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| André Major | |
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Auteur | Message |
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jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: André Major Jeu 4 Juil 2013 - 11:01 | |
| André Major (1942-...) est un écrivain de longue date. Surtout reconnu pour Le cabochon, ses carnets d'écriture et ses engagements littéraires - il participa à l'aventure de la revue Parti-Pris dans les années 1960 et prit part à la fondation de l' Union des écrivains du Québec en 1977 -, André Major s'est fait connaître comme poète dans un premier temps à l'instar de Jean-Simon Desrochers en publiant deux recueils de poésie dès 1961. Pendant longtemps, il aura entretenu une correspondance avec l'écrivaine Gabrielle Roy. Il fait partie du conseil d'administration du fonds Gabrielle-Roy - depuis sa mort en 1983. Tel un chat, André Major semble avoir plusieurs vies. Nous pouvons connaître le poète - Le froid se meurt et Holocauste à deux voix -, la figure de l'écrivain québécois engagé dans les années 1960, le journaliste, l'homme de théâtre et auteur de pièces radiophoniques. Plus récemment, André Major connut une consécration tardive en se recyclant dans les carnets littéraires - Le sourire d'Anton ou l'adieu au roman (2001), L'esprit vagabond (2007) et Prendre le large (2012). Son tout dernier roman - qui constitue un détour de plus dans son oeuvre -, À quoi ça rime constitue un prolongement à son oeuvre. À l'automne 2011, André Major est allé voyager en résidence d'écrivain à Lisbonne. Il en a profité pour relire Pessoa. Dans cette mesure, nous pouvons rapprocher ces méditations à celles de Jacques Brault et Gérald Godin. Dans À quoi ça rime, Major traite de Hamsun, Kafka, Léautaud et Pessoa. Sans plus tarder, je vous laisse apprécier sa bibliographie : - Citation :
- - Le froid se meurt, poésie, 1961
- Holocauste à deux voix, poésie, 1961 - Le cabochon, 1964 - La chair de poule, nouvelles, 1965 - Félix-Antoine Savard, biographie, 1968 - Poèmes pour durer, Montréal, (Québec), Canada, Éditions du Songe, coll. « Poésie du Québec », 1969 - Le Désir, suivi de Le Perdant, pièces radiophoniques , Montréal, (Québec), Canada, Éditions Léméac, coll. «Répertoire québécois», 1973 - L'Épouvantail, 1974 - L’Épidémie, Montréal, (Québec), Canada, Éditions du Jour, 1975, - Une Soirée en octobre , Montréal, (Québec), Canada, Éditions Léméac, coll. « Théâtre Leméac », 1975 - Les Rescapés, Montréal, (Québec), Canada, Éditions Quinze, 1976 - L’Hiver au cœur, Montréal, (Québec), Canada, Éditions XYZ, coll. « Novella », 1987 - Histoires de déserteurs, Montréal, (Québec), Canada, Éditions du Boréal, 1991 - La Vie provisoire, Montréal, (Québec), Canada, Éditions du Boréal, 1995 - La Folle d’Elvis, Montréal, (Québec), Canada, Éditions du Boréal, 1997 - Le Vent du diable, Montréal, (Québec), Canada, Éditions du Boréal, 1998 - Le Sourire d’Anton ou L’Adieu au roman. Carnets 1975-1992, Montréal, (Québec), Canada, Presses de l'Université de Montréal, 2001 - Nous ferons nos comptes plus tard : correspondance (1962-1983) / Jacques Ferron et André Major, Montréal, (Québec), Canada, Lanctôt Éditeur, coll. « Cahiers Jacques Ferron », 2004 - L'esprit vagabond. Carnets 1993-1994, 2007 - Prendre le large. Carnets 1995-2000, Montréal, (Québec), Canada, Éditions du Boréal, 2012 -À quoi ça rime?, Montréal, Boréal, 2013
Dernière édition par jack-hubert bukowski le Mer 10 Juil 2013 - 13:54, édité 1 fois | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Lun 8 Juil 2013 - 2:11 | |
| André Major est un écrivain qui soupèse bien la condition et l'être de la parole québécoise. Sa prose nous permet de mesurer les défis de l'écrivain/poète québécois en proie à une errance. - André Major, Le sourire d'Anton ou l'adieu au roman. Carnets 1975-1992, 2012, Boréal/Compact, p. 100. a écrit:
