Ruben Östlund

Ruben Östlund

Citation :

Ruben Östlund est né en 1974 sur l'île de Styrsö (en Suède). Il a étudié le cinéma à l'Université de Göteborg. Son premier long-métrage, The Guitar Mongoloid, a gagné le prix FIPRESCI à Moscou en 2005. Il est suivi par son second long métrage, Involuntary, présenté en séléction officielle au Festival de Cannes en 2008. Avec son troisième long métrage, Play, Ruben Östlund poursuit l'exploration des dynamiques de groupe et leurs effets sur les comportements individuels.

Snow Therapy


Prix du Jury, Un certain regard, Festival de Cannes 2014

Ce film sortira le 28 janvier 2015 et restera mon coup de coeur du festival de cinéma de Moulins où il était présenté en avant-première.

Une famille suédoise modèle part en vacances dans une station de ski française. Une avalanche manque de les ensevelir pendant un repas sur une terrasse panoramique. Lorsque tout revient au calme la mère se rend compte que le père avait disparu quelques minutes dans la panique  au lieu de rester à leurs côtés... Le couple se fissure progressivement devant deux autres couples d'amis rencontrés sur place et devenus des témoins involontaires et bien embarrassés.  

Ce film est à la fois très beau plastiquement et très intense sur le plan psychologique. Le réalisateur filme cet environnement montagneux et les pistes de ski comme des espaces mentaux (évoquant parfois Shining) avec des mouvements de caméra envoûtants et presque fantastiques avec un sens du détail anxiogène. Il observe méticuleusement le délitement de cette cellule familiale dans ce contexte de stress post-traumatique qui remet en question le rôle du père et les rapports homme/femme d'une manière plus générale. Les tensions entre eux contaminant également leurs amis, révélant les failles, la fragilité de l'édifice sur lequel se construit le lien amoureux et familial.



Il y a une atmosphère qui oscille entre le drame psychologique et l'humour noir. D'étranges séquences au bord de l'onirisme ponctuent  le film (la maquette volante de l'enfant dans la nuit, un groupe d'hommes sous testostérone qui se mettent à hurler dans une sorte de discothèque, une descente en bus acrobatique...).

Portrait sociologique, film catastrophe, voyage mental, Snow Therapy est la révélation d'un metteur en scène étonnant dont j'ai hâte de découvrir les productions passées et à venir.

Il vient de sortir... Ne le manquez pas!

Depuis le temps que je l'attends !
Mais je vais devoir être encore un peu patiente.

Vais y aller, il passe chez moi.

Hâte d'avoir vos réactions. Je vais y retourner. J'adore l'atmosphère du film.

Je vais me bouger alors s'il passe en plaine : dès qu'on parle d'atmosphère .....

Je vais essayer d'aller le voir vite. Il me tente ce film. Il m'intrigue aussi.

Je viens de revoir Snow Therapy et je l'aime toujours autant pour toutes les questions sociologiques qu'il soulève de façon très singulière. Un extrait d'article qui donne quelques pistes de lectures...

Citation :

«Je m’intéresse beaucoup à la famille nucléaire, explique Ruben Ostlund, parce que je pense qu’elle est hautement fragile. A la fin du XVIIIe siècle, on vivait dans de grandes familles où coexistaient plusieurs générations, et la pression sur la fonction de "l’homme", de la "femme", du "père", de la "mère" était moindre. La famille nucléaire réduite à la cellule parents-enfants a été inventée avec l’industrialisation. On a déplacé des campagnes et une certaine communauté villageoise vers les villes et leurs petits appartements fonctionnels, et il a fallu inventer un nouveau style de vie dans cette coexistence exclusive des géniteurs et de leurs enfants.»

