| Parfum de livres… parfum d’ailleurs Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts… |
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| Miguel-Angel Asturias [Guatemala] | |
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+6shanidar bix229 eXPie coline GrandGousierGuerin Sigismond 10 participants | |
Auteur | Message |
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Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Dim 14 Avr 2013 - 3:01 | |
| - Spoiler:
Quelle émotion chers Parfumés, pensez donc, j'ouvre un fil sur l'un de mes trois auteurs préférés, j'en ai des rougeurs, le palpitant accéléré et le clavier tout tremblant !
Né le 19 octobre 1899 à Guatemala (ville). Métis (de mère indienne). Docteur en Droit en 1923, puis avocat (sujet de thèse: "le problème social de l'indien"). Cette année-là il quitte le Guatemala pour Londres, puis quelques mois après Paris. Il y suit les cours du Professeur Georges Raynaud sur les cultures et religions d'Amérique, et aide celui-ci à achever la traduction du célèbre texte en langue Quiché sur les religions Mayas, le Popol-Vuh. Il est correspondant pour l'Europe du journal El Imparcial. C'est à Paris qu'il signe son premier livre, "Légendes du Guatemala", ouvrage à l'accueil non dénué de considération dans le monde des lettres, jugez-en, le soin de préfacer l'édition française de ce débutant-là est confié à rien moins que Paul Valéry en personne, qui ose: - Spoiler:
- Paul Valéry, extrait de la préface, cet extrait est aussi disponible sur la 4ème de couverture de l'édition "folio" a écrit:
- Quel mélange que ce mélange de nature torride, de botanique aberrante, de magie indigène, de théologie de Salamanque,où le volcan, les moines, l'Homme-Pavot, le Marchand de bijoux sans prix, les "bandes d'ivrognesses dominicales", les "maîtres mages qui vont dans les villes enseigner la fabrication des tissus et la valeur du Zéro", composent les plus délirants des songes.
Ma lecture me fut un philtre, car cet ouvrage se boit plus qu'il ne se lit. Il me fut l'agent d'un cauchemar tropical, vécu non sans un singulier délice, j'ai cru avoir absorbé le suc de plantes incroyables, ou une décoction de ces fleurs qui capturent et digèrent les oiseaux.
Retour au Guatemala en 1933, il parachève son roman le plus connu, Monsieur le Président, qui s'inspire de la dictature en cours, celle d'Estrada Cabrera. Le brûlot est tel que ce livre ne paraît qu'en 1946 (en France en 1952). Je le conseille comme porte d'entrée à l'univers d' Asturias, c'est à mon avis le meilleur choix pour qui entreprend de se lancer dans l'oeuvre de cet auteur-emblème de la littérature centraméricaine. A la chute du régime de Cabrera, Asturias se lance dans une carrière politique et diplomatique. Elu député en 1942, il est aussi chargé de missions diplomatiques. Attaché culturel au Mexique en 46-47, puis en Argentine en 48-50, où il devient ministre-conseiller d'ambassade en Argentine en 50-52 puis en France en 52-53. Ambassadeur au Salvador en 53-54, il fonde aussi une université populaire au Guatemala, puis arrêt soudain de la carrière diplomatique en 1954, lorsque le gouvernement de Jacobo Arbenz est renversé par un coup d'état militaire fomenté par le colonel Castillo Armas, appuyé sur le terrain par les marines américains. C'est l'exil pour Asturias, en Argentine, jusqu'en 1961. Mais ses déclarations politiques le contraignent à quitter l'Argentine, et à poursuivre l'exil à Paris, puis à Gênes, puis à nouveau à Paris où il devient ambassadeur du Guatemala en 1966 (jusqu'en 1970). Il est Prix Nobel de littérature en 1967. Il décède à Madrid en juin 1974, et est inhumé au Père-Lachaise. Bibliographie sélective et 100% subjective (NB les dates sont les dates de parution en langue originale et non d'écriture ni de version française, par commodité j'ai laissé aux ouvrages les titres traduits, un simple coup de moteur de recherches vous donnera les titres originaux, ainsi que la biblio complète !): Nouvelles et contes: Légendes du Guatemala 1930 (voir provisoirement ci-dessus, je présenterai peut-être sans doute cet ouvrage plus avant dans le fil) Week-end au Guatemala 1956 Le miroir de Lida Sal 1967 -excellent travail de novelliste, je recommande ! Poésie: Petit rayon de lune 1925 Claireveillée de printemps 1966 La poésie d' Asturias, très inspirée des anciennes civilisations centraméricaines, est très touffue, dense, et particulièrement saisissante. Je n'ai, à ce jour, jamais eu le courage de la lire en Castillan, pourtant ça le mérite sûrement, vous connaissez bien le fameux écueil de la poésie traduite... Romans: Monsieur le Président 1946 Hommes de maïs 1949 L'ouragan 1955 Le pape vert 1954 (avec le désespérant, inhumain constat que les opprimés, une fois parvenus, ne pensent qu'à adopter les façons et la vie de leurs ex oppresseurs) Les yeux des enterrés 1960 Une certaine mulâtresse 1966 Le mauvais larron 1969 (si je devais en sélectionner un pour dire "c'est mon préféré", le choix serait difficile mais pourrait bien être celui-là) Vendredi des douleurs 1972 D'une façon générale, et dans la mesure où vous avez le choix, privilégiez les traductions (et par voie de conséquence annotations) de Francis de Miomandre - digression: il faudra un jour que je découvre cet auteur, qui sait, rêvons que ce soit du même tonneau que ses traductions d' Asturias et ses notes ! L'écriture, le genre, le style: Un des pères de ce qui est parfois appelé le réalisme magique, qui n'est pas un mouvement littéraire, ni même un courant. Allez, une appellation et n'en parlons plus. Pêle-mêle et par exemple on peut y entasser du Giono (entre autres le Giono de Prélude de Pan), du Marcel Aymé (par exemple le Passe-Muraille, ou encore plus significatif La Vouivre et la Jument Verte). On peut y inclure la totalité de l'oeuvre de Carlos Fuentes, et la quasi-totalité de celle de Gabriel Garcia-Marquez, l' Aleph, la bibliothèque de Babel (par exemple) de J-L Borges. Nabokov, Boulgakov, Dino Buzzati, Italo Calvino, etc... Presque un fourre-tout commode pour maniaques du classement d'auteurs et d'ouvrages du XXème siècle, donc. A signaler que nombre des auteurs que je viens de citer le considèrent comme une influence majeure sur leurs oeuvres respectives, et la liste de ceux-ci n'est pas close. Beaucoup d'inventivité, parfois une alternance d'écriture compacte, lourde et brûlante (un torrent de lave en fusion) avec des aérialités, des légèretés, des grâces. Mais Paul Valéry vous a prévenu mille fois mieux que je ne sais le faire, ce qu'il dit de Légendes du Guatemala est un ressenti valable et constant pour toute lecture de l'immense Asturias: - Citation :