- 24 décembre [1988]
(extrait)
Il me semble ne plus pouvoir écrire que pour m'exercer au silence, ne plus prendre la parole que pour dénoncer la vanité de mes hantises, de mes rêveries et de mes opinions. Dénoncer tout ce qui gonfle mon égo d'une dérisoire importance. Si rien de ce que je m'aventure à écrire n'a la moindre portée, je devrais passer à autre chose, me passionner, par exemple, pour la botanique - ou l'ornithologie dont je suis passablement ignorant, comme de bien d'autres sciences. Ces carnets, j'y reviens pourtant comme à une ultime tentative pour éprouver le poids des mots, pour jouir encore du privilège insensé de la parole, mais rien à faire, je demeure incapable de modifier le lent parcours d'une déroute dont ces fragments constituent les étapes. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Mer 10 Juil 2013 - 11:59 | |
| Le propos d' André Major dans L'esprit vagabond ne diffère pas tellement de celui d'un Victor-Lévy Beaulieu qui s'exprime avec emphase et un genre de majesté. Quant à ce qui concerne Major, je vous laisse voir la tournure de ses remarques : - André Major, L'esprit vagabond, 2007, Boréal, p. 17. a écrit:
- Qu'en est-il de la postérité pour un écrivain québécois - du rayonnement posthume de Gabrielle Roy, par exemple, ou d'Hubert Aquin, si commentés dans leur pays mais si peu lus ailleurs, et même d'une Anne Hébert, considérée par les Français comme l'une des leurs? Il faudrait peut-être qu'un prix Nobel échoie à un de nos compatriotes pour conférer à notre littérature un incontestable statut universel. Mais il ne suffit pas qu'une oeuvre s'impose, il lui faut représenter plus qu'elle-même : le jury, en effet, honore à travers elle un peuple ou une nation, parfois même une attitude morale exemplaire ou un engagement politique. Faute d'être évident, le malheur québécois n'émeut pas suffisamment le reste du monde. De toute manière, la véritable question, ce serait peut-être de savoir ce qu'il en est de la postérité pour quiconque car, comme le disait Borges, «on ne peut pas différer beaucoup de son époque, même si on le veut». «On date» forcément, qu'on soit né boulevard Saint-Joseph ou boulevard Saint-Michel. Le cimetière de la littérature est encombré de célébrités qu'il ne nous viendrait plus à l'esprit de lire.
Allons-nous seulement franchir ce mur de l'apathie collective? | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Mer 10 Juil 2013 - 12:40 | |
| Je vous en ai déjà parlé sur le fil de Fernando Pessoa : André Major s'est prêté au jeu d'écrire un roman sur Pessoa. Au début, ce devait être une nouvelle : c'est au fil des événements, vécus, et littéraires, que l'histoire s'est transformée. Question de vous appâter, je vous laisse sur le quatrième de couverture du livre : - André Major, À quoi ça rime, 2013, Boréal, Quatrième de couverture. a écrit:
- Que peut-il arriver à un homme une fois qu’il est parvenu au bout de son aventure, qu’il a quitté la route de son destin et qu’il ne se reconnaît plus d’autre patrie que l’humilité du monde tel qu’il est, plus d’autre souci que la simple possession de l’instant présent ? À quoi rime alors son existence et que peut-elle encore lui réserver ?
Veuf depuis quelques années, Antoine vient en outre de perdre le vieil oncle à qui tout son passé l’attachait. Il part vivre son deuil au bord du Tage, à Lisbonne, avec pour seuls compagnons ses souvenirs et l’ombre toujours vivante de Pessoa. De retour au pays, il entreprend de déserter pour de bon en se construisant un ermitage au milieu des bois, où il pourra tout recommencer à neuf, se dépouiller de ses vieux désirs et réapprendre l’amitié des choses, la beauté de la nature, la lenteur du temps qui passe, le repos de la solitude et du silence. Mais ce qu’il ignore, c’est que la vie n’en a pas fini avec lui… À quoi tout cela rime-t-il exactement ?
