LC Pierre Rabhi - Vers la sobriété heureuse

J'ai le livre, et commence demain.

Pas encore le livre, faut que j'aille le chercher à la bibliothèque.

Je vous dis très vite mes premières impressions : il s'agit tout autant d'un livre-témoignages que d'un livre à charges, nous avons dans les mains un livre rebelle, un livre de combat mais aussi le livre d'un homme qui sait écrire, avec une langue à lui, très personnelle, particulièrement lyrique et audacieuse. Je reviens avec un peu plus de matière dès que possible.

En effet Shanidar, Pierre Rabhi n'y va pas de main-morte, et ce dès l'avant-propos. C'est toute l'ère moderne, quel que soit le mode idéologico-économique choisi (capitalisme à l'anglo-saxonne, démocratie libérale de type scandinave, marxisme, etc...), c'est le monde né de la révolution industrielle, succédant immédiatement aux Lumières, qui est visé:

avant-propos a écrit:

...les contradictions internes d'un modèle qui ne peut produire sans détruire et porte donc en lui les germes de sa propre destruction.

Le parti-pris littéraire (car c'en est un) de commencer par l'évocation de l'enfance (chapitre Le chant du forgeron) et d'un monde révolu (un en-tête est clair: La fin d'un monde séculaire) pour amener une empathie doublée d'inquiétude est une manœuvre habile - j'ajoute que l'évocation porte, et même si Pierre Rabhi ne se prend pas pour un écrivain, du moins le crois-je (n'hésitez pas à me détromper) je rejoins Shanidar pour ce qui est de l'ordre de l'agrément de lecture. Il joue d'ailleurs bien, à la façon des maîtres du roman classique, sur les sons, les odeurs et les couleurs dans l'"habillage" formel de son chapitre.

Citation :

L'enfant est bouleversé de voir le forgeron revenir chaque soir comme tous les autres, souillé. L'idole est comme profanée.

Le double "comme" était évitable - mais il appuie sur la souillure/profanation.

Et, en fin de chapitre, l'estoc, le coup de grâce, bien amené:

Citation :

...elle a réduit, sous prétexte de l'améliorer, la condition de tous à une forme moderne d'esclavage, non seulement en produisant du capital financier sans aucun souci d'équité, mais en instaurant, du simple fait de prendre l'argent comme mesure de la richesse, la pire inégalité planétaire qui soit.
L'exploitation et l'asservissement de l'homme par l'homme et de la femme par l'homme ont toujours été une perversion, une sorte de fatalité conférant à l'histoire humaine la laideur que l'on sait; mais, à la différence de cette perversion pour ainsi dire spontanée, la modernité, avec les révolutions censées y mettre fin, l'a perpétuée sous la bannière des plus belles proclamations morales: démocratie, liberté, égalité, fraternité, droits de l'homme, abolition des privilèges... [...] ...la modernité m'est apparue comme une immense imposture.

Sigismond a écrit:

C'est toute l'ère moderne, quel que soit le mode idéologico-économique choisi (capitalisme à l'anglo-saxonne, démocratie libérale de type scandinave, marxisme, etc...), c'est le monde né de la révolution industrielle, succédant immédiatement aux Lumières, qui est visé:

Entièrement d'accord avec toi : tous systèmes économiques confondus...

Pour ceux qui voudraient consulter le blog de Pierre Rabhi.

blog de Pierre Rabhi

Quelques commentaires sur son oeuvre. ici

J' ai déjà lu quelques livres de Rhabhi, et je vous lis.
 Rabhi a mis du temps a etre connu et reconnu. Et s' il a commencé par mettre en valeur sa propre
terre, une terre que tous déclaraient non cultivable, il s' est gardé de rester chez lui. Au contraire,il a toujours eu des relations aux quatre coins du monde.
Il a beaucoup appris et c' est lui qui, après des dizaines années, se présente comme un guide modeste mais efficace.