- Ma lecture me fut un philtre, car cet ouvrage se boit plus qu'il ne se lit. Il me fut l'agent d'un cauchemar tropical, vécu non sans un singulier délice, j'ai cru avoir absorbé le suc de plantes incroyables, ou une décoction de ces fleurs qui capturent et digèrent les oiseaux
Dernière édition par Sigismond le Dim 14 Avr 2013 - 4:01, édité 1 fois | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Dim 14 Avr 2013 - 3:54 | |
| Hommes de maïs:De ce chef-d'oeuvre, comme souvent sinon toujours chez Asturias, on peut bien sûr dégager une problématique politique aigüe en son temps et son lieu, encore qu'elle soit sûrement déplaçable de nos jours (et ça aussi, c'est une constante): Le maïs est nourriture sacrée pour les anciens améridiens, et plus particulièrement pour les Mayas, qui considèrent l'homme comme étant fait à partir du maïs. Son exploitation, sa culture à grande, moyenne ou petite échelle, est donc impensable, et sacrilège: quelques pieds en auto-suffisance, de subsistance, et voilà. Donc le livre s'ouvre sur un conflit entre maiceros, qui défrichent, brûlent toujours plus avant la forêt primaire, et indiens. Ceux-ci sont emmenés par le légendaire Gaspar Ilom, qui donne son nom au chapitre, mettons un demi-dieu, qui évoque en tous cas un Cacique ancien plutôt invincible. - Spoiler:
Gaspar Ilom fut par ailleurs, le pseudonyme de résistance du propre fils d'Asturias, cas peut-être unique de double filiation via la littérature. J'ai croisé, non sans une extrême surprise, "Gaspar Ilom" en caractères stylisés (un tag, à moins que ce ne soit déjà un graf, vu le soin apporté à la chose), sur un vieux mur industriel du pays basque espagnol, l'an passé. J'ai aussi failli -longtemps hésité- à prendre Gaspar Ilom comme pseudo sur ce forum, mais c'eût été trop grandiloquent, et j'éprouve un tel respect...
Puis le livre, d'une beauté certaine, dérive pour notre plus grand bonheur, et notre imagination dérive de conserve, sur des personnages plus ou moins fantastiques, qui chacun donnent leur nom à un chapitre (Machojon, le cerf des sept friches, le colonel Chalo Godoy, Maria Tecun -et l'aveugle !-, le Facteur Coyote). Prétexte à des pages de réelle splendeur littéraire, parfois décousue, comme si l'écrivain n'exerçait plus un total contrôle sur sa plume,: En fait, certainement pas, Asturias nous emnène où il veut et comme il veut, mais du moins est-ce une impression possible. Il y a plus que du fantastique -j'allais écrire du "simple" fantastique- dans ce livre. Mystique est le mot, sans doute inexact, qui me vient à l'esprit. On y rencontre de l'humain profond, et de la nature tellurique, exotique mais surtout vivante, en ce sens le paradoxe est qu'on y rencontre du vrai. L'écriture est familière pour qui connaît un peu d'autres ouvrages de l'auteur, mais apparaîtra très singulière si ce n'est pas le cas. Et toujours ce grand foisonnement, ces alternances de rythmes, ces motifs littéraires assez uniques. Magique et réaliste ? Ne nous enfermons pas dans des codes-barres, n'étiquetons pas trop. Quoi ? Oui, j'ai beau jeu, après vous l'avoir suggéré. Je sais. Et alors ? | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Dim 14 Avr 2013 - 9:32 | |
| Merci Sigismond pour l'ouverture de ce fil ! | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Dim 14 Avr 2013 - 21:35 | |
| Merci d'avoir ouvert ce fil!
Litanie de l'exilé
Et toi, l’exilé : Être de passage, toujours de passage, Ne pas avoir d’ombre mais des bagages, Toaster bien que la fête ne soit pas la nôtre, Partager un lit qui n’est pas le nôtre, Un lit et « notre pain » qui n’est pas le nôtre, raconter des histoires qui ne sont pas les nôtres, prendre, laisser des toits qui ne sont pas les nôtres, travailler à des tâches qui ne sont pas les nôtres, parcourir des villes autres que la nôtre, et dans les hôpitaux qui ne sont pas les nôtres faire soigner des maux qui ont leur guérison ou du moins leur soulagement. Mais non le nôtre, qui ne peut guérir que par le retour… : Et toi, l’exilé Être de passage, toujours de passage, à moins que demain, demain ou jamais… le temps des horloges est un temps factice qui au lieu du temps mesure l’absence. Vieillir à coups d’anniversaires qui ne sont pour nous qu’années décomptées sur un agenda qui n’est pas le nôtre, mourir sur une terre qui n’est pas la nôtre, entendre pleurer ceux qui ne sont pas les nôtres, et voir un autre drapeau que le nôtre, recouvrir un bois qui n’est pas le nôtre, couvrir un cercueil qui n’est pas le nôtre et des fleurs et des croix qui ne sont pas les nôtres, dormir dans une fosse qui n’est pas la nôtre, se mêler à des os qui ne sont pas les nôtres, être au bout du compte l’homme sans patrie, un homme sans nom, un homme sans homme… Et toi l’exilé : Être de passage, toujours de passage, avoir la terre pour auberge, avoir pour tout bien des choses d’emprunt, ne pas avoir d’ombre, mais des bagages, à moins que demain, demain ou jamais… (Rome, hiver 1966) Miguel Angel Asturias, Poèmes indiens, NRF, Poésie/Gallimard Traduction : Claude Couffon et René L.F. Durand
source
Letanías del desterrado
Y tú, desterrado: Estar de paso, siempre de paso, tener la tierra como posada, contemplar cielos que no son nuestros, vivir con gente que no es la nuestra, cantar canciones que no son nuestras, reír con risa que no es la nuestra, estrechar manos que no son nuestras, llorar con llanto que no es el nuestro, tener amores que no son nuestros, probar comida que no es la nuestra, rezar a dioses que no son nuestros, oír un nombre que no es el nuestro, pensar en cosas que no son nuestras, usar moneda que no es la nuestra, sentir caminos que no son nuestros...