Depuis La Vie provisoire (1995), André Major avait délaissé la fiction pour se concentrer sur l’écriture (et la réécriture) de ses carnets. Fort de cette expérience, qui a été pour lui celle d’un regard à la fois plus exigeant et comme désabusé sur le monde et sur soi, il revient ici au roman, renouant avec le personnage de L’Hiver au cœur (1987) et retrouvant ses thèmes et ses paysages de prédilection, mais pour les traiter sur un ton nouveau, comme épuré, avec un art de la prose et un sens du récit plus mûrs et mieux maîtrisés que jamais. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Mer 10 Juil 2013 - 14:06 | |
| Dans Le cabochon, j'ai parcouru l'introduction rédigée par André Major. Voici ce qu'il nous présente : - André Major, Le cabochon, 2010, TYPO/Roman, p. 7. a écrit:
- Le cabochon est le premier roman que j'ai eu l'audace de publier, et je le considère aujourd'hui comme mon acte de naissance littéraire, déclaration qui revient à répudier les poèmes et nouvelles publiés précédemment. Ce n'était pas le premier roman que j'écrivais; le sixième peut-être ou le septième. On était en 1964, et ma collaboration à la revue Parti pris m'avait contraint à trouver refuge chez Dupuis Frères, sous la fraternelle gouverne d'un gérant [Alain Horic] qui était aussi poète et qui, près d'un quart de siècle plus tard, se paie le luxe de rééditer ce roman.
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| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Jeu 11 Juil 2013 - 8:01 | |
| André Major a sa conception du débat. Clairement, il a mal pris le fait d'être pris à contrepartie par Victor-Lévy Beaulieu. Disons que ce dernier aime verser dans la démesure. Il nous faut garder ceci à l'esprit en lisant l'extrait suivant : - André Major, L'esprit vagabond. Carnets, 2007, Boréal, p. 42-43. a écrit:
- 11 février [1993] - Victor-Lévy Beaulieu dénonce ceux qu'il appelle les mononques Bourgault et Parizeau et les séniles précoces qu'Yves Beauchemin et moi serions devenus sous prétexte que nous ferions un drame de la langue pratiquée au Québec. Sous son chapeau, on dirait que c'est Claude Jasmin qui s'égosille de la sorte. Mais qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre, il n'y a pas d'appel à la discussion dans cette diatribe visant à discréditer l'adversaire et à lui clouer le bec. On se taira donc pour que le prophète puisse retourner à Trois-Pistoles et à ses oeuvres. Parce que «si la littérature, comme l'écrit Gombrowicz, se développe à l'écart, dans la solitude, dans l'opposition, dans la timidité et la honte, dans la révolte et l'appréhension», c'est en pure perte qu'on se lance, ainsi que j'ai cru devoir le faire récemment, dans des débats publics forcément piégés pour celui qui ne va pas dans le sens du conformisme idéologique. On sait d'avance que le débat ne peut avoir lieu dès lors qu'une des parties disqualifie l'autre. Comment un «sénile précoce» oserait-il engager le combat avec un étalon qui se cabre et prend le mors aux dents?
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| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Ven 12 Juil 2013 - 8:25 | |
| À propos de Gabrielle Roy, André Major a exprimé quels sentiments l'animaient à sa lecture : - André Major, L'esprit vagabond, 2007, Boréal, p. 122-123. a écrit:
- 19 septembre [1993] - On s'étonnera peut-être qu'un des membres du fonds Gabrielle Roy qu'elle-même avait désignés pour voir à la bonne marche de sa postérité littéraire ne soit pas toujours un lecteur fervent ou inconditionnel de son oeuvre. Je n'oublie pas quelle forte leçon d'écriture incarnée j'ai tirée de son Bonheur d'occasion, ni cet admirable ouvrage de mémorialiste qu'est La Détresse et l'Enchantement. Mais il me semble que son réalisme évolue dans l'aire d'un humanisme social-chrétien refoulant très loin la part du délire ou de la dérive des âmes, comme si elle se bornait à voir le monde en tchékovienne retenue et à traduire cette vision dans un style un peu maîtresse d'école. J'entends déjà de fidèles lecteurs et lectrices se récrier en me traitant d'ingrat, moi qui lui dois d'avoir compris que la pauvreté de mes origines pouvait être une inspiration et pas seulement une honte ou une fatalité. Mais quelle mouche m'a piqué ce matin, après avoir feuilleté quelques-uns de ses livres rangés en bon ordre dans ma bibliothèque de campagne, pour oser noter cela que j'ai déjà ressenti un peu honteusement, je l'avoue? Il faudrait peut-être qu'au lieu de butiner à la paresseuse dans ses livres, j'en fasse une relecture attentive. Ma réserve date, il faut dire, de ma jeunesse, et il serait temps que j'en vérifie le bien-fondé.
Preuve qu'il faut avoir un sens critique, je donnerai au moins à André Major le bénéfice du doute et la possibilité de vérifier ses impressions de lecture.
