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| Henry James | |
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Auteur | Message |
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bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Henry James Mer 18 Avr 2012 - 16:02 | |
| Lisez La Bete de la jungle, si ce n' est déjà fait, c' est un petit chef-d'oeuvre ! On se demande aussi en lisant cette nouvelle, la part de confession de James et de reproche fait à lui-meme... | |
| | | Harelde Zen littéraire
Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
| Sujet: Re: Henry James Mer 18 Avr 2012 - 16:05 | |
| - bix229 a écrit:
- Lisez La Bete de la jungle, si ce n' est déjà fait, c' est un petit chef-d'oeuvre ! On se demande aussi en lisant cette nouvelle, la part de confession de James et de reproche fait à lui-meme...
J'ai dû en faire un petit commentaire dans les pages précédentes. | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Henry James Lun 14 Mai 2012 - 20:21 | |
| LA BETE DANS LA JUNGLE
Qu' est-ce qui lie John Marcher et May Bartram qui se retrouvent après une absence de dix ans. On sait très vite qu' il s' agit d' un secret que John a révélé partiellment à May. Un secret qui va les réunir à vie sans qu' il ne soit jamais question de mariage ni de laison - amoureuse ou sexuelle.
Ce qui est sur c' est que ce secret est lié à une éventualité qui pourrait se produire dans la vie de John. Une éventualité qu' il attend et redoute à la fois. On n' en saura pas plus... Bien entendu, rien n' excite autant la curiosiité qu' un secret suggéré mais jamais révélé. L' imagination s' en empare et s' irrite d' etre ainsi frustrée et de se heurter au silence. (Celle du lecteur en tout cas ! Mais non celle de May !)
Mais, quand son amie tombera malade, John Marcher va reconnaitre alors que le problème s' est déplacé et que la "bete dans la jungle", c' est le déperissement de May et sa mort prochaine. Tout à son angoise, John s' avoue qu' il a forcé May à partager sa vie et son secret. A se sacrifier. Et il réalise qu' il a oublié l' essentiel : lui donner l' amour qu' elle attendait sans le lui dmander.
"Il revint le jour suivant, mais elle était hors d' état de le recevoir. C' était la première fois que pareille chose se produisait depuis le début de leurs longues relations. Il s' en retourna abattu, chagrin, presque irrité, ou du moins sentant que semblable felure marquait vraiment le commencement de la fin... Elle était mourante et il allait la perdre ; elle allait mourir et sa vie à lui tirait à sa fin... May Bertram l' avait accompagné à chaque pas de son chemin. Il avait vécu par l' aide qu' elle lu avait pretée ; la laisser en arrière créerait dans sa vie le vide le plus cruel, le plus insupportable.
Quelque chose - et ceci l' atteignit en plein coeur -qu' il n' avait pas, lui, John Marcher, dans sa vie. Aucune passion ne l' avait jamais touché, car c' était bien cela qu' exprimait le mot passion ; il avait survécu, il avait larmoyé et langui, mais où était son profond ravage à lui ? La chose extraordinaire dont nous parlons fut la soudaine irruption dans sa conscience de la réponse à cette question. La vision que ses yeux venaient d' avoir... lui nommait comme en lettres de feu, la chose qu' il avait si totalement, si absurdement manquée... Il avait vu hors de sa propre existence, et non appris par le dedans, la façon dont une femme est pleurée quand elle a été aimée pour elle-meme...
Voilà un livre qui pose bien plus de question qu' il n' en résout. Peut etre y-a-t'il meme plus de questions et d' interprétations. A commencer par cette bete dans la jungle" que le héros a attendu en vain passant peut etre à coté de l' essentiel.
Qu' y a-t-il au delà du secret et du pacte qui lie May et John au delà du silence tacite et la subtile complicité de deux esprits-frères ? Ce pacte qui les unit n' est-il pas finalment un jeu pervers, un marché de dupes qui ne laisse qu' un gout de poussière et d' amertume ?
Cette nouvelle semble, plus que d' autres avoir cristallisé l' attention des lecteurs et aussi leurs frustrations. Certains ont été carrément rebutés par la subtilité de James et leur mécontentement s' est porté principalement sur le personnage de John. Son comportment est jugé irréaliste, absurde. Mais ils oublient que la réalité romanesque, - et surtout celle de James ! - a tous les droits.