Y tú, desterrado: Estar de paso, siempre de paso, tenerlo todo como prestado, besar a niños que no son nuestros, hacerse a fuego que no es el nuestro, oír campanas que no son nuestras, poner la cara que no es la nuestra, llorar por muertos que no son nuestros, vivir la vida que no es la nuestra, jugar a juegos que no son nuestros, dormir en cama que no es la nuestra, subir a torres que no son nuestras, leer noticias, menos las nuestras, sufrir por todos y por lo nuestro, oír que llueve con otra lluvia y beber agua que no es la nuestra...
Y tú, desterrado: Estar de paso, siempre de paso, no tener sombra, sino equipaje, brindar en fiestas que no son nuestras compartir lecho que no es el nuestro, lecho y "pan nuestro" que no es el nuestro, contar historias que no son nuestras, cambiar de casas que no son nuestras, hacer trabajos que no son nuestros, andar ciudades que no la nuestra y en hospitales que no son nuestros cura de males que tienen cura, alivio al menos, que no del nuestro, que sólo sana con el regreso...
Y tú, desterrado: Estar de paso, siempre de paso, tal vez mañana, mañana o nunca.. El tiempo falso de los relojes no cuenta el tiempo, cuenta la ausencia, envejecerse cumpliendo años que no son años sino descuentos del almanaque que no es el nuestro, morir en tierra que no es la nuestra, oír que lloran sin ser los nuestros, que otra bandera, que no es la nuestra, cubre maderas que no son nuestras, ataúd nuestro que no es el nuestro, flores y cruces que no son nuestras, dormir en tumba que no es la nuestra, mezclarse a huesos que no son nuestros, que al fin de cuentas, hombre sin patria hombre sin nombre, hombre sin hombre...
Y tú, desterrado: Estar de paso, siempre de paso, tener la tierra como posada, tenerlo todo como prestado, no tener sombra sino equipaje, tal vez mañana, mañana o nunca...
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| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Lun 15 Avr 2013 - 17:09 | |
| Merci à vous, Grandgousier et Coline ! Ah, les allitérations en "esse" et en "t" durs, comme par exemple ci-dessous (mais ça se poursuit ensuite) bravo ! - coline a écrit:
Y tú, desterrado: Estar de paso, siempre de paso, tener la tierra como posada, contemplar cielos que no son nuestros,
Est-ce que cela vous dirait, un petit extrait d'hommes de maïs, plutôt que la platitude d'une malhabile description ? Plus d'extraits si affinités, bien sûr et très volontiers, je ne sais si je parviens à le faire ressentir, mais s'il y a un auteur qui me met en joie à l'idée de partager, peut-être de faire connaître, c'est bien Asturias ! Alors en avant la copie: - Spoiler:
Chapitre "Gaspar Ilom":
[...] Une flambée de feuille de maïs lui empoigna le visage quand il eut achevé la gourde d'eau-de-vie. Le soleil qui frappait les cannaies le brûlait au-dedans, lui brûlait la tête dont il ne sentait plus les cheveux comme des cheveux, mais comme une cendre de peau, et lui brûlait, dans la caverne de la bouche, la chauve-souris de la langue, afin que, pendant son sommeil il ne laissât point échapper les paroles du songe, la langue qu'il ne sentait plus comme langue, mais comme corde, et lui brûlait les dents qu'il ne sentait plus comme dents, mais comme machettes bien aiguisées.
Sur le sol poisseux de froid il appliqua ses mains à moitié enterrées, ses doigts collés à ce qui est profond, et dur et sans écho et ses ongles qui pesaient comme balles de fusil.
Et il continua de gratter tout autour de lui, comme un animal qui se nourrit de charogne, en quête de son corps qu'il sentait se détacher de sa tête. Il sentait sa tête pleine d'eau-de-vie pendre comme une gourde à un crochet de la cabane.
Mais l'eau-de-vie ne lui brûla pas le visage. L'eau-de-vie ne lui brûla pas les cheveux. L'eau-de-vie ne l'enterra pas. Ce n'est pas comme eau-de-vie mais comme eau de la guerre qu'elle le décapita. Il but pour se sentir brûlé, enterré, décapité, car c'est comme ça que l'on doit aller à la guerre, afin de le pas avoir peur: sans tête, sans corps, sans peau.
C'est ainsi que pensait Gaspar. C'est ainsi qu'il parlait, la tête séparée du corps, et bavarde, et brûlante, et drapée dans un torchon blanchâtre de lune. Et tout en parlant, il vieillissait, Gaspar. Sa tête était tombée par terre, comme un pot de fleurs dont la terre est remplie de petits pieds de pensées. Ce qu'il disait, ce Gaspar déjà vieux, c'était de la broussaille. Ce qu'il pensait, c'était de la broussaille tondue, ce n'était pas des cheveux neufs. La pensée lui sortait des oreilles au bruit du troupeau qui lui passait dessus. Une bande de nuages à sabots. Des centaines de sabots. Des milliers de sabots. Le butin des lapins jaunes *.
