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| Samuel Beckett | |
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Auteur | Message |
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colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Samuel Beckett Mer 13 Juil 2011 - 9:44 | |
| J'ai relu tout le fil sur Beckett avec beaucoup d'intérêt et bon, j'avoue que ma dernière contribution était un peu déplacée... (il n'empêche que je la trouve toujours aussi drôle ) J'ai découvert Beckett avec En attendant Godot, une véritable révélation pour moi. J'ai ensuite lu Fin de partie, qui m'a un peu moins interpellée toutefois... Et je viens de relire Molloy (deux lectures au minimum sont nécessaires pour ce "roman") qui me fait découvrir un Samuel Beckett au-delà de tout ce que j'avais pu en apercevoir dans les deux pièces de théâtre que je viens de citer ! Molloy (1951) Résumé Evène : - Citation :
- Molloy, vagabond sale et handicapé, n'a pas de mémoire. Il doit sans cesse s'inventer pour vivre. Moran commence à enquêter sur lui, mais se laisse rapidement piégé en s'identifiant à lui. Il doit arrêter son enquête, c'est un ordre de Youdi, dont on ne sait rien, transmis par Gaber. Un cercle d'existences qui se ferme sur lui-même ou l'impossibilité de vivre selon Beckett...
Molloy est le premier roman d’une trilogie qui se poursuit avec Malone meurt et l’ Innommable. Beckett en dramaturge et Beckett en romancier sont deux auteurs qu’on ne lit pas de la même façon. Si les pièces de théâtre de Beckett se lisent sans grande difficulté, ses romans requièrent plus d’attention. La structure est déboussolante. On suit tout d’abord le personnage de Molloy, vagabond errant sans but dans un monde dépeuplé. Les seules rencontres qu’il effectue ont lieu dans le creuset de sa mémoire. Il s’agit une fois de sa mère, monstre sans visage auquel Molloy essaie d’échapper, sans y parvenir toutefois à cause de la solitude qui le ronge et de l’acharnement dont il fait preuve à vouloir réussir là où l’espoir du triomphe est impossible. « Malheureusement ce n’est pas de cela qu’il s’agit mais de celle qui me donna le jour, par le trou de son cul si j’ai bonne mémoire. Premier emmerdement. […] / Ma mère me voyait volontiers, c’est-à-dire qu’elle me recevait volontiers, car il y avait belle lurette qu’elle ne voyait plus rien. Je m’efforcerai d’en parler avec calme. Nous étions si vieux, elle et moi, elle m’avait eu si jeune, que cela faisait comme un couple de vieux compères, sans sexe, sans parenté, avec les mêmes souvenirs, les mêmes rancunes, la même expectative. Elle ne m’appelait jamais fils, d’ailleurs je ne l’aurais pas supporté, mais Dan, je ne sais pourquoi, je ne m’appelle pas Dan. »On retrouve dans ce roman le même désespoir qui surplombe les œuvres principales de Beckett : En attendant Godot ou encore Fin de partie. Les relations humaines sont dénuées de sens. Elles se prêtent seulement à un jeu de rôles où chacun est contraint de simuler des sentiments qu’il ne ressent pas. Le dégoût, la haine viscérale de l’autre, surgissent dans chaque paragraphe dans lequel Molloy ressasse ses anciens souvenirs. Qu’il s’agisse d’une de ses femmes ou d’un chien, il ressent le même dégoût : « Elle s’appelait du nom paisible de Ruth je crois, mais je ne peux le certifier. Peut-être qu’elle s’appelait Edith. Elle avait un trou entre les jambes, oh pas la bonde que j’avais toujours imaginée, mais une fente, et je mettais, elle mettait plutôt, mon membre soi-disant viril dedans, non sans mal, et je poussais et ahanais jusqu’à ce que j’émisse ou que j’y renonçasse ou qu’elle me suppliât de me désister. Un jeu de con à mon avis et avec ça fatigant, à la longue. Mais je m’y prêtais d’assez bonne grâce, sachant que c’était l’amour, car elle me l’avait dit. Elle se penchait par-dessus le cosy, à cause de ses rhumatismes, et je l’enfilais par derrière. C’était la seule position qu’elle pût supporter, à cause de son lumbago. Moi je trouvais cela naturel, car j’avais vu les chiens, et je fus étonné quand elle me confia qu’on pouvait s’y prendre autrement. » « Elles avaient un aberdeen appelé Zoulou. On l’appelait Zoulou. Quelquefois, quand