Henry James

Gabrielle de Bergerac

Monsieur de Bergerac, homme âgé et baron de son état, a des dettes. Assez importantes et contractées auprès d’une amie, jeune, dont il ne pourra jamais s’acquitter. Homme au cœur honnête, il s’en ouvre à elle et lui propose en guise de remboursement de lui céder l’un des tableaux trônant dans la galerie de son château de famille. La dame accepte et jette son dévolue sur la seule toile ayant de la valeur à ses yeux : un portrait de Mademoiselle de Bergerac, tante du baron. Elle n’en prendra possession qu’après la mort de l’homme afin de lui en laisser la jouissance. Monsieur de Bergerac entreprend alors de lui conter ses souvenirs d’enfant au sujet de l’histoire de Gabrielle, la jeune sœur de son père.
Une très belle nouvelle, tendre et souvent un peu naïve : ce sont les souvenirs d’un enfant de dix ans qui ne comprenait pas tout ce qui l’entourait. Bien sûr, l’homme adulte est capable d’expliquer certains points que l’enfant n’avait pas perçus. Mais des zones d’ombre demeurent concédant à la jeune fille (âgée de 21 ans au moment des faits) une part de mystère et de noblesse. Récit souvent très narratif, romanesque et émouvant d’une histoire d’amour entre deux personnages que tout devait opposer dans cette société de castes de fin d’Ancien Régime.

La Maîtresse de M. Briseux

M. Briseux vient de décéder. Il était un grand peintre et sa mort fait flamber les prix de ses toiles et conduit le narrateur à visiter un petit musée qui lui est consacré. Devant la toile qui l’a fait connaître, se trouve une femme âgée que le narrateur identifie comme étant le modèle du portrait peint par l’artiste. La retrouvant plus tard assise sur un banc de la promenade locale, il l’aborde : elle lui conte alors l’histoire de sa jeunesse et les évènements qui se sont enchainés jusqu’à sa rencontre avec M. Briseux.
Une nouvelle très narrative, aux paragraphes compacts et s’étalant fréquemment sur plusieurs pages. Elle est posée et jette un regard lucide et honnête sur son propre passé qu’elle confie volontiers à l’inconnu assis à côté d’elle. Les souvenirs sont lointains, les personnages décédés. Nous sommes dans le midi de la France, le temps est clément, la température douce et la conversation agréable.
Un bon moment pour ces deux personnages et un bon moment pour le lecteur.

Quatre Rencontres

Un homme nous raconte les quatre occasions au cours de laquelle il a rencontré Caroline Spencer, une américaine qui vient tout juste de décéder. Quatre rencontres rapportées dans l’ordre chronologique entre Grimwinter aux Etats-Unis et Le Havre.
Encore une nouvelle fort plaisante, toujours très bien écrite et qui se lit très facilement.



Rose-Agathe

Un homme attend un ami à déjeuner. Et cet ami est en retard. Pour patienter, il décide de guetter son arrivée depuis son balcon qui surplombe une rue parisienne. De son poste d’observation, il remarque la femme du coiffeur dans l’échoppe de ce dernier en face de son domicile. Il tombe immédiatement sous le charme et s’abîme dans une contemplation heureuse. Au bout d’un instant, il remarque son ami, collectionneur de diverses babioles hétéroclites, en faction devant ladite devanture.
Au cours du repas, son ami déclare être tombé subitement amoureux, ce que conçoit naturellement l’hôte.
Le spoiler dévoile l'intrigue :

Spoiler:

Une nouvelle très attrayante et fort drôle.