La Grande Pouilleuse passa les mains sous le corps de Gaspar, sous la chaude humidité de jeune maïs de Gaspar. Elle poussait son poing de plus en plus loin,. Ils étaient passés au-delà de lui, au-delà d'elle, là où ils commençaient à être seuls, elle et lui, et à devenir espèce, tribu, débordement de sens. La Pouilleuse poussait ses mains. Cris et rochers. Son sommeil répandu sur la natte comme la broussaille de ses cheveux où s'enfonçaient les dents de Gaspar comme des peignes. Ses yeux endeuillés de sang ne voyaient rien. Elle se blottit comme une poule aveugle. une poignée de graines de tournesol dans les entrailles. Odeur d'homme. Odeur de respiration.
Et, le lendemain:
- Ecoute, Pouilleuse, tout à l'heure, ça va barder. Va falloir débarrasser la terre d'Ilom de ceux qui coupent les arbres à la hache, de ceux qui font griller les bois, de ceux qui endiguent l'eau du fleuve, qui dort quand elle coule et qui rouvre les yeux dans les bassins, et qui pourrit de sommeil...les "maïceros"...ceux-là qui en ont fini avec l'ombre, parce que la terre qui tombe des étoiles trouve moyen de continuer à dormir sur le sol d'Ilom, et me fait moi dormir pour toujours. Ramasse-moi donc de vieux chiffons pour embarquer quelques petites choses, parce qu'il me faut de la galette de maïs, de la bidoche, du sel, du piment, enfin quoi ! ce qu'on emporte à la guerre.
Gaspar gratta la fourmilière de sa barbe avec les doigts qui lui restaient à la main droite, décrocha le fusil, descendit au fleuve [...].
* Lapins jaunes: On sait juste au préalable que: "des lapins jaunes dans le ciel, des lapins jaunes dans la brousse, des lapins jaunes dans l'eau feront la guerre avec Gaspar"...
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| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Lun 15 Avr 2013 - 17:31 | |
| - Sigismond a écrit:
- Spoiler:
Chapitre "Gaspar Ilom":
[...] Une flambée de feuille de maïs lui empoigna le visage quand il eut achevé la gourde d'eau-de-vie. Le soleil qui frappait les cannaies le brûlait au-dedans, lui brûlait la tête dont il ne sentait plus les cheveux comme des cheveux, mais comme une cendre de peau, et lui brûlait, dans la caverne de la bouche, la chauve-souris de la langue, afin que, pendant son sommeil il ne laissât point échapper les paroles du songe, la langue qu'il ne sentait plus comme langue, mais comme corde, et lui brûlait les dents qu'il ne sentait plus comme dents, mais comme machettes bien aiguisées.
Sur le sol poisseux de froid il appliqua ses mains à moitié enterrées, ses doigts collés à ce qui est profond, et dur et sans écho et ses ongles qui pesaient comme balles de fusil.
Et il continua de gratter tout autour de lui, comme un animal qui se nourrit de charogne, en quête de son corps qu'il sentait se détacher de sa tête. Il sentait sa tête pleine d'eau-de-vie pendre comme une gourde à un crochet de la cabane.
Mais l'eau-de-vie ne lui brûla pas le visage. L'eau-de-vie ne lui brûla pas les cheveux. L'eau-de-vie ne l'enterra pas. Ce n'est pas comme eau-de-vie mais comme eau de la guerre qu'elle le décapita. Il but pour se sentir brûlé, enterré, décapité, car c'est comme ça que l'on doit aller à la guerre, afin de le pas avoir peur: sans tête, sans corps, sans peau.
C'est ainsi que pensait Gaspar. C'est ainsi qu'il parlait, la tête séparée du corps, et bavarde, et brûlante, et drapée dans un torchon blanchâtre de lune. Et tout en parlant, il vieillissait, Gaspar. Sa tête était tombée par terre, comme un pot de fleurs dont la terre est remplie de petits pieds de pensées. Ce qu'il disait, ce Gaspar déjà vieux, c'était de la broussaille. Ce qu'il pensait, c'était de la broussaille tondue, ce n'était pas des cheveux neufs. La pensée lui sortait des oreilles au bruit du troupeau qui lui passait dessus. Une bande de nuages à sabots. Des centaines de sabots. Des milliers de sabots. Le butin des lapins jaunes *.
La Grande Pouilleuse passa les mains sous le corps de Gaspar, sous la chaude humidité de jeune maïs de Gaspar. Elle poussait son poing de plus en plus loin,. Ils étaient passés au-delà de lui, au-delà d'elle, là où ils commençaient à être seuls, elle et lui, et à devenir espèce, tribu, débordement de sens. La Pouilleuse poussait ses mains. Cris et rochers. Son sommeil répandu sur la natte comme la broussaille de ses cheveux où s'enfonçaient les dents de Gaspar comme des peignes. Ses yeux endeuillés de sang ne voyaient rien. Elle se blottit comme une poule aveugle. une poignée de graines de tournesol dans les entrailles. Odeur d'homme. Odeur de respiration.
Et, le lendemain:
- Ecoute, Pouilleuse, tout à l'heure, ça va barder. Va falloir débarrasser la terre d'Ilom de ceux qui coupent les arbres à la hache, de ceux qui font griller les bois, de ceux qui endiguent l'eau du fleuve, qui dort quand elle coule et qui rouvre les yeux dans les bassins, et qui pourrit de sommeil...les "maïceros"...ceux-là qui en ont fini avec l'ombre, parce que la terre qui tombe des étoiles trouve moyen de continuer à dormir sur le sol d'Ilom, et me fait moi dormir pour toujours. Ramasse-moi donc de vieux chiffons pour embarquer quelques petites choses, parce qu'il me faut de la galette de maïs, de la bidoche, du sel, du piment, enfin quoi ! ce qu'on emporte à la guerre.
Gaspar gratta la fourmilière de sa barbe avec les doigts qui lui restaient à la main droite, décrocha le fusil, descendit au fleuve [...].
* Lapins jaunes: On sait juste au préalable que: "des lapins jaunes dans le ciel, des lapins jaunes dans la brousse, des lapins jaunes dans l'eau feront la guerre avec Gaspar"...
