Eric Reinhardt

Citation :

Éric Reinhardt est né en 1965 à Nancy. Il vit et travaille à Paris. Il est éditeur de livres d'art. Il est l'auteur de Demi-sommeil (Actes Sud, 1998), du Moral des ménages (Stock, 2002) et de Existence (Stock, 2004).
Source : dossier de presse de l'éditeur -Stock-

-Cendrillon-

Eh bien ça décape!Je me demande même comment aborder le commentaire de ce "roman". Une sorte de roman, oui puisqu'il y a une fiction (et mêmes plusieurs qui s'entrecroisent) mais où l'auteur s'amuserait à nous délivrer son message en y insérant un compte rendu très personnel sur l'état du monde, un peu comme un essai. Un exercice périlleux, très casse gueule, souvent effronté et déroutant, mais aussi finalement très touchant, le livre de Reinhardt n'en finit pas de surprendre.

Un peu perdue quand-même au début dans ce dédale d'histoires entremêlées où se croisent différents personnages, tous issus d' une enfance marquée par la figure dépréciée d'un père rabaissé par les autres, et peinant à trouver leur place dans la société, tous un peu révoltés et cherchant une voie où épanouir leur soif de reconnaissance. La réussite sociale rapide dans l'univers boursier pour le premier, l'obssession meurtière à grande échelle pour le deuxième, sexuelle chez le dernier.
Des personnages border line censés représenter chacun un aspect caricaturé de l'auteur, ses rêves ou ses déviances, dont on suit les parcours entrecoupés par ses réflexions sur l'Automne, l'amour que lui inspire Margot sa femme, l'inspiration, la magie de l'instant, ou d'autres plus virulentes sur la bourgeoisie de gauche ou les vedettes du show biz.

Franchement il y a des moments réellement désopilants où il balance tellement que c'est à se tenir les côtes. Il part parfois dans des délires, c'est complètement jouissif, et forcément excessif mais c'est le jeu. Et puis d'autres beaucoup plus sombres -le récit du père de Patrick Neftel est glaçant!- Mais personnellement j'aime qu'un auteur me bouscule, m'interpelle, j'aime être surprise voire irritée même, mais qu'une lecture ne me laisse pas indifférente ni qu'elle ressemble aux autres.

Avec Eric Reinhardt on est servis! Ce type dégage une vitalité à toute épreuve. Alors oui bien sûr il y a forcément du narcissisme et on peut s'en lasser. Il y a des trop pleins aussi, c'est parfois très cru ou trop nombriliste, mais dans l'ensemble j'ai été scotchée par la verve de cet homme là. Un auteur que je relirai surement, mais pas de suite!

NB:
Par contre impossible à conseiller: les avis sur Amazon sont éloquents à ce sujet, on peut aussi bien le détester que le porter aux nues. Moi je tire mon chapeau devant son originalité et sa franchise. Ce n'est pas donné à tout le monde.

Jcrois que ça pourrait vraiment me plaire ce truc...

Je crois vraiment que sur certains passages tu vas t'éclater. Celui notamment où une actrice est interviewée sur un plateau télé (parait que c'est Jeanne Balibar ?) est à se tordre. Le Patrick Neftel pète carrément les plombs et ça nous vaut un moment vraiment délirant!
Ce n'est pas le seul moment dans ce genre d'ailleurs, je repense au diner d'un des personnages où il a invité son boss, excellent aussi

Ce que j'ai moins aimé ce sont certaines disgressions qui n'apportent pas toujours grand chose, mais j'ai lu en diagonale (le passage sur les traders et le fonctionnement des investissements en bourse, même si c'est bien expliqué, c'est pas pour moi) 600 pages quand-même, donc il faut élaguer...

Mais faut que tu le lises, c'est sûr Queenie!

aériale a écrit:

Je crois vraiment que sur certains passages tu vas t'éclater. Celui notamment où une actrice est interviewée sur un plateau télé (parait que c'est Jeanne Balibar ?) est à se tordre. Le Patrick Neftel pète carrément les plombs et ça nous vaut un moment vraiment délirant!
Ce n'est pas le seul moment dans ce genre d'ailleurs, je repense au diner d'un des personnages où il a invité son boss, excellent aussi

Ce que j'ai moins aimé ce sont certaines disgressions qui n'apportent pas toujours grand chose, mais j'ai lu en diagonale (le passage sur les traders et le fonctionnement des investissements en bourse, même si c'est bien expliqué, c'est pas pour moi) 600 pages quand-même, donc il faut élaguer...

