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| Louis Aragon | |
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+13bix229 Bédoulène pia colimasson MartineR Nestat animal Elise elena coline Steven Narnia Marie 17 participants | |
Auteur | Message |
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Nestat Envolée postale
Messages : 117 Inscription le : 13/04/2010 Age : 34 Localisation : variable
| Sujet: Re: Louis Aragon Mer 14 Avr 2010 - 12:57 | |
| Voici un poème, que je ne recopierais pas en entier ici étant donné sa longueur. Cependant, je vous invite à le lire à haute voix pour mieux en apprécier le rythme et la force.
Poème à crier dans les ruines (premiers vers) ici en entier
Tous deux crachons tous deux Sur ce que nous avons aimé Sur ce que nous avons aimé tous deux Si tu veux car ceci tous deux Est bien un air de valse et j’imagine Ce qui passe entre nous de sombre et d’inégalable Comme un dialogue de miroirs abandonnés A la consigne quelque part Foligno peut-être Ou l’Auvergne la Bourboule Certains noms sont chargés d’un tonnerre lointain Veux-tu crachons tous deux sur ces pays immenses Où se promènent de petites automobiles de louage Veux-tu car il faut que quelque chose encore Quelque chose Nous réunisse veux-tu crachons Tous deux c’est une valse Une espèce de sanglot commode Crachons crachons de petites automobiles Crachons c’est la consigne Une valse de miroirs Un dialogue nulle part [...] | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Louis Aragon Jeu 30 Sep 2010 - 2:52 | |
| Merci, eXPie de me ramener à Aragon!
Rien n'est jamais acquis à l'homme. Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur. Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix; Et quand il croit serrer son bonheur il le broie. Sa vie est un étrange et douloureux divorce; Il n'y a pas d'amour heureux. Sa vie, elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin. A quoi peut leur servir de ce lever matin Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains. Dites ces mots ma vie et retenez vos larmes; Il n'y a pas d'amour heureux. Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte en moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant après moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent Il n'y a pas d'amour heureux. Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux. Il n'y a pas d'amour qui ne soit douleur. Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri. Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri. Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs. Il n'y a pas d'amour heureux. Mais c'est notre amour à tous les deux.
Le seul poème d'Aragon à avoir été mis en musique par Georges Brassens, et il a coupé la dernière strophe, toute allusion à la patrie le dérangeait, il me semble! Sur la même musique , le très beau texte de Francis Jammes, La prière. | |
| | | MartineR Main aguerrie
Messages : 364 Inscription le : 10/09/2010 Localisation : essonne
| Sujet: Re: Louis Aragon Jeu 30 Sep 2010 - 10:22 | |
| Connaissez-vous ce lieu à une cinquantaine de km de Paris ( autoroute A10/ sortie Dourdan ) il faut mieux y aller un beau jour d'automne car il y a une magnifique forêt. Bonne promenade | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Louis Aragon Ven 18 Avr 2014 - 14:09 | |
| Les Cloches de Bâle (1934) « Et tu vas continuer longtemps comme ça ? » : tel fut le commentaire d’Elsa Triolet lorsque Louis Aragon finit de lui lire « Diane », la première de ce qui devint ensuite les Cloches de Bâle. Loin de couper court à son élan, cette remarque lança Louis Aragon sur la piste de l’écriture plus acharnée. Vrai, il ne voulait pas se contenter de raconter l’histoire d’une bourgeoise inconsistante, tournant en rond dans l’espace étriqué d’une existence désœuvrée lorsque la grande Histoire semble s’éveiller une nouvelle fois. D’ailleurs, la critique est facile et ne suffit pas. En 1934, alors que Louis Aragon est encore partagé entre la défense des causes surréaliste et communiste, il lui apparaît comme fondamental de retracer le parcours d’apprentissage conduisant du paradigme individualiste au paradigme collectif. Alors que la première partie de son roman est un creuset sans fond au sein duquel les titres, les noms, les relations et les lieux s’égrènent dans l’indifférence la plus totale, les événements insignifiants se succédant à un rythme frénétique pour tomber dans l’oubli aussitôt, la deuxième partie amorce un changement d’orientation avec le personnage de « Catherine ». Alors que les détails absurdes de la vie de Diane nous avaient vidés