Wajdi Mouawad

Anima


Voilà, je l'ai fini, il y a une semaine déjà et je me rends compte que je ne vais pas bien en parler, j'ai peur de le desservir...
Malgré la violence de ce livre surtout dans le dernier tiers, je dois avouer que c'est un de mes livres préférés de cette année.

J'ai beaucoup aimé , contrairement à mimi54, le début avec les narrations des animaux et je ne place là aucune question d'intelligence plutôt une prédisposition à savoir ou vouloir ardemment écouter ce genre de récit. On aborde les livres avec son propre bagage et ce qu'on a vécu , donc tout est variable de l'un à l'autre.
Au delà de cette forme , il y a l'écriture elle -même qui m'a séduite et envoûtée au point de ne pas arriver à quitter le livre....jusqu'au crescendo de la cruauté humaine : là, la lecture s'est faite plus lentement parce que ce que je lisais me "triturait" tant l'esprit qu'il me fallait plus de temps pour avancer et pourtant, il faut lire....


Ce livre est , pour moi, un cadeau : une rencontre avec une écriture qui m'enchante et une narration que j'espérais : tous ces animaux......et un regard sur des évènements passés que notre génération ne connait pas si bien. Il fallait aller jusque la dernière page pour être différent, ensuite, je crois.

Voyez, je ne sais pas trop bien décrire, c'est un livre plein de passion et il nous en laisse une part....




Coline, tu sembles bien connaitre l'univers de cet écrivain. Ses autres oeuvres sont-elles aussi violentes ? y en a t-il une que tu me recommanderais en particulier ?

Anima

Je suis d'accord avec toi Noémie on se sent tout petit face à un tel livre, d’une telle ampleur, d’une beauté aussi déchirante, d'une violence aussi définitive.
Un livre que je ne saurais conseiller , tant il est cru et impudique, mais qui parviendra à’ sy colleter sera payé en retour par une émotion qui laissera en lui une trace, qui n’est pas près de s’effacer. Il faut en être prévenu, et plus d'un abandonneront la lecture (Mimi tu as bien fait car les 50 premières pages n’arrivent pas en violence à la cheville des 50 dernières). C'est d'ailleurs une des questions que pose le livre : Mouawad a écrit un chef-d'oeuvre douloureux à la noirceur flamboyante, mais il est certain que ce qu'il gagne en majesté, que ses excès lyriques, vont lui faire perdre une bonne part du public. Ce que son message gagne en force risque de n'être accessible qu'à un petit nombre (et là encore Mimi, ce n'est pas une question d’intelligence et de savoir, mais de sensibilité - j’ai bien dit sensibilité, pas sensiblerie) – et il en est de même dans le choix de ne pas traduire les dialogues prononcés en anglais, même en note, qui a un petit coté élitiste gênant.

Les premières pages décrivent le meurtre atroce de Léonie. Quand son mari découvre son corps violenté, cela déchaîne en lui l’émergence d'un déchirement refoulé et inexploré que Wahhch Debch n'aura de cesse de ramener au jour, la révélation du traumatisme étant le passage obligé pour un possible retour à une vie plus normale. Ainsi Wahhch Debch, muré comme pierre dans sa douleur, étranger aux hommes qui l'entourent, part pour une errance à travers le Canada et les États-Unis, à la rencontre de son passé-destin (que je ne révèle pas mais qui le lie à l’histoire d’aujourd’hui dans ce qu’elle a de plus atroce, histoire des Etats Unis à travers la guerre de sécession et le destin indien, histoire du monde à travers la tragédie palestinienne). C’est une odyssée désespérée qui le mènera à la découverte de son propre sens dans un dénouement en apothéose cathartique d’une violence sauvage.

Cet homme est lié par une étrange communion aux animaux qu’il frôle et rencontre. Et ce sont eux, les animaux, chats et chiens familiers, chevaux, mais aussi oiseaux de passage, insectes, mulots…, étonnant chœur antique, qui se passent le relais pour raconter l'histoire, histoire d'un homme tellement désespéré des hommes que seuls les animaux peuvent le comprendre. Il ne s'agit pas là d'un anthropomorphisme niaiseux, mais d'une façon autre de voir notre monde et de le décrire. Eux seuls savent que :

Citation :

le monde est vaste, mais les humains s’entêtent à aller là où leur âme se déchire.