Merci ! Et tu peux mettre d'autres citations si tu as le temps | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Lun 15 Avr 2013 - 19:51 | |
| - Sigismond a écrit:
Ah, les allitérations en "esse" et en "t" durs, comme par exemple ci-dessous (mais ça se poursuit ensuite) bravo !
- coline a écrit:
Y tú, desterrado: Estar de paso, siempre de paso, tener la tierra como posada, contemplar cielos que no son nuestros,
Mon post est un peu long. Mais je tenais à mettre le poème dans sa langue d'origine pour ceux qui la comprennent. En plus de ce qu'il dit, c'est un régal à lire à voix haute! | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Mer 17 Avr 2013 - 17:14 | |
| - coline a écrit:
- Mon post est un peu long. Mais je tenais à mettre le poème dans sa langue d'origine pour ceux qui la comprennent. En plus de ce qu'il dit, c'est un régal à lire à voix haute!
J'aime aussi, par un certain arbitraire personnel j'estime qu'on perd moins en lisant un roman traduit qu'un poème traduit: Du coup je m'impose de le lire aussi dans la langue de l'auteur, si possible dans ces éditions bilingues qui m'évitent de descendre dans l'oeuvre sans parachute ! Mais ça se limite -mon entendement est faible, dans cet exercice !- à deux langues, l'anglais et l'espagnol (le castillan, en fait). Toutefois, ça m'a permis, je crois, dans le domaine de la poésie, d'accoster à des auteurs comme par exemple William Blake ou Jean de la Croix en en perdant certes un peu, sûrement, au passage, mais avec une joie supérieure à celle que procure la simple traduction "sèche". - GrandGousierGuérin a écrit:
- Et tu peux mettre d'autres citations si tu as le temps
Bon, à la demande générale euh...de GrandGousierGuérin : Bref extrait du chapitre "Le colonel Chalo Godoy": - Spoiler:
(NB - Une troupe de soldats chevauche dans la selva (la jungle) de nuit, emmenée par le colonel Chalo Godoy suivi du sous-lieutenant Musus. Ce n'est pas précisé, mais elle chevauche au pas irrégulier, ce qui se déduit du profil du terrain pour les réalistes d'entre nous, et/ou du rythme et du balancement du paragraphe qui commence par "La lune...", même outre-traduction, pour nous tous.)
Les ossements flambent, la nuit, dans les cimetières, mais la clarté qui venait au-devant d'eux, à tâtons, au milieu d'une obscurité profonde, ressemblait plutôt à un luminaire céleste, oublié là depuis le commencement du monde. D'où leur venait cette lumière de chaos ? Ils l'ignoraient, ils ne pouvaient pas le découvrir, ils ne l'auraient pas vue si n'était point apparu devant leurs yeux un arbre de la dimension d'un chêne, étincelant de milliers de point lumineux.
Musus s'aligna avec son chef pour lui dire: "Voyez, mon Colonel, la noce des vers luisants..." Mais, sous la peu de son cou paludique la pomme d'Adam se mit à jouer et c'est tout juste s'il put dire: "Voyez, chef" !
Suspendues aux plus hautes branches, les femelles appelaient leurs amants à l'oeil de cyclope, en promenant leurs petites lanternes, millions d'yeux de lumière dans la nuit immense, et les vers avivaient loeurs phares diamantins en soufflant de toutes leurs forces de mâles en chaleur, et ils se mettaient en marche en s'élevant telles des gouttes de sang couleur de perle bleuâtre, le long du tronc des branches, des ramilles, des feuilles et des fleurs. A l'approche des mâles qui continuaient de raviver leurs phares avec le souffle de leur désir, les femelles renforçaient de plus en plus leur fulguration nubile, les aguichant avec mille mouvements d'étoile, lumière qui, après la rencontre nuptiale, s'éteignait peu à peu jusqu'à ce qu'il ne restât plus de toute cette illumination qu'une tache opaque, le déchet d'une voie lactée, un arbre qui avait cessé d'être un astre.
La lune reparut là-haut. Ils parvinrent au bord étroit d'un cratère de la dimension d'une place publique. Une grande place vide. Les rochers, légèrement touchés d'orange, reflétaient sur la mince couche d'eau et de lune qui les recouvraient des masses obscures qui, telles des taches mystérieuses, se mouvaient de côté et d'autre.Mais le coeur du Bourbier auquel ils arrivaient enfin par un reste de chemin qui avait bien plutôt l'air du lit effiloché d'un ruisseau de l'hiver, enfermait d'autres secrets. C'est que, dans l'intérieur de ce grand entonnoir rutilant, cessait comme par enchantement le bruit de quatre lieues de feuilles secouées sans arrêt par le vent, et l'on entendait le tintement des dalles qui résonnaient sous le sabot des montures. De temps en temps un iguane s'enfuyait à leur passage sur les débris de feuilles sèches prises dans les toiles d'araignées couleur de fumée. Les iguanes faisaient un bruit de grattement comme des nageurs à sec. On voyait les traces, encore fraîches, des pattes griffues de quelque chat sauvage dans l'angle du raccourci d'où il était tombé au fond du Bourbier. Ombres mystérieuses, dalles chantantes, ambiance où l'on pouvait parler sans s'égosiller.
