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Sujet: Pierre Bourdieu [Sociologie] Jeu 28 Fév 2013 - 12:42
Pierre Bourdieu (1930- 2002)
Biographie :
Citation :
Né dans le Béarn, à Denguin, Pierre Bourdieu est le fils d'un facteur qui deviendra directeur de bureau de poste. Excellent élève, il est reçu à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm où il obtient l'agrégation de philosophie.
De 1958 à 1960, il échappe au service militaire en Algérie et enseigne la philosophie à la Faculté des Lettres d'Alger. C'est là qu'il décide de faire une carrière de sociologie et réalise différents travaux d'ethnologie.
En 1964, Pierre Bourdieu devient directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Il se fait connaître en fondant la revue "Actes de la recherche en sciences sociales" et est nommé professeur au Collège de France en 1981.
Dans ses travaux très variés, il analyse les différents domaines de la société en s'appuyant sur des concepts comme :
le champ, l'espace social avec ses luttes pour l'appropriation de biens ou la domination ; l'habitus, dispositions acquises par socialisation c'est-à-dire l'histoire intériorisée du corps avec son système de perceptions et d'actions ; le capital, qu'il soit économique, culturel, social ou symbolique ; la légitimité.
L'oeuvre sociologique de Pierre Bourdieu est dominée par une analyse des mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales. Il met en évidence l'importance des facteurs culturels (persistance des comportements acquis au sein du milieu d'origine) et symboliques dans les actes de la vie sociale.
Ses travaux de recherche s'accompagnent d'une action militante (pour l'indépendance de l'Algérie, pour le mouvement social, soutien aux sans-papiers, opposition au néolibéralisme...) et d'un engagement politique à gauche. Dans "La Misère du Monde" (1993), il s'intéresse aux populations les plus pauvres en montrant les causes sociales de la souffrance et en dénonçant notamment le désengagement de l'Etat commencé dans les années 70.
Reconnu internationalement comme l'un des maîtres de la sociologie contemporaine, Pierre Bourdieu a été l'un des rares intellectuels humanistes engagés de la fin du XXe siècle.
Source
Principales oeuvres :
Spoiler:
Citation :
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers : les étudiants et la culture, Paris, Les Éditions de de Minuit, coll. « Grands documents » (no 18), 1964, 183 p. Pierre Bourdieu et Alain Dardel, L'amour de l'art : Les musées et leur public, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1966 Pierre Bourdieu (dir.), Robert Castel (dir.), Luc Boltanski et Jean-Claude Chamboredon (préf. Philippe de Vendeuvre), Un art moyen : Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1965, 368 p. (ISBN 9782707300294) Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron, Le métier de sociologue : Préalables épistémologiques, Paris, Mouton de Gruyter, 1968, 357 p. (ISBN 3110174294) Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction : Éléments d’une théorie du système d’enseignement, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1970, 284 p. (ISBN 2707302260 et 9782707302267) Pierre Bourdieu, Esquisse d'une théorie de la pratique précédé de Trois études d'ethnologie kabyle, Genève, Droz, 1972, 269 p.