Je pense qu' a travers cette nouvelle, James est allé au plus près de lui meme et de son vécu. Il vivait ses dernières années et il sentait seul et incompris. D' autre part, il avait sacrifié à son ambition littéraire l' amour d' une femme qui venait de mourir seule et il pouvait se poser la question de savoir s' il n' était pas passé à coté de l' essentiel d' une vie humaine. Ce que Colm Toibin a bine montré dans son livre "Le Maitre".
Je viens de relire cette nouvelle avec toujours le meme sentiment d' admiration pour James et aussi avec les memes questions qui font bouillir l' imagination du lecteur que je suis. Je me demandais si cette courte nouvelle ne pourrait pas etre l' objet d' une lecture commune qui me permettrait de savoir ce que d' autres ont trouvé dans ce texte superbe.
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| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Henry James Dim 4 Nov 2012 - 23:00 | |
| Une suite à La tour d'écrou avec La protectrice de Keko (BD) - Citation :
Étonnant projet que cette suite donnée au fameux roman Le Tour d’écrou de Henry James, histoire de fantômes fondatrice du genre, qui inspira nombre de livres et de films. L’Espagnol Keko décide d’imaginer ce qu’il advient aux personnages après le drame final du Tour d’écrou, dont la conclusion était assez ouverte. On retrouve donc la petite Flora, recueillie par son oncle à Londres après la mort (accidentelle?) de son frère dans le manoir familial de Bly. Tandis que l’institutrice, qui avait tout fait pour sauver les enfants, est internée dans une institution psychiatrique. Mais les fantômes sont toujours là et les secrets n’attendent que d’être révélés… Suite de l'article : ICI Jamais lu Henry James mais cet album m'intéresse... | |
| | | Harelde Zen littéraire
Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
| Sujet: Re: Henry James Lun 5 Nov 2012 - 10:49 | |
| - colimasson a écrit:
- Une suite à La tour d'écrou avec La protectrice de Keko (BD)
- Citation :
Étonnant projet que cette suite donnée au fameux roman Le Tour d’écrou de Henry James, histoire de fantômes fondatrice du genre, qui inspira nombre de livres et de films. L’Espagnol Keko décide d’imaginer ce qu’il advient aux personnages après le drame final du Tour d’écrou, dont la conclusion était assez ouverte. On retrouve donc la petite Flora, recueillie par son oncle à Londres après la mort (accidentelle?) de son frère dans le manoir familial de Bly. Tandis que l’institutrice, qui avait tout fait pour sauver les enfants, est internée dans une institution psychiatrique. Mais les fantômes sont toujours là et les secrets n’attendent que d’être révélés… Suite de l'article : ICI
Jamais lu Henry James mais cet album m'intéresse...
Lis le tour d'écrou avant. C'est un bouquin extra. Et assez court. | |
| | | tina Sage de la littérature
Messages : 2058 Inscription le : 12/11/2011 Localisation : Au milieu du volcan
| Sujet: Re: Henry James Ven 16 Nov 2012 - 11:26 | |
| Ce que savait Maisie
Voilà de "l'art pour l'art", comme le préconisait HJ et avec lui, on surfe sur les cimes.
Ce livre est à la fois une plongée dans la psychologie enfantine, une mise en ostension des passions humaines (l'égoïsme surtout) et de leur laideur et un appel à la raison, à la réflexion et au bon sens.
Car cette petite Maisie est littéralement le jouet d'adultes irresponsables, incapables de l'aimer sans la perturber. Voire incapables de l'aimer tout court ! Sa candeur la protège un temps, mais s'effrite sous les assauts hargneux de 5 adultes, aux moeurs dépravées pour la plupart.
Son père et sa mère d'abord. Ils se détestent et se battent pour sa garde. Puis, plus occupés à leur vie intime qu'à leur fille - qui devient alors un fardeau - ils se remarient. Et voilà que les nouveaux concubins s'éprennent l'un de l'autre et revendiquent aussi l'affection de la petite. Sans parler de la gouvernante, Mrs Wix.
C'est presque un huis clos conjugal, dont j'ai trouvé le début dramatique pour l'enfant. Une enfant qui est un enjeu, puis un prétexte pour liaisons inavouables.
HJ fait bien évoluer son petit personnage qui s'avère à la fin être capable de saisir les moindres émois de son entourage et semble même avoir acquis une certaine sagesse.
La technique narrative est éblouissante, comme toujours. Le thème met mal à l'aise, mais l'humour d'HJ nous aide à tenir le coup. Pas de pathos. Ainsi va la vie, avec les enfantillages des adultes et la lucidité des enfants.
