La TRESSEUSE DE COURONNES. - Fayard
Lorsqu' Anna tresse sa couronne de mariée, elle ignore encore qu'elle a choisi le métier de sa vie. Mais le jour de ses noces, le marié ne se présente pas. Anna accouche au pays d' une petite fille et elle quitte Beffendorf, son village natal dans le Bade Wurtenberg, pour aller s' installer à Zurich, sa fille sur les bras et une seule valise pour tout viatique. Et aussitot installée, elle se met à tresser des couronnes mortuaires en songeant que tous les morts devraient avoir droit à une couronne.
"La Toussaint, c' était vraiment le grand jour. "Mais, admettait Anna, on a un avantage quand on tresse des couronnes : les gens meurent toute l' année. Tu as une grosse journée, mais ta saison dure toute l' année." P. 45
Dès lors, elle va exercer ce métier de la veille de la première guerre mondiale au début des années 50. Les années passent et le travail ne manque pas. Anna ne se soucie pas du temps qui passe ni de l' Histoire, mais l' Histoire va entrainer une évolution des moeurs, des crises économiques et sociales et des guerres.
Un jour, il n' y eut plus de corbillards... Elle sursauta quand elle aperçut pour la prmière fois l' automobile noire... Elle venait de flaner dans le cimetière au cours de l' une de ces promenades qu' elle faisait pour observer les couronnes de la concurrence. Anna comprit sur le champ que le cercueil se trouvait à l' intérieur, mais se demanda où étaient passées les couronnes... Finalement, elle poussa un soupir de soulagement, parce qu' à l' intérieur, elle avait aperçu le cercueil et aussi des couronnes appuyés sur les cotés.
"Cela se fait toujours ! Cela se fait toujours ! Simplement, ils arrivent plus vite au cimetière, à présent."
Son commerce lui permet peu à peu de vivre à l' aise, d' habiter une maison. Elle loue une chambre à des itinérants, et l' un deux sera son grand amour.
Mais la mort fauche ses proches à l' exception de sa fille. Et la seconde guerre mondiale ne lui permet plus de s' acquitter de sa tache. l' age, bien sur, mais les morts se comptent par millions. Et trop c' est vraiment trop pour elle.
Voilà un livre qui prend quelques libertés avec la forme narrative et dont le seul fil conducteur est le personnage d' Anna. Une Anna dont la vie et le sort sont étroitement liés à la mort omniprésente. Anna ovserve la ville de Zurich et le monde tel qu' il va sans le comprendre, sans l' interpréter ni l' expliquer. Elle considère son balcon comme une loge de théatre, et le défilé des passant comme une représentation théatrale. Surtout les jours de paye...
Anna était assise dans sa loge, écoutait les dialogues et les monologues, restait muette et n' applaudissait pas. Une fois, elle se tourna vers sa fille et dit en pointant le doigt vers la rue : "Ce sont tous des parents de défunts." P. 81
Loetscher passe sous silence des pans entiers de la vie de son personnage ou alors, en il parle plus tard lorsqu' ils sont passés Par contre, il s' attarde à des anecdotes, des rien ou des je-ne-sais-quoi romanesques. A la fin, juste après la guerre de 40, elle prend le train pour se rendre chez elle, en Allemagne. Mais le train s' arrete dans une ville en ruines, et Anna se mit à penser aux millions de morts qui devraient se passer de couronnes...
Anna pensa à l' égalité devant la mort et à la fraternité des cimetières. Elle se mit à rever : mortels de tous les pays, unissez-vous. P. 189
Peut-on parler de désinvolture ? Je ne pense pas. Je crois que Loetscher va au rythme de la paysanne Anna et avec la distance de l'ironie et le poids d' une vie à la fois simple mais bien remplie.