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| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Mer 17 Avr 2013 - 23:47 | |
| Merci pour cet extrait chatoyant, sensuel et inquiétant Sigismond ! | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Dim 21 Avr 2013 - 9:11 | |
| Légendes du Guatemala.Le premier ouvrage (voir présentation) d' Asturias, de là à considérer que c'est l'ouvrage-premier de l'auteur, ou même une clef obligatoire d'appréhension de l'oeuvre, ou encore le plafond de la Chapelle Sixtine de ce Miguel-Angel-là, il y a un pas que je ne franchis guère. Au reste je recommande plutôt (mais chacun fait bien sûr comme il l'entend, et suivant ses dispositions et opportunités !) de se familiariser avec quelques autres ouvrages d' Asturias avant de se plonger dans "Légendes". A moins que vous ne soyez très au fait de culture et de religion des Mayas, les notes, qu'on n'hésitera pas à doubler de quelques clics de moteur de recherches, sont obligatoires. Mais, même à l'aide de ces supports, nous ne démêlons pas toujours, béotiens que nous sommes, la légende "authentifiable", sourcée, colportée par la mémoire, de l'inconscient collectif du peuple Guatémaltèque, et encore moins de l'imagination généreuse et très singulière de l'auteur. Autrement dit: On ne prendra pas "Légendes" pour un petit précis technique ou théologico-scientifique, ce livre reste dans la sphère du roman, ou plutôt des nouvelles. L'ouvrage est ainsi composé: D'abord deux parties introductives, en quelque sorte, sous le titre Guatemala: - La charrette arrive au village.(en voici la première phrase: "La charrette arrive au village, un tour de roue hier, un tour aujourd'hui.") - Maintenant je me souviens (où l'on retrouve les personnages de La Charrette -le vieux couple goitreux- et où Asturias s'exprime au "je", la seule fois de tout le livre). Puis le corpus des légendes proprement dit: -Légende du volcan.(Un extrait ici: http://www.awebdel.com/pages/extraitextes/ asturias.htm) -Légende du cadejo. -Légende la Tatuana. -Légende du sombreron. -Légende du trésor du pays fleuri.Puis une vraie cosmogonie, magnifique, pour moi le texte recélant le plus de splendeurs de "Légendes". Un magma en fusion ! -Les sorciers de l'orage du printemps.Enfin une courte pièce de théâtre, que (allez, confidence) je me laisserai volontiers à tenter de monter en amateur: -Cuculcan. | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Dim 21 Avr 2013 - 11:48 | |
| - Sigismond a écrit:
- Au reste je recommande plutôt (mais chacun fait bien sûr comme il l'entend, et suivant ses dispositions et opportunités !) de se familiariser avec quelques autres ouvrages d'Asturias avant de se plonger dans "Légendes".
Ah, c'est noté ; j'avais envisagé de commencer par celui-ci pour aborder son oeuvre, justement... | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Sam 25 Mai 2013 - 23:15 | |
| Une certaine mulâtresseTitre original: Mulata de tal, achevé le 10 mars 1962, paru en Argentine (pour cause d'exil) en 1963, traduction et parution française en 1965. Ouvrage situé, donc, en période de maturité, l'auteur est sexagénaire, trois ans avant qu'il ne reçoive le Prix Lénine de la Paix (1966) et quatre avant le Prix Nobel de Littérature (1967). Livre entremêlé, imbriqué. On n'y détache en effet ni le conte, ni la mythologie maya, ni l'onirisme, ni la tradition folklorique populaire, ni l'imagination de l'auteur. Roman très foisonnant, porté par des images d'une force colossale. Une fois de plus, Asturias fait oeuvre littéralement et dans tous les sens fabuleuse. L'histoire en quelques mots, exercice difficile tant il y a d'histoires imbriquées, et, pour couronner le tout, les personnages principaux "renaissent" au cours du roman, s'ils ne sont pas immortels, et leurs noms (comme leurs aspects) évoluent, se modifient. Spoiler pour ceux qui ne veulent pas en savoir trop, dans la perspective de le lire un jour en le recevant "brut". "Mulata de tal" huile sur toile de Leonel Maciel.
- Spoiler:
Une entrée en matière très faustienne
Un bûcheron très pauvre, Celstino Yumi surnommé par dérision Don Braguette, se promène dans les foires, fêtes et processions, ainsi qu'à la messe, braguette ouverte (époque et lieu ou nul caleçon ne se portait sous le pantalon). Il jette ainsi l'opprobre et la honte sur son village (Quiavicùs), et bien sûr plus encore sur son épouse, Catalina Celestina Zabala, surnommée affectueusement par Yumi Niniloj. On découvre vite la raison: Yumi a vendu sa femme au diable des feuilles de maïs, Tazol, pour devenir immensément riche, en tout cas plus que l'homme le plus riche du village, Timoteo Teo Timoteo, qui lui a ordonné cette indécence. Mais en fait Tazol se moque perversement de lui, lui laissant entendre que Niniloj le trompe avec Timoteo, tout en honorant le marché. Catilina disparaît dans un ouragan, envolée devant témoins par les bons soins de Tazol.
Devenant subitement riche par l'artifice de la pseudo-découverte d'un trésor, opération manigancée par Tazol, puis l'argent appelle l'argent, et mêmes les feuilles de maïs de sa récolte (le "tazol") deviennent des billets de banque, et ses terres nouvellement acquises produisent les meilleures récoltes.
Plein aux as, à l'occasion d'une foire, en compagnie de Timoteo, il rencontre "une certaine mulâtresse", l'épouse derechef sans avoir divorcé de Catilina, toujours portée disparue. En fait Tazol la garde à taille de naine en pastourelle dans une mini-ferme reproduisant les terres et les richesses de Yumi, reproduction dans laquelle Yumi n'a qu'à puiser pour en jouir "en vrai". Enfin (re)prise par Yumi, elle sert de jouet à la mulâtresse, qui finit par lui préférer un ours, tandis que Yumi tombe sous l'empire terrible de la mulâtresse, craignant pour ses os, ces derniers étant spécialement convoités depuis que Tazol l'a doté d'un squelette...en or.
Après moult péripéties Celestino, Catalina et l'ours parviennent à l'enfermer dans une grotte et s'en vont voir les hommes-sangliers, alias les "sauvages", peuplade humaine transformée en sangliers par la suite d'une ivrognerie déguisée. Mais Celestino perd subitement toute sa fortune. Après avoir repris une vie d'errance pauvre, affronté avec succès le diable dans la colline des neufs tournants du diable, et réussi une évasion grâce au 9 des destins, ils reprennent une vie très pauvre de bûcherons à Quiavicùs.
Fin de l'histoire ? Non !
Le sorcier Braguette et sa femme finissent par ambitionner devenir de très grands sorciers.
Ils partent pour le village de la sorcellerie et de la magie,
Tierrapaulita.