j’étais de bonne humeur, j’appelais Zoulou ! Petit Zoulou ! Et il venait me dire bonjour, à travers la grille. Mais il me fallait être joyeux. Je n’aime pas les bêtes. C’est curieux, je n’aime pas les hommes et je n’aime pas les bêtes. Quant à Dieu, il commence à me dégoûter. Accroupi, je lui taquinais les oreilles, à travers la grille, en lui disant des mots câlins. Il ne se rendait pas compte qu’il me dégoûtait. Il se dressait sur ses pattes de derrière et appuyait sa poitrine contre les barreaux. Alors je voyais son petit pénis noir que prolongeait une maigre tresse de poils mouillés. »Beckett est un auteur qui m’interpelle énormément. Son sens de l’absurdité est poussé à l’extrême. Dans cette démarche, il me semble plus sincère et plus lucide que n’importe quel autre auteur. Il ne cherche pas à justifier ses actes par des motifs qui paraîtraient nobles aux yeux des autres. Jeté sur Terre pour accomplir une mission dont il n’a pas la connaissance et qu’il ne cherche pas à connaître, tout ce qui l’entoure est vidé de sens. Si ces personnages agissent malgré tout, c’est uniquement pour meubler le vide qui les entoure. « Mais on change de merde. Et si toutes les merdes se ressemblent, ce qui n’est pas vrai, ça ne fait rien, ça fait du bien de changer de merde, d’aller dans une merde un peu plus loin, de temps en temps, de papillonner quoi, comme si l’on était éphémère. »
« Qu’il est difficile de parler de la lune avec retenue ! Elle est si con, la lune. Ca doit être son cul qu’elle nous montre toujours. On voit que je m’intéressais à l’astronomie, autrefois. Je ne veux pas le nier. Puis ce fut la géologie qui me fit passer un bout de temps. Ensuite c’est avec l’anthropologie que je me fis brièvement chier et avec les autres disciplines, telle la psychiatrie, qui s’y rattachent, s’en détachent et s’y rattachent à nouveau, selon les dernières découvertes. »Dans la deuxième partie du livre, on suit Moran et son fils qui ont été chargés par Youdi de partir à la recherche de Molloy. Ici, moins de considérations existentielles. Moran représente la partie brute et vulgaire de Molloy, son penchant matérialiste, celui qui agit plus qu’il ne pense. On découvre ici une facette plutôt étonnante de Beckett qui ne transparaissait pas forcément dans ses pièces de théâtre. Ses digressions sexuelles et anales, caustiques à souhait, renforcent toute la sensation de dégoût qui suintait déjà dans la première partie. C’est jouissif, mais aussi complètement désespérant. « […] il y a une chose que j’abhorre, c’est qu’on entre dans ma chambre sans frapper. Je pourrais être précisément en posture de me masturber, devant mon miroir Brot. Spectacle en effet peu édifiant pour un jeune garçon que celui de son père, la braguette béante, les yeux exorbités, en train de s’arracher une sombre et revêche jouissance. »
« As-tu chié, mon enfant ? dis-je tendrement. J’ai essayé, dit-il. Tu as envie ? dis-je. Oui, dit-il. Mais rien ne sort, dis-je. Non, dit-il. Un peu de vent, dis-je. Oui, dit-il. »
« […] je dois dire que je ne pensais plus guère à lui. Mais par moments il me semblait que je n’en étais plus très loin, que je m’en approchais comme la grève de la vague qui s’enfle et blanchit, figure je dois dire peu appropriée à ma situation, qui était plutôt celle de la merde qui attend la chasse d’eau. »La vie vue à travers le regard de Beckett devient une raclure difficile à éliminer. Je ne sais pas s’il vaut mieux lire ce livre en étant soi-même de bonne humeur, afin de tolérer davantage les montées de désespoir qui le parcourent, quitte à en perdre sa bonne humeur, ou en étant de mauvaise humeur, mais Beckett est si convainquant qu’il risquerait vraiment de propager son désir de tout laisser tomber à son lecteur. « Car en moi il y a toujours eu deux pitres, entre autres, celui qui ne demande qu’à rester là où il se trouve et celui qui s’imagine qu’il serait un peu moins mal plus loin. De sorte que j’étais toujours servi, en quelque sorte, quoi que je fisse, dans ce domaine. Et je leur cédais à tour de rôle, à ces tristes compères, pour leur permettre de comprendre leur erreur. »Si ce livre m’avait déplu la première fois, à cause