Cf. Esquisse d'une théorie de la pratique et Trois études d'ethnologie kabyle
Pierre Bourdieu, La distinction : critique sociale du jugement, Les Éditions de Minuit, 1979, 670 p. (ISBN 2707302759) Pierre Bourdieu, Le Sens pratique, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1980, 475 p. (ISBN 2707302988) Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Documents », 1980, 268 p. (ISBN 2707303259) Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire : l'économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982, 244 p. (ISBN 2213012164) Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1984, 302 p. (ISBN 2707306967) Pierre Bourdieu, Choses dites, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1987, 229 p. (ISBN 2707311227) Pierre Bourdieu, La noblesse d'État : grandes écoles et esprit de corps, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1989, 568 p. (ISBN 2707312789) Pierre Bourdieu, Les règles de l'art : genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1992 Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant, Réponses : pour une anthropologie réflexive, Paris, Seuil, 1992, 267 p. (ISBN 2020146754) Pierre Bourdieu (dir.), La misère du monde, Seuil, coll. « Points essais », 2007 (1re éd. 1993), 1 460 p. (ISBN 2020920921 et 782020920926) Pierre Bourdieu, Raisons pratiques : sur la théorie de l'action, Paris, Seuil, 1994, 251 p. (ISBN 2020300265) Pierre Bourdieu, Sur la télévision suivi de L'emprise du journalisme, Paris, Liber, coll. « Raisons d'agir », 1996, 95 p. (ISBN 2912107008) Réunit deux cours télédiffusés du Collège de France. Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, coll. « Liber », 1997, 316 p. (ISBN 2020320029) Pierre Bourdieu, « La domination masculine », Actes de la recherche en sciences sociales, no 84, septembre 1990, p. 2-31 Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l'économie, Paris, Seuil, coll. « Liber », 2000, 289 p. (ISBN 2020412950) Pierre Bourdieu, Science de la science et Réflexivité, Raisons d’agir, coll. « Cours et travaux », 2001, 200 p. (ISBN 9782912107145) Pierre Bourdieu, Le Bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Seuil, coll. « Points Essais », 2002, 266 p. (ISBN 9782020525701) Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d’agir, 2004 Pierre Bourdieu, Sur l'État : Cours au Collège de France (1989-1992), Paris, Seuil, 2012, 656 p. (ISBN 9782020662246) ouvrage publié par Patrick Champagne, Rémi Lenoir, Franck Poupeau et Marie-Christine Rivière à partir des notes de cours de Pierre Bourdieu
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colimasson Abeille bibliophile
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Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Jeu 28 Fév 2013 - 12:47
La Distinction (1979)
Je jette le livre loin de moi, stupéfaite : ce qui m’a poussée à le lire ne serait donc rien de plus, rien de moins, que la volonté de me distinguer en tant qu’individu propre (mais également, on le verra, en tant qu’individu déterminée par son appartenance à un milieu social particulier) par ce qui ressemble à des choix volontaires ? Rien ne serait donc anodin, pas même la décision du prochain livre que l’on aura envie de faire passer entre ses mains ? Où l’on apprendra que le goût, en matière littéraire comme ailleurs, dépend : 1) de son capital économique ; 2) de son capital scolaire ; 3) de la trajectoire individuelle que l’on est en espoir de suivre ; 4) de la trajectoire collective du milieu social auquel on appartient ; mais aussi de nombreux autres déterminants dont il semble difficile de faire l’énumération exhaustive.
Ceci dit, ce qui précède constitue-t-il vraiment une découverte ? Lire la Distinction, avant de dire quoi que ce soit sur la nature du lecteur, révèle déjà les soupçons que ce dernier pouvait nourrir à l’égard de l’apparente gratuité de ce que chacun défend et revendique en tant que goûts. Prenons l’exemple de la littérature : aussi différents que puissent être les habitus à cet égard –entre la lecture honteuse de B. C. ou la prétention scientifisante des Bernard Werber, entre l’étude maniaque de la Critique de la raison pure ou l’exhibition à seule volonté décoratrice et éloquente du Monde comme volonté et comme représentation-, les différents lecteurs se retrouvent à travers ce dessein : se définir et parler de soi par le biais de ses choix culturels. En langage sociologique, écoutez donc quelle serait la traduction de ce goût bien nommé, que l’on croit si individuel et propre à soi-même :
« Le goût, propension et aptitude à l’appropriation (matérielle et/ou symbolique) d’une classe déterminée d’objets ou de pratiques classés et classants, est la formule génératrice qui est au principe du style de vie, ensemble unitaire de préférences distinctives qui expriment, dans la logique spécifique de chacun des sous-espaces symboliques, mobilier, vêtement, langage ou hexis corporelle, la même intention expressive. »
Les choix culturels ne constituent donc pas l’unique référentiel mis en jeu dans le processus de la distinction, et c’est là où Pierre Bourdieu sait rendre son analyse complète, élaborée et stimulante. Nous ne cessons jamais de nous exprimer par le fait même que nous vivons, et tout mode de vie –qu’il soit totalement subi ou entièrement choisi- commence déjà à nous définir sur les échelles sociale et économique.