d’une grande partie de notre patience, on découvre avec un regain d’intérêt le personnage plus complexe de Catherine. Plus proche aussi de Louis Aragon lui-même, la vie de désœuvrée mondaine de cette dernière traduit un malaise existentiel qui souligne également l’horizon sans perspectives de la société au début du 20e siècle. « Elle ne pouvait rien imaginer de sa vie future, rien. Un autre appartement, qui sait ? Jean était effacé, mais alors totalement, de cette perspective. Des conversations avec des hommes plus ou moins intelligents. Des concerts. Le vide. Voyons, dans dix ans, nous serons en juillet 1914… Que se sera-t-il passé ? »Se présente alors le mouvement anarchiste, auquel Catherine adhère d’abord par antimilitarisme et parce qu’elle refuse que le pouvoir soit laissé aux hommes, mais aussi parce qu’elle cherche avidement à se cramponner à une cause qui puisse la guérir de son désabusement. Et si tous les mouvements politiques ne représentaient rien de plus que l’union d’individus fragilisés par l’inconsistance de leur existence ? Catherine saute d’une cause à une autre et se détourne bientôt du mouvement anarchiste pour participer au mouvement ouvrier, collaborant à une grève des taxis fictive inspirée de celle qui eut véritablement lieu à Paris dans les années 1930. La bourgeoise qui n’a jamais travaillé s’enthousiasme d’abord à l’idée de se rendre quotidiennement au bureau pour taper des rapports et puis, elle finit par s’en lasser, comme elle s’est lassée de tout le reste. Serait-ce donc ça l’engagement politique ? Un horizon bâti sur des fantasmes collectifs que propagent les discours, les affiches et les rassemblements ? « Les femmes socialistes de Russie… Au-delà des mots, ce fut l’instant le plus émouvant de la journée pour Catherine. Les femmes socialistes de la Russie… Ces mots étaient pour elle un alcool véritable. Ce n’était pas un rêve, il y avait là une femme qui parlait en leur nom. Toutes les images russes feuilletées chez elle, contredites. Les paysannes inclinées devant le barine. Les femmes agenouillées devant les icônes. Les femmes socialistes de la Russie… »Ce serait l’aveu de la faiblesse humaine et de la vacuité de tout mouvement politique, l’impossibilité de rendre la moindre cause durable. C’est peut-être aussi une tentation contre laquelle Louis Aragon réagit brutalement en nous proposant un épilogue qui met Clara Zetkins à l’honneur, prototype de la femme future, mieux que cela : prototype de l’être humain à venir, transcendé par l’accomplissement des valeurs communistes prises dans leur sens le plus individualiste. Le mouvement opéré par Louis Aragon ne va pas d’une réflexion du collectif vers l’individu mais de l’individu vers le collectif. Ce mouvement achevé, Louis Aragon décide qu’il peut enfin s’arrêter d’écrire, à la plus grande satisfaction d’Elsa Triolet et de la nôtre. Louis Aragon est un idéaliste et parce qu’il ne voulait pas croire que tous les événements sont destinés à l’oubli et à la répétition, son roman, trop ancré dans l’actualité d’une certaine époque, se perd en digressions vaines et dans un militantisme qui ne réussit pas à véhiculer ses espérances –sans doute aussi parce que la suite de l’Histoire nous a démontré que ses convictions étaient surtout des illusions. Explication de Louis Aragon dans sa préface de 1964 : - Citation :
- « Il s’agissait de passer de la simple description d’un monde limité (celui des romans de la fin du XIXe siècle) à une vue, au-delà de ce monde, sur toute la société française, et ses prolongements internationaux. C’est-à-dire que l’anecdote de Diane devienne un épisode de l’aventure humaine au début du XXe siècle, prise dans son ensemble. »
Après Diane comme figure de la bourgeoise satisfaite se profile Catherine, figure de la bourgeoise en quête d'un au-delà qu'elle trouvera dans l'engagement politique : - Citation :
- « Il est certain que Catherine éprouvait comme une tare, comme une sorte de péché, cette impossibilité à se déclasser véritablement, qui l’attachait à l’univers borné de la rue Blaise-Desgoffe. »
Aragon achèvera son rêve idéologique avec la figure de Clara Zetkins : - Citation :
- « Elle parle comme une femme dont l’esprit s’est formé dans les conditions de l’oppression, au milieu de sa classe opprimée. Elle n’est pas une exception. […] Elle est simplement à un haut degré d’achèvement le nouveau type de femme qui n’a plus rien à voir avec cette poupée, dont l’asservissement, la prostitution et l’oisiveté ont fait la base des chansons et des poèmes à travers toutes les sociétés humaines, jusqu’aujourd’hui.
