shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: William Darlymple Mer 7 Déc 2011 - 10:45 | |
| William Darlymple s'est imposé dès son premier ouvrage Sur les pas de Marco Polo : voyage à travers l'Asie centrale (1993), comme un grand nom de la littérature de voyage en Grande-Bretagne. Il est historien et écrivain, journaliste et chroniqueur. Il est également l'auteur de City of Djinns (1994) et Dans l'ombre de Byzance (2002). Il a été le plus jeune écrivain élu à la Royal Society of Literature. source : son éditeur en France noir sur blanc | |
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shanidar Abeille bibliophile
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| Sujet: Re: William Darlymple Mer 7 Déc 2011 - 11:11 | |
| sous titre : A la rencontre du sous-continentW. Darlymple a passé plus de dix ans de sa vie en Inde. Il a parcouru le pays du nord au sud, d'est en ouest et nous donne dans ce livre des sortes de chroniques, qui tendent à donner une vision dénuée de tout idéal de l'Inde et surtout de sa politique. Ainsi du Bihar au Rajasthan, de Bangalore aux Tigres tamouls, du Peshawar à ses rencontres avec Benazir Bhutto, Darlymple cherche à saisir le malaise indien, la corruption d'un pays livré à la rapacité de ses politiciens, aux banditisme d'hommes élus par un peuple tiraillé entre modernité et tradition. Nous sommes loin d'une quelconque image d'Epinal (en existe-t-il d'ailleurs de l'Inde en dehors de ses Maharadjas et de leur Taj Mahal ?), loin d'une évocation poétique d'un pays légendaire. Non, ce que nous dépeint l'auteur est une vision catastrophique, voire cataclysmique d'un pays multiple, en proie à la violence, à l'insoumission, au dérèglement et aux brutalités (policières, familiales, sociétales). La cosmologie hindoue découpe le temps en 4 grandes ères qui reviennent périodiquement, il s'avère qu'aujourd'hui l'Inde est plongée dans l'âge de Kali, la période la plus difficile qui soit, soumis aux affres de cette déesse sanguinaire. Et Darlymple, sans fard, parle de la condition des femmes, des pauvres, des démunis, montre l'acharnement des castes à détruire un semblant de paix sociale, sans compter l'arrivée des occidentaux et de leurs industries (à Bangalore par exemple, qui est la ville la plus industrialisée d'Inde et celle où l'on compte le plus fort taux de suicide), le poids des traditions, au Rajasthan et ailleurs qui sclérosent les mentalités. Le livre est très sombre, il montre la partie déliquescente d'un pays moribond, la partie sanglante d'une vie où l'on s'égorge entre tribus, où les femmes sont traitées comme moins que rien à la mort de leur mari et condamnées à mendier ou se prostituer (et l'on s'étonne que aujourd'hui le Président de l'Inde soit une femme, que Indhira Gandhi est été élue Premier ministre, tout comme Benazir Bhutto qui non seulement était femme, mais anglophile, presque étrangère...). Bref, un livre très dur qui laisse quand même un sentiment un peu étrange, comme si l'auteur voulait démontrer en sous-texte que l'époque coloniale avait du bon (mise en place du réseau ferroviaire, investissement dans des industries agro-alimentaires, interdiction du sati, le sacrifice des femmes, possibilité d'évolution sociale malgré son appartenance à une classe) et pourtant toutes ces évolutions apportées par les Britanniques se sont avérées être des armes de destruction massive : le train a été l'un des moyens les plus efficaces des tueries de la Partition en 47 et des expulsions, la perte de la diversité des semences a entrainé de lourdes famines, les veuves ne meurent plus en sacrifice mais sont livrées à la misère, dépossédées de leur droit et de leurs biens, réduites à rien, et la possibilité pour un intouchable d'obtenir un poste de fonctionnaire à la place d'un homme d'une haute-caste, a réveillé l'esprit des castes au point de créer des émeutes sanglantes. Le bilan est on le voit bien attristant. Il ne s'agit donc pas vraiment d'un 'beau' récit de voyage, mais le constat un peu amer d'un homme qui a vécu longtemps en Inde, qui en connait les ombres et les lumières, les hauts-dignitaires et les hors-castes, un homme qui ne semble pas être totalement détaché du passé colonisateur de son pays, peut-être un brin nostalgique, parfois même légèrement condescendant quand il parle de la religion hindoue, des superstitions des peuples, de leur ignorance. Et on touche là à quelque chose qui m'a beaucoup déplue dans ce livre : une sorte de parti pris, sous-jacent que la civilisation européenne (surtout anglaise car les français de la Réunion sont finalement eux aussi assez malmenés) est meilleure, plus performante, plus évoluée que celle du sous-continent indien. Ce qui laisse un goût désagréable au fond du gosier... | |
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