Quand on demande à Ostlund quelles lectures nourrissent sa vision du monde, il cite Solomon Asch, Stanley Milgram ou encore Zygmunt Bauman, c’est-à-dire deux classiques de la psychologie sociale cognitive et un penseur visionnaire de la société de consommation et de l’ultra-individualisme : «La plupart du temps, le cinéma se contente de s’autoreproduire à l’infini selon une grammaire d’images fixes, de clichés médiocres et une idéologie de masse totalement acritique, initiant le spectateur à une perte progressive de tout rapport à la réalité. Or, pour moi, il est important d’ancrer la fiction dans une analyse béhavioriste, sociologique, anthropologique, même si je fais attention aussi à être moins dogmatique que par le passé et plus à l’écoute de l’émotion propre à chaque personnage. Mais il y a, en effet, à Göteborg tout un courant de cinéastes qui estiment qu’ils ont un rôle social à jouer et ne fabriquent pas exclusivement du divertissement.»

Play

Citation :

Dans un grand centre commercial de la capitale suédoise, trois pré-adolescents se font chahuter par un groupe de jeunes de banlieues. Apeurés, les trois amis tentent de les semer. Ils se font finalement alpaguer par la bande, qui prétend que le portable de l'un des jeunes ressemble étrangement à celui d'un ami qui s'est fait racketter il y a peu...

«Le film montre comment les gamins noirs endossent précisément les stéréotypes que la classe blanche leur colle dessus»

Le précédent film d'Östlund, présenté à Cannes en 2011, avait fait une très forte impression. Le dispositif y est plus radical que dans Snow Therapy. Une succession de plans séquences hyperréalistes souvent fixes pour mieux nous immerger en temps réel dans des situations progressivement anxiogènes où la violence morale est palpable jusqu'au malaise et où les rares moments de violence proprement physique surgissent comme des déflagrations dans cette banalité quotidienne.

Östlund y apparaît comme un cousin de Haneke mais le dispositif est moins sadisant que stimulant intellectuellement en confrontant le spectateur à ses propres idées reçues sur les différences raciales et le lieu précis (géographique et moral) où se joue la violence. Dans Snow Therapy on pouvait adopter tour à tour le point de vue masculin ou féminin et dans Play on se retrouve successivement à la place de ces ados blondinets puis à celle de ces enfants noirs qui tous subissent la violence et endossent le rôle qu'impose l'organisation sociale. C'est complexe et redoutablement dérangeant. L'empathie se déplace de l'un à l'autre, certaines mains se tendent tandis que d'autres se lèvent pour frapper. Il y a aussi la lâcheté de ceux qui assistent passifs à la violence et ceux qui voudraient ne pas cautionner mais sont pris au piège de la loi du groupe. Il y a des moments effrayants, d'autres franchement émouvants et on en sort avec plein de questionnements. Le tout formellement très abouti même si la dilatation en temps réel de certains plans pourra en rebuter plus d'un.

Il ne me reste plus qu'à essayer de trouver Happy Sweden et à attendre la sortie du prochain Östlund qui aura comme sujet:

«Nous avons perdu la confiance dans ce que nous avons en commun. En Suède, on commence à voir apparaître des résidences fermées pour les riches tandis qu’à l’autre bout du spectre social, des groupes se constituent ouvertement en mafias, écrivant leurs propres lois. Dans mon prochain film, il sera justement question de la difficulté à tracer les limites de notre responsabilité. Est-ce qu’elle s’arrête aux seuils de notre appartement, de la sauvegarde privée ou alors s’étend-elle à l’espace de notre ville, de notre pays, de notre continent ?»

Snow Therapy

Une découverte intéressante et singulière. J'ai aimé les nuances dans le regard de metteur en scène de Ruben Östlund : il dévoile la décomposition progressive d'une cellule familiale, l'ébranlement de certitudes mais ne livre pas un jugement hâtif ou une analyse détachée des évènements. Une tension fébrile se maintient sans cesse et des scènes se prolongent pour mieux saisir un trouble et un doute.