de ses passages déconstruits et de sa densité, il m’a plu à la seconde lecture pour les mêmes motifs. Cette œuvre est d’une richesse que ses pièces de théâtre ne parviennent pas à égaler, c’est peu dire. Cela fait du bien de lire des textes aussi dégoûtés pour les moments durant lesquels on se sent comme le Molloy ou le Moran de ce roman, alors que la plupart des choses autour de nous nous incitent à faire un effort permanent pour nous émerveiller de ce qui nous entoure. Si cette dernière démarche est louable, il faut être lucide : au quotidien, ce n’est pas le sentiment qu’on ressent le plus souvent. Et Beckett est là pour nous dire que nous ne sommes pas seuls à être dans cette situation. « C’est le nom de votre maman, dit le commissaire, ça devait être un commissaire. Molloy, dis-je, je m’appelle Molloy. Est-ce là le nom de votre maman ? dit le commissaire, Comment ? dis-je. Vous vous appelez Molloy, dit le commissaire. Oui, dis-je, ça me revient à l’instant. Et votre maman ? dit le commissaire. Je ne saisissais pas. S’appelle-t-elle Molloy aussi ? dit le commissaire. S’appelle-t-elle Molloy ?dis-je. Oui, dit le commissaire. Je réfléchis. Vous vous appelez Molloy, dit le commissaire. Oui, dis-je. Et votre maman, dit le commissaire, s’appelle-t-elle Molloy aussi ? Je réfléchis. Votre maman, dit le commissaire, s’appelle -, Laissez-moi réfléchir ! m’écriai-je. » | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Samuel Beckett Dim 19 Fév 2012 - 21:18 | |
| Compagnie
Un court texte de moins de 90 petites pages. Quelqu'un tout seul dans le noir sur le dos. Une voix lui parvient. Des souvenirs remontent. Difficile de qualifier ce texte, l'appellation de roman ou de nouvelles ne paraît pas appropriée à cette prose, dense, poétique et étrange. Pas d'histoire, peut être des bribes, incompréhensibles comme le seraient des souvenirs épars de quelqu'un d'autre que soi, mais en même temps suffisamment familières pour qu'on y retrouve quelque chose de soi, quelque chose qui interpelle comme la voix interpelle la personne couchée dans le noir.
Un beau texte étrange, que je ne suis pas sûre d'avoir entièrement compris et qui me donne la bizarre envie de l'entendre lu par quelqu'un, comme si la voix devait se matérialiser, et donner un rythme, une respiration à la phrase, à la pensée. | |
| | | MezzaVoce Envolée postale
Messages : 290 Inscription le : 13/07/2012 Age : 59 Localisation : Lyon
| Sujet: Re: Samuel Beckett Jeu 15 Nov 2012 - 11:44 | |
| Le dépeupleur
Petit livre et grosse impression. J’enrage presque que personne ne m’ait fait lire ce chef d’œuvre lorsque j’étais adolescente.
Beckett nous enferme dans une mécanique à la fois totalement surréaliste et parfaitement connue. Terrible sensation, allégée par une ironie féroce qui permet le recul et favorise la réflexion du lecteur.
« Séjour où les corps vont cherchant son dépeupleur. Assez vaste pour permettre de chercher en vain. Assez restreint pour que toutes fuite soit vaine. C’est l’intérieur d’un cylindre surbaissé ayant cinquante mètres de pourtour et seize de haut pour l’harmonie. » « Un corps par mètre carré soit un total de deux cents corps chiffre rond. (…) Premièrement ceux qui circulent sans arrêt. Deuxièmement ceux qui s’arrêtent quelquefois. Troisièmement ceux qui à moins d’en être chassés ne quittent jamais la place qu’ils ont conquise et chassés se jettent sur la première de libre pour s’immobiliser de nouveau. (…) Quatrièmement ceux qui ne cherchent pas ou non-chercheurs assis pour la plupart contre le mur dans l’attitude qui arracha à Dante un de ses rares pâles sourires. »
Le monde devient un univers concentrationnaire dont tout espoir est lentement et méticuleusement chassé et où pourtant l’espoir résiste (Dante sourit encore pâlement). On y croise une charge féroce contre notre besoin de foi aveugle en « autre chose » alors que les solutions seraient en nous. Une issue dans le sans-issue, rejoignant alors le Camus de Sisyphe, le Calaferte du « il faut vivre l’absurde ou mourir » et le Primo Levi de Ecce Homo : « Et le voilà en effet ce dernier si c’est un homme qui lentement se redresse... »
C’est beau, poignant, émouvant, chavirant.