« L’effet du mode d’acquisition n’est jamais aussi marqué que dans les choix les plus ordinaires de l’existence quotidienne, comme le mobilier, le vêtement ou la cuisine, qui sont particulièrement révélateurs des dispositions profondes et anciennes parce que, situés hors du champ d’intervention de l’institution scolaire, ils doivent être affrontés […] en dehors de toute prescription ou proscription expresses […].»
En basant son étude sur des questionnaires culturels pertinents au moment de sa publication, dans les années 70, Pierre Bourdieu prend évidement le risque de limiter sa crédibilité à la seule décennie observée ; et s’il est vrai que certaines analyses semblent aujourd’hui dépassées, car encore trop profondément ancrées dans un contexte de classes sociales et économiques strictement distinctes, les références parfois obsolètes prises en considération dans ses questionnaires ne sont que des exemples emprunts à des catégories générales valables à chaque époque : art « difficile » contre art « facile », culture « populaire » contre culture «savante » ou avant-garde contre classicisme. Quelles que soient les références dont s’emparent les sujets comme prétexte à l’affirmation de l’identité sociale, les décennies passent mais les processus restent :
« Alors que l’ancien système tendait à produire des identités sociales bien découpées, laissant peu de place à l’onirisme social, mais aussi confortables et sécurisantes dans le renoncement même qu’elles exigeaient sans concessions, l’espèce d’instabilité structurale de la représentation de l’identité sociale et des aspirations qui s’y trouvent légitimement incluses tend à renvoyer les agents, par un mouvement qui n’a rien de personnel, du terrain de la crise et de la critique sociales au terrain de la critique et de la crise personnelles. »
La question du goût « inné », « acquis », que l’on ne « discute pas » devient, entre les pages de la Distinction, un objet mouvant difficile à cerner. L’acharnement de Bourdieu à en explorer tous les germes et incidences est grandiose, tant par la forme que par le fond. Dans la forme, le sociologue ne laisse rien au hasard et opte pour l’ascétisme et la rigueur du discours. Exemples et preuves à l’appui, il étaye ses considérations aussi largement que nécessaire, prenant à chaque fois une distance que l’on retrouve rarement chez ses pairs quant à la méthode sociologique. Les résultats de ses recueils de données sont ainsi interprétables à plusieurs niveaux : quant à ce qu’ils traduisent de l’image que les personnes interrogées ont cherché à refléter, et quant à ce qu’ils supposent de préjugés ou d’idées préconçues chez les chercheurs en sociologie.
« […] en imposant à tous, uniformément, des problèmes qui ne se posent qu’à quelques-uns, par une procédure aussi irréprochable que l’administration d’un questionnaire à réponses préformées à un échantillon représentatif, on a toutes les chances de produire de toutes pièces un simple artefact en faisant exister des opinions qui ne préexistaient pas à l’interrogation et qui ne se seraient pas exprimées autrement ou qui, exprimées autrement, c’est-à-dire par l’intermédiaire de porte-parole attitrés, auraient été toutes différentes […]. »
Dans le fond, Pierre Bourdieu nous entraîne également plus loin que prévu : le chemin emprunté par le goût individuel croise la route de la démographie, de l’économie ou du politique, renforçant cette idée que rien, dans les faits, gestes et pensées de l’individu, n’est gratuit ni provoqué par le hasard. Bien qu’il faille s’accrocher pour suivre les développements parfois complexes des analyses de Pierre Bourdieu, celui-ci tente toujours de se rendre le plus accessible possible en usant d’un vocabulaire clair et en multipliant les exemples révélateurs. Entre volonté de se rendre compréhensible et complexité du traitement d’un thème en apparence simpliste, il est simplement dommage que Pierre Bourdieu n’ait pas procédé à cette auto-analyse, qu’on imagine pourtant stimulante, qui aurait eu pour effet de chercher à comprendre quelle volonté de distinction entre en jeu dans l’écriture d’un essai forcément peu anodin…