Les Papiers de Jeffrey Aspern (The Aspern Papers,traduit de l'anglais par M. Le Corbeiller). Bibliothèque cosmopolite, Stock. 147 pages.
Le roman commence ainsi :

Citation :

"J'avais mis Mrs Prest dans ma confidence : à la vérité, sans elle, j'aurais bien peu avancé mes affaires, car l'idée féconde qui conduisit toute l'entreprise me vint par ses lèvres amies. [...]
Mrs Prest ne savait rien des papiers, mais s'intéressait à ma curiosité, comme à toutes les joies et tous les chagrins amis. Tandis que nous allions, glissant dans sa gondole au toit sociable, l'étincelant tableau vénitien s'encadrant à droite et à gauche dans la petite fenêtre mobile, je vis que mon ardeur l'amusait vraiment beaucoup et qu'elle considérait mon intérêt dans un butin possible comme un beau cas de monomanie."

(pages 7-9 ; la traduction paraît un peu bizarre... la volonté de "faire vieux", peut-être ?).

Le narrateur cherche à mettre la main sur un paquet de lettre de Jeffrey Aspern, un poète.

Citation :

"Elle affecta de traiter légèrement son génie et je ne pris aucune peine pour défendre mon dieu : son dieu est par soi-même sa propre défense. D'ailleurs, aujourd'hui, après sa longue période d'obscurité relative, il brille haut au firmament de notre littérature, ainsi que chacun peut le voir ; il est une part de la lumière qui éclaire notre chemin. Tout ce que j'en dis fut que, sans doute, ce n'était pas un poète de femmes ; ce à quoi elle répondit assez heureusement qu'il avait été celui de miss Bordereau." (pages 9-10).

Miss Bordereau, c'est la vieille femme (mais avant d'être vieille, longtemps, très longtemps auparavant, elle fut jeune, et aimée de Jeffrey Aspern) qui possède ces fameux papiers, et qui ne veut pas les montrer aux exégètes du grand poète. Qui sait ce que contiennent ces papiers ! Et que c'est rageant de savoir que pas bien loin, quasiment à portée de main, se trouvent peut-être des oeuvres inédites, ou du moins des textes qui pourraient éclairer d'une lumière inédite les oeuvres du poète...
La vieille vit recluse avec sa nièce dans un vieux palais de Venise.

Citation :

"La gondole s'arrêta, le vieux palais était devant nous ; c'était une de ces maisons qui, à Venise, portent ce noble nom jusque dans la plus extrême décrépitude. « Que c'est joli ! ce gris et ce rose ! » s'écria ma compagne ; c'était la description la plus juste qu'on eût pu faire. Le palais n'était pas remarquable par son ancienneté, il datait seulement de deux ou trois cents ans ; et sa vue ne donnait pas tant l'idée de de décadence que celle d'un découragement paisible, comme s'il avait en quelque sorte manqué sa carrière. Mais sa large façade, avcc son balcon de pierre régnant d'un bout à l'autre du piano nobile - ou premier étage avait une bonne allure architecturale grâce à ses pilastres et ses arcades diverses ; et le stuc, dont ses murs avaient autrefois été enduits, était d'un ton rosé en cet après-midi d'avril. [...]
« Je ne sais pourquoi.... il n'y a pas de pignons de briques, dit Mrs Prest, mais ce coin m'a déjà paru plus hollandais qu'italien plutôt Amsterdam que Venise. Il est anormalement propre pour quelque raison personnelle ; et, bien qu'il soit possible d'y passer à pied, c'est à peine si quelqu'un pense jamais à le faire. C'est aussi négatif - étant donné le lieu - qu'un dimanche protestant." (pages 13-14).

C'est vraiment bien écrit...

Comment notre héros va-t-il réussir à s'introduire dans la maison de cette vieille dame revêche ? Réussira-t-il à mettre la main sur ces fameux papiers ? Jusqu'où osera-t-il aller pour parvenir à ses fins ?

Un court texte vraiment très bon. La vieille dame et la nièce sont très bien "dessinées", la nièce un peu naïve à la jeunesse sacrifiée, et la vieille à la logique parfois impénétrable, mais pleine d'avarice. En gros.

eXPie a écrit:

Un court texte vraiment très bon. La vieille dame et la nièce sont très bien "dessinées", la nièce un peu naïve à la jeunesse sacrifiée, et la vieille à la logique parfois impénétrable, mais pleine d'avarice. En gros.

