Steve Tesich

Un commentaire qui donne envie de le relire ! Merci Tom Léo , je suis entièrement d'accord avec toi sur le fait que c'est un livre qui appelle  à l'échange et au débat .  

@Tom Léo : J'aime beaucoup ta manière de développer ton commentaire ... Un régal de gourmet à déguster à la petite cuillère   

Ce commentaire tombe à point et relance mon envie de lire Karoo. J'avais oublié peu à peu ce qui m'enthousiasmait a priori dans cette histoire. Le livre a atterri sur ma PAL récemment et ton superbe commentaire va me permettre de l'ouvrir avec un appétit renouvelé.

tom léo a écrit:

Un livre qui invite presque à une lecture commune !

On sent un auteur, proche de sa propre mort, interrogé par la sincerité des vraies questions. Splendide !

Encore un plaisir de lire ceci, Tom Léo

Tout comme toi j'avais profondément été touchée par ce balancement entre évitements et lucidité, Karoo est un faible mais jamais dupe de lui-même. C'est un personnage foncièrement humain, très authentique. Il mérite une lecture commune, c'est vrai...

Aeriale a écrit:

tom léo a écrit:

Karoo est un faible mais jamais dupe de lui-même. C'est un personnage foncièrement humain, très authentique.

Ce personnage est d'une complexité passionnante !
Très attachant .....malgré toute la noirceur apparente car profondément humain dans ses paradoxes , contradictions , failles et quête chimérique de rédemption ...On est vraiment au coeur de la condition humaine et Tesich est extrêmement brillant dans sa psychologie .

églantine a écrit:

Aeriale a écrit:

tom léo a écrit:

Karoo est un faible mais jamais dupe de lui-même. C'est un personnage foncièrement humain, très authentique.

Ce personnage est d'une complexité passionnante !
Très attachant .....malgré toute la noirceur apparente car profondément humain dans ses paradoxes , contradictions , failles et quête chimérique de rédemption ...On est vraiment au coeur de la condition humaine et Tesich est extrêmement brillant dans sa psychologie .

Bien sûr qu'on pourrait le voir sous l'angle de la lacheté ou le distancier de nous-mêmes et parler juste d'un pauvre personnage. Mais j'aime ta remarque, Aériale, sur la lucidité et l'humanité de lui et ton préssentiment, églantine, de "sa profonde humanité dans sa quête" et qu'on touche dans sa personne la condition humaine.

Merci pour vos commentaires et invitation à tout le monde de découvrir ce roman. Un des grandes découvertes pour moi de ces derniers mois...

J'ai commencé ma lecture... j'accroche direct. Du rabaissement, une volonté farouche de rechercher l'humiliation, une vision désenchantée des rapports humains, et un bel humour caustique pour arroser le tout... et y a du fond à gratter.
Youpi   

colimasson a écrit:

J'ai commencé ma lecture... j'accroche direct. Du rabaissement, une volonté farouche de rechercher l'humiliation, une vision désenchantée des rapports humains, et un bel humour caustique pour arroser le tout... et y a du fond à gratter.
Youpi   

Je trouvais tellement des choses à relever, à remarquer lors de la lecture! Voilà que tu relèves ce qui me semble très important: derrière ce comportement de rechercher l'humiliation, de se rabaisser, il y a comme une sorte d'autopunition? Prix de la lucidité?

Pour moi une vraie question: comment s'affronter, se voir tel quel, sans faire ce pas qui vient chez Karoo vers la fin du livre? (Je ne veux pas anticiper...)

Bonne lecture, colimasson!

tom léo a écrit:

colimasson a écrit:

J'ai commencé ma lecture... j'accroche direct. Du rabaissement, une volonté farouche de rechercher l'humiliation, une vision désenchantée des rapports humains, et un bel humour caustique pour arroser le tout... et y a du fond à gratter.
Youpi   

Je trouvais tellement des choses à relever, à remarquer lors de la lecture! Voilà que tu relèves ce qui me semble très important: derrière ce comportement de rechercher l'humiliation, de se rabaisser, il y a comme une sorte d'autopunition? Prix de la lucidité?