G. Schalken, Le Gourmet
colimasson Abeille bibliophile
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Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Jeu 28 Fév 2013 - 13:20
Des extraits parmi les plus intéressants de la critique proposée par Bourdieu quant à l'analyse sociologique :
Citation :
« Il arrive en effet que l’absence d’une telle analyse préalable de la signification sociale des indicateurs rende tout à fait impropres à la lecture sociologiques les enquêtes les plus rigoureuses en apparence : ainsi, ignorant que la constance apparente des produits cache la diversité des usages sociaux qui sont faits, nombre d’enquêtes de consommation leur appliquent des taxinomie qui, tout droit sorties de l’inconscient social des statisticiens, rassemblent ce qui devrait être séparé […] et séparent ce qui pourrait être rassemblé […] : que dire, en effet, de l’ensemble de produits que découpe la catégorie apparemment neutre de « céréales », pain, biscottes, riz, pâtes, farine, et surtout des variations de la consommation qui est faite de ces produits selon les classes sociales lorsque l’on sait que le seul « riz » cache le « riz au lait » ou le « riz au gras », plutôt populaires, le « riz au curry », plutôt « bourgeois » ou, plus précisément, « intellectuel », sans parler du « riz complet » qui évoque à lui seul tout un style de vie ? »
Citation :
« Pareille à la photographie d’une partie de billes ou de poker qui fixerait le bilan des actifs, billes ou jetons, à un moment donné, l’enquête fixe un instant d’une lutte dans laquelle les agents remettent en jeu, à chaque instant, en tant qu’arme et en tant que mise, le capital qu’ils ont acquis dans les phases antérieures de la lutte et qui peut impliquer un pouvoir sur la lutte elle-même, et par-là un capital détenu par les autres. »
Citation :
« Il n’y a pas lieu d’examiner si est vrai ou fausse l’image insoutenable du monde ouvrier que produit l’intellectuel lorsque, se plaçant dans la situation d’un ouvrier sans avoir un habitus d’ouvrier, il appréhende la condition ouvrière selon des schèmes de perception et d’appréciation qui ne sont pas ceux que les membres de la classe ouvrière eux-mêmes mettent en œuvre pour l’appréhender : elle est vraiment l’expérience que peut avoir du monde ouvrier un intellectuel qui entre de manière provisoire et décisoire dans la condition ouvrière […]. »
Citation :
« […] en imposant à tous, uniformément, des problèmes qui ne se posent qu’à quelques-uns, par une procédure aussi irréprochable que l’administration d’un questionnaire à réponses préformées à un échantillon représentatif, on a toutes les chances de produire de toutes pièces un simple artefact en faisant exister des opinions qui ne préexistaient pas à l’interrogation et qui ne se seraient pas exprimées autrement ou qui, exprimées autrement, c’est-à-dire par l’intermédiaire de porte-parole attitrés, auraient été toutes différentes […]. »
Citation :
« Contre le discours ni vrai ni faux, ni vérifiable ni falsifiable, ni théorique ni empirique qui, comme Racine, ne parlait pas de vaches mais de génisses, ne peut pas parler du Smig ou des maillots de corps de la classe ouvrière mais seulement du mode de production et du prolétariat ou des rôles et des attitudes de la lower middle class, il ne suffit pas de démontrer, il faut montrer, des objets et même des personnes, faire toucher du doigt –ce qui ne veut pas dire montrer du doigt, mettre à l’index-, et faire entrer dans un bistrot populaire ou sur un terrain de rugby, sur un terrain de golf ou dans un club privé, des gens qui, accoutumés à parler ce qu’ils pensent penser, ne savent plus penser ce qu’ils parlent. »
Des concepts souvent liés aux classes sociales (moins valables aujourd'hui ?)