Sans doute pas le livre le plus connu de l'auteur, mais pourtant émouvant et nuancé. J'avais honte pour les adultes en le lisant, entre une mère nymphomane, un père insouciant et divers protagonistes nombrilistes.
Heureusement, depuis l'époque de James, on a considérablement développé l'écoute des enfants, avec professionnels avisés, mais le débat reste quand même ouvert : doit-on les laisser deviner le monde ? Les jeter dedans ? Leur cacher nos vices et notre terrible égocentrisme ?
Chacun répondra selon sa conscience.
Pour moi qui suis très "vieille école", le personnage de Maisie m'a beaucoup touchée car je pense que les parents doivent privilégier le bonheur de leur enfant avant le leur.
Mais je me sens bien seule dans cette vision. | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Henry James Ven 16 Nov 2012 - 11:30 | |
| - tina a écrit:
- Ce que savait Maisie
Voilà de "l'art pour l'art", comme le préconisait HJ et avec lui, on surfe sur les cimes.
Je pense de plus en plus souvent à aborder enfin l'oeuvre d'Henry James...et justement je pensais à ce roman-là. Tu me donnes quelques arguments de plus... | |
| | | Harelde Zen littéraire
Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
| Sujet: Re: Henry James Mar 12 Fév 2013 - 14:02 | |
| L'autel des morts
Georges Stransom vit dans le passé et le souvenir de sa fiancée, morte tragiquement peu après le choix de la date des noces. Depuis, la jeune femme survit dans son souvenir. D’anniversaire en anniversaire, la mort exerça sur lui une fascination toujours plus grande. Il ne se consacra plus simplement à sa défunte promise, mais à tous ses morts dont il tint scrupuleusement le compte. Il lui vint également l’idée d’ériger dans une chapelle un autel dédié à leur mémoire. A chaque âme correspond un cierge. Ceux qu’il nomme « les autres » devinrent une véritable obsession.
C’est devant son autel qu’il fit la rencontre d’une jeune femme en grand deuil. Femme tout aussi assidue que lui dans son devoir de mémoire. Au fil des mois puis des années, une étrange relation naquit entre eux.
Une nouvelle qui se démarque de celle que j’ai eu l’occasion de lire. Dans ce huis clos mettant en scène deux dévots, le divin est omniprésent. Le temps s’écoule fort lentement, la narration s’étale à l’instar de la folie de Stransom. L’ennui s’invite trop fréquemment. Un texte riche, des allusions parfois difficiles à cerner.
Ardu.
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| | | églantine Zen littéraire
Messages : 6498 Inscription le : 15/01/2013 Age : 59 Localisation : Peu importe
| Sujet: Re: Henry James Mar 12 Fév 2013 - 16:26 | |
| - Harelde a écrit:
- Chatperlipopette a écrit:
"Washington Square"
(...) digne d'une Jane Austen (...) A la suite de la publication de ce magnifique roman, les critiques n'ont d'ailleurs pas manqué de faire le rapprochement entre James et Austen. Ce qui vexa le romancier tant il faisait peu de cas de l'auteur d'Orgueil et Préjugés. Henry James est mon auteur préféré actuellement (hormis John Knittel qui est hors concours). Je l'ai abordé avec Daisy Miller que je n'ai pas aimée. Je trouvais la jeune fille inutilement provocante. Une salle gosse soucieuse de faire tourner les rombières en bourrique. Pour moi, elle n'était pas une jeune fille moderne et incomprise, mais une jeune adulte en plein conflit de génération. J'ai néanmoins donné une seconde chance à cet auteur de premier plan. Et j'ai ouvert les Européens. Et ce fut la révélation ! Mon amour de Jane Austen (même si James ne l'appréciait pas) se retrouvait régénéré dans ma lecture. Après cela, j'ai enchainé : Le Tour d'écrou, le Menteur et Washington Square. J'ai encore beaucoup de livres à découvrir et je vous en parlerais au fur et à mesure ! Je te rejoins Harold dans ton ressenti après la lecture de Daisy Miller avec laquelle j'entreouvre la porte de Henri James ...........Loin de voir à travers Daisy une jeune fille en quête d'émancipation , évoluant dans la vie en faisant fi des conventions sociales de l'époque par volonté de s'affranchir , je n'ai rencontré qu'une insupportable coquette , capricieuse , déterminée à jouer la chipie en faisant enrager la société 'bien pensante' et en jouant de son pouvoir de séduction sur la gente masculine pour le plaisir de l'instant .....Mais le monde d'Henri James a su me charmer et j'entends bien y replonger très rapidement !!!! | |
| | | églantine Zen littéraire
Messages : 6498 Inscription le : 15/01/2013 Age : 59 Localisation : Peu importe
| | | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Henry James Jeu 14 Mar 2013 - 15:08 | |
| Et bien, comme quoi le senti de chaque lecteur est différent. J'avais découvert James avec Ce que savait Maisy, qui m'avait plutôt plu mais pas transporté. Et le déclic a été le suivant, Daisy Miler. Peut être que c'est un auteur qui a besoin d'un peu de temps pour se familiariser avec son univers et vraiment le pénétrer. | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Henry James Dim 24 Mar 2013 - 20:32 | |
| L'Elève (The Pupil). Traduction de Pierre Leyris. 69 pages (édition 10/18) Il y existe de nombreuses traductions de ce texte. Nous allons en comparer trois : celle de Pierre Leyris chez 10/18, celle de Jean Pavans (Editions La Différence, Nouvelles, volume 3) et celle de François Piquet (La Pléiade, Nouvelles, volume 3). De plus, on pourra trouver le texte en anglais sur : http://www.gutenberg.org/ebooks/1032 Le point de départ de la nouvelle est simple : un jeune homme va devenir le précepteur de Morgan, un petit garçon à l'esprit très éveillé (on n'aura toutefois jamais de vrais exemples, de première main pour ainsi dire, de cette intelligence), mais à la santé fragile. La famille de l'enfant n'est pas bien fiable, comme notre héros va rapidement s'en rendre compte. La notice de La Pléiade (notamment, car Pierre Leyris, dans la version 10/18, le fait également très bien) précise les sources du texte : en Italie, un ami avait parlé à James d' "« une extraordinaire famille américaine », un « clan bizarre, aventureux, extravagant » et « dont le membre le plus intéressant était un petit garçon »" (La Pléiade, volume 3, page 1364). Voici notre jeune homme lors de son entretien d'embauche : Version originale | Pierre Leyris (10/18) | Jean Pavans (La Différence) | François Piquet (Pléiade) | The poor young man hesitated and procrastinated: it cost him such an effort to broach the subject of terms, to speak of money to a person who spoke only of feelings and, as it were, of the aristocracy. Yet he was unwilling to take leave, treating his engagement as settled, without some more conventional glance in that direction than he could find an opening for in the manner of the large affable lady who sat there drawing a pair of soiled gants de Suède through a fat jewelled hand and, at once pressing and gliding, repeated over and over everything but the thing he would have liked to hear. He would have liked to hear the figure of his salary; but just as he was nervously about to sound that note the little boy came back—the little boy Mrs. Moreen had sent out of the room to fetch her fan. He came back without the fan, only with the casual observation that he couldn’t find it. | "Le pauvre jeune homme hésitait, temporisait : il lui en coûtait tant d'aborder le sujet des honoraires, de parler d'argent à une personne qui ne parlait que de sentiments et, apparemment, de l'aristocratie. Il répugnait pourtant à prendre congé et à traiter du même coup son engagement comme conclu sans avoir reçu à cet égard des éclaircissements plus formels qu'il ne parvenait à en obtenir avec les façons de cette dame imposante, affable qui, assise en face de lui, tirait une paire de gants de Suède sur une main dodue chargée de bagues et, pressante et évasive tout ensemble, répétait à satiété toutes sortes de choses, hormis celle qu'il eût voulu entendre. Il eût voulu entendre le chiffre de son salaire ; mais juste au moment où il allait pincer nerveusement cette corde, le petit garçon revint - le petit garçon que Mrs. Moreen avait envoyé hors de la chambre lui chercher son éventail. Il revint sans l'éventail, déclarant d'un ton détaché qu'il ne l'avait pas trouvé." (page 21). | "Le pauvre jeune homme hésitait et tergiversait : cela lui coûtait un tel effort d'aborder le sujet des conditions, de parler d'argent à une personne qui ne parlait que de sentiments et, pour ainsi dire, d'aristocratie. Mais il ne voulait pas prendre congé, et faire comme si son engagement était décidé, sans avoir dans ce domaine un aperçu plus conventionnel que celui que lui offraient les façons de la femme affable et corpulente assise devant lui, en ajustant une paire de gants de suède* souillés sur des mains grasses et couvertes de bijoux, et qui, tout à la fois pressante et évasive, répétait encore et encore les choses, sans dire celle qu'il aurait aimé entendre. Il aurait aimé entendre le