Dernière édition par jack-hubert bukowski le Ven 12 Juil 2013 - 9:04, édité 1 fois | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: André Major Ven 12 Juil 2013 - 8:42 | |
| Tu te donnes tant de mal à nous faire connaître cet auteur, je vais noter son nom pour une première rencontre
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| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Ven 12 Juil 2013 - 9:15 | |
| Peut-être que je me donne du mal pour donner un peu plus de lumière à André Major. Il demeure cependant que chaque auteur que nous privilégions nous rejoint dans nos sensibilités. Avec André Major, nous faisons un peu le tour de la littérature. Depuis qu'il s'est mis aux carnets, son écriture s'est améliorée sensiblement. Il maîtrise beaucoup plus ce qu'il accomplit le mieux. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Sam 13 Juil 2013 - 11:19 | |
| Un extrait de la démarche d' André Major peut nous permettre de mieux comprendre ce qui le brûle dans sa passion d'écrire : - André Major, L'esprit vagabond, 2007, Boréal, p. 186-187. a écrit:
- 17 novembre [1993] - [...] Comment me serais-je détaché d'un monde contre lequel mon instinct vital me pousse à m'insurger? Au nom de quelle sagesse étrangère à ma sensibilité? Même si on prétend tourner le dos au monde, on ne cesse d'en découdre avec lui, et pas question de l'ignorer ni d'y adhérer. Le seul profit que j'ai tiré de mes tentatives de détachement, c'est de me sentir plus libre intérieurement - d'une liberté dont l'artiste n'a que faire, lui qui n'avance qu'avec à ses trousses les ombres grimaçantes ou séductrices d'un passé à jamais investi par cette démesure fabulatrice qui fonde les mythes ou les détruit. Se détacher revient à faire la sourde oreille aux appels des ombres pour avoir cette paix qui vous travestit en faux ermite occupé à sevrer son âme des appétits qui la torturent. Et au profit de quoi, sinon d'une sainteté dévoyée, si risible finalement qu'elle n'ose plus s'exprimer autrement qu'en balbutiant des prophéties autodestructrices. Sous prétexte d'assumer ma pauvreté originelle, j'ai pris congé de ce langage qui risquait de m'ouvrir l'âme et la chair à une souffrance extrême parce que, dès lors qu'on s'y livre en toute innocence, avec la sauvagerie de son instinct, il n'a pitié de rien ni de personne, encore moins de celui qui ose y recourir.[...]
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| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Mar 16 Juil 2013 - 10:29 | |
| Je viens de terminer la lecture de L'esprit vagabond. Dans l'ensemble, j'ai préféré le premier tome ( Le Sourire d'Anton). Toutefois, comme vous avez pu le voir au fil des citations que j'ai disséminées ici et là, André Major est un homme rempli de ressources. Il ne dédaigne pas à nous faire connaître plusieurs possibilités de composition littéraire, en même temps qu'il nous entretient de ses préférences en matière littéraire et d'actualité politique. Pour parachever le portrait, je vous laisse sur quelques citations pour vous permettre de vous faire une idée sur le contenu de l'ouvrage : - André Major, L'esprit vagabond. Carnets 1993-1994, 2007, Boréal, p. 217 a écrit:
- 22 décembre [1993]
[...]
La faculté de «faire écho» est la seule qui compte selon Ramuz, qui rappelle qu'on n'est que «passager dans un monde passager» et «précaire dans un monde précaire». Soit dit en passant, je dois être avec Pierre Morency l'un des rares lecteurs de Ramuz - du moins dans ma génération. Parmi mes aînés, il y avait Saint-Denys Garneau et Hubert Aquin, qui l'ont évoqué à maintes reprises dans leur journal. - Ibid., p. 235. a écrit:
- 16 janvier [1994]
[...]
La fatigue nous rend égoïstes, comme d'ailleurs une aisance matérielle qu'on croit pleinement méritée. Un petit malheur suffit pour réveiller notre compassion. Mais qu'un grand malheur nous accable, on le croit unique et l'on s'y enferme.