Ce qui pourrait n'être qu'une astuce, un procédé, nous emporte dans des moments d'émotion littéraire intense. Le style de Mouawad alterne des enchaînements de petites phrases haletantes, sujet-verbe-complément, puis une envolée magique nous fait perpétuellement retourner sur le texte, pour mieux le savourer, en apprécier la portée.

Il faut donc savoir qu'on aborde un livre cruel, insistant dans cette cruauté humaine, souvent à la limite du soutenable, mais un livre totalement unique, bouleversant dans l'écriture, ouvert sur l'histoire et les racines, émerveillant dans une compréhension noire des hommes, crûment descriptif de leurs déchaînements les plus atroces. Mais pas un livre dont on redemande, on en sort épuisé : il prend justement sa valeur parce qu'il est totalement unique et qu’on va l’assimiler peu à peu, On se sent boa, digérant cette prose sublime et malfaisante qu'on a pris un plaisir farouche à avaler.

Je crains beaucoup cette crudité, cette violence. J'ai le bouquin à lire pour la chaîne. Pas sûr que j'y parvienne.
J'attends de récupérer le livre. Je l'ai réservé à la médiathèque. D'ici 8 ou 10 jours j'espère.

Harelde a écrit:

Je crains beaucoup cette crudité, cette violence. J'ai le bouquin à lire pour la chaîne. Pas sûr que j'y parvienne.
J'attends de récupérer le livre. Je l'ai réservé à la médiathèque. D'ici 8 ou 10 jours j'espère.

Par contre toi qui aime quand c'est bien écrit...

topocl a écrit:

Harelde a écrit:

Je crains beaucoup cette crudité, cette violence. J'ai le bouquin à lire pour la chaîne. Pas sûr que j'y parvienne.
J'attends de récupérer le livre. Je l'ai réservé à la médiathèque. D'ici 8 ou 10 jours j'espère.

Par contre toi qui aime quand c'est bien écrit...

Je m'accrocherai donc pour tenter de ne pas passer à côté !

Je vais adorer ça!! C'est vendu

Pour toi, Marko, j suis nettement plus sûre de mon coup que pour Harelde.

Noémie a écrit:

Anima


Au delà de cette forme , il y a l'écriture elle -même qui m'a séduite et envoûtée au point de ne pas arriver à quitter le livre....jusqu'au crescendo de la cruauté humaine : là, la lecture s'est faite plus lentement parce que ce que je lisais me "triturait" tant l'esprit qu'il me fallait plus de temps pour avancer et pourtant, il faut lire....


Ce livre est , pour moi, un cadeau : une rencontre avec une écriture qui m'enchante et une narration que j'espérais : tous ces animaux......et un regard sur des évènements passés que notre génération ne connait pas si bien. Il fallait aller jusque la dernière page pour être différent, ensuite, je crois.

Voyez, je ne sais pas trop bien décrire, c'est un livre plein de passion et il nous en laisse une part....




Coline, tu sembles bien connaitre l'univers de cet écrivain. Ses autres oeuvres sont-elles aussi violentes ? y en a t-il une que tu me recommanderais en particulier ?

Mais si, Noémie, tu as très bien décrit...Je trouve tes mots très justes.

Que te conseiller pour poursuivre?
Le seul autre roman de Wajdi Mouawad, c'est Visage retrouvé que j'ai moyennement aimé (mais peut-être devrais-je le relire?). Tous ses autres écrits sont pour la plupart des textes de théâtre (avec de long monologues, ce qui fait qu'ils se lisent assez bien.

clic

topocl a écrit:

Anima

Je suis d'accord avec toi Noémie on se sent tout petit face à un tel livre, d’une telle ampleur, d’une beauté aussi déchirante, d'une violence aussi définitive.
Un livre que je ne saurais conseiller , tant il est cru et impudique, mais qui parviendra à’ sy colleter sera payé en retour par une émotion qui laissera en lui une trace, qui n’est pas près de s’effacer. Il faut en être prévenu, et plus d'un abandonneront la lecture (Mimi tu as bien fait car les 50 premières pages n’arrivent pas en violence à la cheville des 50 dernières). C'est d'ailleurs une des questions que pose le livre : Mouawad a écrit un chef-d'oeuvre douloureux à la noirceur flamboyante, mais il est certain que ce qu'il gagne en majesté, que ses excès lyriques, vont lui faire perdre une bonne part du public. Ce que son message gagne en force risque de n'être accessible qu'à un petit nombre (et là encore Mimi, ce n'est pas une question d’intelligence et de savoir, mais de sensibilité - j’ai bien dit sensibilité, pas sensiblerie) [...]

