Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Gonçalo M. Tavares [Portugal]

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Arabella
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Arabella


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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyMar 26 Mai 2015 - 22:05

animal a écrit:
eXPie a écrit:
Claude Simon
tente L'Herbe, après tu mourras d'envie de (re)lire La route des Flandres. diablotin

Ce n'est pas possible d'avoir envie de relire La route des Flandres. dentsblanches
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animal
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyMar 26 Mai 2015 - 22:25

j'ai souffert, mais est-ce le dernier livre que je serai prêt à relire ?

mais on s'écarte du sujet... honte
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shanidar
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyLun 1 Juin 2015 - 10:25

Bédoulène a écrit:
merci Expie pour ton commentaire et les extraits, je suis confortée dans le sentiment que Tavarès n'est pas pour moi.

(j'ai tout de même lu 150 pages du voyage en Inde, mais même si l'écriture m'a intéressée au départ (effet de surprise ?) je ne trouve pas de plaisir à la lecture, je me trainais pour l'avancer. L' inégalité de  phrases tantôt très fines et tantôt qui ressemblaient à des lapalissades m' a gênée)


mais bonne lecture à vous.

Je rejoins Bédou à propos de ce qu'elle dit du Voyage en Inde (en revanche je ne suis pas vaccinée et tenterais sans doute un autre plus tard) :

Un voyage en Inde

Alors nous voilà avec Bloom, descendu tout droit de l'Ulysse de Joyce, lui-même sorti tout casqué de la cuisse d'Homère et qui pour briser sa tristesse décide de partir en Inde. Car en Inde, Bloom espère rencontrer (au choix) une femme ou la sagesse. Vous noterez soigneusement l'ordre des priorités, la femme avant la sagesse mais surtout ce n'est pas l'amour qu'il espère mais bien la femme, la rencontre avec la chair, la passion des corps, l'échange des flux ; puis la sagesse… viendra peut-être !

Bon assez rapidement le lecteur comprend que l'Inde est finalement un leurre et que l'intérêt de la quête est bien dans son déroulement, son voyage, sa pérégrination, ce qui nous change finalement assez peu des récits de voyage.

Nous faisons donc une halte à Londres où les Anglais sont des assassins (de Quincey l'avait dit), puis à Paris (où les français sont des proxénètes) puis en Inde où les Indiens sont des voleurs, érudits, certes, mais voleurs. Au fur et à mesure que se déroule le voyage, le lecteur découvre peu à peu la sombre personnalité de Bloom, qui n'est pas, mais pas du tout un enfant de chœur. Oh non.

Alors même si de temps en temps un brin d'humour peut faire sourire, même si le passage à tabac des idéaux de Bloom peut être plein de Sagesse, si la connaissance biblique de la femme apparait comme une sorte d'acmé littéraire, il n'en reste pas moins que la lecture de Tavares, loin d'être turbulente, n'est le plus souvent qu'un habillage forcé, un étalage de phrases toutes faites, souvent banales, parfois grotesques, le plus souvent dignes de La Palice. Rien de bien extraordinaire dans la litanie du narrateur, en dehors peut-être de quelques jolies tournures pour parler des quatre éléments (oh oui l'air, la terre, l'eau et le feu sont les vrais artisans de ce livre) mais dont finalement le lecteur finit aussi par éprouver la vacuité. Le but avoué de Bloom est de découvrir un ennui déroutant, c'est à croire que le lecteur trouve le premier mais rarement le second dans ce livre bizarrement têtu, voire sentencieux.

Le voyage de Bloom est une boucle qui ne débouche sur rien, aucun enseignement, aucun espoir, il s'agit bien ici du chant mélancolique de notre contemporanéité, le spleen nouveau d'êtres malheureux car malades, écartelés entre une forme d'érudition de collectionneur et une violence physiquement assumée, entre le Beau et la Bête, point de doute l'homme moderne renonce à choisir. Il en est de même pour l'ironie, car l'ironie doit être un trait, hors si ce trait comme dans Un voyage en Inde badigeonne intégralement le texte, il perd sa nature comme un serpent qui se mordrait la queue, ouroboros se digérant lui-même et finissant en squelette puis en poussière.

Vacuité, tout n'est que vacuité.