Citation :
« Paradoxalement, la précocité est un effet de l’ancienneté : la noblesse est la forme par excellence de la précocité puisqu’elle n’est autre chose que l’ancienneté que possèdent de naissance les descendants des vieilles familles […]. […] le capital culturel incorporé des générations antérieures fonctionne comme une sorte d’avance (au double sens d’avantage initial et de crédit ou d’escompte) qui, en lui assurant d’emblée l’exemple de la culture réalisée dans des modèles familiers, permet au nouveau venu de commencer dès l’origine, c’est-à-dire de la manière la plus inconsciente et la plus insensible, l’acquisition des éléments fondamentaux de la culture légitime –et de faire l’économie du travail de déculturation, de redressement et de correction qui est nécessaire pour corriger les effets des apprentissages impropres. »
Mais aussi des passages d'une grande modernité :
Citation :
« Alors que l’ancien système tendait à produire des identités sociales bien découpées, laissant peu de place à l’onirisme social, mais aussi confortables et sécurisantes dans le renoncement même qu’elles exigeaient sans concessions, l’espèce d’instabilité structurale de la représentation de l’identité sociale et des aspirations qui s’y trouvent légitimement incluses tend à renvoyer les agents, par un mouvement qui n’a rien de personnel, du terrain de la crise et de la critique sociales au terrain de la critique et de la crise personnelles. »
Une vision économique de l'acte culturel :
Citation :
« L’appropriation exclusive d’œuvres sans prix n’est pas sans analogie avec la destruction ostentatoire des richesses : l’exhibition irréprochable de la richesse qu’elle permet est inséparablement un défi lancé à tous ceux qui sont incapables de dissocier leur être de leur avoir, d’accéder au désintéressement, affirmation suprême de l’excellence de la personne. et comme en témoigne par exemple le privilège accordé à la culture littéraire et artistique sur la culture scientifique ou technique, les détenteurs exclusifs de ce que l’on appelle « une grande culture » ne font pas autrement lorsqu’ils jettent dans le potlatch des rencontres sociales le temps qu’ils ont dépensé sans souci du profit immédiat dans des exercices d’autant plus prestigieux qu’ils ont plus inutiles. »
Heyoka Zen littéraire
Messages : 5026 Inscription le : 16/02/2013 Age : 36 Localisation : Suède
Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Jeu 28 Fév 2013 - 13:36
Tu as lu ce livre dans le cadre de tes études ou pour le plaisir ? J'ai des souvenirs de mes lectures de Pierre Bourdieu, c'était intéressant mais je ne le lirais clairement pas de mon propre chef. C'était vraiment pour enrichir mes connaissances universitaires, pas une lecture de loisir.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Sam 2 Mar 2013 - 21:42
Ah, non, pas du tout pour les études
La question m'intéressait, c'était vraiment pour le plaisir. Et j'ai La domination masculine qui m'attend à présent.
Qu'as-tu retenu de cette lecture dans le cadre de tes études ?
Heyoka Zen littéraire
Messages : 5026 Inscription le : 16/02/2013 Age : 36 Localisation : Suède
Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Sam 2 Mar 2013 - 23:09
colimasson a écrit:
Ah, non, pas du tout pour les études
Pourquoi est-ce si drôle ? J'ai fait une bourde ?
colimasson a écrit:
Qu'as-tu retenu de cette lecture dans le cadre de tes études ?
Je n'ai rien retenu du tout puisque je n'ai pas lu ce livre là
Méphistophélès Main aguerrie
Messages : 407 Inscription le : 01/11/2012 Age : 32
Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Dim 3 Mar 2013 - 0:35
colimasson a écrit:
Les résultats de ses recueils de données sont ainsi interprétables à plusieurs niveaux : quant à ce qu’ils traduisent de l’image que les personnes interrogées ont cherché à refléter, et quant à ce qu’ils supposent de préjugés ou d’idées préconçues chez les chercheurs en sociologie.
Je me demandais (l'ayant déjà lu sur Babelio) ce que tu entendais lorsque tu disais cela ?
Sinon, ne trouves-tu pas toi aussi que l'écriture de Bourdieu, quand bien même ce qu'il dit est intéressant - est vraiment rude (dans le sens où ses phrases sont souvent longues, partent dans des parenthèses quasi infinies et emplois trop de termes techniques par ligne) à lire ?
