Cécile Wajsbrot

La Trahison

Citation :

Présentation de l’éditeur
" Que faisiez-vous pendant la guerre? " Louis Mérian ne sait que répondre à la question d'Ariane. Encore cette guerre, cinquante ans après? Le célèbre animateur de radio n'a rien fait, ni de mal ni de bien. Quand soudain remonte un souvenir d'une incroyable force : Sarah. Ariane Desprats, qui prépare une émission sur l'histoire de la radio, n'a pas connu cette guerre. Mais de nombreux membres de sa famille ont disparu dans les camps- et pèse, sur sa vie, le silence de tout un pays.

Cela fait plus de dix ans que j’ai lu ce livre et ayant l’envie de voir Cécile Wajsbrot au portail, je me suis dit que j’allais en même temps faire une (re)lecture.

Cette auteure dispose d’un certain « je ne sais quoi » et elle m’enchante à chaque tour.
Son écriture est facile d’accès et on se retrouve vite au centre de ses récits. Des histoires diversifiées qu’on peut supposer que chaque lecteur peut trouver son compte. Autant que j’aime bien me retrouver avec des mondes connus (cf Modiano, Antunes), autant j’aime si un auteur m’embarque avec chaque nouveau livre dans un univers différent.

Dans La Trahison on se retrouve avec le sujet du traitement des événements sous le régime de Vichy dans les années 40. Après la fin de la guerre, l’oubli collectif semble fonctionner à merveille.
C’est aussi le cas pour notre ‘héros’ Louis Mérian. Jusqu’au jour où cette journaliste entre dans sa vie et rien que par le fait qu’elle ressemble à quelqu’un qu’il avait oublié, elle va faire remonter ces souvenirs lointains et changer du jour au lendemain sa vie.
Se voir confronté avec son passé, Louis Mérian ne va plus choisir la voie facile…

Non, ce livre n’est pas lourd ou plein de mauvais sentiments. Cécile Wajsbrot a réussi de montrer la transformation d’idées à partir du moment qu’on est prêt de se livrer à son passé.

Une fois de plus j’ai adoré ma rencontre avec un de ses livres… j’en suis fan… et je le reste.

Mémorial

Une femme attend sur le quai d'une gare un train qui n'arrive pas. S'engage alors un long monologue intérieur entrecoupé par des conversations avec des ombres, les ombres de ce père et de cette tante qu'elle a laissé derrière elle. Un père et une tante dont on comprend vite qu'ils sont à l'origine de ce voyage vers une ville et un pays dont on ne découvrira les noms qu'au milieu du récit. D'emblée, les jalons de l'histoire sont posés et reposeront sur l'impossible oubli, sur l'oppression du silence généré par une famille exilée qui refuse de se retourner, de regarder en arrière et de transmettre à sa descendance les mots qui permettent de regarder demain.

On ne s'étonnera donc pas de l'absence totale du vocable attendu : pas une seule fois le mot juif n'apparaitra dans ce long monologue, une fois l'occurrence 'occupation nazie' surviendra tardivement et cette absence est un aveu, l'aveu d'un silence impossible à détruire, le silence d'un père, d'une tante et d'une grand-mère qui ne voulurent pas parler, raconter l'exil forcé, la peur, la traque, le pogrom. Un silence qui se répercute de manière tangible, indépassable dans la vie de notre narratrice : incapable de rester, incapable de partir, incapable de construire, incapable de détruire, de dire 'au-revoir' à un passé dont personne ne parle et contre lequel elle se heurte inexorablement.

Il y a quelque chose de désespéré dans la tentative de notre narratrice d'aller à la fois dans la ville quittée par ses parents et de fouir à l'intérieur d'elle-même, alors que les voix de ce père et de cette tante la hantent nuit et jour. Un père et une tante, eux-mêmes atteints par la maladie d'Alzheimer, maladie qui les précipite dans l'oubli, l'oubli de tout et exile définitivement notre narratrice dans les limbes. Sans nom, sans numéro de rue, sans histoires familiales, elle ne peut que errer dans les rues de la ville et rêver d'un abandon total.