montant de son salaire ; mais juste au moment où il allait nerveusement évoquer cette question, le petit garçon revint : le petit garçon que Mrs Moreen avait envoyé chercher son éventail. Il revint sans cet objet, en déclarant simplement, d'un ton dégagé, qu'il n'avait pas pu le trouver." (page 309). | "Le pauvre jeune homme hésitait, tergiversait tant il lui coûtait d'en venir à la question de ses appointements, de parler d'argent à une personne qui ne parlait que de sentiments et, apparemment, de l'aristocratie. Il était pourtant réticent à l'idée de prendre congé et de tenir son engagement pour une affaire entendue sans avoir reçu sur ce chapitre des assurances plus formelles qu'il n'en découvrait dans le flot d'amabilités de cette dame imposante qui, assise en face de lui, faisait glisser une paire de gants de suède* défraîchis dans sa main potelée, chargée de bagues, et qui, insistante et évasive à la fois, répétait à satiété toutes sortes de choses sauf celle qu'il eût voulu entendre. Il aurait voulu entendre le montant de ses émoluments ; mais au moment même où il allait timidement aborder le sujet réapparut le jeune garçon que Mrs. Moreen venait d'envoyer chercher son éventail dans une autre pièce. Il revint sans l'éventail, se contentant de déclarer d'un ton impertinent qu'il ne l'avait pas trouvé." (page 313)
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On notera que la version 10/18 ne précise malheureusement jamais quand les mots sont en français dans le texte... Dommage. De plus, elle utilise des expressions bien vieillottes ("pincer la corde" ; "mordre" - pour "comprendre", page 31). Plus loin, "philistins" est traduit par "gens posés"... On peut y trouver du charme ou non, cela va dépendre de chacun. Après tout, le texte anglais date de 1891, pourquoi alors ne pas utiliser ces expressions vieillottes ? Cela peut se justifier.
Dernière édition par eXPie le Dim 24 Mar 2013 - 22:00, édité 7 fois | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Henry James Dim 24 Mar 2013 - 20:33 | |
| " « Tout ce que j'ai donné dans L'Elève » (écrit James dans la préface au volume XI de la New York Edition) « est la vision troublée du petit Morgan reflétée dans la vision, également assez troublée, de son ami dévoué. »" (Jean Pavans, présentation, page 12). Version originale | Pierre Leyris (10/18) | Jean Pavans (La Différence) | François Piquet (Pléiade) | As for Pemberton’s own estimate of his pupil, it was a good while before he got the point of view, so little had he been prepared for it by the smug young barbarians to whom the tradition of tutorship, as hitherto revealed to him, had been adjusted. Morgan was scrappy and surprising, deficient in many properties supposed common to the genus and abounding in others that were the portion only of the supernaturally clever. One day his friend made a great stride: it cleared up the question to perceive that Morgan was supernaturally clever and that, though the formula was temporarily meagre, this would be the only assumption on which one could successfully deal with him. He had the general quality of a child for whom life had not been simplified by school, a kind of homebred sensibility which might have been as bad for himself but was charming for others, and a whole range of refinement and perception—little musical vibrations as taking as picked-up airs—begotten by wandering about Europe at the tail of his migratory tribe. | "Quant au jugement qu'il portait lui-même sur son élève, Pemberton fut assez long à le mettre au point, fort mal préparé qu'il était à ce propos par les jeunes barbares avantageux auxquels il avait appliqué jusqu'alors les normes traditionnelles du préceptorat. Morgan était décousu, surprenant, il manquait d'un grand nombre de qualités supposées communes à l'espèce, mais abondait en dons qui étaient l'apanage d'une intelligence extaordinaire. Un jour son ami fit un grand pas : il comprit une fois pour toutes que Morgan était bien, en effet, extraordinairement intelligent et que, si squelettique, que fût cette formule; elle constituait la seule assertion sur laquelle on pût s'appuyer pour réussir auprès de lui. Il avait en général le tempérament d'un enfant pour qui la vie n'a pas été simplifiée par le collège, une sensibilité modelée à la maison, qui risquait de lui porter préjudice mais qui était charmante pour autrui, tout un clavier enfin de sensibilités et de raffinements - petites vibrations musicales