Pour ma part, je ne peux pas m'exprimer en long et en large sur cet ouvrage puisque je n'en ai lu que quelques passages qui reprenaient ce que je connaissais déjà des idées de Bourdieu.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Lun 4 Mar 2013 - 21:32
Kannskia a écrit:
colimasson a écrit:
Ah, non, pas du tout pour les études
Pourquoi est-ce si drôle ? J'ai fait une bourde ?
colimasson a écrit:
Qu'as-tu retenu de cette lecture dans le cadre de tes études ?
Je n'ai rien retenu du tout puisque je n'ai pas lu ce livre là
Non, pas de bourde, mais j'imagine mal qu'on nous impose de lire Bourdieu dans le cadre d'un CAP !
Méphistophélès a écrit:
colimasson a écrit:
Les résultats de ses recueils de données sont ainsi interprétables à plusieurs niveaux : quant à ce qu’ils traduisent de l’image que les personnes interrogées ont cherché à refléter, et quant à ce qu’ils supposent de préjugés ou d’idées préconçues chez les chercheurs en sociologie.
Je me demandais (l'ayant déjà lu sur Babelio) ce que tu entendais lorsque tu disais cela ?
Sinon, ne trouves-tu pas toi aussi que l'écriture de Bourdieu, quand bien même ce qu'il dit est intéressant - est vraiment rude (dans le sens où ses phrases sont souvent longues, partent dans des parenthèses quasi infinies et emplois trop de termes techniques par ligne) à lire ?
Pour ma part, je ne peux pas m'exprimer en long et en large sur cet ouvrage puisque je n'en ai lu que quelques passages qui reprenaient ce que je connaissais déjà des idées de Bourdieu.
Les citations que j'ai postées résument bien ce que Bourdieu entendait concernant ces préjugés. Les renseignements récoltés par les sociologues ne peuvent pas être tout à fait objectifs car ils résultent de questions artificielles, créées par les sociologues et destinées à un public précis. La formulation de ces questions dissimule déjà une certaine tournure d'esprit, envisagent déjà des réponses, et sont donc l'oeuvre des sociologues. La sélection des réponses, leur tri, leur interprétation, font également l'objet d'une déformation inconsciente. Je te remets les citations :
Citation :
« Il n’y a pas lieu d’examiner si est vrai ou fausse l’image insoutenable du monde ouvrier que produit l’intellectuel lorsque, se plaçant dans la situation d’un ouvrier sans avoir un habitus d’ouvrier, il appréhende la condition ouvrière selon des schèmes de perception et d’appréciation qui ne sont pas ceux que les membres de la classe ouvrière eux-mêmes mettent en œuvre pour l’appréhender : elle est vraiment l’expérience que peut avoir du monde ouvrier un intellectuel qui entre de manière provisoire et décisoire dans la condition ouvrière […]. »
Citation :
« […] en imposant à tous, uniformément, des problèmes qui ne se posent qu’à quelques-uns, par une procédure aussi irréprochable que l’administration d’un questionnaire à réponses préformées à un échantillon représentatif, on a toutes les chances de produire de toutes pièces un simple artefact en faisant exister des opinions qui ne préexistaient pas à l’interrogation et qui ne se seraient pas exprimées autrement ou qui, exprimées autrement, c’est-à-dire par l’intermédiaire de porte-parole attitrés, auraient été toutes différentes […]. »
Et sinon, oui, il faut s'accrocher pour lire Bourdieu... Chaque phrase nécessite réflexion. Ma vitesse de lecture était très lente. Je la compte en mois...
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Dim 2 Nov 2014 - 21:16
Très bon documentaire suivant Pierre Bourdieu peu de temps avant sa mort, et donnant à voir un homme sincèrement préoccupé, simple et disponible :
S'il ne fallait voir qu'une partie du film ? à partir de 1h40 jusqu'à la fin...
Dernière édition par animal le Dim 2 Nov 2014 - 22:24, édité 1 fois (Raison : juste un extrait...)
jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Ven 20 Fév 2015 - 12:36
C'est drôle, Colimasson. Mon professeur de «littérature, perspective sociologique» a lui-même parlé de La distinction dans les deux cours que j'ai suivis avec lui jusqu'à maintenant et il a parlé au début de la session de «La sociologie est un sport de combat».