Ce livre est d'une beauté étouffante, la voix qui parvient à s'échapper du long retour sur soi est pleine de ressassement et de ressentiment mais aussi d'un léger espoir : l'espoir de pouvoir enfin trouver sa place dans le monde, dans 'son' temps, une place qui lui apporterait la paix et cette paix elle ne peut la trouver qu'en remontant les traces quasiment invisibles d'un passé qui s'efface, d'un passé que tout le monde tente d'oublier mais que personne ne parvient à dépasser.

Je suis très contente d'avoir pris le train avec Cécile Wajsbrot, très contente d'avoir passé quelques heures en sa compagnie, avec le sentiment très dense d'avoir été un réceptacle à ses questionnements, à son errance, à ses désirs. Ce texte est à la fois très intime et universel, il appelle au silence et cherche en même temps à le détruire, il crie et bâillonne, il est parfois lourd mais c'est ce qui le rend tangible, prégnant. Beaucoup de livres ont été écrits sur la Shoah, moins nombreux sont ceux qui parlent de la douleur, de l'angoisse, de l'impossible oubli des descendants, c'est ce que tente et réussit Cécile Wajsbrot, avec pudeur et avec rage.

Merci kenavo d'avoir parlé de cette auteure, je pense revenir très vite vers elle...

shanidar a écrit:

Merci kenavo d'avoir parlé de cette auteure, je pense revenir très vite vers elle...

oh, merci à toi pour ce sublime commentaire
je n'ai pas encore lu ce livre, mais voilà qu'il se trouve sur ma LAL!!

kenavo a écrit:

La trahison



Une fois de plus j’ai adoré ma rencontre avec un de ses livres… j’en suis fan… et je le reste.

Oui pour moi aussi !
une belle réflexion sur le sens de l'oubli quasi amnésique par instinct de survie et de la nécessité de retrouver son passé avant de tirer sa dernière révérence ....Un ouvrage plein de sensibilité et de pudeur pour aborder certaines conséquences de l'histoire dans la petite histoire de chaque individu , les" blessures de guerre" qui n'épargnent personne et qui se perpétuent  de génération en génération en l'absence de devoir de mémoire .

contente de te lire
de son cycle Haute Mer, je pense qu'Île aux musées pourrait te plaire

Beaune-la-Rolande

Citation :

Présentation de l’éditeur
A Beaune-la-Rolande, dans le Loiret, des milliers d'hommes ont été internés dès 1941 avant d'être déportés dans les camps d'extermination. Parmi eux, le grand-père de l'auteur, mort deux mois après son arrivée à Auschwitz. Chaque année, une cérémonie a lieu à Beaune-la-Rolande, à laquelle se rendent, avec leur famille, les survivants, de plus en plus rares. Des dizaines d'années plus tard, la blessure demeure

Après le commentaire de Shanidar concernant Mémorial, j’ai découvert ce court texte de Cécile Wajsbrot qu’elle a publié l’année d’avant.

Le grand-père, qu’elle n’a jamais connu, faisait quand même partie de la famille. Chaque année Cécile Wajsbrot accompagnait sa mère et sa grand-mère à Beaune-la-Rolande pour cette journée de commémoration.

Cécile Wajsbrot est née des années après la fin de la deuxième guerre mondiale, le grand-père va quand même être présent dans la famille et ce n’est que logique qu’elle se met à la recherche de ses traces.

Livre qui n’est probablement pas un ‘must’, à part si on veut s’approcher un peu plus de la biographie de cette auteure.

Totale éclipse

J'ai découvert avec intérêt Cécile Wajsbrot, mais j'ai eu des difficultés à m'attacher à cet ouvrage dont les chapitres empruntent des titres de chansons (débutant par Famous blue raincoat de Leonard Cohen). La narratrice, photographe en errance à Paris, retrace ainsi des souvenirs liés à des instants précis, à des sensations passagères, à des évènements.

L'idée est audacieuse et certains passages m'ont séduit, sans y trouver mon compte en l'absence d'une continuité et d'une cohérence. L'introduction de personnalités à l'intérieur de l'ouvrage (les relations entre Joan Baez et Bob Dylan, les circonstances de la mort de John Lennon) m'a semblé trop laborieuse pour être emporté par la poésie du texte.

oui, en effet, pas le meilleur de ses livres pour faire connaissance...