Mais Tazol, prisonnier dans une croix faite de feuilles de maïs dans leur bagage, parvient à rendre Catalina enceinte en s'introduisant en elle par son nombril. Elle enfante un petit Tazolito, et se venge de Yumi en le faisant nain. Puis en géant. Puis nous faisons connaissance avec le panthéon des diables et de Tierrapaulita. S'ensuivent deux cent pages extraordinaires, que je renonce à vous conter par le menu, ou même en grosses lignes, et qui constituent le coeur de l'ouvrage. On cherche "le bien", ou "les bons"pour s'opposer aux diables et au "mal", et en fait il n'y en pas ou si peu, quelques opposants au trois quart fous, personnages secondaires mais savoureux. Donc on ne saurait parler réellement de catharsis en ce qui concerne Asturias. Et là vous pensez, bouquin désespérant, alors ? Mais pas du tout, tout au contraire, in fine drôle, grotesque, loufoque, on y sourit par pages entières. En plus, évidemment, de ruisseler sous un livre hypnotique, baigné de poésie, d'épopée, entrecroisé de mille senteurs, visions, odeurs suggérées.
Quelques extraits à la demande, si cela vous dit, n'hésitez pas, je viens tout juste de relire l'ouvrage, je vais droit aux pages, c'est le moment ! D'ici là quelques "couleurs" ayant trait direct au roman, non je ne vais quand même pas vous la faire: "lisez-le et vous saurez pourquoi" lequel roman est haut en...couleurs justement: - Spoiler:
Maïs Volcan "fuego" (pays maya) Copal Kapokier Masque Maya (en jade) (sans commentaire) Masque funéraire, d'un dieu du maïs Maya du Guatemala, Calakmul Campeche. Peinture Maya Croix en ocote - l'ocote, ou pin ocote, parfois dit "pin de Montezuma", bois dont on fait entre autres les torches, est omniprésent dans l'oeuvre d' Asturias. Quetzal. Le bestiaire, la faune et la flore chez Asturias seraient un thème de choix !
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| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Sam 25 Mai 2013 - 23:19 | |
| Aucune emphase ? Je trouve parfois qu' il y en a dans sa poésie.... | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Dim 26 Mai 2013 - 8:42 | |
| - bix229 a écrit:
- Aucune emphase ? Je trouve parfois qu' il y en a dans sa poésie....
De façon spontanée je réponds oui, on y trouve en effet a minima trois procédés emphatiques et peut-être (ou certainement) davantage: La répétition: De temps en temps, comme une pause et c'est plus fréquent vers la fin du livre, on croise un paragraphe récapitulatif, souvent sous la forme d'un dialogue ou d'un monologue de l'un des protagonistes. C'est plutôt bienvenu, le fil de l'histoire restant complexe, et les personnages ayant pu changer de nom, d'aspect (ou retrouver un nom, un aspect antérieur): la répétition est une respiration dans l'ouvrage. L'hyperbole: A l'évidence, avec le style Asturias, on est en plein dedans. Surtout à base d'accumulations/exagérations. Une des accumulations les plus surprenantes est l'abondance de trois ou quatre mots lâchés suivis de trois points de suspension en fin de livre. Comme si l'auteur passait, sur la même toile, d'une peinture au pinceau à une peinture au couteau. L'hypotypose: Comme pour l'hyperbole, c'est une évidence en ce qui concerne Asturias, et pas uniquement ce livre bien entendu. Mais n'est-ce pas ce qui distingue la littérature du rapport de gendarmerie ? | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Miguel-Angel Asturias [Guatemala] Ven 7 Juin 2013 - 4:50 | |
| Vendredi des Douleurs (titre original: Viernes de Dolores, achevé à Punta Negra, Majorque - Baléares, le 23 octobre 1971, paru en 1972). A l'usage d'eXPie et de ceux qui souhaitent découvrir les livres d' Asturias, voici une excellente porte d'entrée. - eXPie a écrit:
- Ah, c'est noté ; j'avais envisagé de commencer par celui-ci pour aborder son oeuvre, justement...
En fait je préconise ou "Monsieur le Président", ou "Vendredi des Douleurs". Son premier et son dernier roman, n'y voyez ni clin d'oeil, ni tentative malicieuse à valeur symbolique facile, juste tel est mon ressenti: En effet ce livre est peu foisonnant, limpide en somme, rythmé tambour battant, non sans jubilation et surtout non sans cette verve baroque et burlesque, que je trouve si typique d'une certaine littérature hispano-américaine et que je recherche volontiers, lorsqu'elle oscille entre bouffonnerie et noirceur, entre comique pouvant aller jusqu'au rire gras et franc, et tragédie. Le contexte d'écriture:Asturias est septuagénaire, il a rompu avec son activité diplomatique en se démettant de sa charge d'ambassadeur. Universellement traduit, connu et reconnu depuis le Nobel, il entend se dédier tout entier à ses projets littéraires: Enfin il conjugue temps, disponibilité, entrée suffisante d'argent, renommée. Sont réunies les conditions idéales, au soir de sa vie. Il monte une pièce de théâtre (à Paris) "Las Casas, évêque de Dieu", tout en publiant un recueil de contes "l'homme qui avait tout, tout, tout" et en sortant ce qui reste mon recueil de poèmes d' Asturias préféré "Trois des quatre soleils". Il projette un cycle, une trilogie, dont nous ne connaîtrons que le premier volet, Vendredi des Douleurs, le cancer le terrassant à Madrid en 1974. Le deuxième volet, "Deux fois bâtard", resté inachevé est, à ma connaissance, aussi resté non publié. Le titre: Il fait référence, dans le calendrier liturgique, au vendredi précédent le dimanches des Rameaux, et qui marque la fin du Carême et l'entrée dans la Semaine Sainte (ou la semaine Pascale, ou la semaine de la Passion). Cette journée est dédiée à la Vierge dite des Sept Douleurs - les douleurs, anticipées donc si l'on s'en tient au strict point de vue calendaire, de Marie entraînées par la mort de Jésus par crucifixion. Dans la péninsule Ibérique, comme en Amérique Centrale et du Sud, et une partie (hispanophone) des Caraïbes, c'est un jour important, marqué, férié parfois. Cette Tradition n'est plus en France. Elle se traduit souvent par un jour de recueillement, de silence, de prières, mais peut aussi être un jour de processions, de liesse, le coup d'envoi de la Semaine Sainte: https://es.wikipedia.org/wiki/Viernes_de_Dolores. D'une façon générale, de grands thèmes Chrétiens traversent ce roman, Judas et la trahison bien sûr, pas loin d'être le thème principal, mais aussi le pharisaïsme, l'innocent jeté mort en pâture à la foule et l'opinion, etc... Le sujet:Comme pour "Monsieur le Président", c'est un Asturias urbain, violemment. A noter que la part amérindienne, ou maya, ne transparaît guère. Quoiqu'un personnage, le Gentil Métis et l'autre métis, le condamné et sa protectrice, tiennent un rôle de premier plan à la fin (mais il sont décrits métis afro et non indiens). 