De mon côté, j'ai fait un travail dans le cadre d'un cours de sociologie à propos de l'ouvrage-phare de la sociologie de la littérature de Bourdieu : Les règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire. J'avais perdu la trace de ce livre que j'ai retrouvé dans mes boîtes à temps pour un examen de mi-session qui viendra sans doute sous peu.
Simon Mougnol a écrit Le champ de Bourdieu. Épistémologie et ambitions herméneutiques. Là-dedans, il fait une critique presque sans concessions. La défaite que je lui ai trouvé, c'est de ne point parler à partir d'une perspective sociologique. C'est bien beau de s'objecter sur un plan mathématique et de relever quelques formulations de Bourdieu malencontreuses, mais Bourdieu n'est pas un mathématicien. De façon similaire, il s'en trouve beaucoup pour trouver la théorie inapplicable. Encore là, il faut avoir les bonnes bases pour le faire.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Dim 22 Fév 2015 - 19:19
Bourdieu le mal aimé ?
Je ne suis pas une pro, je le considère d'après mon point de vue de sociologue du dimanche. Il me plaît parce qu'il a introduit des concepts qui ouvrent le champ de perspective du dilettante, justement. La violence symbolique, la domination des dominants, l'habitus... c'est clair, percutant, et en plus, on peut les appliquer à des domaines beaucoup plus vastes que la seule sociologie. Merci Pierrot de nous aider à identifier.
jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
Coli, ce n'est pas que Bourdieu est déconsidéré comme sociologue. Disons que comme dans toute discipline, il y a une part de controverses et de polémiques qui participent à un choc d'idées et à une posture épistémologique par exemple. Bourdieu a bousculé des choses de bien des manières et sa manière d'aborder une sociologie de la littérature a éveillé quelques dissensions entre deux disciplines qui se regardent avec leurs perspectives propres. En études littéraires, il y a la sociocritique et c'est tout à fait distinct de ce qu'on considère comme sociologie de la littérature, du moins sous la lorgnette sociologique.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Mer 25 Fév 2015 - 21:14
Oui, ça devient trop pointu pour moi là.
jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Jeu 26 Fév 2015 - 7:00
Hihihi... il n'en reste pas moins que la théorie sur les champs littéraires de Pierre Bourdieu est un «must» pour mieux appréhender le phénomène. À sa manière, Bourdieu fut un peu le Durkheim, Weber de sa génération. Avec Alain Touraine, il fut l'un des pères de la sociologie française autour de cette époque.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Pierre Bourdieu [Sociologie] Ven 1 Mai 2015 - 21:17
Sur la télévision (1996)
Tout et beaucoup trop a déjà été écrit sur la télévision. Dénonciation des calomnies, des manipulations, de l’asservissement, le politiquement correct rejoint la désignation de la télévision comme nouvel ennemi à abattre pour préserver une indépendance d’esprit hypothétique.
Pierre Bourdieu se situe dans un mouvement similaire. Dans une perspective sociologique, il démontre que la télévision ne peut et ne pourra jamais être le lieu d’exposition de débats constructifs à cause de son format, à cause de ses dirigeants, et à cause de sa volonté de plaire. Et pourtant, Pierre Bourdieu se distingue de la critique classique en définissant des concepts primordiaux.
Le premier : la domination des dominés. « Mieux on comprend comment [un système] fonctionne, plus on comprend aussi que les gens qui en participent sont manipulés autant que manipulateurs. Ils manipulent même d’autant mieux, bien souvent, qu’ils sont eux-mêmes plus manipulés et plus inconscients de l’être. »
Le deuxième : la violence symbolique. « La violence symbolique est une violence qui s’exerce avec la complicité tacite de ceux qui la subissent et aussi, souvent, de ceux qui l’exercent dans la mesure où les uns et les autres sont inconscients de l’exercer ou de la subir. »
Donner des noms à des phénomènes constitue la première étape qui permet de s’en détacher. Pierre Bourdieu ne se contente donc pas seulement de tirer une analyse de la télévision, il donne également à son lecteur les moyens de former sa propre critique. La perspective s’élargit, d’autant plus que ces concepts offrent la possibilité d’être transposés dans d’autres domaines comme la psychologie, de la psychanalyse et de la philosophie.