Elle est la femme de demain, ou mieux, osons le dire : elle est la femme d’aujourd’hui. L’égale. Celle vers qui tend tout ce livre, celle en qui le problème social de la femme est résolu et dépassé. Celle avec qui tout simplement ce problème ne se pose plus. Le problème social de la femme avec elle ne se pose plus différemment de celui de l’homme. »
*peinture de Jieun Park | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Louis Aragon Ven 18 Avr 2014 - 14:29 | |
| - elena a écrit:
oh que oui Steven, une muse, qu'Aragon aimait d'amour fou et pour laquelle il écrivait sans fin... Au point que lorsqu'il l'a perdue... Bref.
C'est ce qui me semble le plus mystérieux chez cet auteur... - Elise a écrit:
Je reposte le poème extrait du Fou d'Elsa que je trouve...
Il y a des choses que je ne dis a Personne Alors Elles ne font de mal à personne Mais Le malheur c'est Que moi Le malheur le malheur c'est Que moi ces choses je les sais
Il y a des choses qui me rongent La nuit Par exemple des choses comme Comment dire comment des choses comme des songes Et le malheur c'est que ce ne sont pas du tout des songes
Il y a des choses qui me sont tout à fait Mais tout à fait insupportables même si Je n'en dis rien même si je n'en Dis rien comprenez comprenez moi bien
Alors ça vous parfois ça vous étouffe Regardez regardez moi bien Regardez ma bouche Qui s'ouvre et ferme et ne dit rien
Penser seulement d'autre chose Songer à voix haute et de moi Mots sortent de quoi je m'étonne Qui ne font de mal à personne
Au lieu de quoi j'ai peur de moi De cette chose en moi qui parle
Je sais bien qu'il ne le faut pas Mais que voulez-vous que j'y fasse Ma bouche s'ouvre et l'âme est là Qui palpite oiseau sur ma lèvre
O tout ce que je ne dis pas Ce que je ne dis à personne Le malheur c'est que cela sonne Et cogne obstinément en moi Le malheur c'est que c'est en moi Même si n'en sait rien personne Non laissez moi non laissez moi Parfois je me le dis parfois Il vaut mieux parler que se taire
Et puis je sens se dessécher Ces mots de moi dans ma salive C'est là le malheur pas le mien Le malheur qui nous est commun Épouvantes des autres hommes Et qui donc t'eut donné la main Étant donné ce que nous sommes
Pour peu pour peu que tu l'aies dit Cela qui ne peut prendre forme Cela qui t'habite et prend forme Tout au moins qui est sur le point Qu'écrase ton poing Et les gens Que voulez-vous dire Tu te sens comme tu te sens Bête en face des gens Qu'étais-je Qu'étais-je à dire Ah oui peut-être Qu'il fait beau qu'il va pleuvoir qu'il faut qu'on aille Où donc Même cela c'est trop Et je les garde dans les dents Ces mots de peur qu'ils signifient
Ne me regardez pas dedans Qu'il fait beau cela vous suffit Je peux bien dire qu'il fait beau Même s'il pleut sur mon visage Croire au soleil quand tombe l'eau Les mots dans moi meurent si fort Qui si fortement me meurtrissent Les mots que je ne forme pas Est-ce leur mort en moi qui mord
Le malheur c'est savoir de quoi Je ne parle pas à la fois Et de quoi cependant je parle
C'est en nous qu'il nous faut nous taire Beau poème, mais il me semble qu'il aurait gagné à être plus bref. | |
| | | pia Zen littéraire
Messages : 6473 Inscription le : 04/08/2013 Age : 56 Localisation : Entre Paris et Utrecht
| Sujet: Re: Louis Aragon Ven 18 Avr 2014 - 20:53 | |
| Ah bon! Je le trouve beau comme il est. Pas trop long. | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Louis Aragon Sam 19 Avr 2014 - 14:56 | |
| Coli, pour quelle raison dit tu " Ce mouvement achevé, Louis Aragon décide qu’il peut enfin s’arrêter d’écrire, à la plus grande satisfaction d’Elsa Triolet et de la nôtre."
