Eric Puchner

Eric Puchner



Professeur de littérature à l’université, Eric Puchner est l’auteur de La Musique des autres (Albin Michel, 2008), un recueil de nouvelles très remarqué.
Famille modèle, son premier roman, a été unanimement salué par la critique américaine en 2010.


Source Albin Michel

Famille Modèle



Eric Puchner nous raconte une année de la famille Ziller, une famille de la classe moyenne américaine, et comment Waren, le père aimant et ordinaire, voulant pour elle le meilleur, l’a conduite à la ruine, à tous les sens du terme.

Waren, orphelin de père , a été élevé grâce au dévouement et au travail acharné de sa mère, et de ce fait se retrouvait souvent terriblement seul. Devenu adulte, émerveillé par l’amour de Camille, il a voulu, au delà de l’amour paternel, offrir à sa famille ce qu’il n’a pas connu : la chaleur d’un foyer vivant et le confort matériel : de châles en cachemire pour son épouse, des surfs et des études universitaires chics à ses enfants, tout cela incarné dans la Californie triomphante. Mais son projet immobilier plutôt minable et foireux, s’effondre , et Waren s’enferme dans le mensonge et la culpabilité, et va perdre non seulement tout son argent, mais aussi son estime de soi, l’amour et la confiance de chacun.

On a bien assez dit que ce livre est celui du fameux rêve américain. Il est surtout celui de la famille universelle, et Eric Puchner a un talent très fort à décrire la place de chacun, les difficultés et les joies du quotidien, les compromissions ordinaires, la tendresse inavouée. Les adultes sont à cet âge où on se surprend à n’avoir pas vraiment (ou pas du tout) réalisé ses rêves de jeunesse et à réaliser qu’il reste si peu de temps ; les adolescents abordent la transition vers l’âge adulte avec leurs grands désarrois, leurs petites provocations, leurs transgressions plus ou moins timides. Ce qui est très percutant dans le roman, c’est que Puchner n’explique jamais rien, mais qu’il montre formidablement les petits rituels familiaux honnis mais qui rapprochent, la rivalité entre frères et sœurs qui fond instantanément quand l’un est en danger, les hautes aspirations de chacun qui se confrontent durement à la réalité.

Echappant habilement au happy end sans tomber dans le misérabilisme, le roman est construit sur un mode assez classique en trois parties : exposition, crise et nouvel équilibre. Le première partie, est à mon goût un peu trop clinquante, on a l’impression que Puchner veut vraiment nous convaincre de son talent brillant et intelligent. Il enchaîne les situations rocambolesques et cocasses, les réparties brillantes, les formules percutantes. On se croit dans un sketch humoristique géant (particulièrement réussi) plutôt que dans un roman, et on a envie de crier STOP, qu’il s’apaise. C’est ce qui se passe dans les deux parties suivantes, l’une dramatique, l’autre plus mélancolique, où Puchner abandonne son humour cinglant sans perdre sa causticité.

Famille modèle est un titre fort bien choisi. Dans ce couple qui se désagrège et nous émeut, ces enfants qui affirment chacun leur individualité, on croit reconnaître nos voisins, nos amis et nous-même. Eric Puchner a un réel talent à nous faire connaître l’intime de chacun des personnages, qu’il soient de premier plan ou secondaires.

Donc, malgré quelques réticences qui ont plutôt tendance à s’estomper en avançant dans le livre, j’ai beaucoup ri, été émue et intéressée, confondue par la vérité de certaines situations et personnages, je me suis souvent retrouvée dans ces pages, que j’ai plutôt tournées avec plaisir. Famille modèle n’est pas un livre de premier plan, j’ose espérer que Puchner, quand il aura compris que son talent doit servir son intrigue et non pas démonter l‘excellence de l’auteur, (ce dont il n’aura plus besoin grâce à son succès), risque de nous proposer des romans typiquement américains parmi les meilleurs.
[quote]

Quel choc ce livre ! certainement une de mes meilleures lectures depuis fort longtemps.
Bon, un commentaire va suivre, ça s'impose.

Comment parler de ce livre ?
C'est difficile car on y croise le thème si souvent rebattu du fameux rêve américain qui se transforme en cauchemar et l'on va dire: encore un ?
C'est vrai que de nombreux auteurs s'y sont déjà collés, Yates, Franzen, Russo, et tant d'autres avec tous un ton bien personnel.

Et c'est cela qui émane encore de ce texte, un ton unique, une façon de raconter qui vous colle aux pages, un récit dont les événements s'enchaînent avec une grande cohérence.
Deux étés sont traversés, 85 et 86 auxquels succédera un court et ultime chapitre: hiver 86.

Je ne vais pas résumer le livre, Topocl a déjà évoqué l'histoire de cette famille, si singulière, et qui en même temps pourrait être celle de tout un chacun.

Mais ce qui m'a frappée c'est que l'y plonge et que l'on s'y noie presque par moments tellement la force émotionnelle du texte est grande.
Tour à tour, on pénètre dans l'univers intime de chacun des protagonistes et on partage avec eux une courte partie de leur vie, qu'elle soit celle des adolescents ou des adultes.
Et même le chien Mister Leonard a sa part.

