Julien Gracq

Tes commentaires Marko me donne très envie de lire ce livre, ça sera fait cette année.

Merci marko pour cette présentation illustrée d'un roman qui a l'air très étonnant en effet.

Marko a écrit:

Le livre est d'une richesse incroyable et terriblement hermétique. A moins d'être soi-même initié à l'Alchimie je pense qu'on passe largement à côté de toutes les références qu'il distille savamment et dont on ne fait que sentir la présence sans vraiment les comprendre.

Ce côté ésotérique et fermé me fait un peu hésiter à le lire dans l'immédiat, par contre...Ce que j'aime dans les Gracq que j'ai lus jusqu'ici, c'est ce pouvoir d'évocation des sensations et des impressions, qui fait que le lecteur peut s'y retrouver d'une certaine manière.

Marko a écrit:

Et ce pourrait être également utile si on s'intéresse à des livres comme ceux d'Hedayat, de Bosco ou même de Yourcenar dont "L'oeuvre au noir" est particulièrement dense en correspondances artistiques et ésotériques. Je suis d'ailleurs impatient de recevoir le livre illustré qui expose ces correspondances comme elle l'aurait souhaité. L'occasion de le relire et de compléter par le film de Delvaux.

Merci Marko de ce commentaire très complet sur le château d'Argol, j'avais très confusément senti tout ça, mais l'écriture m'avait envahie et non pas portée. J'essaierai peut-être un jour de m'y remettre, mais pas sûr. J'avoue que l'écriture 'hermétique' ne me convient guère - tout comme la poésie hermétique,...Je me laisse porter un moment puis je me lasse. Je vais m'offrir Le Rivage des Syrthes je pense, on verra bien ensuite.

Je suis vraiment interessée par le livre illustré de l'Oeuvre au Noir dont tu parles, quelles en sont les références ? J'avais beaucoup aimé ce livre comme tous ceux de Yourcenar que j'avais eu l'occasion de lire d'ailleurs.

pas vraiment d'accord pour l'hermétisme du livre, surtout avec un auteur si préoccupé par la lecture non ? qu'on creuse, qu'on puisse creuser les références ou non de la construction, c'est très lisible, dans une atmosphère d'étrangeté qui prédomine... l'articulation d'ensemble du texte fait le reste. d'ailleurs c'est un peu pareil pour l'opposition entre le symbolisme et le surréalisme. son écriture est particulièrement structurée et raisonnée. c'est plutôt qu'il met (impression) la lecture en avant. ce qui est aussi un accent sur l'écriture ou la langue qui prend un peu le dessus sur la recette de cuisine et la liste de courses (ou selon certains points de vue, un contraire possible de Lynch).

Nezumi a écrit:

Ce côté ésotérique et fermé me fait un peu hésiter à le lire dans l'immédiat, par contre...Ce que j'aime dans les Gracq que j'ai lus jusqu'ici, c'est ce pouvoir d'évocation des sensations et des impressions, qui fait que le lecteur peut s'y retrouver d'une certaine manière.

Je n'ai pas dit que c'était fermé (malgré le mot "hermétique"). On peut accepter l'histoire comme une sorte de fantasmagorie qui évoque toute une littérature fantastique à laquelle elle rend hommage. L'hermétisme vient du fait que si on ne veut pas se contenter seulement de cette surface somptueuse et quasiment non narrative, il faut chercher un sous-texte derrière ces séquences énigmatiques. Elles ne sont pas qu'une longue rêverie dénuée de sens (même si les sensations peuvent en apporter en elles-mêmes). L'approche alchimique me semble très pertinente et l'article que je cite apporte un éclairage intéressant. Elle n'est pas la seule. Quand on connait l'histoire de Parsifal on voit déjà Argol avec un autre oeil. Je disais la même chose des films de Lynch. Souvent on ne comprend pas et on dit "il n'y a rien à comprendre, c'est un rêve étrange, pas la peine de se creuser la tête...". Et pourtant si, il y a des choses à comprendre et à décrypter pour peu qu'on le désire. Et l'enchevêtrement entre la surface envoûtante et le contenu plus ou moins signifiant (qu'il soit inconscient, ésotérique, mythologique ou autre....) le rend d'autant plus riche. Pour moi l'un ne va pas sans l'autre. Mais tant mieux s'il reste quand même un peu de mystère à l'arrivée et que tout n'est pas explicité. Cette part d'inconnu fait partie de l'expérience. C'est bon de s'y perdre. Mais comme le suggère Animal c'est d'abord une question d'écriture.

domreader a écrit:

Je suis vraiment interessée par le livre illustré de l'Oeuvre au Noir dont tu parles, quelles en sont les références ? J'avais beaucoup aimé ce livre comme tous ceux de Yourcenar que j'avais eu l'occasion de lire d'ailleurs.