C'est l'une de mes nouvelles préférées.
Très bien écrit et l'intrigue est fort bien menée.

Portrait de femme

Je me replonge avec plaisir dans l'oeuvre romanesque d'Henry James, après avoir notamment découvert Les ailes de la colombe et Les Bostoniennes l'an passé.
Portrait de femme est à la fois plus accessible et plus limpide dans ses développements, et je suis toujours admiratif des vertiges narratifs dans lesquels l'écrivain nous emporte.
Son regard semble tour à tour extérieur et intérieur : il dresse un tableau d'ensemble, puis creuse la conscience des protagonistes, avec une précision et une délicatesse d'orfèvre.
Les enjeux du récit prennent vie au fil des pages...en apparence, Isabel Archer est une femme de certitudes, confiante en ses possibilités, observant un théâtre social avec le détachement de celle qui ne peut être blessée.
Mais brusquement, l'équilibre se dérobe et un renversement des perspectives s'établit : le miroir d'une existence pâlit soudain et l'émotion de la souffrance, même enfouie, obscurcit chaque mot. Henry James scrute les non-dits, le masque de la pensée derrière les paroles, et esquisse un constat bouleversant d'amertume. Qui doit précipiter un nouveau départ.

Madame de Mauves

Un homme, américain, à Saint Germain reconnaît une amie et compatriote au cours d’une flânerie printanière. Celle-ci lui présente madame de Mauves, américaine également et qui a épousé un baron français (monsieur de Mauves, donc). Mais madame ne respire pas le bonheur et l’amie demande au monsieur d’aller voir madame de Mauves et de la consoler : elle le mérite. Le monsieur accepte. Et de fil en aiguille tombe éperdument amoureux de la baronne.
Une nouvelle particulièrement belle, pleine d’émotion et extraordinairement bien écrite comme c’est d’usage chez Henry James dans laquelle raison et sentiments s’affrontent comme dans le livre de Jane Austen. Une perle !

Mrs Temperly

Un jeune américain est très amoureux de la jeune Dora (tout juste 17 ans). Il s’en ouvre à la mère de la jeune fille (qui se trouve être Mrs Temperly), une cousine éloignée. La mère trouve le projet prématuré et propose au jeune homme d’en reparler plus tard (elle et ses trois filles partent le lendemain s’installer à Paris pour y trouver ce qu’il y a de mieux. De mieux ? Dans quels domaines ? Tous les domaines !)
Cinq ans plus tard, le jeune homme traverse à son tour l’Atlantique. Il aurait aimé le faire plus tôt, mais son père a subi d’importants revers de fortune et sa santé s’est rapidement dégradée. Le jeune homme (peintre de bon goût mais de modeste talent) se retrouve donc appauvri et ne constitue plus qu’un parti honnête. Mais il peut encore entretenir une épouse assure-t-il à Mrs Temperly.
Mais le mariage ne s’annonce pas pour tout de suite…
Une courte nouvelle très agréable à lire dans lequel un jeune homme ayant de la suite dans les idées tente de pénétrer un redoutable matriarcat.

Compagnons de Voyage

Un homme (Mr Brook), fortuné et que personne n’attend au bureau, visite l’Italie. Devant la Cène de Léonard, il fait la connaissance d’une demoiselle (américaine) accompagnée de son vieux papa. Echange d’impression, de quelques mots. Puis chacun rentre chez soi. Mr Brook a néanmoins été impressionné. Retrouvailles à Venise, puis à Rome… Et idylle.
Une nouvelle « classique » d’Henry James dans laquelle un américain fortuné et oisif rencontre une jeune vierge fortunée, oisive et sur laquelle veille un chaperon. Beaucoup de description des monuments et des tableaux admirés par les protagonistes. Et donc souvent un peu longuet.