Le film renvoie chaque individu (le père, la mère, les enfants) face à lui-même et sa solitude, et creuse la difficulté à établir ou maintenir une confiance en soi et en l'autre. Östlund est aussi très attentif aux décors, à la fois anonymes (l'architecture d'une station de ski) et fascinants dans la révélation d'un environnement montagneux. Ils sont autant le signe d'un enfermement que d'une libération, symbole d'une parenthèse d'abord idéalisée puis rejetée.

L'interprétation est très convaincante dans une partition collective, réussissant à incarner les exigences du cinéaste. J'ai apprécié de retrouver le barbu Kristofer Hivju (aperçu dans Game of Thrones) dans un second rôle important au cours de la seconde moitié du film, élargissant des perspectives.

J'ai aussi remarqué que Snow Therapy est distribué dans sa version internationale anglophone sous le titre Force Majeure. Rien de très logique...

Snow Therapy (ou Force majeure ?)

Je ne serais pas aussi enthousiaste que Marko et Avadoro, même si c'est sans conteste un bon film, et que le réalisateur a du talent. Avant tout pour filmer, certains plans sont impressionnants de maîtrise. Les acteurs sont excellents chacun dans son registre.

Qu'est ce qui m'a moins satisfait ? Un certain manque d'originalité et de profondeur dans le sujet sans doute. L'événement exceptionnel révélateur de ce qu'est chacun, est un angle souvent utilisé en littérature et cinéma, le premier qui me vient à l'esprit (et ce n'est pas un hasard ) est Lord Jim de Conrad. Et là au final, rien de vraiment surprenant une fois que la situation est posée, même si l'exploitation est bien faite. De même la vision des rapports moderne homme-femme, de couple, même si bien traitée, n'a rien de novateur, la difficulté pour l'homme de trouver sa place; la recomposition des rapports. Il m'a manqué un je ne sais quoi de plus personnel chez Östlund.

Et les deux fins, en quelque sorte en décalage avec le réalisme psychologique de la première partie (même si l'homme de ménage apporte une étrangeté déjà avant) si elles montrent une maîtrise incontestable dans le registre du surréaliste, voir de l'angoissant et fantastique, m'ont plus semblés une sorte de pirouette qu'une véritable conclusion convaincante.

Mais c'est un réalisateur qui a du potentiel et qu'il convient de suivre. Et on passe plutôt un bon moment à suivre le film.

L'originalité est moins dans le sujet que dans son traitement qui est un équilibre parfaitement mené entre portrait sociologique presque clinique, étrangeté surréaliste et poésie contemplative. Ça en fait un psychodrame ludique qui prend aux tripes lorsque cet homme craque dans une crise de larmes existentielle impressionnante. Ce film a quelque chose de mental et d'abstrait qui me séduit beaucoup.

Tu sais bien Marko que nous ne seront jamais complètement d'accord.

Mais je pense aussi que le film vaut surtout par la forme, qui est d'une maîtrise impressionnante. Mais au final, cela m'intéresse de moins en moins dans le cinéma. Je n'ai plus envie d'être impressionnée, mais touchée, par quelque chose de plus sensible. Même s'il faut aussi un vrai style évidemment.

Je suis d'accord et je trouve justement que la détresse momentanée de cet homme est particulièrement émouvante. De la même façon que ce qui se joue entre les personnages échappe aux simplifications et stéréotypes habituels. Il se passe beaucoup de choses psychologiquement. Et l'humour désamorce ce que le film pourrait avoir de trop théorique.

Et bien je n'ai pas été émue par la détresse de cet homme, qui au final avait pour moi un caractère un peu convenu; comme d'ailleurs un peu tout l'aspect psychologique du film, et j'ai eu le sentiment que les aspects un peu décalés avait aussi pour fonction de masquer un peu ceci, au moment où le spectateur aurait pu voir un peu trop les ficelles, on passait à une autre dimension, ce qui distrayait l'attention d'une analyse qui aurait pu démonter trop le schéma. Tout cela fait avec brio et aisance, d'ailleurs.