LC Henri Bosco : L'âne culotte

domreader a écrit:

Bédoulène a écrit:

c'est avec ce livre que j'ai pu apprécier Bosco (je n'avais lu que l'enfant et la rivière, mais qui ne m'avait pas autant séduite)

la suite c'est "le jardin de Hyacinthe" ou "Hyacinthe" ?

alors Dom, Pia, Sigismond  où êtes vous nous lirons avec attention vos commentaires

la LC n'est pas teminée nous pouvons toujours y revenir (c'est vrai que le livre étant grand dans l'écriture mais petit en pages, il a été vite avalé)

à tantôt

J'arrive, j'arrive et j'ai même commencé à rédiger un com, mais je n'ai pas encore terminé le livre, mon temps de lecture est réduit. Alors à bientôt.

+1, j'arrive aussi (je viens de passer la cent quinzième page, le dénouement commence) vous lisez vite, dites-moi, vous avez vraiment commencé ce week-end   ?
J'ai pourtant l'impression de ne pas traîner, et même de ne pas assez déguster, prendre le temps !
A part ça ?
Je suis sous le charme !

Tu as la version folio ou folio junior?

Marko a écrit:

Tu as la version folio ou folio junior?

La Folio "texte intégral" .

Quelques rapides points en vrac:

 Beaucoup de mystique dans cet ouvrage, ce qui n'est pas pour me déplaire (tiens, j'ai appris à l'occasion de cette lecture le lien de parenté de l'auteur avec Saint Jean Bosco, je croyais que c'était juste un homonyme !).

 De plus, sinon tout le monde, du moins de nombreux personnages, parmi les principaux, ont un rôle chamanique, de passeur entre les mondes, et ça va de l'Abbé Chichambre à M. Cyprien en passant par Constantin, Hyacinthe, les Caraques, j'ajoute pour faire bonne mesure Anselme mais aussi, à leur manière, le grand-père et la grand-mère (la grand-mère surtout). L'âne bien sûr fait partie de ces passeurs-intercesseurs-chamans, et le serpent également (ne faudrait-il pas ajouter le renard ?).

 Le rôle de l'éloignement et de la maladie aussi (la grand-mère, Constantin et Hyacinthe bien sûr, mais aussi M Cyprien - son ultime accès semble emporter sa raison, son entendement) est primordial, doit être mis en exergue.

 Ce curieux jeu de cache-cache et de non-communication: tout le monde épie tout le monde, tout le monde espère tout le monde, et on en reste là, sur des non-dits permanents, parfois à peine croyables.
 
 Les mondes enfantins solitaires et le fait qu'ils (les enfants) soient tenus à l'écart des informations premières pour lesquelles pourtant ils sont aux aguets - est à mettre en parallèle avec la séparation d'entre les mondes (donc monde visible / au-delà-forces telluriques), du moins le ressens-je ainsi; et la parallèle est encore accentuée avec l'évidence surlignée de la distinction, distinction aux confins de la divergence, entre le monde de l'enfance et celui des adultes (c'est fort habilement tourné, suggéré), très heureuse trouvaille de la part de l'auteur, ça fortifie l'ouvrage.

Super Sigismond!

Marko

j'ai vu qu'à la parution en 1937 le titre était l'âne culotté et non pas culotte (?)

dommage que je n'ai eu que la version junior, mais je chercherai à me procurer l'intégrale.

et merci Sigismond pour ton commentaire toujours précis !

 Que dire de cette complicité qui ne s'est jamais trouvée, mais qui n'est pas un réel fiasco non plus, entre Constantin et Hyacinthe, si ce n'est qu'elle fascine ?

La fin est abrupte, Bosco pousse au paroxysme le furtif dans les apparitions et les actes des personnages. D'ailleurs, si même Anselme et le grand-père s'en mêlent...!

 L'auteur nous plante un peu là, on a envie de continuer à savoir -en particulier ce que deviennent Hyacinthe, M. Cyprien, les Caraques...
Du coup, le cahier de M. Cyprien, les notes de l'Abbé Chichambre et de Constantin ne sont pas des addendas, plutôt des éclairages sur le roman. En termes de procédé littéraire, c'est un peu incongru de finir un roman par ces notes et ce cahier, comme si leurs contenus ne pouvait être placés d'une autre façon dans l'ouvrage: je trouve cela assez audacieux, disons que c'est une prise de risque; mais, ça fonctionne !

 Certes un rien dérangé, à tout le moins illuminé, M. Cyprien fait sens, avec la perspective que l'on pressentait: sa quête est celle du bonheur, qui passe par un paradis, sur terre et perdu - la notion de péché originel exacerbée doit se dépasser, l'état édénique doit pouvoir se retrouver, l'on pressent tout cela dans les aspirations confuses de M. Cyprien et les bouts d'homélies de l'Abbé Chichambre tels qu'une mémoire et une oreille de gamin (Constantin) nous les restituent; je veux en venir à ceci: la position chrétienne de Bosco -si tant est qu'il fasse parler ses convictions au travers de ses personnages- est à placer dans un courant théologique récent à la date de parution du livre.