[...] - Ibid., p. 239-240. a écrit:
- 12 février [1994] - Ce matin, feuilletant ce carnet, je trouve sa lecture parfois intimidante du seul fait de m'y voir non pas comme je le voudrais, mais tel que je me présente au courant de la plume. Je dis parfois car, heureusement, mon propos concerne bien d'autres sujets que ce pauvre moi toujours en quête de je ne sais quelle métamorphose. Mais quand j'y apparais, c'est sous une allure étrangement familière : ce personnage qui parle en mon nom, s'il ressemble à celui que je crois être, s'écarte de moi en quelque sorte, comme pour devenir le lecteur de moi-même. Le recul que cela me donne devrait faire de moi un observateur pas nécessairement plus aimable - but avoué de tant d'écrivains -, mais plus vigilant et du même coup plus juste.
[...] | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Mer 17 Juil 2013 - 10:56 | |
| Je viens d'entreprendre À quoi ça rime? André Major a écrit un roman de maturité, dans la droite lignée de ses carnets littéraires. Pour le moment, je me laisse bercer par l'histoire qu'il nous raconte. Le rythme est relativement assez lent comme on peut s'y attendre d'un écrivain qui prend Pessoa pour inspiration. Par exemple, je note cet extrait à la page 55 où nous pouvons percevoir l'influence pessoenne derrière la plume : - André Major, À quoi ça rime?, 2013, Boréal, p. 55. a écrit:
- À cette heure-là, j'entendrais ma voisine de palier fermer sa porte et la verrouiller, puis descendre les soixante-neuf marches de l'escalier. Elle allait parfois s'asseoir dans le parc où elle retrouvait une amie, qu'elle m'avait présentée. J'avais beau tenter d'échanger quelques mots avec elle et l'entendre vaquer quotidiennement à ses occupations, elle demeurait pour moi une parfaite étrangère, tout comme je demeurais un parfait étranger quand elle étirait le cou pour voir ce que je pouvais tramer tout seul, assis à ma table. Ce soir-là, il me semblait que la rumeur du voisinage était assourdie par le couvert nuageux et peut-être par la conscience plus aiguë que j'avais du peu de temps qu'il me restait avant de revenir dans ce que je n'osais plus appeler ma patrie, mais qui était le seul endroit sur terre où j'avais des attaches.
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| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Jeu 18 Juil 2013 - 9:44 | |
| Je viens de conclure À quoi ça rime? C'était une lecture intéressante, parmi tant d'autres. André Major est meilleur dans les carnets. À mon sens, Guillaume Vigneault a un talent plus naturel que lui pour écrire des romans. Il n'en reste pas moins qu' André Major a quelque chose à dire comme écrivain. Pendant longtemps, il aura payé le prix de ses dissidences et de la marginalité dans laquelle il se confinait. Cela veut nécessairement dire qu'il a cultivé un chemin bien à lui. Toutefois, nous pouvons dire que Victor-Lévy Beaulieu (VLB) l'a taraudé dans sa quête littéraire : - André Major, À quoi ça rime?, 2013, Boréal, p. 133-134. a écrit:
- La veille, une fois mes bagages tassés dans le coffre, rien ne me retenait plus à mon appartement de Montréal, sauf cette masse de papiers lourde comme une dette dont je devais absolument m'acquitter. J'étais donc remonté à l'appartement pour me charger de la boîte et la caler sur la banquette arrière. Puis je l'avais transportée jusqu'à la cabane en pestant contre son poids et en me promettant de ne plus remettre à plus tard l'autodafé qui paverait la voie au personnage d'ermite dont la gestation durait depuis trop longtemps. Après l'avoir traînée devant le poêle, j'ai allumé le feu en y jetant ces centaines de feuillets manuscrits ou dactylographiés que j'avais accumulés au fil des années, comme si je brûlais du même coup ma défroque d'écrivain. En remuant les restes noircis qui tapissaient le fond du poêle, je me suis dit que cet autodafé risquait de n'avoir qu'une portée symbolique aussi dérisoire peut-être que lorsque notre écrivain de la boursouflure, frustré que «son» peuple, ainsi qu'il appelle ses compatriotes, ne le suive pas dans les méandres de sa pensée eschatologique, avait convoqué la presse locale pour que notre beau petit monde le voie jeter au feu quelques exemplaires de ses boursouflures. Il n'en restait pas moins que tous ces mots qui se tordaient dans les flammes avant de disparaître en fumée avaient circulé dans mes veines et irrémédiablement corrompu mon sang, m'empêchant de forger la langue de ma nouvelle et problématique identité.
