Aliocha
Alexis Krapivine, que les siens appelle Aliocha, vit à Neuilly avec ses parents. En cette année 1924, il a 14 ans et étudie en classe de seconde au lycée Pasteur, établissement dans lequel il fait la connaissance de Thierry Gozelin, un adolescent dont il partage un trait de caractère : la solitude.
Car Aliocha peine à s’intégrer. Son statut de réfugié blanc ayant fui la Russie soviétique peu après la Révolution d’octobre lui donne de profonds complexes. La splendeur de cette famille tsariste est aujourd’hui fanée : de leur vaste maison richement ornée et entretenue par une valetaille nombreuse ne subsiste qu’un petit appartement au confort spartiate et dans lequel Aliocha n’a même pas sa chambre à lui – il dort sur le sofa du salon.
S’il parle et comprend parfaitement sa langue natale, il avoue avoir le plus grand mal à la lire. A la différence du français, langue qu’il aime par-dessus tout et dans laquelle il progresse chaque jour. Il pourrait vivre cette double connaissance comme une chance, une richesse et l’utiliser à son profit. Au lieu de quoi, il rejette d’emblée tout ce qui n’est pas français. Quand ses parents lui parlent russe, il répond en français. Il aime lire Victor Hugo, mais refuse d’ouvrir un livre de Tolstoï. Et se moque de savoir si oui ou non la France choisira de reconnaître l’état bolchévique comme vient de le faire la Grande Bretagne. Le cul entre deux chaises : il souffre de ne plus être russe et de ne pas encore être tout à fait français.
Aussi reste-t-il dans son coin, persuadé d’être inférieur à tous ses camarades du fait même de n’avoir aucun autochtone dans sa généalogie. Thierry Gozelin, lui, est infirme : bossu. Il compense son handicap physique par un esprit brillant : excellent dans toutes les matières, il lit énormément et possède une solide culture littéraire. La richesse de ses parents (pécuniaire celle-ci) achève de le marginaliser.
Troyat, dans ce court roman à l’évidente inspiration autobiographique, raconte ces deux enfants solitaires qui se reconnaissent comme tels et tissent entre eux des liens très forts. L’histoire d’une amitié qu’on jure éternelle. Une amitié d’autant plus forte, d’autant plus exclusive qu’elle met fin à deux souffrances trop longtemps contenues.
Un livre agréable. Une riche écriture classique que je connaissais à l’auteur, riche mais fluide, facile à lire.
Un bon livre, idéal pour se reposer après avoir englouti deux ou trois pavés.