Dernière édition par MezzaVoce le Dim 18 Nov 2012 - 9:28, édité 1 fois | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Samuel Beckett Ven 16 Nov 2012 - 22:28 | |
| Voilà qui donne envie... je n'avais encore jamais entendu parler de ce livre de Beckett...
Et pourquoi aurais-tu aimé le lire particulièrement au cours de ton adolescence ? Âge idéal pour la réceptivité du texte, à ton avis ? | |
| | | MezzaVoce Envolée postale
Messages : 290 Inscription le : 13/07/2012 Age : 59 Localisation : Lyon
| Sujet: Re: Samuel Beckett Sam 17 Nov 2012 - 8:56 | |
| - colimasson a écrit:
- Et pourquoi aurais-tu aimé le lire particulièrement au cours de ton adolescence ? Âge idéal pour la réceptivité du texte, à ton avis ?
L'adolescence est une période où on butte particulièrement sur l'absurdité du monde, sur le sens à donner à sa vie, à ses relations aux autres, etc. L'âge des grandes questions existentielles où on n'a pas surtout pas envie que quelqu'un nous donne des réponses clés en main. Et puis, une dimension dont je n'ai pas parlée : il y a dans Le Dépeupleur une ironie féroce. J'ai beaucoup ri, mais d'un rire qui gratouille. | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Samuel Beckett Dim 18 Nov 2012 - 22:34 | |
| Bien visé Mezza... Je l'ajoute à ma LAL ! | |
| | | Heyoka Zen littéraire
Messages : 5026 Inscription le : 16/02/2013 Age : 36 Localisation : Suède
| Sujet: Re: Samuel Beckett Jeu 2 Mai 2013 - 14:45 | |
| - domreader a écrit:
- lekhan a écrit:
- L'écriture est épuisante, la lecture tout autant, et le lecteur se sent emporté, attiré, inexorablement vers ses questions, vers ses cercles.
Je n'ai lu que deux pièces de théâtre de Becket 'En attendant Godot' et 'Endgame' il y a déjà un moment, et j'ai ressenti exactement la même chose, une sorte de fascination, comme un spectateur au dessus du vide. Je partage votre ressenti ainsi que le tien, Coline. C'est un auteur qui me parle, qui est touchant et qui sait faire vibrer les cordes de son lecteur. - coline a écrit:
- « D'abord le corps. Non. D'abord le lieu. Non. D'abord les deux. Tantôt l'un ou l'autre. Tantôt l'autre ou l'un. Dégoûté de l'un essayer l'autre. Dégoûter de l'autre retour au dégoût de l'un. Encore et encore. Tant mal que pis encore. Jusqu'au dégoût des deux. Vomir et partir. Là où ni l'un ni l'autre. Jusqu'au dégoût de là. Vomir et revenir. Le corps encore. Où nul. Le lieu encore. Où nul. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore. Jusqu'à être dégoûté pour de bon. Vomir pour de bon. Partir pour de bon. Là où ni l'un ni l'autre pour de bon. Une bonne fois pour toutes pour de bon ».
Magnifique citation et ce phrasé... - colimasson a écrit:
- Tiré de 90 autres livres cultes à l’usage des personnes pressées, par Henrik Lange.