Comme vous le dites, il a aussi compris que tout ou presque était à changer, et notamment le système économique mondial.
Un système ruineux,  inadéquat, tant pour la planète que pour ceux qui y vivent. Et dont la faillite est
évidente.
Il ne suffisait pas de le savoir, il fallait payer de sa personne pour tenter de peser sur les mentalités
et éclairer ce qui aux yeux de tous n' était qu' une utopie sans avenir.
Au mieux une discipline austère et dogmatique.

Mais Rabhi n' est plus seul. En peu partout des initiatives locales se créent. Sans attendre l'aide
des politiques ou des partis aux abois.
Tout est à faire et c' est une course de vitesse compte tenu des enjeux et des périls qui se concentrent et qui sont tous urgents.
 

Pour étayer la nécessaire modération de nos économies de surconsommation, Pierre Rabhi cite cette interpellation de l'Indien Seattle au président des Etats Unis :" Je suis un sauvage, et je ne connais pas d'autre façon de vivre. J'ai vu un millier de bisons pourrissant sur la prairie, abandonnés par l'homme blanc qui les avait abattus d'un train qui passait."
A la lecture de ce passage je me suis rappelé l'impression de dégoût que j'éprouvais en entrant dans nos supermarchés géants  lors de retours de mes séjours en Amerique centrale, l'abondance dans l'insouciance générale, mais qui se soucie réellement du gâchis honteux de nos sociétés. Pour se donner bonne conscience on distribue à la dérobée quelques victuailles périmées " à nos pauvres"...Et pire, le comportement conditionné de nos touristes dans les pays pauvres qui se plaignent que le buffet du petit dejeuner manque de beurre...C'est ce confort dédaigneux de toute conscience que nous risquons de payer...
Rabhi nous parle dans un langage simple, ceux qui craignent de trouver un livre d'économiste savant au style ampoulé et aux propos compliqués se trompent, il explique son point de vue de façon claire, et sa logique ne peut emporter que notre assentiment...
---Contre la gloutonnerie de nos civilisations qui prônent l'obésité il nous enjoint à la modération, à se contenter du strict nécessaire, personnellement je rejoins ses idées, pour en avoir experimenté plusieurs au cours de ma vie depuis  mon enfance...

Son livre est tout petit (134 pages sans les annexes) et tres lisible...

p.s : visiblement nos dirigeants n'ont jamais lu Rabhi : la BCE va injecter des centaines de milliards de "faux billets" dans les economies européennes...

Je n'ai pas encore lu Rahbi (mais je le ferais probablement un jour parce que ça m'intéresse), mais je m'immisce dans la conversation parce qu'il me vient une question...

... qu'est-ce que pour vous le "strict nécessaire" justement ?...
Parce que je pense que nous n'en avons pas tous la même définition.

Merci Chymère, ta question renvoit à une interrogation que se pose Rabhi dans son ouvrage :

"Je dois avouer qu'après la frugalité, parfois proche de l'indigence, vécue avec ma famille à partir de 1961 et durant une quinzaine d'années, pendant la phase pionnière de notre aventure cévenole, aujourd'hui, bénéficiant d'une prospérité certes raisonnable mais durement acquise, je suis obligé de me reposer à moi-même cette question : que veux dire au juste la sobriété que je prône..?"

Rabhi évoque la relativité de l'argent selon les lieux où l'on se trouve, ainsi note t'il que lorsqu'il se déplacait en Afrique subsaharienne avec sa vieille voiture et ses livres il était plus riche que l'ensemble du village qu'il visitait..J'ai fait moi même ce genre de calcul, ainsi j'avais acheté un appartement de trois pieces, cuisine, salle de bains avec une terrasse de 80 metres carrés pour la somme 7500 dollars, soit environ 7000 euros, en faisant mon calcul sachant qu'un cubain gagne environ 25 dollars par mois cette maison valait le salaire mensuel de 280 cubains, et pourtant en France qu'a t'on pour 7000 euros..? Avec ma jeep et ma maison j'étais archi millionnaire, c'etait une voiture de 1948 qu'en France personne n'aurait achetée...
Pour repondre à ta question Chymère je pense qu'il faut se contenter de ce que l'on a, ainsi maintenant je roule dans une citroen berlingot de 12 ans d'âge, j'ai un portable que j'use jusqu'à ce qu'il me pète dans les pattes, j'ai un vieux mobile qui ne fait pas de photos et un numerique bas de gamme..Je fuis les pubs, je préfère les balades aux depenses somptuaires... Pour moi et pour te repondre c'est avoir le minimum et ne pas chercher davantage, seule entorse les voyages sans aller dans les hotels...