Pour le reste, ce pamphlet de Pierre Bourdieu n’est pas plus original qu’un autre : la télévision ne cherche pas (d’abord) à nous instruire, nous le savions déjà, mais peut-être faut-il le rappeler souvent ?
Première partie : le plateau et ses coulisses (tension entre journalisme pur et journalisme commercial) :
Citation :
« Je crois que la dénonciation des scandales, des faits et des méfaits de tel ou tel présentateur ou des salaires exorbitants de certains producteurs, peut contribuer à détourner de l’essentiel, dans la mesure où la corruption des personnes masque cette sorte de corruption structurelle (mais faut-il encore parler de corruption ?) qui s’exerce sur l’ensemble du jeu à travers des mécanismes tels que la concurrence pour les parts de marché, que je veux essayer d’analyser. »
Citation :
« Les faits omnibus sont des faits qui, comme on dit, ne doivent choquer personne, qui sont sans enjeu, qui ne divisent pas, qui font le consensus, qui intéressent tout le monde mais sur un mode tel qu’ils ne touchent à rien d’important. Le fait divers, c’est cette sorte de denrée élémentaire, rudimentaire, de l’information qui est très importante parce qu’elle intéresse tout le monde sans tirer à conséquence et qu’elle prend du temps, du temps qui pourrait être employé pour dire autre chose. »
Deuxième partie : la structure invisible et ses effets (homogénéisation des média)
Citation :
« Il est de plus en plus fréquent que, quoi qui ait pu se passer dans le monde, l'ouverture du journal télévisé soit donnée aux résultats du championnat de France de football ou à tel ou tel autre événement sportif, programmé pour faire irruption dans le journal de vingt heures, ou à l'aspect le plus anecdotique et le plus ritualisé de la vie politique (visite de chefs d'Etat étranger, ou visites du chef de l'Etat à l'étranger, etc.) sans parler des catastrophes naturelles, des accidents, des incendies, bref de tout ce qui peut susciter un intérêt de simple curiosité, et qui ne demande aucune compétence spécifique préalable, politique notamment. Les faits divers, je l'ai dit, ont pour effet de faire le vide politique, de dépolitiser et de réduire la vie du monde à l'anecdote et au ragot (qui peut être national ou planétaire avec la vie des stars ou des familles royales), en fixant et retenant l'attention sur des événements sans conséquences politiques, que l'on dramatise pour en "tirer des leçons" ou pour les transformer en "problèmes de société" : c'est là, bien souvent, que les philosophes de la télévision sont appelés à la rescousse, pour redonner sens à l'insignifiant, à l'anecdotique et à l'accidentel, que l'on a artificiellement porté sur le devant de la scène et constitué en événement, port d'un fichu à l'école, agression d'un professeur ou tout autre "fait de société", bien fait pour susciter des indignations pathétiques à la Finkielkraut, ou des considérations moralisantes à la Comte-Sponville. »
(et en plus, Comte-Sponville le soûle aussi !)
Troisième partie : l'emprise du journalisme (le pouvoir du journalisme dans les autres domaines)
Citation :
« Dévoiler les contraintes cachées qui pèsent sur les journalistes et qu’ils font peser à leur tour sur tous les producteurs culturels, ce n’est pas […] dénoncer des responsables, mettre à l’index des coupables. C’est tenter d’offrir aux uns et aux autres une possibilité de se libérer, par la prise de conscience, de l’emprise de ces mécanismes et proposer peut-être le programme d’une action concertée entre les artistes, les écrivains, les savants et les journalistes, détenteurs du (quasi-) monopole des instruments de diffusion. »
Pierre Bourdieu parle de la télé à la télé :
[édité par animal]
Dernière édition par animal le Lun 4 Mai 2015 - 6:53, édité 1 fois (Raison : pas les films, même les documentaires)