Le week-end
Jörg, un ancien terroriste d'extrême gauche, sort de prison après avoir passé vingt ans derrière les barreaux. Sa soeur
Christiane, organise dans sa maison de campagne, un week-end de retrouvailles entre
Jörg et ses anciens compagnons de lutte. Très rapidement, ces retrouvailles s'avèrent moins paisibles que prévu: les uns et les autres ont un vécu, des vies professionnelles et sentimentales à des lieues de la vie d'ancien déténu politique de
Jörg. Tout le monde ressent la difficulté de faire table rase du passé, de regarder en face
Jörg, celui qui est tombé pour ses idées, tombé pour le combat idéologique mené contre un capitalisme dévoreur, celui qui est tombé pour les crimes commis lors de ses combats. Le sentiment de culpabilité est le petit grain de sable dans les rouages du week-end entre vieux amis. La cause politique d'il y a vingt ans est loin de certains: le temps a passé, les révoltés estudiantins se sont assagis et adoucis...reste l'interrogation sur la manière d'affronter son passé, de le regarder en face et de l'accepter. Faut-il renier ses engagements? Faut-il renoncer aux valeurs défendues et vivre en paix avec le quotidien, le monde? Faut-il renier son passé ou lui rester fidèle?
Bernhard Schlink montre un héros fatigué, sombre, avare de ses paroles, mal à l'aise avec ses anciens amis:
Jörg apparaît comme un homme de conviction perdu dans l'immensité d'une vie qui a continué son bonhomme de chemin pendant que la sienne s'arrêtait entre quatre murs d'une prison. Son combat a priori perdu contre un système économique et un type de société l'a-t-il rendu amer? Lentement,
Jörg réapprivoise la vie en société, lentement il pose un regard enfin libre sur les autres et pose abruptement une douloureuse question: qui a trahi? Qui l'a donné aux policiers? Qui l'a envoyé pendant vingt ans derrière les barreaux? Ses amis se sont intégrés dans la société et ont composé avec les valeurs proposées par cette dernière: l'un,
Ulrich, est devenu un important directeur de laboratoires, marié, père d'une jeune fille qui n'hésitera pas à jouer les lolitas avec le vieux héros usé,
Jörg, l'autre,
Karin, est devenue pasteur puis évêquesse et tente désespérement de semer la concorde sur la rencontre puis par ses prières d'amener l'assistance à regarder autrement, d'amener faire admettre aux tenants de la violence que l'on n'a pas le droit d'imposer sa vérité aux autres. Un autre,
Henner, est devenu un célèbre journaliste au Spiegel et à Stern tandis qu'une autre,
Isle est devenue enseignante et analyse les faits du passé en se lançant dans l'écriture où
Jan, un camarade disparu, tient le rôle de l'électron libre qui a franchi la ligne rouge: elle lui invente une histoire post-mortem, une vie invisible où il devient un terroriste sans état d'âme jusqu'à ce qu'il disparaisse dans l'embrasement des tours jumelles de Manhattan, un certain 11 Septembre.
Au milieu des amis d'hier, un jeune homme détonne:
Marko, révolutionnaire pur et dur qui souhaite ardemment que
Jörg reprenne la lutte, soit le flambeau d'un mouvement protestataire jusqu'auboutiste s'alliant aux
"camarades musulmans" et frappant le système au coeur de ses points sensibles. Puis, impromptue l'arrivée d'un jeune étudiant qui s'avère être le fils de
Jörg: le week-end touche à sa fin et l'enfant qui a grandit aux côtés de ses grands-parents devient l'accusateur sans concession d'un père devenu l'ombre de lui-même.
Sous la frondaison des arbres du vieux parc mal entretenu de la maison de campagne, se nouent idylles nouvelles et se racontent les souvenirs d'amours anciennes....la nostalgie d'une jeunesse presque lointaine s'égraine au fil des mots et rend l'écriture particulièrement attachante. Le souvenir des évènements d'hier teintent le passé du sépia de la compassion: celle éprouvée tant envers l'ancien terroriste qu'envers la douleur d'un fils qui ne peut encore pardonner. L'amitié peut-elle réparer les erreurs passées? Peut-on encore tourner la page lorsqu'il y a eu beaucoup de tragédies humaines?
Dans
"Le liseur",
Schlink abordait le passé nazi de son pays, dans
"Le week-end" il aborde, subtilement, les années terribles où la Faction Armée Rouge répandait la peur et le sang. Les années Bader tout comme les années de plomb en Italie et les combats d'Action Directe en France ont laissé une trace dans la société contemporaine. Une trace qui lentement refait surface au gré des libérations anticipées suscitant des remous plus ou moins exacerbés dans la presse...le passé récent porte trop souvent les stigmates des douleurs et des peurs pour pouvoir être ressenti sereinement par ceux qui l'on vécu.
Dans ce huis-clos à la campagne,
Schlink met les souvenirs et les actes à plat sans accabler aucun des protagonistes et tout en signalant que le couple violence et politique est toujours un sujet dont toute société, toute démocratie doit se soucier sérieusement. Doucement mais sûrement, il monte l'intensité de la confrontation jusqu'au dénouement habile.
"Le week-end" est à placer dans la lignée du
"Liseur": c'est un regard sur des passés qui dérangent et font mal, mais un regard qui n'accable pas et offre un espace de tendre compassion (sans pour autant dédouaner les actes les plus atroces). En un mot comme en mille, un excellent roman, photographie de l'actuelle société allemande avec ses peurs et ses envies de savoir même si cela est douloureux.