Et il y répond ?... (parce que ça serait pratique, quand-même...)
Cela dit, je me répète, mais je pense que le "nécessaire" pour vivre est tout de même assez relatif...

Enfin, certes il y a le nécessaire "biologique" c'est à dire manger à sa faim, se protéger du froid en gros... mais, pour ma part, je considère que là c'est de l'ordre de la survie animale et pas de la vie.
Pour ma part, je pense que le nécessaire comprend aussi ce qui rend la vie "intéressante" et épanouissante : donc l'accès à la culture, la possibilité d'avoir de quoi penser, imaginer et créer etc...

Oups je t'ai repondu en éditant juste au dessus

Chymère a écrit:

Pour ma part, je pense que le nécessaire comprend aussi ce qui rend la vie "intéressante" et épanouissante : donc l'accès à la culture, la possibilité d'avoir de quoi penser, imaginer et créer etc...

tout à fait d'accord, sinon à quoi bon vivre...

Chymère a écrit:

Et il y répond ?...  (parce que ça serait pratique, quand-même...)

Spoiler:

L'utilisation du credit est une arme redoutable du capitalisme puisqu'il donne l'illusion que l'on peut tout posséder facilement, alors qu'il faudra rembourser pendant de longs mois, et ruse suprème les objets achetés ont une durée moins longue qu'autrefois, d'autre part à cause de l"électronique on ne peut plus réparer, alors on jette et on réachète. Les generations passées étaient méfiantes à juste titre sur ce moyen "d'avenir"...

Non sans admiration, j'ai écouté Pierre Rhabi pendant des heures alors qu'il intervenait sur une radio libre d'Ile de France. Il étayait son propos d'anecdotes dont une qui m'a marquée où il racontait, qu'assis en compagnie d'un paysan, il admirait le tableau d'un chêne séculaire se découpant en ombre chinoise dans le soir couchant, et le paysan de s'exclamer à propos du chêne : "ça en ferait des stères de bois à vendre".

Une des réponses de Pierre Rabhi :
"Car, pour cet économiste singulier (--Nicholas Georgescu-Roegen---), la seule économie qui vaille est celle qui produit du bonheur avec de la modération. Cette conception est pour moi depuis longtemps une évidence, comme je l'ai déjà exprimé."
Ainsi Pierre Rabhi demande purement et simplement de renoncer au modèle actuel "fondé sur la toute-puissance du lucre et à lui dévoué".

Toujours pas commencé ma lecture mais en attendant, je prends connaissance avec intérêt de vos réflexions.

Toujours pas commencé, parce que je ne me sens pas dans le bon état d'esprit. Peut-être arriverez-vous à m'infléchir un peu. Ma plus grosse crainte avant de commencer la Sobriété heureuse : ne s'agit-il pas d'une oeuvre visant à ouvrir la soupape de la culpabilité ? nous, qui lisons ce livre, voulons-nous vraiment vivre dans la sobriété (on rejoint ainsi le sens de ta question très pertinente Chymère), ou voulons-nous seulement avoir l'envie d'y vivre ? Bref : cette lecture est-elle une démarche en partie hypocrite ?

Je me crains un peu trop moi-même pour me sentir digne de cette lecture. Je ne suis pas sûre d'avoir envie de participer à un jeu de bonne conscientisation. Mais va falloir se lancer quand même.