C'est ce que j'ai pensé, kenavo, mais je n'avais pas d'autre livre de Wajsbrot immédiatement disponible et ce fut tout de même une expérience atypique, à défaut d'être satisfaisante.

je te souhaite alors qu'un autre de ses livres va croiser ton chemin un de ces jours

pas beaucoup d'offres à ma médiathèque de ces 3, lequel me conseilleriez vous pour une première rencontre ?

Conversations avec le maître - Sentinelles - La Fidélité : un horizon, un échange, une mémoire

Bédoulène a écrit:

Conversations avec le maître - Sentinelles - La Fidélité : un horizon, un échange, une mémoire

le premier et le deuxième font partie de son cycle Haute mer qui parle d'art, dans Conversations avec la maître il s'agit surtout de musique, dans Sentinelles l'art vidéo, le troisième m'est inconnu
difficile de trancher sur ces choix

merci Kena

je tenterai peut-être le 3ème qui me permettra de la connaître je pense

Conversations avec le maître

Difficile d'entrer dans ce livre à la drôle d'atmosphère parce que de conversations, il n'y en a pas et qu'il s'agit plutôt d'un long monologue d'une narratrice, agrémenté ça et là par les phrases du maître. Le maître est un compositeur qui rêve d'écrire un Requiem mais qui a peur de mourir avant d'avoir achevé sa composition ; le maître est un créateur solitaire qui déverse sur notre narratrice son mal de vivre, son intransigeance et ses grands principes. Il impose, il s'impose et la jeune femme qui lui rend visite chaque jour pour prendre un thé devient un réceptacle de la Parole, sans se permettre aucune réponse tant elle est submergée par la figure du maître. Et puis, la narratrice ne retourne pas prendre le thé et après avoir appris sa mort elle commence à écrire ce qu'il lui disait dans un cahier qui, en quelque sorte, remplace le monologue ombrageux du maître de musique.

Le récit de Wajsbrot est à prendre ou à laisser, il passe ou il casse, le lecteur adhère ou las le lâche. Pour ma part, j'ai fini par plonger complètement dans l'univers triste, alangui, mélancolique de notre narratrice, jeune femme effacée, solitaire, silencieuse, obsédée par les visages des disparus qu'elle invoque chaque soir sur son écran d'ordinateur et par la visite bien réelle d'une femme sans-papiers. Cécile Wajsbrot déploie sa narration comme les pêcheurs tendent leur filet et ce qu'elle remonte de la plongée dans les abysses de sa narratrice amène le lecteur à des réflexions sur la solitude et la solidarité, sur la création et sa réception, sur le silence du monde et le silence en soi…

Habitée par un sens aigüe du drame, de celui qui se profile lentement autour de la figure du maître, Cécile Wajsbrot parvient à faire entendre les musiques contrastées d'un homme sur le déclin, aride et aigri et d'une jeune femme touchante, malléable et désorientée. De ces deux destins antinomiques, Wajsbrot tire une musique douce, pleine d'un moderato qui sied à la langueur de sa narratrice et aux sourdes interrogations qui émaillent son existence.


Un très beau texte, très réflexif et qui sous des allures peut-être un peu convenues au début amène à de grandes profondeurs.

N.B : Après avoir lu le commentaire de kenavo, j'ai l'impression que nous nous retrouvons très bien dans le plaisir de lire un roman qui se veut avant tout littéraire, construit, introspectif que purement narratif et tout comme kena je suis allée écouter la musique de Takashi Yoshimatsu, une musique très douce qui rappelle assez bien la douceur de la langue de l'auteure, cette espèce de plénitude que l'on rencontre finalement si rarement...

ton commentaire est mon kif du jour, merci

shanidar a écrit:

N.B : Après avoir lu le commentaire de kenavo, j'ai l'impression que nous nous retrouvons très bien dans le plaisir de lire un roman qui se veut avant tout littéraire, construit, introspectif que purement narratif

si cela se trouve que c'est bien fait, oui
chez Cécile Wajsbrot je l'ai trouvé surtout dans cette trilogie de Haute Mer