C'est sur le fil de Yourcenar

Marko a écrit:

Mais tant mieux s'il reste quand même un peu de mystère à l'arrivée et que tout n'est pas explicité. Cette part d'inconnu fait partie de l'expérience. C'est bon de s'y perdre. Mais comme le suggère Animal c'est d'abord une question d'écriture.

ah, mais ce n'est pas le mystère qui me dérange dans une oeuvre, loin de là. Quant à l'écriture de Gracq, je suis conquise d'avance. C'est juste que cet univers de l'ésotérisme et de l'alchimie ne m'attire pas trop. Mais peut-être que Gracq en fait quelque chose d'intéressant, tu as l'air de le penser en tout cas.

Nezumi a écrit:

Mais peut-être que Gracq en fait quelque chose d'intéressant, tu as l'air de le penser en tout cas.

Oui forcément Mais je dois reconnaître que pendant le premier tiers du livre j'avais un certain rejet devant le maniérisme et la préciosité relatifs de l'écriture. Je comprends Domreader et j'aurais presque pu écrire un post négatif à un certain stade. L'effet d'un petit surdoué qui a voulu tout balancer sans mesure. Mais à l'arrivée le charme a pris et il faut reconnaitre qu'il fait des descriptions hallucinantes de ce château et de ces ambiances nocturnes et aquatiques. Rien que pour ce plaisir là il vaut la peine d'être lu.

Citation :

Deux ans après la disparition de Julien Gracq, ses dernières volontés sont près d’être respectées. L’écrivain voulait faire de la maison de son enfance un lieu où les auteurs viendraient se reposer et écrire. Dans ce but, il a légué sa résidence à la Fondation de France. Faute d’avoir pu honorer son vœu, c’est la commune de Saint-Florent-le-Veil qui va réaliser le projet. Il sera financé par la Région Pays de la Loire. Une bibliothèque numérique regroupant ses œuvres ainsi qu’une salle d’exposition y seront aménagées.


source: Lire, février 2011

Le Rivage des Syrtes

J’ai toujours du mal à expliquer pourquoi les œuvres de Gracq me plaisent, sans doute parce que je suis sous le charme à chaque fois, et que le charme c'est indéfinissable.

Qu’une écriture très belle, mais aussi travaillée et sophistiquée arrive à me plaire m’étonne à chaque fois, moi qui suis adepte de plus de simplicité en littérature. Comment expliquer qu'un roman aussi contemplatif et au rythme si lent, basé sur l’inactivité et l’attente, ait capté et conservé mon attention soir après soir, presque à la façon d'un roman à suspense ? Qu'une approche si intellectuelle aille de pair avec une telle sensualité, un tel pouvoir d'évocation ?
Autant de petits mystères Gracq qui se renouvellent à chaque oeuvre que je découvre, qui me régalent pendant la lecture mais qui me rendent la tâche sacrément difficile pour en parler ensuite.

Le fond de ce roman est évidemment profond, j’y viendrai après. Mais ce qui m’a frappée d'emblée, comme d'habitude, ce sont les ambiances, les atmosphères qui doivent trouver des résonances en moi pour me plaire autant.
Sans doute parce que tout d’abord Gracq sait recréer à merveille l’univers du rêve. Parfois lourd et oppressant, parfois léger et grisant. Je ne suis pas prête d’oublier tous ces lieux chargés de mystère, la forteresse, la cité lacustre de Maremma, l'ile de Vezzano, cette ville inconnue de Rhages qui brille dans la nuit...On partage si bien le malaise d'Aldo, sa curiosité, son attrait de l'inconnu, son excitation...
Impression étrange que des paysages que j’avais déjà vus ou rêvés (de lagunes, de marécages, de bord de mer) se superposaient à ces descriptions que je lisais….
Et donc bien sûr cette importance donnée aux paysages, qui sont bien plus qu'un simple décor, mais qui reflètent ici l'histoire-même, ces régions marécageuses qui symbolisent cet enlisement que certains combattent et d’autres voudraient conserver.
En ce qui concerne l’intrigue, quelle habileté dans cette manière de faire grandir peu à peu la tension, monter le malaise, dans l’accumulation de ces « signes », inquiétants mais qui restent toujours mystérieux, indéfinissables. Ce genre de menace sans visage qui rôde dans certains rêves.
Et toujours cette langue riche et poétique qui fait sans cesse naître des images de toute beauté et qui agit comme un sortilège, je l'ai dit plus haut et donc je me répète, mais franchement je ne trouve pas de terme plus approprié.

Comme je le disais, ce sont des interrogations importantes qui sont à la base de ce roman. Elles concernent d’une part la société humaine dans son ensemble : quel est le moteur de l’histoire, qu’est-ce qui fait naître et mourir les civilisations, qu’est-ce qui amène les révolutions, les guerres, comment fonctionne le pouvoir ? Et d’autre part, à un niveau plus intime et personnel, ce roman soulève des questions troublantes, existentielles : quelle attitude faut-il avoir face à la vie ? Choisir l’action et la prise de risque quitte à affronter le danger et le bouleversement, ou préférer une sécurité et un ordre ressemblant déjà à l’immobilité de la mort? Faut-il mourir vivant ou déjà mort ?