Je ne vous conseille donc pas d'entrer dans l'univers de Tavares en passant par l'Inde, vous risqueriez d'y tourner en rond…

N.B. : je relierai volontiers La Route des Flandres, moi... mais chut !
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Arabella
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyLun 1 Juin 2015 - 19:11

J'ai tellement aimé Jérusalem, Shanidar, et serais si intéressée par ton avis...
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyMar 2 Juin 2015 - 9:34

Arabella a écrit:
J'ai tellement aimé Jérusalem, Shanidar, et serais si intéressée par ton avis...

Une invitation à Jérusalem ne se refuse pas ! (et en plus il est dispo à la médiathèque !)
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyMar 2 Juin 2015 - 11:49

A la lecture de ton commentaire Shanidar, je ne regrette pas de l'avoir interrompue.

Mais je tenterai un autre livre
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyMer 3 Juin 2015 - 9:21

Bédoulène a écrit:
A la lecture de ton commentaire Shanidar, je ne regrette pas de l'avoir interrompue.

Mais je tenterai un autre livre

Encore désolée de t'avoir embarquée dans cette étrange lecture... Mais tant mieux si tu n'es pas rebutée au point de renoncer totalement à Tavarès !
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyJeu 18 Juin 2015 - 10:36

Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 Tavare10 Jérusalem

Tavarès cherche à faire entrer sa narration dans un système en utilisant parfois un discours pseudo scientifique ou pseudo philosophique, cela pourrait effrayer (cela effraie) , tout comme son personnage de médecin Théodor Busbeck est inquiétant à vouloir faire entrer l'Histoire dans un tableau, à vouloir inscrire les massacres humains dans un graphique.

Heureusement très rapidement, le lecteur se laisse emporter par la force narrative de l'auteur et prend un plaisir un peu pervers, un peu sadique, en tout cas toujours effrayant à suivre les personnages de Tavarès. A charge pour lui de savoir (ou pas) qui est le plus fou, le plus dangereux, le plus pervers... Le médecin désireux de contrôler sa vie est-il plus sain que sa patiente schizophrène (elle voit les âmes) qu'il finit par épouser ? La femme folle est-elle moins saine que l'enfant handicapé qui naît de son coït avec un autre interné de l'asile? Le grand-père Thomas Busbeck est-il plus sain parce qu'il est intégré à la société en tant que maire, que l'ancien soldat Hinnerk rêvant d'un cannibalisme dont il serait sa propre victime.

On pourrait penser que tout cela n'a aucun sens et frôle même le déjanté le plus abscons mais la langue de Tavares (que tom léo définit parfaitement de distanciée) permet de regarder les personnages évoluer selon une focale à la fois attachante et détachée, bizarrement théorique et lascive. En tout cas très réussie.

Voilà un livre qui pose d'interminable questions. Sur notre santé mentale. Sur le désir. Le désir de posséder un pouvoir, une Vérité. Jouant sur des thèmes inattendus : la faim, la marche, les camps de concentration, la maîtrise de soi et des autres, Tavares creuse une œuvre protéiforme et inventive, questionnant l'irréel de situations improbables qui pourtant nous semblent familières comme dans un rêve un peu malsain, inquiétant et pourtant attachant, dans lequel on replonge comme vers une attraction fatale. L'auteur parvient ainsi à créer un nœud implacable qui lentement se resserre sur le cou du lecteur.

Implacable aussi la construction de ce roman dont chaque chapitre peut s'apparenter au mouvement d'une symphonie, où chaque mot est écrit avec la précision d'une note sur une partition musicale et où l'ensemble des répétitions peut rappeler les grandes fugues de Bach. Si on considère le premier chapitre comme A -composé par Mylia et Ernst-, le second comme B -composé de Théodor- puis l'ensemble des suivants comme un grand mouvement allegro on retrouve à la fin du morceau le même B puis le même A, avec de très légères modifications, bouclant ainsi à l'aide de faibles variations la boucle dodécaphonique du destin. Et si continuant sur notre métaphore, on s'interroge sur la fugue musicale, qui est à la fois fuite et imitation, on peut penser le texte de Tavarès dans ce sens, à la fois fuite en avant des personnages qui cherchent à échapper à leur propre destin (folie, Histoire, handicap…) et à une imitation, une répétition du même par les mêmes conduisant à force de légères retouches à une fin évidemment tragique.