tu considère que le meilleur d'Aragon est avant cette période ? | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Louis Aragon Lun 21 Avr 2014 - 21:17 | |
| - Bédoulène a écrit:
- Coli, pour quelle raison dit tu " Ce mouvement achevé, Louis Aragon décide qu’il peut enfin s’arrêter d’écrire, à la plus grande satisfaction d’Elsa Triolet et de la nôtre."
tu considère que le meilleur d'Aragon est avant cette période ? Non, je reviens à la préface de Louis Aragon où il raconte avec l'air de se marrer qu'Elsa Triolet semblait trouver la première partie de son livre beaucoup trop longue et rasoir... et pour se justifier, Louis Aragon rétorque en écrivant deux autres parties ! Je ne connais pas les autres textes de Louis Aragon et j'imagine que les Cloches de Bâle n'est pas le dernier livre qu'il ait commis... | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Louis Aragon Lun 21 Avr 2014 - 22:21 | |
| {Refrain:} Au pays dagad´Aragon Il y avait tugud´une fille Qui aimait les glaces au citron Et vanille Au pays deguede Castille Il y avait tegued´un garçon Qui vendait des glaces vanille Et citron
Moi, j´aime mieux les glaces au chocolat Poil au bras Mais chez mon pâtissier, il n´y en a plus C´est vendu C´est pourquoi je n´en ai pas pris Tant pis pour lui! Et j´ai mangé pour tout dessert Du camembert Le camembert c´est bon quand c´est bien fait Vive l´amour A ce propos, revenons à nos moutons
{au Refrain}
Vendre des glaces, c´est un très bon métier Poil aux pieds C´est beaucoup mieux que marchand de mouron Patapon Marchand d´ mouron, c´est pas marrant J´ai un parent Qui en vendait pour les oiseaux Mais les oiseaux N´en achetaient pas, ils préféraient l´crottin De mouton A ce propos, revenons à nos agneaux
{au Refrain}
Mais la Castille ça n´est pas l´Aragon Ah, mais non! Et l´Aragon ça n´est pas la Castille Et la fille S´est passée de glaces au citron Avec vanille Et le garçon n´a rien vendu Tout a fondu Dans un commerce, c´est moche quand le fonds fond Poil au pieds A propos d´ pieds, chantons jusqu´à demain
{au Refrain
Chanté par l' immortel Boby Lapointe | |
| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Louis Aragon Mar 22 Avr 2014 - 11:19 | |
| - colimasson a écrit:
Je ne connais pas les autres textes de Louis Aragon et j'imagine que les Cloches de Bâle n'est pas le dernier livre qu'il ait commis... Les Cloches de Bâle est le premier ouvrage du cycle "Le Monde réel" constitué de cinq romans (Les Cloches de Bâle, Les beaux quartiers, Aurélien, Les voyageurs de l'impériale, Les communistes) Je n'ai lu que les quatre premiers mais, à mon sens, Les voyageurs de l'impériale est de loin le meilleur. (remanié en 1965, peut-être n'a-t-il pas subi l'influence de Triolet) | |
| | | plouf Espoir postal
Messages : 29 Inscription le : 17/02/2015
| Sujet: Re: Louis Aragon Dim 1 Mar 2015 - 18:28 | |
| Le comble de la tristesse n'est pas davantage un général aveugle mendiant à travers les îles que vers trois heures du matin l'Avenue de l'Opéra Il n'y a pas de limite à la mélancolie humaine Il y a toujours une pierre à placer sur la pyramide des larmes Êtes-vous sûr d'avoir aussi mal qu'une femme étranglée quand elle sait que tout est fini qu'on l'étrangle Êtes-vous sûr qu'il ne vaudrait pas mieux être être étranglé si tu songes aux couteaux des heures prochaines Je vis depuis longtemps ma dernière minute Le sable que je mâche est celui d'une agonie invisible et perpétuée Les flammes que je fais couper de temps en temps chez le coiffeur trahissent seules le noir enfer intérieur qui m'habite Comme des corps privés de sépultures les hommes se promènent dans le jardin de mes yeux Rêveurs incompréhensibles ou seul suis-je frappé par une main desséchée dans ce désert peuplé parmi ces arides fleurs