J'ai bien ri, même si En attendant Godot trône parmi mes meilleurs souvenirs de lecture. J'ai cru comprendre qu'il ne faisait pas l'unanimité parmi vous mais je garde un souvenir tendre et stimulant de cette lecture, pourtant imposée par les diktats de l'école. En audio - lu par Michael Lonsdale « Un sentiment qui s'arrogeait peu à peu, dans mon esprit glacé, l'affreux nom d'amour. »Le ton est donné. Ce premier amour n'aura rien de romantique, rien de mièvre, pas mignon, pas rose-bonbon. C'est de l'amour crasse, amer, subi. Quand on ne sait pas à quoi s'attendre - ce qui était mon cas - ça fait tout drôle, on se rétame du 5ème étage. Ceux qui étaient venus chercher du ventre qui gazouille, de la midinette affriolée et des bisou-bisou dans les champs de blé, vont redescendre illico-presto du petit nuage de guimauve prévisualisé en voyant le titre. On est bousculé, perturbé par cette vision froide et inhabituelle du sentiment amoureux, LE grand sentiment. Mais aucune déception, je me suis réfugiée avec plaisir dans les bras de l'humour grinçant signé Beckett. Une idylle loin d'être idyllique, à lire, ne serait-ce que pour son originalité. Moi, en tout cas, j'ai beaucoup aimé. « Mais à vingt-cinq ans il bande encore, l'homme moderne, physiquement aussi, de temps en temps, c'est le lot de chacun, moi-même je n'y coupais pas, si on peu appeler cela bander... Elle s'en aperçut naturellement, les femmes flairent un phallus en l'air à plus de dix kilomètres. »
« Savez-vous où sont les cabinets? dit-elle. Elle avait raison, je n’y pensais plus. Se soulager dans son lit, cela fait plaisir sur le moment, mais après on est incommodé. » | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Samuel Beckett Jeu 2 Mai 2013 - 22:04 | |
| - Kannskia a écrit:
-
- coline a écrit:
- « D'abord le corps. Non. D'abord le lieu. Non. D'abord les deux. Tantôt l'un ou l'autre. Tantôt l'autre ou l'un. Dégoûté de l'un essayer l'autre. Dégoûter de l'autre retour au dégoût de l'un. Encore et encore. Tant mal que pis encore. Jusqu'au dégoût des deux. Vomir et partir. Là où ni l'un ni l'autre. Jusqu'au dégoût de là. Vomir et revenir. Le corps encore. Où nul. Le lieu encore. Où nul. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore. Jusqu'à être dégoûté pour de bon. Vomir pour de bon. Partir pour de bon. Là où ni l'un ni l'autre pour de bon. Une bonne fois pour toutes pour de bon ».
Magnifique citation et ce phrasé...
Oh merci de raviver le souvenir de ce texte Kannskia. Il me semble impossible de le lire en lecture silencieuse... | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Samuel Beckett Ven 21 Juin 2013 - 23:11 | |
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WattRevenons, une semaine après sa fin, sur cette lecture. Watt c'est un peu du flux de conscience auquel on aurait par un exercice littéraire pas étranger à une forme d'ennui (au sens ou les forces appliquées semblent parfois se relâcher) retirer le filtre de la raison. Dans une ambiance crasseuse de misère sociale éthylique on fait connaissance avec le rebut ou presque Watt, qui va prendre le train pour aller travailler chez Monsieur Knott. Le début est relativement pénible, l'humour ne se mariant pas forcément très bien avec la misère et les surcharges sonnent un peu trop maniérées. Notre Watt n'en finit pas moins chez Monsieur Knott et n'en finit pas moins de gamberger à tort et à travers avec ses maigres moyens. L'humour finalement tient d'une caricature désespérée. Watt nous est proche, son monde obscur est très ressemblant à ce que nous connaissons bien. Et puis... on le quitte Watt. D'autres gamberges et raconte avec moult anecdotes langagières en forme de combinatoires acharnées et enracinent la perte du sens de l'intérêt et de la pertinence concrète du langage chez le lecteur. Le lecteur, avec le narrateur n'en retrouvent pas moins ce Watt, ce reflet, au milieu d'un champ, sans doute d'une gigantesque maison de fous à ciel ouvert. Paradoxalement le plaisir provient du laborieux de la lecture, qui achève, crève, étouffe le mot à mot, dilate les vacances de la compréhension... sans trop oublier non plus de très clairs points de repères, explicites, quelques très belles phrases... et sans complètement lâcher certains travers de manière affectée (du moins des trucs auxquels on n'est pas obligé d'accrocher fatalement). N'empêche que l'impression risque d'être durable et que sur au moins une grosse deuxième moitié, j'étais dans ce rythme qui n'en est plus un, dans ces sens qu'on suit sans s'y intéresser avant de reprendre, heureusement pas tout à fait à l'identique. je reprends les bribes postées sur la LC (quelques courts extraits à l'intérieur : - Spoiler:
- animal a écrit:
- ça risque d'aller tout petit doucement. les 5-6 premières pages, ou avant l'apparition de Watt en gros si je suis plus juste (j'en suis à son embarquement dans le train) m'ont diablement agacé dans l'ensemble. ça va mieux passé ça, peut-être parce que ça commence à orbiter autour d'un quelque chose qui se dérobe de plus concret. ça attise la curiosité.