aussi prenantes que des ritournelles ramassées çà et là - qui lui venaient d'avoir erré à travers l'Europe à la suite de sa tribu nomade." (page 33) | "Quant à l'idée personnelle que Pemberton se fit de son élève, elle fut longue à se former, tant il y avait été peu préparé par les petits barbares prétentieux pour qui avait été conçue la tradition des précepteurs, telle qu'il l'avait découverte. Morgan était déficient et surprenant, dénué de plusieurs qualités supposées communes à l'espèce et doué d'autres qui étaient le lot des intelligences surnaturelles. Un jour Pemberton franchit un grand pas : il régla la question en décidant que Morgan était en effet surnaturellement intelligent, et que, même si cette formule étant [sic] encore insatisfaisante, c'était la seule base sur laquelle on pouvait correctement traiter avec lui. Il avait la nature d'un enfant pour qui la vie n'avait pas été simplifiée par l'école, avec une sorte de sensibilité qu'il s'était formée tout seul, et qui risquait d'être mauvaise pour lui, mais qui était charmante pour les autres, et toute une gamme de perceptions raffinées, de petites vibrations musicales captivantes comme un refrain envoûtant, et produites par des errances à travers l'Europe, dans le sillage de sa tribu migratoire." (page 315). | "Quant au jugement qu'il portait sur son élève, Pemberton fut assez long à l'arrêter, fort mal préparé par les jeunes barbares imbus d'eux-mêmes pour qui semblaient faites tout exprès les règles traditionnelles du préceptorat, telles qu'elles s'étaient à ce jour révélées à lui. Morgan était déroutant, le résultat d'une surprenante combinaison : il présentait des lacunes et un grand nombre de qualités supposées communes à l'espèce lui faisaient défaut ; mais il avait bien d'autres dons qui étaient l'apanage d'une intelligence hors du commun. Son ami franchit un cap décisif le jour où il saisit une bonne fois pour toutes que Morgan était d'une intelligence hors du commun et que, sans l'ombre d'un doute, c'était le seul postulat (si schématique qu'il fût dans l'immédiat) sur lequel s'appuyer pour communiquer avec lui. Il avait le tempérament d'un enfant pour qui la vie n'avait pas été simplifiée outre mesure par le collège, une sensibilité qui, parce qu'elle avait été modelée au foyer familial, aurait pu lui porter préjudice mais qui s'avérait charmante pour son interlocuteur, tout un clavier enfin de perceptions raffinées, petites vibrations musicales aussi prenantes que des ritournelles glanées çà et là qui lui venaient d'avoir erré à travers l'Europe à la suite de sa tribu migrante." (page 322).
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La Pléaide note que " comme ses frères, James était un habitué des hôtels, et il gardait un souvenir vivace des angoisses engendrées par le manque d'argent, en particulier pendant la crise américaine de 1856-1857 [...]. Rien de surprenant, donc, dans l'acuité avec laquelle James perçut toutes les ambiguïtés de la situation de cet autre petit garçon précoce, comme il fut lui-même, à une expérience perturbante mais combien exaltante d'étrangéisation, la nécessité de recréer l'illusion de la sécurité morale et affective dans la solitude des hôtels meublés et le tête-à-tête obligé avec gouvernantes et précepteurs - véritables substituts parentaux." (notice, page 1364).
Dernière édition par eXPie le Dim 24 Mar 2013 - 22:07, édité 12 fois | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Henry James Dim 24 Mar 2013 - 20:33 | |
| Les deux versions les plus littéraires sont celles de Jean Pavans et celle de François Piquet (La Pléiade). Toutefois, la traduction de Jean Pavans est parfois à la limite de l'incompréhensible. Par exemple, à un moment, le précepteur et son tout jeune élève peuvent acheter des livres d'occasion : Version originale | Pierre Leyris (10/18) | Jean Pavans (La Différence) | François Piquet (Pléiade) | Such occasions helped them to live, for their books ran low very soon after the beginning of their acquaintance. | "Ces aubaines les aidaient à vivre, car ils s'étaient trouvés à court de lecture fort peu de temps après le début de leur relation." (page 41). | "C'étaient des occasions qui les aidaient à vivre, car leurs lectures s'achevaient très vite après qu'ils avaient ouvert leurs livres." (page 318). | "Ces occasions les aidaient à vivre, car ils s'étaient trouvés à court de livres fort peu de temps après le début de leurs relations." (page 328).