Harelde, j'ai au moins 4 ou 5 livres de Henry James dans ma PAL dont le très long 'Portrait of a Lady' et j'avoue que j'ai toujours un moment de recul devant le nombre de pages et les caractères serrés qui peuplent les pages. Comment fais-tu pôur en lire autant et si vite, est-ce que ce sont des nouvelles / novellas, je ne connais pas ces titres.
Ce que tu en dis me déciderait plutôt à revenir vers mes vieux livres...Je n'ai lu que Ce Que Savait Maisie et Le Tour d'Ecrou pour le moment. J'avais adoré.

Ceci dit il faut vraiment que je m'y mette.

(tiens je n'avais pas fait attention à la taille de la police dans mon exemplaire de Portrait of a lady... va falloir des vacances pour celui là aussi).

domreader a écrit:

Harelde, j'ai au moins 4 ou 5 livres de Henry James dans ma PAL dont le très long 'Portrait of a Lady' et j'avoue que j'ai toujours un moment de recul devant le nombre de pages et les caractères serrés qui peuplent les pages. Comment fais-tu pôur en lire autant et si vite, est-ce que ce sont des nouvelles / novellas, je ne connais pas ces titres.
Ce que tu en dis me déciderait plutôt à revenir vers mes vieux livres...Je n'ai lu que Ce Que Savait Maisie et Le Tour d'Ecrou pour le moment. J'avais adoré.

Ceci dit il faut vraiment que je m'y mette.

Les autres gros livres de James, (Les Ambassdeurs, La Coupe d' or) je ne les relirai peut etre pas.
Les nouvelles, oui, je les relis...
Mais Portrait d' une dame, a été un enchantement...
Mais bon, tout cela est subjectif...

domreader a écrit:

Harelde, j'ai au moins 4 ou 5 livres de Henry James dans ma PAL dont le très long 'Portrait of a Lady' et j'avoue que j'ai toujours un moment de recul devant le nombre de pages et les caractères serrés qui peuplent les pages. Comment fais-tu pôur en lire autant et si vite, est-ce que ce sont des nouvelles / novellas, je ne connais pas ces titres.
Ce que tu en dis me déciderait plutôt à revenir vers mes vieux livres...Je n'ai lu que Ce Que Savait Maisie et Le Tour d'Ecrou pour le moment. J'avais adoré.

Ceci dit il faut vraiment que je m'y mette.

Je ne lis pas tant que ça. Tous les derniers textes de Henry James que j'ai lu sont des nouvelles de 50 à 100 pages. Ca se lit donc vite.
Pas encore lu Portrait de femme. Un livre qui est sur ma PAL depuis pas mal de temps.
Une petite LC un de ces 4 ?

Autour d’Isella

Un américain aisé voyage en Europe. Il quitte la Suisse un peu trop aseptisée à son goût pour se rendre en Italie où il projette de retrouver sa fiancée. Ils doivent se marier prochainement. A Rome, peut-être. Dans une petite auberge sous le col du Simplon (sur le versant italien), il fait la connaissance d’une dame (italienne) qui semble pressée. A la suite d’un repas durant lequel l’hôtelier (entremetteur) est parvenu à les mettre en relation, la dame se confie à son vis-à-vis. Elle fuit un époux qui lui a été imposé et court rejoindre l’homme qu’elle aime et qui l’attend à Genève.
Une nouvelle empreinte de romantisme dans laquelle Henry James décrit la montagne avec lyrisme. Aucun temps mort dans ce cours texte au rythme aussi pressé que l’est la belle héroïne de mettre de la distance entre elle et son mari qui la poursuit. Et petite originalité, les deux protagonistes ne terminent pas ensemble (ni ne se marièrent, ni eurent beaucoup d’enfants).
Une nouvelle très agréable.