C’est une odyssée désespérée qui le mènera à la découverte de son propre sens dans un dénouement en apothéose cathartique d’une violence sauvage.

[...]

Il faut donc savoir qu'on aborde un livre cruel, insistant dans cette cruauté humaine, souvent à la limite du soutenable, mais un livre totalement unique, bouleversant dans l'écriture, ouvert sur l'histoire et les racines, émerveillant dans une compréhension noire des hommes, crûment descriptif de leurs déchaînements les plus atroces. Mais pas un livre dont on redemande, on en sort épuisé : il prend justement sa valeur parce qu'il est totalement unique et qu’on va l’assimiler peu à peu, On se sent boa, digérant cette prose sublime et malfaisante qu'on a pris un plaisir farouche à avaler.

Remarquable commentaire. Félicitations Topocl! J'y vois tout l'enthousiasme qui t'a portée pendant cette lecture magnifique et violente.

Harelde a écrit:

Harelde a écrit:
Je crains beaucoup cette crudité, cette violence. J'ai le bouquin à lire pour la chaîne. Pas sûr que j'y parvienne.
J'attends de récupérer le livre. Je l'ai réservé à la médiathèque. D'ici 8 ou 10 jours j'espère.

J'espère que tu pourras l'avoir...au moins pour vérifier s'il pourrait te plaire.

Marko a écrit:

Je vais adorer ça!! C'est vendu!

J'étais étonnée que tu ne réagisses pas plus vite...J'espère que tu vas aimer!

Pour moi, c'est un des romans de la rentrée injustement oublié des prix littéraires.
Avec Wajdi Mouawad on est vraiment "en littérature"!

L'as tu lu, coline?
(je crois que sans toi je ne m'y serais pas forcément essayée. je te dois quelque chose!)

C'est si frustrant ne ne pas avoir accès à ce genre de chose, de ne pas avoir les clés, ni même les moyens d'avoir les clés.....Dévalorisant même....

topocl a écrit:

L'as tu lu, coline?
(je crois que sans toi je ne m'y serais pas forcément essayée. je te dois quelque chose!)

Merci Topocl!
Oui, oui, bien sûr je l'ai lu!
clic
Je suis très heureuse de partager le plaisir de cette lecture peu évidente avec vous. Il y a un vrai "style" et un univers Mouawad, unique dans son genre...
Cet homme sensible (et jeune encore) a des choses à nous dire, qui reviennent à jour depuis leur enfouissement sous des couches de souvenirs douloureux...
Et quel talent d'écriture!

mimi54 a écrit:

C'est si frustrant ne ne pas avoir accès à ce genre de chose, de ne pas avoir les clés, ni même les moyens d'avoir les clés.....Dévalorisant même....

Mais non Mimi...Tous nous avons accès à certains domaines, et pas à d'autres...Cela peut être frustrant mais il ne faut pas le vivre comme dévalorisant.
Par exemple, je voudrais bien avoir accès aussi intensément que toi à la musique...

Bête que je suis, je n'étais pas remontée assez loin

coline a écrit:

ANIMA
Je ne saurais conseiller à quiconque de le lire, mais personnellement la langue de Mouawad et son imaginaire tout à fait singulier m’emportent, admirative, loin dans une violence où je ne sais pas d’ordinaire aller dans mes lectures.

Tout est dit!

topocl a écrit:

coline a écrit:

ANIMA
Je ne saurais conseiller à quiconque de le lire, mais personnellement la langue de Mouawad et son imaginaire tout à fait singulier m’emportent, admirative, loin dans une violence où je ne sais pas d’ordinaire aller dans mes lectures.

Tout est dit!

Je ne me rappelais même pas que je l'avais dit...
Mais c'est exactement ce qui m'arrive avec cet auteur.