Marcel Proust

Marko a écrit:

Surtout écoutez l'émission "Un été avec Proust". C'est génial!

Oui, c'était très bien, j'en ai raté quelques épisodes, je rattraperai. 
Toujours pas réussi à me lancer, j'avais essayé en livre audio, mais ce n'est pas du tout la bonne solution!

La prisonnière

Un des "cercles" proustiens absolument asphyxiant, qui m'a demandé de l'énergie et du courage tant il a été difficile de se laisser incarcérer dans un mental démentiel de jalousie. A la limite du fantasme, de l'hallucination et de la rumination incessante, j'ai trouvé l'atmosphère de ce livre très étouffante, proche du délire même car le narrateur se comporte en tyran. Pas seulement d'Albertine. Il est d'abord tyran de lui-même, tant il ne contrôle pas ses pensées, son imagination.

C'est une conscience à vif qui s'exprime, une âme torturée et torturante pour le pauvre lecteur qui a hâte d'en sortir.

Bien sûr, la langue reste hors norme avec des passages renversants de beauté, de poésie, de métaphores rares. Notamment, ce moment où le narrateur s'approche, dans la nuit, de sa maison. Les fenêtres de la chambre où se trouve sa dulcinée laissent filtrer des rais de lumière, ressemblant à des barreaux dorés. Dit par Proust, on est en extase.

Charlus et Albertine forment les deux motifs centraux du texte, mais on rassemble le puzzle, on revient au début, on sent venir comme une synthèse, notamment quand on arrive à l'évocation de la fameuse tasse de thé. La narration, de circulaire devient centripète.

On converge vers l'issue...

Sans oublier l'éternelle ambigüité de tout. Des personnages, des situations, des réparties, des humeurs même. La sexualité se fait vecteur de l'ambivalence universelle, de la dualité irréductible de toute essence.

On s'achemine vers la question (entre autres !) : l'art est-il réalité ?

J'omets de noter d'ailleurs qu'on se rapproche de plus en plus du narrateur, qui confesse par exemple son prénom, Marcel, mais pas seulement cela.
On explore son intériorité, on fouille son intimité mentale, son inconscient, son idiosyncrasie, sa pathologie (?). On plonge au fond de l'océan du moi. C'est affolant.
Pour la première fois, des dates précises sont citées, le 14 et le 15 septembre. Le lecteur n'est pas habitué à ce concret vulgaire, lui qui surfait jusque là sur des états d'âme mobiles qui se sont transformés en abîmes conscientiels. Sont-ce des bouées pour nous tenir la tête hors de l'eau ?

Enfin, si on simplifiait en disant que chaque conscience est une musique unique ?

Quant à moi, je suis en pleine lecture du côté de Guermantes et je bois du petit lait !
Superbe !
 

tina a écrit:

La prisonnière

Bien sûr, la langue reste hors norme avec des passages renversants de beauté, de poésie, de métaphores rares. Notamment, ce moment où le narrateur s'approche, dans la nuit, de sa maison. Les fenêtres de la chambre où se trouve sa dulcinée laissent filtrer des rais de lumière, ressemblant à des barreaux dorés. Dit par Proust, on est en extase.
(...)
La narration, de circulaire devient centripète.

On converge vers l'issue...

On plonge au fond de l'océan du moi. C'est affolant.
(...)
Enfin, si on simplifiait en disant que chaque conscience est une musique unique ?

Excuse moi de te citer en te tronçonnant   ça me permet de rebondir sur ce que tu dis très justement du cercle et du fond de l'océan.

La Prisonnière est une synthèse de toute La Recherche en même temps qu'un roman morbide sur la jalousie et la mort. Le délitement de tout l'édifice se précise. Le temps retrouvé en sera la confirmation sublimement désenchantée. Et on est effectivement au centre du cyclone, le point névralgique vers lequel tous les cercles concentriques convergent. C'est d'ailleurs  à ce moment là qu'il nous révèle la structure du roman en évoquant la musique cyclique et vénéneuse de Wagner. Ces pages sont extraordinaires. Il est au plus haut dans la poésie et la noirceur. Avec cette scène culminante de la mort de Bergotte devant le tableau de Vermeer (au fait le fameux petit pan de mur jaune n'existe pas!!! Proust l'a inventé ou halluciné comme il transforme constamment la réalité). De ce champ de ruine va pouvoir émerger peu à peu sa vocation d'écrivain.