J'aime et je suis aimé Rien ne nous sépare Pourquoi donc être triste au coeur splendide de l'amour Le monde hoche sa tête Je Sais Tout stupide J'aime et cependant la vie est intolérable à mourir J'aime et cependant il faudra tout à l'heure que je hurle Je traine à mes pas le manteau fantomatique des arrières-pensées Une chaîne de perfectionnements à la douleur morale cliquette à mes pieds épouvantablement malheureux J'aime et nous nous aimons mais au milieu d'un naufrage mais à la pointe d'un poignard et je ne peux pas je ne peux pas voir le mal que cela va te faire Tes yeux tes yeux mon amour révulsés par ce qui n'est pas le plaisir Qu'on arrache de moi mon coeur avec des tenailles qu'on en finisse avec ma tête qui se décolle Je bois un lait pareil à l'encre et l'heure de midi ressemble au charbon des marais où se flétrit la sphaigne que je prends pour moi dans les miroirs Je t'aime je t'aime mais dans une soute au moment de sauter Impatience Ignoble impatience de savoir si cela fera très mal
Probablement que l'univers juge un criminel en ma personne et ne notera que les défaillances et l'allure Cet homme dans les journaux du matin qui décapita sa maîtresse tandis qu'elle dormait près de lui sanglotait au tribunal Il l'avait tuée dans la chambre puis dans la cave avec un couteau ensuite avec une scie il détacha la tête adorable pour mettre le corps dans un sac malheureusement un peu petit Il sanglotait au tribunal Ne sommes-nous point pareils aux palmes du palmier qui grandissent accolées fleurissent et fructifient pour donner une image du parfait amour L'automne arrive les mains pleines d'illusions lumineuses Quel est ce crime qui fait que je sanglote Voyez mon amour est vivant Montre-toi chérie Vous ne prouverez rien L'alibi vert comme une forêt s'étend à l'horizon où chantent inutilement les corbeaux Seulement à chaque arbre est un pendu qui se balance à chaque feuille une tache de sang
Quel est pire du ciel de l'aube ou du bitume du soir Je ne sais pas ce qui me retient de mordre les passants sur les boulevards L'amertume qui monte en moi peut être le premier flot d'un déluge auprès duquel l'autre a l'air d'un vulgaire accident de vidange Je me souviens qu'en quinze cent quarante et un près de Pavie quand on me prit dans la campagne où j'errais en proie aux premières atteintes du mal les paysans ne voulurent pas me croire quand je leur dis la vérité Ils refusèrent de me prendre pour un loup furieux à cause de ma peau humaine et Thomas éternels de la science expérimentale quand je leur avouai que ma peau lupique était cachée entre cuir et chair avec leurs poignards ils me fendirent les membres et le tronc pour vérifier mes assertions mélancoliques Ils ne touchèrent pas au visage effrayés par la poésie atroce de mes traits Qu'est-ce qui me pousse à hurler dans les tombeaux Qu'est-ce qui fait que je gratte irrésistiblement la poussière où dorment les amoureux décomposés Que vas-tu déterrer comme si la lumière vivante n'avait pas assez des blessures des vivants A moi le langage ténébreux des suppliciés de la chaise électrique le vocabulaire ultime des guillotinés L'existence est un oeil crevé Que l'on m'entende bien un oeil qu'on crève à tout instant le harakiri sans fin J'enrage à voir le calme idiot qui accueille mes cris Voilà pourquoi je veux sortir des fosses hypocrites les morts de mort violente à la prunelle horrifiée je veux démurer les victimes des catastrophes dont le squelette garde une posture terrorisée qui convient à merveille à ces jours que nous traversons