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Mais un des défauts majeurs de la version Pavans (en plus du fait qu'il oublie parfois les points d'interrogation à la fin des phrases interrogatives... problème de relecture ? c'est probable, vu qu'il reste aussi quelques bouts de phrases comme "[...] avait quelque chose avoir avec [...]", page 330) est que le précepteur tutoie son élève ! Je veux bien que, en anglais, ça reste "you". Mais pas en français. Imagine-t-on un précepteur dans une famille "bien", à la fin du XIX° siècle, qui tutoierait son élève ? Bien sûr que non : il le vouvoie. Pourquoi avoir choisi le tutoiement ? Uniquement pour montrer la complicité entre le précepteur et son élève ? Quand même pas, je l'espère... L'Elève est une bonne nouvelle, finalement assez claire, donc moins sujette à interprétations que d'autres textes, par exemple le suivant dans l'édition 10/18 ( l'Image dans le Tapis) Olivier Schatzky l'a adaptée en 1996, avec Vincent Cassel (impeccable), Jean-Pierre Marielle, et Caspar Salmon, qui n'a pas fait carrière. J'avais trouvé bien à l'époque... il faudrait que je le revoie. | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
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| Sujet: Re: Henry James Lun 25 Mar 2013 - 22:47 | |
| Couverture version Points : G. Clausen : La Visite (détail), collection particulière ; version Babel : Félix Vallotton, Bouquet (détail), 1919. Musée d'Art et d'Histoire, Genève. 2/ L'Image dans le tapis ( The Figure in the carpet, 1896) Traduction de Marie Canavaggia. 58 pages en version 10/18. Il s'est trouvé que j'avais sous la main de nombreuses traductions différentes de ce texte, d'où un comparatif sans doute un peu excessif, mais qu'importe... La nouvelle est parfois intitulée Le motif dans le tapis. " Il convient ici de remarquer que le titre anglais, « The Figure in the carpet », contient le terme figure, impossible à restituer littéralement dans la traduction française, mais qui présente l'intérêt, dans la langue originelle, de contenir une ambiguïté, figure désignant non seulement un « chiffre », ou un « motif », mais aussi une silhouette." (La Pléiade, notice, page 1467) James a écrit ce texte après l'échec de sa pièce Guy Domville, en 1895. C'est important. Le narrateur est un jeune journaliste littéraire. Il apprécie beaucoup les oeuvres d'un grand écrivain, Vereker. Or, il est invité pour un week-end chez des gens, à la campagne, et il sait que cet écrivain va également s'y trouver. A table, Vereker parle (car il a été interrogé à ce sujet) de l'article que notre journaliste a écrit sur son dernier roman. " - Oh, c'est très bien ! Les fadaises habituelles." (page 261). Le problème, dit-il, c'est que l'auteur de l'article "Ne voit rien du tout." Mais ne voit pas quoi ? Le narrateur parvient à parler avec Verdeker en tête-à-tête. Le romancier lui parle des articles littéraires des journaux : Texte original | Marie Canavaggia, 1957 (10/18) | Michel Gauthier et/ou John Lee et/ou Benoît Peeters (Points) | Elodie Vialleton, 1997 (Babel) | Pavans, 2004 (La Différence) | Pierre Fontaney (Pléiade) | But I used to read them sometimes—ten years ago. I dare say they were in general rather stupider then; at any rate it always struck me they missed my little point with a perfection exactly as admirable when they patted me on the back as when they kicked me in the shins. Whenever since I’ve happened to have a glimpse of them they were still blazing away—still missing it, I mean, deliciously. You miss it, my dear fellow, with inimitable assurance; the fact of your being awfully clever and your article’s being awfully nice doesn’t make a hair’s breadth of difference. It’s quite with you rising young men,” Vereker laughed, “that I feel most what a failure I am!” | "mais il m'arrivait de les lire il y a dix ans. Je dois dire qu'en ce temps-là ils étaient en général plus ineptes qu'à présent. En tout cas, ils me faisaient toujours l'effet de passer à côté de ma trouvaille avec une perfection aussi admirable lorsqu'ils me donnaient dans le dos de petites tapes d'encouragement que lorsqu'ils m'envoyaient des coups de patte. Depuis, toutes les fois qu'il m'est arrivé de jeter un coup d'oeil à leur prose, les critiques m'ont fait l'effet de continuer leur feu roulant en pure perte, je veux dire de passer à côté du principal en ignorant à merveille son existence. Vous êtes, vous, mon cher, passé à côté avec une assurance inimitable ; le fait que vous faisiez preuve d'infiniment d'intelligence et de gentillesse n'y changeait rien. C'est quand j'ai affaire à des jeunes gens d'avenir, conclut Vereker en riant, que je mesure toute l'étendue de mon échec !" (pages 104-105) | "[...] mais je les lisais de temps à autre voici dix ans. Je crois bien qu'en général ils étaient encore plus stupides à cette époque ; en tout cas, il me semblait toujours qu'ils passaient à côté de ma petite astuce avec une perfection aussi remarquable lorsqu'ils me gratifiaient des claques d'encouragement dans le dos que lorsqu'ils m'envoyaient des coups de pied dans les tibias. Depuis, chaque fois qu'il m'est arrivé de jeter un coup d'œil sur leurs textes, ils continuaient à manquer la cible, à la manquer avec délectation. Vous-même l'avez manquée, mon cher, avec une inimitable assurance ; le fait que vous soyez terriblement intelligent et que votre article soit terriblement aimable ne change rien à l'affaire. C'est d'abord avec vous, jeunes gens pleins d'avenir, conclut Vereker en riant, que je sens à quel point j'ai échoué !" (pages 263-264).