Pour peut-être tenter une explication du titre : Jérusalem ; alors que comme le soulignait Igor le texte ne se déroule pas dans la ville de Jérusalem, on doit rappeler la citation extraite de la Bible : Si je t'oublie Jérusalem, que ma droite se dessèche ; reprise dans le roman de manière littérale puis légèrement déformée devenant : Si je t'oublie Georg-Rosenberg, que ma droite se dessèche. Georg-Rosenberg étant l'établissement psychiatrique dans lequel sont internés Mylia et Ernst. Mon interprétation est la suivante : cette phrase veut dire qu'il ne faut jamais vouloir effacer, détruire, oublier son passé et cela quelque douloureux ou honteux qu'il soit, il faut au contraire l'assimiler au risque sinon de voir sa vie s'assécher et devenir une peau de chagrin rabougrie. L'oubli conduit à l'annihilation de soi, de sa propre personne, la construction de l'être passe par la compréhension et l'assimilation de son passé... Nous cachons tous, peut-être, un Georg-Rosenberg en nous...

Très angoissant et en même temps délicieux, ce livre est assez déroutant tout en étant pointilleux, charmant, désarçonnant, émouvant et repoussant. Pas mal !

Merci Arabella pour la recommandation, je comprends le choc que tu as éprouvé à cette lecture particulièrement fascinante.
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyJeu 18 Juin 2015 - 15:43

je ne te lis qu'en survolant car je tenterai Jérusalem (faut que je laisse une chance à Tavarès de me convaincre sourire )
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyJeu 18 Juin 2015 - 19:06

Contente que cette lecture t'ait intéressée Shanidar. Pour ma part je compte poursuivre l'auteur en continuant le cycle Les royaumes dont Jérusalem est le troisième volet (j'ai déjà lu le quatrième), les deux premiers sont parus dans le même volume.
Après je verrai, il semble que ces autres ouvrages sont dans une autre tonalité.
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyJeu 18 Juin 2015 - 19:48

Le plus différent, je crois c' est Apprendre à prier à l' ère de la technique... Non ?
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyJeu 18 Juin 2015 - 19:55

Celui qui est à part, c'est Un voyage en Inde (et peut-être aussi "Berlin, Bucarest-Budapest : Budapest-Bucarest", que je n'ai pas encore lu). Le cycle du Royaume a une forte unité ; de même que le cycle Le Quartier (avec les "Monsieur"...).
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyJeu 18 Juin 2015 - 21:05

Apprendre à prier à l'heure de la technique fait justement partie, comme Jérusalem, du cycle Les royaume, c'est en fait le quatrième et dernier livre du cycle. Et on retrouve dans les deux, le même détachement, mise à distance, et des thématiques communes.
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyVen 19 Juin 2015 - 10:00

Arabella a écrit:
Contente que cette lecture t'ait intéressée Shanidar. Pour ma part je compte poursuivre l'auteur en continuant le cycle Les royaumes dont Jérusalem est le troisième volet (j'ai déjà lu le quatrième), les deux premiers sont parus dans le même volume.
Après je verrai, il semble que ces autres ouvrages sont dans une autre tonalité.

Apprendre à prier... sera sans doute le suivant sur ma liste et puis ensuite le livre sur Brecht. Un dramaturge que je connais très mal mais que j'ai envie de découvrir depuis plusieurs années (j'ai vu de lui un gros livre sur son exil en Amérique qui m'intéresse tout particulièrement...).
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MessageSujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal]   Tavares - Gonçalo M. Tavares [Portugal] - Page 6 EmptyJeu 20 Aoû 2015 - 19:28

Apprendre à prier à l'ère de la technique

Encore un roman qui pose énormément de questions.

Et la première est bien celle de 'roman' car ce discours univoque relève-t-il vraiment de l'art du roman, alors que seul, le lecteur a la charge (comme l'a très bien souligné Nathria dans son commentaire) de mettre de l'empathie dans ce qui nous est donné, livré, pieds et poings liés par un auteur dont on ne sait s'il joue ou évoque magistralement le Mal par perversion ou pour nous réveiller ?