 M. Cyprien, on l'apprend par son cahier, s'inquiète non pas de sa solitude au quotidien -au fond, elle lui va très bien- mais de la non-transmission de son projet, de son oeuvre; l'élu auquel il songe est Constantin. L'Abbé Chichambre le sait. Or le curé est le seul à connaître véritablement M. Cyprien, et le cahier nous apprend l'ancienneté de leur communauté de destin. L'Abbé Chichambre, outre qu'il fait le lien important entre tous (sauf Hyacinthe), représente la tempérance, la compréhension, ce qui ne veut pas dire qu'il ne prend pas position, ce n'est pas un spectateur engagé, mais un des caractères centraux.
Un exemple hautement symbolique: il est significatif que ce soit lui qui a indiqué l'âne à son propriétaire.

 Dans le mini-jardin d'Eden de M. Cyprien, seuls deux animaux lui sont attachés "par des liens", si j'ose écrire, sans pourtant qu'on puisse les qualifier de domestiqués, en somme, le serpent et l'âne (M. Cyprien dit très joliment "associé" en parlant de l'âne). Les autres sont devenus familiers, et même, stricto sensu, de compagnie. La réussite de M. Cyprien est d'avoir dépassé dans les faits, avec beaucoup de sensibilité, et en y consacrant une somme de temps considérable -le plus clair de son temps- la notion de sauvagine.

En face des animaux, il y a La Bête, le renard, inapprochable, réfractaire à toute séduction, qui sème le trépas violent dans la petite communauté animale et édénique.
Le renard symbolise l'échec du projet de M. Cyprien. Ce renard vire à l'obsession et tente M. Cyprien dans ses instincts les plus bas (à ses yeux) ceux qu'il a toujours combattus en lui: la violence, le meurtre.

 Là, les personnages se divisent en deux mondes et il faut garder les premières pages du roman bien en tête: d'un côté ceux de l'altérité, ou des deux-mondes, de l'autre le trivial, le terre-à-terre, j'allais même écrire le vulgaire mais à la réflexion se serait un contresens, personnifiés par les garnements volontiers braconniers du village, l'aubergiste qui égorge le coq, ou encore La Péguinotte et Anne-Madeleine, cette dernière étant celle par qui les évènements se précipiteront.  
Constantin se voit obligé d'aller couper une seconde branche d'amandier. Il est surpris par M. Cyprien, qui lui apprend qu'il ne faut pas toucher au paradis, du coup c'est Haycinthe qui donne le change en bravant un interdit: couper une branche d'amandier "du village", ce qui ne se fait pas (on note le côté "voleur de feu", et le panache, la gratuité secrète dans l'entraide envers Constantin, que signe ainsi Hyacinthe).

 Si le jardin d'Eden de M. Cyprien (le "paradis sur terre") brûle, de la main de M. Cyprien, si celui-ci s'enfuit en commettant un rapt sur Hyacinthe, sans doute est-ce par constat patent d'échec dans la cervelle troublée de M. Cyprien. Mais il y a là un transfert d'un poids, affreux, sur les frêles épaules de Constantin (l'Abbé Chichambre le sait bien et le laisse remarquer en annotation du cahier), ceci durcit le roman dans toute sa perspective, et contribue à l'assombrir comme si le rapt ne suffisait pas pour une non-happy-ending:
 
 C'est par lui que les évènements, dans leur irréversibilité à conséquences lourdes, sont advenus, alors que tout était en équilibre, sans doute plus ou moins stable et durable, mais en équilibre alors tout de même.
 
 Il est aussi le témoin passif et inconscient du meurtre de La Bête, Constantin est le déclencheur qui vient bousculer les évènements, sans pouvoir avoir la moindre prise sur eux.

 Il est abandonné une seconde fois à son rôle de témoin passif et inconscient (épisode de la fuite de Hyacinthe, la charge cathartique de ce passage-là en particulier est énorme), et perd tout au final, jusqu'à Hyacinthe.

à la lecture de ce second commentaire de Sigismond je constate à regret, combien les pages tronquées étaient nécessaires à la compréhension de certains évènements.

il est donc impératif de se procurer la version intégrale.

je me méfierai dorénavant des versions "junior"

Je suis scotché par la précision de ton regard et de ton analyse Sigismond. J'en reste sans voix pour argumenter. J'ajouterais que la dimension chamanique que tu soulignes peut aussi se voir sous un angle plus "alchimique" et au moins astrologique. Bosco élabore presque toujours ses intrigues en reliant les personnages aux astres et à des symboles (notamment animaux) que traduisent leurs noms (Saturnin, Saturnine...) et ceux des lieux. Il existe des études très savantes sur le symbolisme dans ses romans mais je pense que cette lecture n'est pas nécessaire sauf si on veut mieux comprendre ce qui se joue pour Bosco dans ces récits mystiques et initiatiques. On peut aussi les lire comme des rêves étranges qui exaltent les lois de la nature et l'introspection.

