Monsieur le chat (2009)
Si les écrivains semblent être aussi solitaires que les chats, ils ne forment pas moins une grande famille dont la filiation pourrait remonter à François-Augustin Paradis de Moncrif (1687-1770) qui fut le premier à consacrer un ouvrage entièrement consacré à la gente féline en 1727 avec son
Histoire des chats. Une filiation qui a pour dénominateur commun, outre leur sujet, une certaine exigence dans l'écriture autant qu'une connaissance quasi encyclopédique des matous.
Il ne s'agit donc pas ici d'évoquer des ouvrages pratiques, des romans ou des essais plus ou moins humoristiques mais bien de livres érudits qui tentent, à chaque fois, de suivre une ligne historique autant qu'iconographique et littéraire, parsemé ça et là d'anecdotes et de réflexions personnelles. Fatalement, on peut y retrouver des informations et sources identiques d'un livre à l'autre mais, au final, chacun de ces ouvrages est différent. Par le style de l'auteur, bien évidemment, ainsi qu'à l'occasion un complément d'informations mais surtout par le traitement choisi. Là où Frederic Vitoux avait préféré la voie non linéaire du dictionnaire (fut-il "amoureux"), là où Moncrif avait opté pour une forme épistolaire dédiée à un destinataire fictif, l'ouvrage de Marc Alyn se lit davantage comme un roman qui raconterait l'odyssée d'une créature fabuleuse et néanmoins bien réelle, qui n'est "chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre", comme dirait Verlaine : le chat.
Et quelle odyssée, vous pensez bien ! De dix mille ans avant notre ère (premier contact entre le chat dit "domestique" et l'homme devenu depuis peu sédentaire) jusqu'à aujourd'hui, cela fait du chemin à parcourir ! Mais qu'importe car, on le sait, le chat est celui qui s'en va tout seul et tous les chemins/lieux se valent pour lui... même s'il en est de plus accueillants (à l'ombre des Pyramides) que d'autres (sur les bûchers de la Saint-Jean).
Toutefois, s'il donne l'impression de se lire comme un roman,
Monsieur le chat ne possède pas une structure des plus romanesques : Marc Alyn est poète, non romancier et cela se sent. Entendez par là que, si l'on décèle bien un fil conducteur historique ou chronologique dans la trame touffue du livre, on sent chez l'auteur une volonté d'écrire au fil des mots comme ils lui viennent, selon l'inspiration du moment et une idée en entraînant une autre. En toute liberté et surtout sans la contrainte d'une structure rigide et bien visible, Marc Alyn contraint le lecteur a accepter ce vagabondage, voir ces digressions, qui rend la lecture paradoxalement fluide mais parfois malaisée. Ainsi, au bout de quelques chapitres, il sera difficile au lecteur de retrouver à coup sûr une information en se reportant à un chapitre clairement nommé ou pour le dire autrement : qui appelle un chat un chat.
Ainsi si l'on peut deviner que
Affectueux miaous de la Sérenissime parle des matoux vénitiens et que
Dans chaque livre rêve un chat évoque les rapports entre chats et écrivains, d'autres comme
Chat en poche, Chat noir chat blanc, Chats mousquetaires du Palais-Royal, Les chats d'Eros, etc... resteront plus flous dans la mémoire du lecteur par ces intitulés plus évocateurs que descriptifs. Mais ce que l'on perd un peu en clarté, on le gagne en subtilité.
L'intention de Marc Alyn n'était certainement pas de rédiger un ouvrage simplement didactique sur les chats, comme il en existe tant sur le marché. Ce qui n'empêche pourtant nullement d'apprendre une foule de choses concrètes (références à l'appui) sur l'histoire des petits félidés posant la patte dans tous les domaines du savoir, de l'Art et de l'Histoire. Mais c'est l'écriture "féline et soyeuse" (dixit Didier Decoin) qui fait ici toute la différence et réjouira autant les amateurs de littérature que de chats.
Par ailleurs, il serait malvenu de prétendre rendre justice à Môôsieur le chat en écrivant avec des gants de boxe.
Champfleury, autre ailurophile convaincu, ne l'avait-il pas déjà affirmé en 1868 dans son livre Les Chats : "
Les natures délicates comprennent le chat. Il a pour lui les femmes ; en grande estime le tiennent les poètes et les artistes, mus par un système nerveux d'une exquise délicatesse, et seules les natures grossières méconnaissent la nature distinguée de l'animal".
Marc Alyn, avec sa grande sensibilité et son style raffiné sans être pesant ni poseur, le prouve et vient grossir les rangs des historiogriffes* contemporains à la plume experte tels que Jean-Louis Hue, Frederic Vitoux ou Louis Nucéra.
Ils ne sont pas si nombreux.
NB : "historiogriffe" fut le surnom - peu flatteur - donné par Voltaire à Moncrif lors de la sortie de son
Histoire des chats, le grand philosophe se moquant de Moncrif pour avoir rédigé une monographie (la première de l'Histoire) sur un sujet jugé aussi futile.
Pour ma part, aujourd'hui, je réhabilite ce néologisme et lui ôte sa connotation péjorative (après 288 ans, il y a prescription, nom d'une souris à roulettes !
)
Magnificat Abemus Papatte !