Mais faut que tu le lises, c'est sûr Queenie!

Ouais, c'est ça qui fait peur : les digressions trop lourdes...mais c'est vrai, qu'on peut aussi plus ou moins les zapper...

Aériale , je crois que celle qui est "allumée " sur un plateau TV c'est Mathilde Seigner
Jeanne Balibar (que j'avais pas reconnue) c'est au début du livre quand il évoque son appart dans le 6ème au même étage qu'un éminent philosophe dont la fille est une non moins éminente actrice

Un livre où on doit jouer à Qui est-ce ? (Reinhardt sponsorisé par MB ?)

darkanny a écrit:

Aériale , je crois que celle qui est "allumée " sur un plateau TV c'est Mathilde Seigner
Jeanne Balibar (que j'avais pas reconnue) c'est au début du livre quand il évoque son appart dans le 6ème au même étage qu'un éminent philosophe dont la fille est une non moins éminente actrice

Ah ok Darkanny!
Je relirai le passage pour choper les indices mais j'avoue je n'avais pas remarqué. Idem pour Seigner d'ailleurs...Ce qui ne m'a pas empêchée de bien me marrer.

Merci pour ce brillant résumé Aériale. Je suis bien embêtée, parce que je l'ai lu il y a un bon bout de temps, et comme c'est un roman relativement complexe pour ses personnages et sa construction, ce n'est pas évident d'en parler avec précision.

Il y a effectivement des passages très cinglants, mais globalement, on rit pour ne pas pleurer. Rappelez vous de la scène ou je-ne-sais-plus-qui salit son slip (c'est bien dans ce roman, heing, dites moi ?), j'en étais malade pour lui.

Queenie a écrit:

Un livre où on doit jouer à Qui est-ce ? (Reinhardt sponsorisé par MB ?)

On se demande surtout ou s'arrête l'autofiction. Ce qui est vrai du faux.
Comment se positionne Reinhardt par rapport à l'auteur décrit dans le livre, pas toujours à son avantage...
Il semble être lucide, ce qui ne permet pas de le condamner, tout en trouvant complètement pathétiques certaines de ses interrogations. On se fait mener par le bout du nez là dessus.

Il me semble qu'il a effectivement fait une école de commerce (mais je ne trouve pas de bio complète).
En quelle mesure chaque personnage est le prolongement de sa personne ?

Globalement, j'avais quand même eu un brin de cafard en le finissant, malgré le message optimiste à propos de l'amûr et du rôle de sa femme dans sa vie.

Oui c'est bien dans ce roman

à vous 2 qui l'avez lu et fini (pas comme moi) , il y a le passage qu'Aériale évoque , le fameux repas organisé pour le boss , la recherche effrénée sur le web d'un repas 4 toques 4 écus.... l'huile de truffe (indispensable ) qu'il faut aller chercher tout spécialement à Paris , le dessert préparé tout exprès par la gamine du couple auquel on a trouvé le titre (annonciateur de la cata) "les 12 coups de minuit" , ce passage est tout simplement tordant mais en même temps cruel , c'est toujours sur cet équilibre que joue Eric Rheinhardt , et qui a dû effectivement choquer plus d'un lecteur

darkanny a écrit:

Oui c'est bien dans ce roman

à vous 2 qui l'avez lu et fini (pas comme moi) , il y a le passage qu'Aériale évoque , le fameux repas organisé pour le boss , la recherche effrénée sur le web d'un repas 4 toques 4 écus.... l'huile de truffe (indispensable ) qu'il faut aller chercher tout spécialement à Paris , le dessert préparé tout exprès par la gamine du couple auquel on a trouvé le titre (annonciateur de la cata) "les 12 coups de minuit" , ce passage est tout simplement tordant mais en même temps cruel , c'est toujours sur cet équilibre que joue Eric Rheinhardt , et qui a dû effectivement choquer plus d'un lecteur

Bah disons que tu as toujours une espèce de lutte des classes derrière.
Finalement, c'est comme si le roman était principalement sur l'humiliation,
infligée volontairement, mais la plupart du temps celle que l'on s'inflige tout seul
en donnant trop d'importance aux choses. Nous sommes responsables de la plupart de nos malheurs, non ?