On pourrait établir un lien pictural avec les oeuvres d'Anselm Kiefer qui suivent une démarche approchante:

je me sens de plus en plus petite devant vos commentaires si érudits !

merci je prends tout !

Bédoulène a écrit:

je me sens de plus en plus petite devant vos commentaires si érudits !

merci je prends tout !

On est tous tout petit devant un écrivain pareil!

merci Marko

Constantin, un petit garçon comme les autres, un peu fripon et qui fait parfois des coups pendables, a pourtant une curiosité que les autres n’ont pas et qui l’emmène a vouloir découvrir plus loin de quoi est fait le monde.  Il suit l´âne culotte et rencontre Monsieur Cyprien.

Le début du bouquin est comme une introduction au petit âne culotte, aux Personnages, à la Provence. On sent la Provence dans le parlé de Bosco.  Bien sûr il a surement fait en sorte que ce soit accessible pour les lecteurs qui ne connaissent pas et ne viennent pas de la région.

-C'est trotte-chemin qui rentre! Du matin au soir dans la rue! Et avec qui encore? Avec toute la galopinasse du village!...
-Oui, madame, mais ce galampian nous a mis tellement en retard, qu'elle a failli brûler vingt fois! (la soupe) Allons viens te laver les mains, gratte-semelle!

Les choses sont joliment dites, comme si dans chaque personnage, dans chaque bête, dans chaque plante se cachait un secret merveilleux. On a l’impression que les personnages sont liés à la nature, qu’il ya échange entre les deux, qu’ils vivent leur nature et qu’elle est profondément ancrée en eux.  

J’aime beaucoup la description que Bosco fait du caractère de ce petit âne très digne, à la force tranquille. Très émouvant et on ressent tout de suite de la tendresse pour lui.

Un âne qui aimait surement la réflexion ; un âne qui avait beaucoup vu, beaucoup appris, beaucoup pardonné ; un âne affectueux, sensible aux bonnes manières, poli dans ses contacts avec les ânes et déférent sans platitude dans ses relations avec les hommes.  

Premières impressions :

Je suis sous le charme. Ce bouquin provoque en moi, par la beauté de son écriture un sentiment très puissant de nostalgie à l’enfance, à des paysages que je ne connais pas mais qui réveille la nostalgie d’autres paysages connus et aimés. Très paradoxal de se sentir proche et très éloignée en même temps. Il y a quelque chose de très optimiste qui fait que l’on se sent rasséréné de le lire.
Je pense que les livres de Bosco (si l’impression se confirme) seront pour moi comme des moments privilégiés que je m’accorderai quand je ne pourrai plus supporter le béton qui m’entoure. Ça me « soignera » momentanément.

Dans la « deuxième » partie l’âne, la nature, est moins présente. On fait plus ample connaissance avec les personnages. Constantin, sa famille, Monsieur Cyprien et Hyacinthe. Et le « serpent la mort » apparait, l’animal terrible dont parle Monsieur Cyprien, et qui va jouer un rôle important dans l’histoire ?

Je continue….

J'ai survolé vos commentaires mais je vous lirai plus tard plus attentivement. J'ai commencé plus tard que vous tous et je ne veux pas connaitre la fin de l'histoire tout de suite!



Argelas




La Pie Grièche Méridionale

merci pour ton commentaire Pia, prends ton temps dégustes.

"Je pense que les livres de Bosco (si l’impression se confirme) seront pour moi comme des moments privilégiés que je m’accorderai quand je ne pourrai plus supporter le béton qui m’entoure. Ça me « soignera » momentanément.

je te le souhaite !
"

En effet tu le dis bien Bédoulène, je déguste...  

Régale toi Pia. La Provence est bien là pleine de saveurs mais aussi de mystères. Concrète et cosmogonique en même temps    Ce qui me ressource le plus quand je reviens à Bosco c'est moins la nature elle-même (aussi merveilleusement décrite soit-elle dans tous les sens du terme) que la façon magique dont il nous fait basculer à chaque fois insidieusement dans une fantasmagorie onirique. Il nous immerge dans un monde de sensations archaïques qui construisent  une véritable mythologie avec ses divinités, ses épreuves, sa quête mystique. Il y a aussi de très beaux personnages. Je trouve formidable que chacun de nous y découvre quelque chose de différent en fonction de sa sensibilité. C'est toute la richesse de cette écriture.