| "Mais je les lisais de temps en temps autrefois... il y a dix ans. Je dois dire que, d'une manière générale, ils étaient relativement plus stupides à l'époque ; quoi qu'il en soit, j'ai toujours été frappé de constater qu'ils passaient à côté de mon petit propos avec une perfection tout aussi admirable lorsqu'ils me complimentaient que lorsqu'ils me critiquaient. Depuis, chaque fois que j'ai eu l'occasion de jeter un coup d'oeil à l'un d'eux, j'ai vu qu'ils n'avaient pas perdu leur ardeur - je veux dire qu'ils passaient toujours délicieusement à côté. Vous aussi, mon cher, vous passez à côté, avec une assurance inimitable ; que vous soyez terriblement intelligent et que votre article soit terriblement gentil ne changent rien à l'affaire. C'est exactement avec vous autres, jeunes gens en pleine ascension, dit Vereker en riant, que je me rends compte de l'étendue de mon échec." (pages 20-21)
| "Mais je les lisais parfois... il y a dix ans. Je dirais qu'ils étaient en général plus stupides que maintenant ; en tout cas, j'avais toujours l'impression qu'ils manquaient très ponctuellement ma petite intention, aussi bien lorsqu'ils me tapotaient l'épaule que lorsqu'ils me donnaient un coup dans les tibias. Depuis, chaque fois que j'y jette un coup d'oeil, je constate qu'ils brillent de la même façon... je veux dire qu'ils manquent mon intention avec toujours autant d'exactitude. Vous l'avez manquée, mon cher garçon, avec une assurance inimitable ; le fait que vous soyez terriblement intelligent et que votre article soit terriblement bon ne fait pas la moindre différence. C'est vraiment avec des jeunes gens prometteurs comme vous, fit en riant Vereker, que je sens à quel point je suis un raté !" (page 822) | "Mais il m'arrivait parfois de les lire, il y a de cela une dizaine d'années. Je crois pouvoir dire qu'ils étaient en général plus stupides à cette époque-là, ou du moins il m'a toujours semblé qu'ils passaient à côté de la petite idée que je voulais exprimer, et ceci avec une perfection tout aussi confondante lorsqu'ils me tapotaient gentiment le dos que lorsqu'ils me donnaient des coups de pied dans les tibias; Toutes les fois où il m'est arrivé depuis d'y jeter un coup d'oeil, c'était pour trouver qu'ils continuaient à discourir... et à passer délicieusement à côté d'elle, mon cher ami, avec une inimitable assurance ; le fait que vous soyez extrêmement fin et que votre article soit extrêmement aimable ne fait pas l'ombre d'une différence. C'est vraiment avec vous autres, jeunes gens qui montez, dit Vereker en riant, que je mesure le mieux mon échec ! »" (page 1127)
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Ce qui est frappant, lorsque l'on met à côté ces différentes versions, est la traduction du fameux "little point", qui est le pivot de la nouvelle. On a cinq traducteurs, et cinq traductions différentes, pour un mot en apparence extrêmement banal : ma trouvaille, ma petite astuce, mon petit propos, ma petite intention, ma petite idée. Incroyable, non ? Comme si chaque traducteur/traductrice avait jeté un oeil sur les copies de ses petits camarades pour être certain de ne pas traduire de la même façon... Cela montre en tout cas bien l'ambiguïté, la difficulté à saisir ce "little point". Deux autres remarques anecdotiques, avant de continuer : dans la version Pavans, "bon" est ambigu : il peut très bien être compris comme "excellent", alors que James voulait dire "gentil". C'est un détail, bien sûr. De plus, c'est le seul chez qui on tapote l'épaule au lieu du dos...
Dernière édition par eXPie le Dim 31 Mar 2013 - 20:14, édité 5 fois | |
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