Spoiler:

Maryvonne a écrit:

Il y a effectivement des passages très cinglants, mais globalement, on rit pour ne pas pleurer. Rappelez vous de la scène ou je-ne-sais-plus-qui salit son slip (c'est bien dans ce roman, heing, dites moi ?), j'en étais malade pour lui.

Tu as raison, c'est au final assez sombre. Ce passage c'est lorsque Laurent Dahl est invité à passer l'après midi chez Marie Mercier dont il est raide dingue, et qu'il s'empiffre de groseilles pour tromper son malaise. Il s'en suit cette épisode désopilant -et sans doute atroce en même temps oui- où il se retrouve coincé dans les wc, malade de stress puis de honte.
Toujours ce côté humiliation c'est vrai. Idem pour le repas donné par la mère de Patrick Neftel qui tourne au désastre malgré le déploiement d'effets voulus dont parle Darkanny, avec la femme du boss, odieuse tête à claque qui ne leur épargne rien (y compris de leur faire endosser sa honte perso lorsqu'elle tombe ivre morte en partant)

C'est cruel et en même temps irrésistible, mais le cynisme est souvent jouissif. Jusqu'à la chute tragique qui coupe net notre rire. C'est vrai que ce va et vient constant entre le tragique et le futile -chacun déterminant lui-même ce que ces mots recouvrent en fait- caractérise le livre, et c'est ce qui m'a plu. Mieux vaut en rire pour ne pas pleurer, cela pourrait résumer beaucoup de choses car au fond Reinhardt est un angoissé de la vie, et derrière ses extrêmes, représentés par ses doubles ici, il nous parle de lui, de la vie, de l'éphémerité des choses et de ce besoin quasi désespéré d'être reconnu, aimé ou admiré. Il est toujours cet écolier de CE2 angoissé et insécurisé par l'image d'un père lâche et faible, qu'est le père de Laurent Dahl mais qui est peut-être aussi le sien. Quelqu'un qui cherche sa place en idéalisant l'instant, qui développe une sorte d'urgence (des mots, des sens) pour se protéger de la vie et/ou de la mort.

Il y a des passages très forts où il se révèle complètement. Je les ai retrouvés (page 364)

Citation :

Je redoutais d'être asservi, dominé humilié, incapable de donner lieu à aucun de mes désirs. A travers la perception qu'en avaient mes parents, répercutée sans cesse sur mon imaginaire, le monde extérieur m'est apparu très tôt comme un territoire de cruauté, où l'on pouvait se retrouver facilement dans un état de souffrance. Dés dix sept ans, habité par ce que j'ai appelé dans Le moral des ménages la peur de la mort sociale (qui me paraissait aussi effrayante que la peur de la mort tout court) j'ai placé au premier plan de mon expérience du monde la culture de la sensation et de l'enchantement.Le présent est devenu mon temps de prédilection. J'ai développé une sorte de romantisme de l'effusion sensorielle. Je désirais que le monde agisse sur moi de lamanière la plus vive. Je recherchais la grâce, l'extase, la plénitude, la fulgurance.

Maryvonne a écrit:

On se demande surtout ou s'arrête l'autofiction. Ce qui est vrai du faux.
Comment se positionne Reinhardt par rapport à l'auteur décrit dans le livre, pas toujours à son avantage...
Il semble être lucide, ce qui ne permet pas de le condamner, tout en trouvant complètement pathétiques certaines de ses interrogations. On se fait mener par le bout du nez là dessus.

Pour moi il est très lucide, et surtout foncièrement honnête, c'est pour cela que je ne le condamne pas et que je n'arrive même pas à lui trouver ce côté suffisant que lui reprochent pas mal de lecteurs. De même lorsqu'il parle des femmes, de ce besoin de plaire, Reinhardt a un besoin éperdu d'être aimé pour être consolé, de se sentir vivant à chaque minute de sa vie. C'est un exalté malheureux au fond.

Quoi, je n'ai pas parlé de Cendrillon?

Attention pavé très dense!
L'histoire commence avec un des 4 personnages principaux, Laurent Dahl, trader qui a fait fortune malhonnêtement. Il fuit, sans sa famille, pour échapper à la prison qui semble inévitable. Bien vite, 3 autres personnages apparaissent, se croisant dans le roman, jamais dans l'histoire: le collègue de Laurent Dahl, un détraqué qui a pété les plombs après que son père se soit suicidé sous ses yeux et Eric Reinhardt lui-même, qui explique la genèse de ce livre, de manière sans doute romancée.
Gravitent autour d'eux de nombreux seconds rôles.