23 chapitres (+ un court épiloque) aérés, d'abord aisé, le découpage-structure rend la lecture oxygénée, en dépit de saccades fébriles à débit précipité (comme par ex. dans les deux extraits en bas de post, qui ne sont pas plus révélateur que cela du style employé dans ce roman, très digeste !). Asturias a toujours réfuté l'étiquette d'écrivain engagé, bien qu'il ne soit pas trop difficile de dégager l'engagé dans ses ouvrages. Comme souvent (tendant vers la plupart du temps !) il se dresse contre l'injustice, l'arbitraire dictatorial, le libéralisme, le joug et les complices-servants du joug. Et toujours cette infinie tendresse envers les "petites gens", le bas de l'échelle sociale. Dans Guatemala-ville durant les années 20, il s'agit de l'affrontement des idéaux de la jeunesse estudiantine et de leurs bornes, où nous voyons que ceux-ci (les idéaux de la jeunesse) sont parfois auto-bornés. Asturias fut étudiant à Guatemala durant les années 20, planter le décor et ébaucher les caractères a dû ne pas lui paraître trop malaisé, je ne suis pas assez connaisseur pour savoir s'il y a des renvois à des personnes authentiques, ou même une part de ressouvenir, tutoyant l'autobiographie: La référence aux manifestations d'étudiants sous le régime du général Orellana (1922), qu' Asturias a vécues, est déductible sans trop de risque de se tromper. On entre -fort délicieusement- dans les lieux et le livre de manière incongrue, qui pourrait sembler rebutante, par les abords du cimetière, et les bistrots proches. Alcool, mort, leur commerce et leur ménage, lieux de mise en scène jubilatoires et prétexte à toute une galerie de personnages étonnants. Des conciliabules, des petits secrets, une exécution sommaire... Passe un ivrogne pas tout à fait comme les autres, que nous retrouverons à l'extrême fin de l'ouvrage. De là on glisse au déroulé, depuis la préparation jusqu'à la fin de celui-ci, du Carnaval-grève, à vocation dénonciatrice, satirique et provocante, organisé par les étudiants le Vendredi des Douleurs, date qu'ils réclament fériée de surcroît. La matière à quiproquo tourne autour d'un pantin, caricature trop facilement reconnaissable par la foule, destiné à figurer sur un char très virulent. Un pantin à l'effigie d'un salaud, exploiteur de haut vol, dénonciable entre tous. Mais l'homme est aussi oncle d'une jeune fille poursuivie par les assiduités du héros étudiant principal, Ricardo Tantanis... Allez, ne déflorons pas, je ne vous en dis pas plus, deux extraits si vous voulez, d'autres sur demande si vous le souhaitez ! - Spoiler:
- Citation :
- Grève ou fête ? Grève à l'Université durant la Semaine Sainte et carnaval des étudiants le Vendredi des Douleurs, carnaval des carnavals, amer, explosif, caustique, blasphématoire (cracher contre le ciel et ouvrir comme des parapluies des rires noirs de deuil) carnaval qui offrait tous les masques et toutes les audaces, face au crime, face au fanatisme, face à la barbarie, la parole convertie en guillotine, les traits en grimace d'homme sans défense qui brocarde car il n'a pas d'autres armes, le rire de l'étudiant en esclaffement féroce de concubinage...à bas les robes, les uniformes, les fracs, les soutanes, les ornements, les titres, les décorations ! Toute la mécanique de l'insulte. Les insultes du Vendredi des Douleurs répondant aux liturgies du Vendredi Saint. Jeter au visage de tous ce qui est à tous. Sans parler, en criant comme fait la rage, en crachant comme le fait l'outrage, en crachant, en grinçant des dents, de dégoût, de dégoût, de dégoût...
Le passage ci-dessous est étonnant, de la part dAsturias, et une bonne matière à méditation. En tout cas, je prends ! - Spoiler:
- Citation :
- L'écriture tue tout ce qui vit. L'écriture a perdu le sens du sacré. C'est la farce d'un monde mort. Le lâche écrit sur le héros. Le réactionnaire prépare sa thèse sur la Révolution Française. Le terre-à-terre, le solide, le sordide, le gratte-papier, le pauvre hère, s'engouent pour la poésie et écrivent des poèmes. Ah ! l'écorce, l'écorce de la vulgarité quotidienne...l'Apôtre vulgaire qui veut mettre le doigt dans la plaie...Gandhi !...expliqué par lui, le moins intègre de tous, lui, le trafiquant de Judas, des Judas, l'homme complaisant, le soupirant d'Ana Julia...la classe sociale...la caste...l'argent...Amour ! ton "m" de merde, comment te l'enlever ?
Oui, l'écriture a perdu de sa valeur, son sens profond, ce caractère sacré qui lui venait du fond des siècles, son énigme, son mystère, elle est devenue annonce et publicité. On annonce. On annonce tout. Plus rien n'existe par l'écriture, tout existe par l'annonce. Ce qui n'est pas annoncé n'existe pas. Le monde, le monde d'aujourd'hui, le nôtre, flotte sur les lettres, il vit de leur forme extérieure, et non de leur forme intérieure, comme l'homme autrefois. Et c'est pourquoi toute notre civilisation dégringole. Elle nous dégringole dessus sous forme d'annonces. Etre annonce ou ne pas être.
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