- animal (a propos de l'agacement) a écrit:
- parce que j'accroche difficilement à ce qui ressemble ou ressemblait à du burlesque railleur alourdi de répétitions et d'absurde. que les personnages soient une chose ou une autre (ça ressemble merveilleusement à une discussion de poivrots bien entamés entre Monsieur Hackett et le couple Nesbit)... j'ai peur que ce qu'il y a de comique malgré tout me laisse froid. (pourtant quelques lectures tordues, acides ou amères je peux en trouver qui me plaisent).
pour un élément de comparaison (et pour ce passage) j'ai un peu pensé à Céline qui faisait du remplissage dans Mort à Crédit (pour citer quelque chose que j'ai lu et que j'ai gardé assez en mémoire). - animal a écrit:
- Finalement on va plutôt parler de caricature et d'exagération avec une tendance à dessein exaspérante car effet nécessaire à l'entrée en matière. Une façon de planter le décor.
Du même coup on fait une certaine impasse sur l'humour. On se détache de la première comparaison avec Céline (chez qui ça ne ressemblerait pas à de l'entrée en matière avec effet de contraste).
Nos larrons sont d'épuisants pantins.
Cette deuxième option m'intéresse plus.
- Citation :
- Monsieur Hackett crut qu'elle allait lui tapoter le crâne ou tout au moins lui flatter la bosse. Il ramena ses mains et ils s'assirent à côté de lui, d'un côté la dame, de l'autre le monsieur, de sorte qu'il se trouva entre les deux. Sa tête leur arrivait aux aisselles, leurs mains se rejoignaient au-dessus de sa bosse, sur la traverse, ils ployaient sur lui avec tendresse.
Vous vous souvenez de Green ? dit Monsieur Hackett. L'empoisonneur, dit le monsieur. L'avoué, dit Monsieur Hackett. Je l'ai connu un peu, dit le monsieur. Six ans, n'est-ce pas ? Sept, dit Monsieur Hackett. On en colle rarement six. Il en méritait dix, à mon avis, dit le monsieur. Ou douze, dit Monsieur Hackett. Qu'est-ce qu'il a fait ? dit la dame. D'un rien outrepassé ses prérogatives, dit le monsieur. J'ai reçu une lettre de lui ce matin, dit Monsieur Hackett. Oh, dit le monsieur, j'ignorais qu'ils pussent communiquer avec le monde extérieur. Il est avoué, dit Monsieur Hackett. Il ajouta, Je ne suis guère le monde extérieur. Voyons, voyons, dit le monsieur. Allons allons dit la dame. A la lettre, dit Monsieur Hackett, était jointe une pièce dont, connaissant votre goût pour la littérature, je vous donnerai bien la primeur, s'il ne faisait pas trop sombre pour y voir. La primeur, dit la dame. C'est bien ce que j'ai dit, dit Monsieur Hackett. J'ai mon briquet à essence, dit le monsieur. Monsieur Hackett sortit un papier de sa poche et le monsieur alluma son briquet à essence. Mr Hackett lu :
A NELLY
A Nelly, dit la dame. A Nelly, dit Monsieur Hackett. Le silence se fit. Dois-je continuer ? dit Monsieur Hackett. Ma mère s'appelait Nelly, dit la dame. Le nom n'est pas si rare, dit Monsieur Hackett, même moi j'ai connu plus d'une Nelly. Lisez donc, mon cher ami, dit le monsieur. Monsieur Hackett lut :
A NELLY
Vers toi, m'amour, vienne la nuit (Vienne la nuit) Dans ma cellule Je bande en soupirant Avecques Dunn sort-elle encore ? ... Le problème du mot "absurde" utilisé à répétition c'est qu'il perd vite son intérêt. Pris sous l'angle de la caricature ça n'a rien d'absurde, le coq-à-l'âne n'est qu'un trait, un outil. Il y a une certaine affectation ou coquetterie dans la démarche ? - animal a écrit:
- je poursuis, après le voyage en train et un bout de route il finit dans la maison. la déambulation a encore tout de l'ombre du coma éthylique et l'arrivée en forme de déchet vaguement éclairée par une possibilité de reconstruction va dans ce sens.
pour l'humour on est toujours plus dans le moins que dans le plus, on voisine tout en tentative de décontraction avec le sordide. du cocasse tout de même avec la femme qui lui jète une pierre.
je m'ennuie un peu de l'amour/haine du superflu, parce qu'en fait il en fait exprès des tonnes pour faire apparaitre pas grand chose, et le fait que justement ce n'est pas grand chose et un peu triste, ou carrément un triste constat. quelques phrases un peu bidons qui apparaissent : fausses grandes révélations d'état qui tombent à plat.
