dans les ténèbres, par les portes béantes. Entouré de grandes eaux comme des chiens invisibles Dont on entend tout près le souffle qui halète. La poésie commune (1936) | |
| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Ilarie Voronca Dim 8 Déc 2013 - 20:29 | |
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Journée calme. Journée lumineuse, Avec les semailles brillant à côté du soleil de bronze, Avec la distribution juste des récoltes, Près des vapeurs planant entre le foin et les vents d'airain.
Te voilà, toi, homme bon. Serviteur ou chanteur avec les outils de midi, Les chiens aboient joyeusement, les peupliers viennent à ta rencontre De ta voix, le salut s'élève limpide.
Peut-être est-il écume. Peut-être est-il oiseau. O ! vous bêtes planant tout près comme des dieux familiers Et toi, terre grattée, fouillée pour une miette de pain L'argile restée sur le tranchant de la pelle Comme une tristesse sur la lame d'un mot.
Où partir ? Où chanter ? Où tracer un retour, un appel ? Ce silence entre les chardons et le soleil de bronze Et le sommeil comme un poème oublié et ensuite retrouvé, le voilà.
(Extrait de "Patmos, 1934" in Poèmes choisis/ Seghers) | |
| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Ilarie Voronca Lun 28 Juil 2014 - 12:29 | |
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Regrettant toujours
Ce sera peut-être comme dans cette vie : Je m'écrierai : c'est ici que je veux demeurer, Comme je m'exclamais autrefois devant un beau domaine, C'est ici que je veux vivre, je dirai : dressez une tombe ici. Mais la mort ne me laissera pas plus de répit que la vie. Elle m'éloignera de tout ce qui me sera cher, Les forêts, les mers avec leurs chevelures, Resteront en arrière sur un rivage immatériel. Parfois je reconnaîtrai le jardin calme Que j'ai vu de la fenêtre en cette après-midi de printemps. C'était la première fois que je pénétrais dans cette chambre Où la jeunesse était enfermée avec son parfum de pommes et de coings. J'étais là à la fenêtre mais quelqu'un Qui me ressemblait et qui pouvait être mon esprit Planait parmi les branches de la saison, se drapait Dans les voiles que tissaient de leurs chants les oiseaux. Et je compris que le bonheur est cet instant Où l'on se voit soi-même heureux sur une allée D'un jardin et votre semblable vous supplie: "Restons ici, dans ce paisible crépuscule". Qu'importe alors, si l'on est vivant ou mort ? C'est la mort ou la vie qui ouvre ces fenêtres, Le printemps marche en robe de dentelles, On veut le suivre, on est déjà trop loin. Ainsi l'on traverse les contrées, les chambres. Parfois l'on passe comme dans un moulin Et la farine blanche d'une joie vous recouvre Et on rit, on secoue ces neiges d'abondance. Si l'on a tant de regrets, si l'on veut revenir, C'est que celui qui vous ressemble et est vous-même Vous suit d'un pas lent, le visage tourné Vers le domaine où pousse une herbe inoubliable. On les reverra certes, ce crépuscule Et ce printemps, aux portes ouvertes d'un nuage, Sans jamais s'arrêter et regrettant toujours Ce bonheur qu'on a cru saisir, insaisissable.
(Extraits de Inédits, in Ilarie Voronca/ Poèmes choisis/ Seghers) | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Ilarie Voronca Lun 28 Juil 2014 - 15:18 | |
| que j'aime celui-ci mais il me fait mal aussi parce que le temps me fuit | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Ilarie Voronca Lun 28 Juil 2014 - 16:39 | |
| Où sont les hommes ? QUAND les marmites ne voudront plus obéir Quand le bois comme un oiseau qui s'envole Quand les pierres s'effriteront pour se moquer de nous Quand dans les buffets, à la place des couverts, de longs serpents venimeux Quand nous souhaiterons enfin une présence humaine Quand nous aurons besoin d'une voix humaine Quand l'homme que nous avons meurtri, crucifié Pourra nous faire du bien avec son regard qui pardonne C'est en vain que nous irons dans les prisons C'est en vain que nous appellerons dans les chambres de torture C'est en vain que dans les camps de la maladie et de la faim Nous irons recueillir ce qui reste de l'homme. Quand l'eau rira libre loin de nos lèvres, Quand les murs comme de la fumée à notre approche Quand les roches couvertes d'algues et de varech Sortiront comme un troupeau hallucinant de l'océan Quand la paix comme un fouet cinglera nos faces Quand les arbres comme des rennes fuyant dans la nuit Quand les chaises, les tables, les armoires, sans se gêner Conspireront, en notre présence, pour nous perdre, Quand la solitude demandera son salaire C'est en vain que nous nous souviendrons de nos semblables Dans les soutes, dans les cavernes, dans les casemates Il n'y aura plus qu'un peu de sang et de rouille sur les chaînes [/spoiler] .
Remerciements sincères au site poétique Esprits nomades
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| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Ilarie Voronca Mar 29 Juil 2014 - 12:44 | |
| - Bédoulène a écrit:
- que j'aime celui-ci mais il me fait mal aussi parce que le temps me fuit
Qui n'a pas vécu ces quelques secondes d'éternité arrachées au temps qui passe, en l'espoir de les figer à tout jamais dans leur plénitude, Bédou ? | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Ilarie Voronca Mar 29 Juil 2014 - 14:11 | |
| bien sur Constance, mais difficile à figer et le temps est un voleur ! | |
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| Sujet: Re: Ilarie Voronca | |
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| | | | Ilarie Voronca | |
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