Le premier chapitre débute donc avec la fuite de Dahl puis la pelote se déroule, lentement et magistralement.

Pour moi, Eric Reinhardt frôle le génie: en un seul livre, il traite d'à peu près tous les sujets: sexe, économie (je sais tout de la Bourse désormais!), art (Buren, Preljocaj), modes (les chaussures de Christian Louboutin qui fascinent Reinhardt)..., tout cela brillamment.
Avec une telle diversité de thèmes, tout lecteur est forcément intéressé, à un moment ou un autre, par ce roman.
Quant à moi, plus j'avançais dans ma lecture, plus j'étais subjuguée par tant d'audace, de connaissances et de talent.

A noter qu'en plus du talent, Reinhardt est un visionnaire puisqu'il raconte l'équivalent de l'affaire Kerviel avant l'heure, alors que des professionnels de la banque lui avaient certifié qu'une telle arnaque, se chiffrant en millions d'euros, serait improbable dans la vraie vie:loupé!

J'ai lu pas mal de critiques assez négatives sur Cendrillon, roman qualifié de narcissique par certains;certes, l'auteur s'expose, se met en scène, de façon avantageuse, mais il n'y a pas que ça dans ce roman, loin de là. J'ai préféré me concentrer, dans ces passages où il parle de lui, sur ses rencontres culturelles qui m'ont donné envie de pousser un peu plus loin mes connaissances.

Dommage que le dernier 1/3 du livre ne soit pas à la hauteur , on tourne un peu à vide sur les 250 dernières pages , la logorrhée ne prend plus , l'auteur s'essouffle largement , mais quand même c'est une sacrée expérience ce livre , je ne regrette pas l'aventure
C'est difficile de tenir une cadence comme celle de Eric Reinhardt

Et puis il y a le désir de parler de lui-même (et il ne se grandit pas forcément , voir le résumé de son livre"le moral des ménages" dans une émission particulièrement assassine sur France Culture) et en même temps celui de dénoncer une société à 2 vitesses .
Les losers d'un côté , les plus chanceux de l'autre , ça frôle la caricature parfois
De même que son histoire avec Margot son épouse , c'est assez conventionnel
J'ai adoré ce qu'il dit de l'automne et des saisons , il m'a donné envie de lire "Les métamorphoses "d'Ovide en plus.


il est certain que pour peindre un monde contemporain avec cette frustration permanente ressentie par certains ou pour évoquer cette fameuse bourgeoisie intellectuelle de gauche , je préfère de loin Houellebecq.

Mais pour les 350 premières pages , ça vaut le détour , des passages inoubliables.

-L'amour et les forêts-



Un peu déçue, rien à voir ici avec la folie et la verve exaltée de Cendrillon, mais toujours une belle écriture dans ce récit. Celui de Bénédicte Ombredanne, au travers de confessions faites à l'auteur dans lesquelles cette jeune femme, prof de français, idéaliste et mariée à un homme maladivement jaloux, lui avoue ses frustrations et son aventure d'un jour avec un inconnu rencontré sur Meetic. Cette première partie, est plutôt attractive et j'ai de nouveau été séduite par le style de Reinhardt. On suit l'héroïne et sa fuite éperdue, sa passion contrariée, et les conséquences dramatiques qu'elles entraînent face au harcèlement psychologique.

La seconde partie, relatant l'enquête du narrateur et le témoignage de la soeur jumelle de Bénédicte, m'a nettement moins plu. J'y ai trouvé des longueurs, une surabondance d'horreurs, et une complaisance dans le sordide qui m'ont énormément pesée. J'avais hâte d'en finir!

Tout n'est pourtant pas à rejeter, les mécanismes de l'assouvissement et de la  perversion sont bien analysés. On ressent parfaitement l'enfer dans lequel ces victimes se retrouvent enfermées, enfer dont elles ont du mal à s'échapper, mais aussi qu'elles entretiennent malgré elles par cette forme de passivité (ou de renoncement) difficile à comprendre. Un portrait glaçant d'une Bovary des temps modernes qui me restera tristement en mémoire...