Défilaient déjà à toute allure, blêmes sous les feux du train, haies et fossés, mais seulement en apparence, car en fait c'était le train qui se mouvait, à travers une terre à jamais immobile.
à travers elles, à travers l'excès choisi et le verbiage intensif on sentirait même malgré soi une forme de vanité pas complètement mise en abyme. un rien de dandysme soigneusement décadent ?
ça m'agace donc toujours à sa manière, néanmoins ça avance et je ne suis pas insensible à ce qui semble parfois se dessiner, laborieusement, et en repoussant page après page ce qui pourrait faire surface.
pour aller dans le sens de bix (me semble) je suis parti sans idée plus préconçue que la quatrième de couverture et que cette LC m'a l'air d'une bonne occasion. je ne sais pas trop ce que ça me laissera mais je compte bien être fixé (pour ce que ça vaut et le temps que ça dure) en ayant une idée du pourquoi du comment ça m'aura fait cet effet là. (comme quoi l'exercice d'allonger des phrases pour aboutir à peu de choses n'est pas si compliqué qu'il y parait. pour peu qu'on s'arrête aux apparences qui seront tout ce qu'on peut en écrire (?) mais qui ne sont pas toute l'affaire. ahlala c'est compliqué. hum. il faut que je me prépare à y retourner. - animal a écrit:
- je dois ajouter ce matin que les quelques pages lues ce matin (le développement sur Watt qui suit la visite des accordeurs de pianos), si je suis tenté de laisser un petit parallèle avec la citation sur le train qui se déplace, m'ont beaucoup plu, avec de la belle phrase dedans, sont d'une simplicité confondante. (et ont tendance à me conforter dans ma lecture de celles qui précèdent).
citation/extrait plus tard. - animal a écrit:
- extrait :
- Citation :
- Cette fragilité de la signification immédiate ne lui valait rien, à Watt, car elle l'obligeait à en chercher une autre, une signification quelconque à ce qui s'était passé, à partir d'une suite d'images.
La plus mince, la moins plausible, aurait contenté Watt, qui n'avait pas vu un symbole, ni opéré une interprétation, depuis l'âge de quatorze ou quinze ans, et qui avait vécu, misérablement certes, sa vie d'adulte tout entière au milieu d'apparences impénétrables, tout au moins pour lui. Qui voit la chair avant les os, et qui voit les os avant la chair, et qui ne voit jamais que la chair, et qui ne voit jamais que les os, jamais jamais que les os. Mais quoi que vît Watt, du premier coup d'œil, cela était suffisant pour Watt, avait toujours été suffisant pour Watt, plus que suffisant pour Watt. Et il n'avait littéralement rien vécu, depuis l'âge de quatorze ou quinze ans, dont rétrospectivement il ne se contentât de dire. Voilà ce qui c'est passé alors. (...) - animal a écrit:
- Watt s'installant, déjà installé, presque parti dans ses fonctions au rez de chaussée déroule la problématique de la nourriture de Monsieur Knott et surtout des restes. ce qui implique un ou plusieurs chiens et finalement la famille Lynch, ambiance film d'horreur en plus décontracté. En fait chaque sujet gonfle, se multiplie puis se dégonfle, s'épuise dans un état de vérité aléatoire mais relativement sereine. comme qui dirait un état vivable de connaissance des choses. horrible comme les pages du début mais plus décontracté et cet état de vérité emmêlée démêlée, c'est assez plombant mais tout de même satisfaisant. on y trouverait une belle cohérence qu'on y serait pas forcément mieux !
Car, chose étrange mais vraie apparemment, ceux qui parlent parlent plutôt pour le plaisir de parler contre que pour le plaisir de parler avec. Et la raison de cela est peut-être ceci, qu'il est difficile dans l'accord de crier tout à fait aussi fort que dans le désaccord.
Et Watt il parle tout seul, sans vraiment pour et sans vraiment contre ou pas autrement que pour peser des formes de possibles qui n'ont pas vraiment de valeur. ça pourrait être, pour ça, étrangement reposant. - animal a écrit:
- on se détend, on se détend mais le temps semble compté et l'étau se resserre sur Watt ?