Pour moi une vraie question: comment s'affronter, se voir tel quel, sans faire ce pas qui vient chez Karoo vers la fin du livre? (Je ne veux pas anticiper...)

Bonne lecture, colimasson!

Tu veux dire, tom léo, être conscient de sa bassesse, de son ignominie, de ses viles compromissions et continuer à vivre ? Instinct de survie ou juste condition humaine, comme vous le rappeliez tous plus haut ? Et si l'homme moderne était un Karoo en puissance mais sans cette lucidité qui le rend tout à la fois repoussant et attachant ? Que deviendrait celui qui atteindrait cette lucidité : retour au cynique antique ou à la transcendance ?? Paradoxe, paradoxe !


Oh et je me réjouis pour toi Coli !

Histoire de pénitence ?

C'est beau d'entrer dans le vif du sujet, mais jusqu'à où aller sans anticiper ou proposer juste ma lecture? Qu'est-ce qui dit le texte? Malheureusement (non, c'est bien!) j'ai rendu le livre à son propriètaire, et je ne peux que reformuler selon ma mémoire...

shanidar a écrit:

tom léo a écrit:

colimasson a écrit:

J'ai commencé ma lecture... j'accroche direct. Du rabaissement, une volonté farouche de rechercher l'humiliation, une vision désenchantée des rapports humains, et un bel humour caustique pour arroser le tout... et y a du fond à gratter.
Youpi   

Je trouvais tellement des choses à relever, à remarquer lors de la lecture! Voilà que tu relèves ce qui me semble très important: derrière ce comportement de rechercher l'humiliation, de se rabaisser, il y a comme une sorte d'autopunition? Prix de la lucidité?

Pour moi une vraie question: comment s'affronter, se voir tel quel, sans faire ce pas qui vient chez Karoo vers la fin du livre? (Je ne veux pas anticiper...)

Tu veux dire, tom léo, être conscient de sa bassesse, de son ignominie, de ses viles compromissions et continuer à vivre ? Instinct de survie ou juste condition humaine, comme vous le rappeliez tous plus haut ? Et si l'homme moderne était un Karoo en puissance mais sans cette lucidité qui le rend tout à la fois repoussant et attachant ? Que deviendrait celui qui atteindrait cette lucidité : retour au cynique antique ou à la transcendance ?? Paradoxe, paradoxe !

Queenie a écrit:

Histoire de pénitence ?

Mes ressentis (en vrac - c'est assez tard!) face à ce que j'ai mis en gras:

- la recherche d'autopunition, d'un rabaissement est dans la plus grand part des cas pas conscient (et non pas une volonté farouche, me semble-t-il). Si on parlait de "fuite" on a enlèvé la connotation maso mais on garde une forme de vie d'évitements: la fuite en avant, dans l'oubli. Karoo en tant qu'alcoolique (p ex) est un réprésentant de toutes sortes de comportements autodestructifs et fuyant l'engagement, cherchant un oubli, une noyade.

- ainsi, paradoxalement, me semble-t-il, y-at-il aussi une forme de "lucidité non-consciente": nos profondeurs, pour parler pathétiquemment, sont souvent bien mieux informer sur notre état intérieur que notre raisonnement, et nos idées détectées par nous-mêmes ou nos perceptions.

- p ê y-a-t-il dans une recherche d'oubli etc alors vraiment une lucidité d'un autre genre: comment vivre avec l'état futile du chaos intérieur, de l'apparente impossibilité d'aimer (ici chez Karoo) autrement qu'avec certains mécanismes?

- certains de ces actes que beaucoup qualifient comme signes de liberté sont au contraire une forme d'autopunition et d'esclavage... (nous parlons si volontiers d'être libres sans mesure..., mais qui l'est vraiment?)