Il y a disait justement ma voisine des gens qui se foutent à l'eau Si je suis une bête écumante à qui le monde remonte avec la bave il serait très simple d'en finir Mon amour mon amour entends-tu ce blasphème Ce n'est pas la pâleur de l'amour ce n'est pas la pâleur de la mort mais celle des loups qui est sur mon visage Je ne peux pas mourir à cause de cette fleur immense dont je ne puis supporter que se referme le calice On a fait un progrès considérable en matière de torture sur le cobaye que je suis sur le fauve cobaye que je suis les deux mains prises dans deux portes l'amour la mort et des hercules abstraits appuient sur ces deux portes avec toute la lenteur assurée d'un numéro de music-hall exécuté sans le moindre effort apparent N'as-tu donc jamais remarqué que mes baisers ressemblaient aux paroles sacrilèges qui sont tout ce qui reste à dire aux esclaves écartelés N'as-tu donc jamais remarqué que je t'aime tandis qu'on me tue Que c'est toujours la dernière fois que je jouis dans tes bras Tes bras qui sont si beaux que c'est bien cela le plus terrible
Tout se terminera d'une façon sauvage Je serais de toi je ferais jeter ton amant aux bêtes ou je le ferais voir par traîtrise à un médecin aliéniste ou bien je le tuerais froidement mon amour pendant son sommeil tandis qu'il est nu et blême que les loups surgissent autour des cimetières où dorment les belles journées qu'on a eues ensemble mon amour
| |
| | | Dolores Haze Espoir postal
Messages : 23 Inscription le : 22/04/2015
| Sujet: Re: Louis Aragon Jeu 23 Avr 2015 - 23:07 | |
| J'aime quand Aragon se révolte, insulte, bave, grogne, crie. Assez du poète doucereux, soumis et idolâtre, qu'il morde et qu'il exulte !
"Ne me réveillez pas, nom de Dieu, salauds, ne me réveillez pas, attention je mords je vois rouge. Quelle horreur encore le jour encore la chiennerie l'instabilité l'aigreur. Je veux rentrer dans la mer aveugle assez d'éclairs qu'est-ce que ça signifie ces orages continuels on veut me faire vivre la vie du tonnerre on a remplacé mes oreilles par des plaques de tôle il y a des coups de grisou à chaque respiration de ma poitrine mes mineurs s'enfuient dans des galeries d'angoisse ça saute ça saute à qui mieux mieux. Mais ce n'est pas le jour c'est la dynamite. On passe des épées dans mes paupières on enfonce des doigts dans ma gorge on frotte ma peau des graviers du réveil. N'arrachez pas mes ongles plongés dans le terreau des songes ma chair colle à l'ombre la nuit est dans ma bouche mon sang ne veut pas couler. Je dors nom de dieu je dors. Brutes je vais crier je crie brutes fils de truies enculées par les prie-Dieu avortons de caleçons sales boues des chiottes mailles sautées au bas des putains crapauds domestiques muqueuses purulentes vermines lâchez-moi roulures de rhododendrons poils d'aisselle bougies tontes de poux suints de rats copeaux copeaux noires déjections lâchez-moi je vous tue je vous pile je vous arrache les couilles je vous mâche le nez je vous je vous piétine. Mort mort ils vont donc me réveiller ils me réveillent. A moi les cascades les trombes les cyclones l'onyx le fond des miroirs le trou des prunelles le deuil la saleté la pornographie les cafards le crime l'ébène le bétel les moutons de l'Afrique à face d'hommes la prêtraille à moi l'encre des seiches le cambouis les chiques les dents cariées les vents du nord la peste à moi l'ordure et la mélancolie la glu épaisse la paranoïa la peur à moi les ténèbres sifflantes depuis les cavalcades d'incendies les villes de charbon et les tourbières les exhalaisons puantes des chemins de fer dans les cités de brique tout ce qui ressemble au fard des nuits sans lune tout ce qui se déchire devant les yeux en taches en mouches en escarbilles en mirages de mort en hurlements en désespoir crachats de cachou crabes de réglisse rages résidus magiques muscats phoques on colloïdal puits sans fond. A moi le noir. Culs fientes vomissures lopes lopes cochons pourris marrons d'Inde saumure d'urine excréments crachats sanglants règles pouah sueur de chenilles colle morve bavure vous vous pus et vieux foutre abominables sanies enflures vessies crevées cons moisis mous merdeux renvois d'ail. Si vous avez aimé rien qu'une fois au monde ne me réveillez pas si vous avez aimé !"