- Citation :
Il va sans dire que Watt ne se posa pas toutes ces questions au moment même, mais seulement les unes au moment même, et les autres par la suite. Mais celles qu'il se posa au moment même, il se les reposa par la suite, en même temps que celles qu'il ne se posa pas au moment même, infatigablement. Et bien d'autres questions aussi, à ce même sujet toujours, dont les unes au moment même, et les autres par la suite, Watt se les posa et reposa par la suite, inlassablement. - Citation :
Oui, rien ne changeait, dans la maison de Monsieur Knott, parce que rien n'y restait, et rien ne venait ni ne s'en allait, parce que tout n'y était qu'allée et venue. Watt semblait enchanté de cet aphorisme de dixième ordre. Il est vrai que dans sa bouche, débité à l'envers, il avait une certaine gueule. - animal a écrit:
- Pendant ce temps là j'ai terminé Watt. Étonnant comme on l'abandonne facilement (le personnage) avant d'y revenir par un détour qui met plus directement en scène le narrateur. On pourrait discuter des frontières entre Watt et ce narrateur mais on va plutôt garder l'idée de narrateur et revenir nous vers les digressions et les histoires qui nous font oublier Watt, celle racontée par Arthur (le type qui arrive après lui chez Monsieur Knott) notamment. Une histoire qui se perd, elle aussi, et la même forme riche en répétitions combinatoires, on a régulièrement deux pages de combinaisons ininterrompues avec ce livre. Que je me garderai bien de recopier, que je me suis souvent gardé de lire complètement... pourtant ça intrigue, c'est fastidieux, on se passe de l'effort. Le rythme, le temps, la présence de cette petite impossibilité (néanmoins tours de passe passe) participe du rapport au temps (et donc au sens, au moins partiellement).
Ce que je retiens de la fin de cette lecture avant de tenter une vague synthèse c'est ce rapport au temps, la distorsion, l'épuisement, la perte du sens. Et que ça m'a rappelé (ça devrait me rappeler d'autres choses que ça ne me dirait rien, je crois que la référence obligée est à James Joyce que je n'ai pas lu) les nouvelles (lues elles) de Virginia Woolf. Quand le sens s'accroche sur un impromptu et ce stream of consciousness d'une certaine façon victime de lui-même.
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| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Samuel Beckett Sam 22 Juin 2013 - 9:54 | |
| @Animal : Alors Watt puissant ou non ? | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Samuel Beckett Sam 22 Juin 2013 - 11:42 | |
| intensité variable ? mais il y fait jour. | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Samuel Beckett Sam 22 Juin 2013 - 15:39 | |
| Il y avait peut etre un peu trop de résistance ou de réticences au début de ta lecture. Dans mon cas, quans ça se produit, je sais que, soit je ne suis pas dans la bonne disposition nécessaire, soit que ce livre-là ne me convient pas. Et attention, je ne dirai jmais : ce livre n' est pas pour moi. Parce que je change d' humeur et de disposition. Sauf, bien entendu pour les livres jugés trop faibles ou encore ceux que j' ai lu dans l' adolescence (et encore pas tous). | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Samuel Beckett Sam 22 Juin 2013 - 16:22 | |
| Je suis très sensible aux influences immédiates. Par exemple, à la sortie d' un film, je suis encore dans le film pendant les heures qui suivent. Les images continuent à m' impregner, certaines séquences et puis les acteurs aussi.Et la musique aussi, bien entendu. Ah la petite musique de In the mood for love !
Plus drole encore, pendant la dernière lecture de Beckett, il m' arrivait de marmonner des phrases de Malone ou d' autres que j' inventais. ça m' est arrivé aussi à la lecture de La lucidité de Saramago...! | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Samuel Beckett Sam 22 Juin 2013 - 17:43 | |
| - Citation :
- Il y avait peut etre un peu trop de résistance ou de réticences au début de ta lecture.
Ouaip mais je suis câblé comme ça et je préfère une lecture comme ça, changeante, dans laquelle je trouve de belles choses quitte à en laisser d'autres. et ça veut bien dire qu'il se passe quelque chose dans ces livres, qu'on y découvre sur le livre, l'auteur, d'autres choses et le lecteur. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Samuel Beckett Dim 23 Juin 2013 - 13:41 | |
| J'ai lu à travers les quelques lectures butinées dans les livres de Beckett qu'il avait étudié l'oeuvre de Carl Gustav Jung. Freud ne faisait pas partie des références citées. Je commence à trouver un sentier de prédilection chez les écrivains que j'affectionne. | |
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| Sujet: Re: Samuel Beckett | |
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| | | | Samuel Beckett | |
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