La seconde question émane, bien sûr, de cette question du Mal, de son incarnation dans le personnage de Lenz (dont la première image que nous donne l'auteur est celle d'un adolescent poussé au viol par son père) et dont la dernière sera celle d'un grabataire pourri par le cancer avalé par la lumière d'un écran de télévision (j'y reviendrai). Doit-on détester cet homme ou bien chercher dans les circonstances de sa vie de quoi nourrir un peu de pitié si ce n'est d'empathie ? Impossible de répondre tant l'ambivalence du personnage, son passé violent face à un père patriarche et guerrier, sa perversion (pas seulement sexuelle d'ailleurs mais d'une telle volonté de puissance qu'on lit ici l'apothéose du Surhomme nietzschéen), son intelligence (liée à une immense culture, Lenz est un homme d'une grande capacité intellectuelle) laisse place tout à la fois à la répulsion et à la fascination. Peut-être finalement, est-ce dans le personnage de Julia (la secrétaire) que le lecteur trouve un certain refuge, car même si elle semble aimer, du moins respecter son patron, elle garde une droiture d'âme qui la rend sympathique et une certaine déviance morale qui la restitue elle aussi dans une sorte d'humanité touchante (celle que nous connaissons tous avec nos petites manies, nos petits aveux d'impuissance, nos légers écarts de conduite).

Enfin, pour revenir à ce titre énigmatique : Apprendre à prier à l'ère de la technique, il faut sans doute se poser la double question de la foi en Dieu et dans la technologie, de la croyance que la médecine peut nous sauver (mais que la maladie peut tuer même le médecin), que la politique est affaire de technique (ce dont on se doutait bien…) et que la technique elle-même peut surpasser la religion (Lenz se sent absorber par la lumière au moment de sa mort, mais cet appel provient d'un téléviseur, objet qu'il déteste tout particulièrement, lui qui ne croit pas en Dieu et qui se fait avaler par la technique la plus laide du XXème siècle). L'ensemble de ce livre est (comme souvent avec Tavares) assez désagréable à lire, avec ce personnage plutôt repoussant qu'on finit par chercher à comprendre. L'écriture distanciée donne peu de place au lyrisme et aux sentiments, les sujets évoqués (qui trouvent d'autres échos dans l'œuvre de Tavares), tels que la médecine (la folie), le meurtre (d'une épouse en général), le suicide (souvent raté), la volonté de puissance intellectuelle souvent contrecarrée par la faiblesse physique, sont des thèmes qui soulèvent d'infinies questions et donnent au lecteur (malgré un intense sentiment d'impuissance, de dégoût ou de rejet) le désir de réfléchir longuement sur ces questions de forts, d'efforts et de Mal relatif.

Et puis, à l'heure où l'on voit fleurir les lois sécuritaires et sur le renseignement, il est intéressant de lire :

p.168

Lenz était convaincu que si, avec d'autres éléments du Parti, il décidait de couper l'approvisionnement en électricité mais garantissait pleinement la sécurité de chaque individu de manière continue, et non par intermittence comme maintenant, très vite on les verrait à nouveau -la populace-, disait Lenz, aller chercher des bougies, tout fiers de constater que celles-ci leur permettraient d'assister aux parades militaires nocturnes, pour voir défiler les hommes protégeant leurs biens et leurs enfants.

Car c'est bien de cela dont il est question dans ce roman : jusqu'où peut-on aller dans l'acceptation du Mal ? Qu'est-ce que nous sommes capable de tolérer par désir de sécurité ? A quelle dictature, à quelle monstruosité sommes nous capable de donner crédit parce qu'elle nous rassure ? Lire jusqu'au bout le roman de Tavares pourrait donc être une forme d'expérience sado-maso ultra mais

ce qui est marquant, c'est que finalement j'ai eu l'impression que tout rentrait dans l'ordre une fois refermé le livre : Julia a ramené Dieu et la technique dans la maison de Lenz, lequel est mort en souffrant mais dans la lumière… La cohérence du monde est rétablie, le Mal a été 'vaincu', on peut se réinstaller confortablement devant sa télé, avec un bon livre dans sa bibliothèque, reprendre une activité normale ; jusqu'à la prochaine secousse.
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