La Prisonnière est ma partie préférée de la Recherche. Tu en parles très bien.

tina a écrit:

On s'achemine vers la question (entre autres !) : l'art est-il réalité ?

La réalité n'existe pas. Tout est halluciné par notre cerveau de la même façon que lire La Recherche c'est être dans la tête de Marcel et regarder à travers ses yeux un monde qui se délite et lui échappe constamment.  Il donnera sa conclusion sur la nature de l'art dans Le temps retrouvé.

La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature ; cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste.

Ce travail qu’avaient fait notre amour-propre, notre passion, notre esprit d’imitation, notre intelligence abstraite, nos habitudes, c’est ce travail que l’art défera, c’est la marche en sens contraire, le retour aux profondeurs où ce qui a existé réellement gît inconnu de nous, qu’il nous fera suivre.

L'art c'est tout ce qui est essentiel dans la nature humaine parce que le reflet de notre moi interne, de l'inconscient, et non notre masque social qui n'est que la surface des choses. L'art sublime la trivialité et l'insignifiance de la vie. C'est une religion à soi tout seul!

Oui, la vie, c' est de la littérature. En général très mauvaise : pathos, amphigouri, mélo, méli mélo,
j' en passe et des pires !

En suivant l'évolution de ce fil depuis des mois, une envie grandissante en moi : me plonger dans l'univers Proustien ............

églantine a écrit:

En suivant l'évolution de ce fil depuis des mois, une envie grandissante en moi : me plonger dans l'univers Proustien ............

Y a intérêt!  

Marko, je ne peux que rebondir en croisant ce fil et ce que tu dis ailleurs (sur ta formation psy., qui, au passage, doit grandement t'aider à saisir La Recherche).
"La réalité n'existe pas."
Au-delà de Proust, cela signifie que tout n'est que perception et chimie cérébrale ? C'est un point de vue médical que tu donnes là ?


@ Eglantine : Harelde, Marko, notamment comptent parmi les fans de MP, moi aussi (même si j'éprouve un violent sentiment d'attraction-répulsion pour le bonhomme).

Donc, on t'attend !

[quote="Marko"]La Prisonnière est ma partie préférée de la Recherche. [/quote]


C'est quand même très douloureux, y compris pour le lecteur littéralement aspiré par les délires de ce narrateur. J'avoue avoir fait une pause de 2 jours très salutaire.
Puis, j'ai replongé* et tout fini.


* quand même, 2 jours sans came, c'est long ! :cookiemonster:

tina a écrit:

Marko, je ne peux que rebondir en croisant ce fil et ce que tu dis ailleurs (sur ta formation psy., qui, au passage, doit grandement t'aider à saisir La Recherche).
"La réalité n'existe pas."
Au-delà de Proust, cela signifie que tout n'est que perception et chimie cérébrale ? C'est un point de vue médical que tu donnes là ?

c'est plus une question de physique quantique et de philosophie. De poésie aussi. Tu peux jeter un oeil à ce lien avec la video: ICI

La réalité n'existe que sous forme de point de vue... C'est du Bergson par exemple. Cela peut être du Husserl aussi.

Il faut une disponibilité particulière pour lire les livres qu'on se destine à lire. Dans le cas de Proust, franchement, il constitue une telle référence qu'il est difficile de passer à côté. Mais j'ai une question pour vous... Entre Joyce, Proust et Céline parmi les grands innovateurs de cette époque, vous choisissez qui pour aborder son oeuvre en premier?

Jimmy a écrit:

La réalité n'existe que sous forme de point de vue... C'est du Bergson par exemple. Cela peut être du Husserl aussi.

Bergson étant l'une des influences essentielles de Proust d'ailleurs.