- devenir conscient... - est-ce que cela pourrait dire: assumer?!

Vers la fin du livre il y a quelques indications d'un changement du trajet de l'histoire, de Karoo:

- signe extérieur: après la "catastrophe finale" ou la fin de la partie "tragédie", s'ensuit un changement de perspectif: Saul n'est plus le narrateur, mais il y a un narrateur omniscient. Un "témoin" l'appelerais-je. Il racontera ce qui adviendra dans les semaines après la catastrophe. Et là on est indubitablement devant ce choix que shanidar évoque (si j'ai bien compris): le retour à l'état antérieur ou..., mais quoi? Oui, une certaine fotrme de transcendance.

- Tesich, à mon avis, indiquera deux choix ou impulsions de Karoo: sans l'avoir prémédité (ou oui?), il va tomber devant sa mère. Donc, ce n'est pas un acte de pénitence pour moi, mais avant tout un mouvement du coeur. Pour se racheter? Non, pour demander pardon. C'est tout. Pas d'automatisme, d'obligation là-dedans, sauf être poussé intérieurement (ce passage me rappelait fortement Dostoïevski!) comme une nécessité pour continuer.

- deuxième voie choisie par Karoo: finalement mettre en oeuvre son projet d'un Ulysse des temps nouveaux. Juste la MÊME histoire que celle qu'on connaît? Non, une continuation... Il n'y a plus les dieux, le retour à Ithaque: c'est acquis. Maintenant on part à nouveau. Un voyage dans les espaces où la séparation sera presque définitive, mais où la recherche devient l'ultime recherche. Il apercevra la réponse dans Quelqu'un. Et une errance nourrie? Réponse "métaphysique"? Plus encore: réponse, donnée dans une figure, une Personne d'un homme radieux, créateur, sémeur, surabandont, joyeux, à l'oeuvre continuellement, même si le néant semble toujours guetter... C'est bouleversant.

Ton enthousiasme (partagé) pour ce roman fait plaisir à lire, Tom Léo   

tom léo a écrit:

Pour moi une vraie question: comment s'affronter, se voir tel quel, sans faire ce pas qui vient chez Karoo vers la fin du livre? (Je ne veux pas anticiper...)

Je n'en suis pas encore là... outre ce comportement d'auto-punition, il semble que Karoo éprouve aussi du plaisir à se décrire comme un homme vil. Le principe de la décadence n'est pas loin... reste à confirmer dans la suite de ma lecture.

Est-ce l’histoire d’un homme ou est-ce l’histoire d’un monde ? En tant qu’homme, Karoo s’est toujours senti isolé. Il tire son sentiment d’existence de cette solitude monadique qui l’empêche de communiquer avec les autres. Voilà sa force, mais voilà aussi son désespoir, voilà pourquoi Karoo oscille sans cesse entre badinerie et ironie.


Alors qu’il aimait se payer des cuites régulières, Karoo réalise un jour que plus aucune substance ne parvient à le tirer hors de lui-même. Les verres de whisky peuvent bien s’aligner, sa lucidité reste d’une précision alarmante. Toutefois, Karoo continue à simuler l’ivresse pour satisfaire les attentes de ses congénères. Alcoolique il fut, alcoolique il restera, tel est le blason qu’il doit continuer à porter car le monde est un grand plateau de cinéma sur lequel chacun doit jouer son rôle du début jusqu’à la fin de son entrée sur scène. La métaphore est bien connue mais Steve Tesich la décline sur des modes variés qui offrent une souplesse de visualisation rare. Trois niveaux s’imbriquent : sur la scène de la vie, Karoo retape des scénarios de cinéma pour produire des soupes commerciales, jusqu’au jour où il tombe sur une vidéo dans laquelle il reconnaît Leila, la mère de son fils adoptif Billy. Non seulement Karoo décide de rechercher cette actrice pour l’inclure dans sa vie au premier niveau, mais aussi afin de transformer cette mauvaise scène du père fuyant qui renie son fils en scène du père aimant. Karoo concrétise ses ambitions mais avance toujours avec hésitation, conscient de la précarité de ses réalisations. Il suffirait d’une grimace pour que l’ensemble du jeu s’effondre. Concentré sur le rôle qu’il doit jouer, il se ferme sur la plupart des informations qui proviennent de l’extérieur. Karoo ne parvient jamais à sortir de lui-même et plus il voudrait aimer, moins il y parvient, parce que les objets de son élection sont trop inconsistants et s’évanouissent plus vite qu’une figure de cinéma.