Le Con d'Irène Aragon - Edition Le Petit Mercure - Chapitre 1.
C'est fou ce qu'on peut faire avec des mots. | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Louis Aragon Ven 24 Avr 2015 - 12:11 | |
| et grand merci pour cet extrait !
faut un sacré souffle pour une lecture ! | |
| | | Dolores Haze Espoir postal
Messages : 23 Inscription le : 22/04/2015
| Sujet: Re: Louis Aragon Ven 24 Avr 2015 - 15:07 | |
| À croire que ça ne se lit pas mais que ça se scande. | |
| | | Quasimodo Main aguerrie
Messages : 402 Inscription le : 29/05/2016 Age : 29 Localisation : Rennes
| Sujet: Re: Louis Aragon Dim 25 Sep 2016 - 21:54 | |
| Complainte de Robert le diable
Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval Quand tu parlais du sang jeune homme singulier Scandant la cruauté de tes vers réguliers Le rire des bouchers t’escortait dans les Halles
Parmi les diables chargés de chair tu noyais Je ne sais quels chagrins Ou bien quels blue devils Tu traînais au bal derrière l’Hôtel-de-Ville Dans les ombres koscher d’un Quatorze-Juillet
Tu avais en ces jours ces accents de gageure Que j’entends retentir à travers les années Poète de vingt ans d’avance assassiné Et que vengeaient déjà le blasphème et l’injure
Tu parcourais la vie avec des yeux royaux Quand je t’ai rencontré revenant du Maroc C’était un temps maudit peuplé de gens baroques Qui jouaient dans la brumes à des jeux déloyaux
Debout sous un porche avec un cornet de frites Te voilà par mauvais temps près de Saint-Merry Dévisageant le monde avec effronterie De ton regard pareil à celui d’Amphitrite
Enorme et palpitant d’une pâle buée Et le sol à ton pied comme au sein nu l’écume Se couvre de mégots de crachats de légumes Dans les pas de la pluie et des prostituées
Et c’est encore toi sans fin qui te promènes Berger des longs désirs et des songes brisés Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées Jusqu’à l’épuisement de la nuit ton domaine
Tu te hâtes plus tard le long des quais Robert Quand Paris se défarde et peu à peu s'éteint Au geste machinal que fait dans le matin L'homme bleu qui s'en va mouchant les réverbères
Oh la Gare de l’Est et le premier croissant Le café noir qu’on prend près du percolateur Les journaux frais Les boulevards pleins de senteurs Les bouches du métro qui cachent les passants
La ville un peu partout garde de ton passage Une ombre de couleur à ses frontons salis Et quand le jour se lève au Sacré-Coeur pâli Quand sur le Panthéon comme un équarissage
Le crépuscule met ses lambeaux écorchés Quand le vent hurle aux loups dessous le Pont-au-Change Quand le soleil au Bois roule avec les oranges Quand la lune s’assied de clocher en clocher
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne Comme un soir en dormant tu nous en fis récit Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Je pense à toi Desnos et je revois tes yeux Qu’explique seulement l’avenir qu’ils reflètent Sans cela d’où pourrait leur venir ô poète Ce bleu qu’ils ont en eux et qui dément les cieux | |
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