Je ne sais pas, de ces atmosphères ou de ces interrogations, lesquelles m’ont frappée le plus. En tout cas le Rivage des Syrtes est un roman qui me marquera durablement, je pense.

Nezumi je partage ton analyse vu que ce livre m'a bien plu aussi.

Je comptais citer cette belle phrase de Danielo à la fin, mais j'ai vu que tu l'avais déjà fait.
D'accord avec toi, c'est le passage le plus représentatif du roman à mon avis.

Nezumi a écrit:

Le Rivage des Syrtes

J’ai toujours du mal à expliquer pourquoi les œuvres de Gracq me plaisent, sans doute parce que je suis sous le charme à chaque fois, et que le charme c'est indéfinissable.

Qu’une écriture très belle, mais aussi travaillée et sophistiquée arrive à me plaire m’étonne à chaque fois, moi qui suis adepte de plus de simplicité en littérature. Comment expliquer qu'un roman aussi contemplatif et au rythme si lent, basé sur l’inactivité et l’attente, ait capté et conservé mon attention soir après soir, presque à la façon d'un roman à suspense ? Qu'une approche si intellectuelle aille de pair avec une telle sensualité, un tel pouvoir d'évocation ?
Autant de petits mystères Gracq qui se renouvellent à chaque oeuvre que je découvre, qui me régalent pendant la lecture mais qui me rendent la tâche sacrément difficile pour en parler ensuite.

Le fond de ce roman est évidemment profond, j’y viendrai après. Mais ce qui m’a frappée d'emblée, comme d'habitude, ce sont les ambiances, les atmosphères qui doivent trouver des résonances en moi pour me plaire autant.
Sans doute parce que tout d’abord Gracq sait recréer à merveille l’univers du rêve. Parfois lourd et oppressant, parfois léger et grisant. Je ne suis pas prête d’oublier tous ces lieux chargés de mystère, la forteresse, la cité lacustre de Maremma, l'ile de Vezzano, cette ville inconnue de Rhages qui brille dans la nuit...On partage si bien le malaise d'Aldo, sa curiosité, son attrait de l'inconnu, son excitation...
Impression étrange que des paysages que j’avais déjà vus ou rêvés (de lagunes, de marécages, de bord de mer) se superposaient à ces descriptions que je lisais….
Et donc bien sûr cette importance donnée aux paysages, qui sont bien plus qu'un simple décor, mais qui reflètent ici l'histoire-même, ces régions marécageuses qui symbolisent cet enlisement que certains combattent et d’autres voudraient conserver.
En ce qui concerne l’intrigue, quelle habileté dans cette manière de faire grandir peu à peu la tension, monter le malaise, dans l’accumulation de ces « signes », inquiétants mais qui restent toujours mystérieux, indéfinissables. Ce genre de menace sans visage qui rôde dans certains rêves.
Et toujours cette langue riche et poétique qui fait sans cesse naître des images de toute beauté et qui agit comme un sortilège, je l'ai dit plus haut et donc je me répète, mais franchement je ne trouve pas de terme plus approprié.

Comme je le disais, ce sont des interrogations importantes qui sont à la base de ce roman. Elles concernent d’une part la société humaine dans son ensemble : quel est le moteur de l’histoire, qu’est-ce qui fait naître et mourir les civilisations, qu’est-ce qui amène les révolutions, les guerres, comment fonctionne le pouvoir ? Et d’autre part, à un niveau plus intime et personnel, ce roman soulève des questions troublantes, existentielles : quelle attitude faut-il avoir face à la vie ? Choisir l’action et la prise de risque quitte à affronter le danger et le bouleversement, ou préférer une sécurité et un ordre ressemblant déjà à l’immobilité de la mort? Faut-il mourir vivant ou déjà mort ?

Je ne sais pas, de ces atmosphères ou de ces interrogations, lesquelles m’ont frappée le plus. En tout cas le Rivage des Syrtes est un roman qui me marquera durablement, je pense.

Excellent commentaire auquel j'adhère...Tu m'as remis Le rivage des Syrthes en mémoire...J'ai tout retrouvé...Ces images et cette atmosphère ne s'effacent pas...

Merci Coline, moi aussi je crois que je ne vais pas l'oublier de sitôt...

Nezumi,

Je viens de recevoir ce livre, il est sur la table du salon, bien en vue, je vais essayer de l'entamer avant les vacances de février pour y être bien plongée d'ici là, et avoir le temps et l'esprit libre. C'est un auteur qu'il faut lire dans le calme, je crois. Ton commentaire me donne envie, nezumi...

PS: Je me suis aperçue en coupant les premières pages, que j'avais déjà planché pendant des heures il y a des années sur quelques pages du 1er chapitre qu'on nous avait données à traduire en anglais pour un devoir à la fac. Je ne crois pas que la note aie été un bon souvenir....