Alors qu'est-ce qui distingue encore ce texte des autres portant sur le même thème ?

Eh bien les lieux je pense.
Nous sommes je pense à la frontière du Nouveau Mexique, en Californie, en plein milieu du désert.
Chaleur, sécheresse, lotissement faisant partie d'un projet immobilier foireux (une décharge nauséabonde s'implante à côté) où seule une maison sera habitée, celle de notre famille Ziller.
Le père, Warren sera contraint d'y loger sa famille apès un lot de déboires, le comble du comble: il était l'un des promoteurs de ce projet hasardeux et voué à l'échec, véritable illustration du miroir aux alouettes sur l'accès à la propriété pour la middle class américaine.
La pelouse restera à l'état de terre battue, il n'y aura jamais de voisins, jamais de gosses jouant dans les rues avec Jonas son fils, si perdu, et si attachant.

Au fil des chapitres, on a tout ce qui fait et qui construit la société américaine de cette époque, pas mal de laissés pour compte, un bon lot d'originaux, des latinos, des hippies, des ados déjantés et tant et plus.

C'est l'histoire d'une désescalade, d'un rêve vite enfoui, d'une réalité sordide, un formidable portrait de famille sur fond d'une Amérique ravagée par ses illusions.

C'est d'une belle portée dramatique mais l'humour et l'ironie ne manquent pas, bref c'est talentueux et quand on referme le livre, on a une impression de densité, comme si on avait vécu quelque chose de grand et d'inoubliable.

Je tâcherai de poster des extraits.

Eh ben dis donc! Comment résister à tout ça?

Marko a écrit:

Eh ben dis donc!  Comment résister à tout ça?

Idem.

Je l'avais repéré vaguement au moment de sa sortie et là, je viens de le noter dans ma LAL. Le moins que l'on puisse dire c'est que l'enthousiasme de Darkanny est communicatif. 

@darkanny : quel plaisir de lire un tel commentaire !
Au fait, quel est ton rythme de lecture pour avoir un autre commentaire de cet acabit, presque un Barrel of a Gun  

Mon rythme de lecture n'est pas terrible hélas
Mais avec des livres comme celui-ci j'avance très vite.

J'espère que vous ne serez pas déçus si vous le lisez, ce thème m'a toujours plu (le rêve américain qui tourne court). Et ce livre apporte une nouvelle version, quelque chose de très palpable à l'image de cette famille et de son évolution sur un peu plus d'une année.

Vous me direz  
Kena, Aeriale, Epi, Queenie, Dom, MadameB, Nezumi, Maryvonne (ouais) il me semble que c'est pour vous.

noté, noté, re-noté...

C'est  noté !

darkanny a écrit:

Mon rythme de lecture n'est pas terrible hélas
Mais avec des livres comme celui-ci j'avance très vite.

J'espère que vous ne serez pas déçus si vous le lisez, ce thème m'a toujours plu (le rêve américain qui tourne court). Et ce livre apporte une nouvelle version, quelque chose de très palpable à l'image de cette famille et de son évolution sur un peu plus d'une année.

Vous me direz  
Kena, Aeriale, Epi, Queenie, Dom, MadameB, Nezumi, Maryvonne (ouais) il me semble que c'est pour vous.

Effectivement, j'aime aussi ce thème du rêve américain qui tourne court.

Je note, je note, merci Darkanny!

Comme Maddy et les autres plus haut, c'est une thème qui me botte bien! Et tu sais parfaitement nous mettre en appétit

La Famille modèle

Les 500 pages de ce très beau roman bien écrit (et bien traduit) sont difficiles à lâcher tant la narration est maîtrisée et efficace. L’auteur passe avec aisance du grotesque (certaines scènes sont mémorables comme par exemple la façon dont les films pédagogiques de la mère, Camille, sont décrits) au tragique ce qui rend l’histoire encore plus poignante car derrière le rire  l’émotion affleure. De plus, l’auteur adopte magistralement le point de vue de chaque personnage et on y croit.  Chaque membre de la famille est rendu attachant car le lecteur est au plus près de  ses pensées, de ses motivations. Se développent alors les peurs, les espoirs, les cachotteries de chacun.
Eric Puchner cherche à dynamiter (presque au sens propre) l’image de la famille modèle, de la réussite : « En tant qu’homme, on vous conditionnait tellement à croire qu’il fallait avoir de l’ambition, que sans elle on était perdu, mais au fond, ça changeait quoi ? En tout cas, rien, ou presque, ne prouvait que ça rende heureux. »

C’est évidemment l’histoire d’un échec mais aussi de la façon dont on peut surmonter cela, dont on peut (doit ?) se contenter de l’essentiel que l’on perd finalement de vue dans nos sociétés obsédées par l’argent, la situation sociale :
« L’amour n’était donc que ça ? Les ténèbres vaincues, une main sur votre front. »
Cette note d’espoir (sans optimisme béat ni happy end hollywoodien) réconforte au milieu de ces pages sombres.

Et merci pour ce commentaire
J'espère que d'autres vont succomber pour ce roman tellement attachant.