Karoo est à la fois médiocre et brillant. Brillant, parce que l’évidence eschatologique lui brûle les yeux, l’infinie complexité de l’univers recréant le chaos cosmique dans sa façon d’appréhender les événements anodins d’une existence. Rongé par cette affirmation que « la vie […] n’est pas dépourvue de sens » mais qu’ « elle est au contraire tellement pleine de sens que ce sens doit constamment être annihilé au nom de la cohésion et de la compréhension », Karoo essaie d’épurer le flux d’informations qui lui parvient, et c’est à cet endroit qu’il se montre médiocre. Pourquoi s’évertue-t-il à épurer en ne gardant que les aspects négatifs qui lui parviennent ? Pourquoi ne parvient-il pas à se transcender d’une manière qui soit satisfaisante pour lui, et donc pour les autres ? Karoo est peut-être un homme imbu de lui-même, à moins que ses congénères ne soient véritablement pas à la hauteur de ses conceptions. Son histoire se hissera bientôt jusqu’à la conversion religieuse, non pas tant que Karoo se sente soudainement proche de certains dogmes établis précis, mais parce qu’il rejoint l’illumination archétypique des prophètes, en tant que celle-ci exprime, dans son sens profond, la vie secrète et inconsciente de chacun, mais dont seuls quelques élus peuvent être conscients.


Karoo ne pouvait pas aimer seulement une femme, ou un fils, ou un ami ni même une profession ou un idéal de vie. Karoo trop médiocre pour le monde, ou le monde trop médiocre pour Karoo ? L’itinéraire reproduit les frasques d’un Zarathoustra nietzschéen : il faut aller très loin pour revenir apaisé. C’est peut-être, aussi, le sens primordial du message christique.




Le malheur de Karoo : ne pas pouvoir se sortir de cette manière de considérer l'existence :

Citation :

Au début, les histoires des individus sont presque toujours de nature épique, le tout commençant avec l’épisode théâtral de la naissance. Quoi de plus épique ?
L’épopée du début de la vie part de là. Le sentiment de progrès et de défis victorieux est le pain quotidien du héros quand il est un tout jeune enfant. Le héros marche. Le héros parle. Les applaudissements et les encouragements dont l’inondent ses parents sont suffisants pour que même le plus modeste des jeunes enfants se croie promis à une glorieuse destinée. […]
Quelque part en route, il met en place son propre narrateur, le « Je » du héros, le narrateur qui parle en son nom. La narration de cette histoire choisit presque toujours le genre épique, le seul à même de convenir.
Le « Je » du héros proclame alors : « Je suis » ; « J’aime » ; « Je n’aime pas ».
Certaines expressions épiques sont utilisées pour relier des épisodes disparates et créer une intrigue cohérente. Des expressions comme « Et alors, je… » ou « Et après cela, je… »

En voilà un morceau qui me rappelle L'alchimiste de Coehlo (si, si) :

Citation :

La vocation épique de sa vie demeure dans son esprit. Elle est un temps bien vivante. Puis, peu à peu, elle commence à disparaître. D’abord de la réalité, puis de sa mémoire.

Pour rappel, version de Coelho :

Spoiler:

*peinture d'Edouard Manet

Commentaire brillantissime Coli .