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| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Ven 19 Juil 2013 - 9:53 | |
| Quittant la lecture d' À quoi ça rime?, j'ai entrepris Prendre le large. Dans l'ensemble, le texte paraît nettement plus «ouvragé». André Major garde le même propos à lequel il nous a habitués dans ses carnets, et il est plus explicite dans les dissidences qu'il assume : - André Major, Prendre le large, 2012, Boréal/Papiers collés, p. 34-35. a écrit:
- 29 novembre [1995] - Le premier ministre québécois attribue à l'amère défaite référendaire les compressions budgétaires qu'il impose aux assistés sociaux, sous prétexte que le gouvernement fédéral de Jean Chrétien a renié ses promesses de changement. Même si j'ai voté oui, je me sens de plus en plus une âme de non-aligné, soucieux avant tout de ne pas laisser l'indignation m'aveugler.
On m'a proposé de soumettre ma candidature à la Société royale du Canada, mais j'ai décliné l'invitation pour toutes sortes de raisons, me trouvant déjà suffisamment lié par mon appartenance à l'Union des écrivains. Dès qu'on s'exprime un peu librement, en allant à contre-courant, on risque de déplaire aux membres de sa confrérie. Un franc-tireur doit demeurer solitaire, je m'en suis rendu compte, il y a quelques années, quand j'ai osé dénoncer l'appui du président de l'UNEQ au médiocre Dictionnaire Robert québécois. Je suis devenu un traître, un ingrat reniant le peuple qui venait de lui décerner le prix David. C'est pour une raison strictement personnelle que je n'ai pas déchiré ma carte de membre. En outre, André Major renchérit encore à propos des femmes : - Ibid., p. 59. a écrit:
- 30 août [1996] - Arcade, revue littéraire habituellement réservée aux femmes, m'invite à participer à son prochain numéro qui commémore son quinzième anniversaire sur le thème imposé que voici : «Le XXIe siècle s'écrira au féminin». Je me demande bien ce que je pourrais dire là-dessus, qu'il s'agisse d'une prophétie, d'un voeu pieux ou d'un fait scientifiquement avéré.
Quelques jours plus tard, après une entrevue qu'elle nous accordait à l'occasion de la remise du prix Athanase-David, Monique Bosco nous disait - off the record, comme on dit - que les seules oeuvres fortes du XXe siècle avaient été produites par des femmes : Virginia Woolf et Clarice Lispector. Comme quoi notre siècle s'écrivait déjà au féminin. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
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| Sujet: Re: André Major Sam 20 Juil 2013 - 11:01 | |
| Nous pouvons trouver ici une des clefs de l'oeuvre d' André Major au moment d'évoquer Gaston Miron : - André Major, Prendre le large, 2012, Boréal/Papiers collés, p. 70-71. a écrit:
- 19 décembre [1996] Miron, quant à lui, me semblait d'une telle fidélité à lui-même que je pouvais ne pas le rencontrer durant des mois et n'avoir, en le revoyant, aucun effort à faire pour renouer avec lui, si familier et en même temps si public que je me contentais, comme tant d'autres, de jouer le rôle d'interlocuteur muet devant lequel il rodait sa plus récente argumentation. C'est ce personnage public que j'ai mis en scène dans L'Hiver au coeur en l'affublant un peu malicieusement du titre de poète national. Antoine, le protagoniste de cette histoire, le rencontre par hasard dans un restaurant de la rue Sainte-Catherine où il se contente de lui prêter l'oreille. Ce portrait aurait été plus vrai si j'avais fait sentir à quel point son discours était inspiré par une espérance durement conquise sur le désespoir, sur une aliénation patiemment et douloureusement élucidée, mais mon intention était plutôt de signaler le désarroi d'Antoine, désarroi qui se traduisait par une indifférence à toute forme d'engagement. Tout cela pour dire qu'il était facile de se laisser prendre au jeu du personnage qui haussait la voix dans l'inspipide ronron des lancements ou à la terrasse d'un café, et d'oublier l'essentiel, à savoir sa poésie dont on peut se demander s'il est possible de la lire sans avoir en mémoire l'interprétation que lui-même se donnait. La mort ne lui fera pas de sitôt déserter son territoire. Elle ne peut que figer son image, mais pas encore l'effacer. Et nous ne sommes pas près de pouvoir faire de L'Homme rapaillé une lecture distanciée, car pour tous ceux qui l'ont connu ou même simplement entendu la dire et même la scander, la poésie de Miron - avec ses recoins d'ombre et ses apartés, plus nombreux qu'on l'imagine, surtout si ses poèmes inédits paraissent un jour - aura encore longtemps sa voix impérieuse comme une bourrasque dans «la beauté fantôme du froid».
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