Le vase où meurt cette verveine
Frédérique
MartinEditions Belfond
220 pages
ISBN : 9782714452320
4ème de couverture :Parce que leurs enfants ne peuvent les héberger ensemble lorsque Zika doit aller se faire soigner le cœur, Joseph et elle se retrouvent séparés après plus de cinquante-six années de vie commune. Lui est accueilli chez leur fils Gauthier à Montfort, elle chez leur fille Isabelle à Paris. Commence alors entre eux une relation épistolaire qui voit s’éloigner la perspective de leurs retrouvailles et se déliter leur univers. En se rebellant contre cette séparation forcée, Zika et Joseph découvrent la face cachée de leurs enfants et leurs propres zones d’ombre. Jusqu’au drame final, où ils devront affronter le désastre humain qu’ils ont engendré.
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Le vase où meurt cette verveine, – D’un coup d’éventail fut fêlé. – Le coup dut l’effleurer à peine: – Aucun bruit ne l’a révélé. – … – Personne ne s’en doute; – N’y touchez pas, il est brisé.
Ces quelques vers de Sully Prudhomme sont une belle métaphore pour ce livre.
Il a suffi de la fissure que représente la maladie de Zica et son besoin d’un spécialiste pour que le couple soit séparé pour un temps beaucoup trop long pour eux. L’échange épistolaire entre les deux parents-amants montre la force de leur amour, un amour sans partage, charnel, fusionnel qui perdure.
Seulement, il a créé une paroi de verre où les doigts de leur fille Isabelle n’ont pu s’accrocher, elle n’a jamais trouvé sa place pour se blottir bien au chaud. Bien sûr, ils l’ont aimée, choyée, élevée…. Mais Isabelle n’a jamais trouvé la faille pour s’y accrocher.
Dans leurs correspondances il n’y a de la place que pour leur amour, leurs enfants deviennent des gêneurs. L’amour, la haine vont finir par cohabiter dans le cœur de Zica « L'humiliation, tant qu’on ne l’a pas connue, on ne sait pas de quoi il retourne. Mais quand on l’a prise de face, mon ami, on ne peut l’oublier. Pendant un instant, tout s’est arrêté et j’ai su que je haïssais quelqu’un pour la première fois. Cette femme devant moi, n’était plus ma fille. Il y a eu la gifle et il y a eu la déflagration qu’elle a causée en moi. Oui, ça dévaste tout, l’humiliation, ça brûle, ça corrompt, c’est de l’acide pur. » Isabelle, pleine de rancœur, ne réussira jamais à garder sa Mère pour elle. Pourtant, c’était un bon plan de les séparer et de profiter de Sa présence, de lui prouver son amour.
Joseph, lui, peut retrouver des forces en se tournant vers ses petits-enfants qui l’adorent sans lui poser de questions. Les grands-parents sont souvent le réceptacle des petits secrets de leurs petits-enfants et sont un lien solide et sûr où ils peuvent s’ancrer de temps à autre.
Frédérique
Martin, à travers ces lettres échangées nous parle également de la grande épreuve, pour les parents, de se retrouver à charge et pour les enfants, de devenir les parents de leurs parents. « Nous sommes un poids, voilà le message qu’il nous délivre, ma chère Zika ». Cette difficulté qu’ont nos parents de quitter leur univers où il y a tous leurs souvenirs, leurs chères habitudes et, surtout, le plaisir de vieillir à deux…. « Notre maison s’est gravée tout entière dans mon corps. Il me suffit de fermer les yeux, de tendre mes mains sur le vide, pour redécouvrir la rudesse d’un mur, l’angle d’une porte, et le contact de mes pieds nus sur le sol. »
« Je me suis senti ferme et puissant sur mes jarrets, campé avec fierté, les mains carrées, rien ne m’était impossible et ta présence continuelle, le fil ininterrompu des jours et des saisons m’ont confirmé dans mon euphorie de seigneur. Et voilà que le poids de ma bêtise me rattrape. Mes muscles ont fondu dans les années, je n’ai plus que ma lucidité de vieillard pour affronter la réalité ».
Frédérique
Martin aborde, par le biais de ces échanges épistolaires, le douloureux problème de la vieillesse, de la dépendance, de l’éloignement des enfants, de l’amour chez nos aînés, sans oublier le pardon et l’acceptation que nos enfants soient différents de nous et de nos chers désirs. L’auteure ne prend pas de gants et nous estomaque de temps à autre. La jalousie y est destructrice, la passion dévorante. A la fois doux et brutal, ce n’est pas un livre anodin.
Je remercie vivement Entrée Livre et les Editions Belfond pour ce partenariat doublé d’une très belle découverte. Un coup de cœur !
Quelques extraits :
Les murs ont des échos de stupeur devant ton absence. Malgré l’édredon que tu as sorti, le sommeil s’est refusé dans notre lit vide. Je ne sais ni dormir ni me réveiller sans toi, chère Zika. C’est ainsi.
Ce qui nous arrive, nous l’avons parfois envisagé, mais jamais que nous serions séparés pour l’affronter. Et moi, mon ami, je découvre qu’il y a une vie hors de ta présence sans savoir comment demeurer dans ce monde-là. J’aurais plus pleuré en quelques heures sans toi que durant ces années passées en ta compagnie. Je ne devrais pas t’en parler et te tourmenter ainsi. Mais je suis tellement perdue.
Tu n’es pas capable d’aimer plusieurs personnes à la fois. Il n’y en avait que pour papa. « Votre père par-ci, votre père par-là. On attend votre père, on demandera à votre père… » Tu ne pouvais pas penser par toi-même, un peu ? Gauthier, c’était ton petit papa, tandis que moi, j’étais ta petite rivale. A cause de toi, je n’ai jamais su me faire aimer, je n’ai jamais trouvé ma place.
De vifs reproches, de grosses larmes, une rage enfantine. Mon Dieu qu’elle était laide ! Elle me poursuivait dans l’appartement pour me forcer à l’écouter.