Charles Bukowski

sousmarin a écrit:

Bien sûr, tu auras compris que je ne parlais pas du talent de Bukowski mais de ce dont il parle…ça me semblait le mot approprié.

La merde attire certains écrivains, comme Sade par exemple, d’une façon plus littérale pour lui je te l’accorde, sans que leurs qualités en la matière, si l’on peut dire , ne soit remise en cause ; désolé de t’avoir déçu et de ne pas avoir été aussi inspiré que d’habitude…

Peut-être parce que Bukowski l'a vécu, cette merde, et dans cette merde...

Aujourd'hui j'ai eu Le ragoût du septuagénaire entre les doigts. Quand est-ce que je vais me décider à lire ce gars... ?
(J'ai peut-être peur que ça me plaise trop... Ou que ça me déçoive à force de le "fantasmer"...)

A la question : que faire quand je me sens seul ?
Réponse : lire Bukowski !

Souvent, on cherche une voix quand on lit, une voix amie, une présence... celle de Bukowski est forte. Il est là, dans chaque mot. On se retrouve un peu comme des clebs, on renifle, on va vers ce qui sent fort...

Rien de narcissique chez Bukowski, rien à voir avec ces écrivains à la mode qui posent et s'exposent et veulent nous faire croire qu'ils existent - mais qui reste dans le fond des midinettes...

J'en parlais dans un autre sujet, le Journal d'un vieux dégueulasse est ressorti chez Grasset dans la collection Cahiers Rouges. L'éditeur annonce une révision de la traduction...

J'ai relu avec plaisir Le Postier. C'est le meilleur livre pour faire connaissance avec Bukowski. C'est cru mais pas trop, bien âpre quand même avec un regard lucide sur la société.

Shakespeare Never Did This, à ma connaissance le dernier livre de Bukowski (hors poésie) encore non traduit en français devrait enfin être édité en France en 2012, par les éditions 13e Note.

La couverture originale :

Pour les états d'esprits qui vont plus ou moins mal et en proie à l'anxiété, je profite de l'occasion pour ressortir un classique de la suggestion : Hermann Ungar

Les jours s'en vont comme les chevaux sauvages dans les collines


La poésie de Charles Bukowski est crue, aride, violente, désespérée. Elle peint des figures marginales, qui se morfondent dans une Amérique aussi cruelle qu’insolite. Charles Bukowski, qui fut à la fois poète et romancier, lance les mots comme on tire au revolver, sans respect ni de la syntaxe ni des convenances :

« (…) J’ai fait un trou dans la grille
pour élargir mon champ de vision et lorsque les jambes
se sont mises à défiler au-dessus de ma tête,
j’ai eu le temps de descendre un colonel, un major et trois lieutenants
avant que l’orchestre arrête de jouer ;
et maintenant c’est comme une guerre, des uniformes
partout, derrière les voitures et les broussailles,
et pan pan pan
ma cave est un vrai feu d’artifice, et je
riposte, le colt est aussi brûlant
qu’une patate cuite au four (…) » (venus avec la marche, p. 22)

À beau chercher un dénominateur commun à ce recueil de poésies je n’en vois que deux. Le pessimisme ambiant tout d’abord, qui n’épargne ni l’homme ni l’acte poétique lui-même :

« (…)
qu’est-ce que la poésie ? personne ne sait. ça varie. ça fonctionne
tout seul comme un escargot rampant sur le mur d’une maison. oh,
c’est une grosse chose spongieuse qui devient toute gluante et visqueuse
quand on
marche
dessus. (…) » (caca & autres immolations, p. 205)

L’incongruité des titres et sujets traités ensuite : poème pour les chefs du personnel, fourmis défilant sur mes bras ivres, comment ça se passe à l’intérieur d’une conserve de pêches, pédé, pédé, pédé, au diable Robert Schumann, caca & autres immolations, etc. Ce n’est pas pour rien que ce recueil s’intitule Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines, les titres égarent le lecteur autant que la poésie disjointe et disharmonique de leur auteur. L’incipit d’un poème est une ville (p. 54) résume bien cet univers tourmenté que campe Charles Bukowski. Ici l’anaphore est reine dans un monde en déroute :

« un poème est une ville remplie de rues et d’égouts
remplie de saints, de héros, de mandiants, de fous,
remplie de banalité et de bibine,
remplie de pluie et de tonnerre et de périodes de
sécheresse, un poème est une ville en guerre,
un poème est une ville demandant à une horloge pourquoi,
un poème est une ville en feu,
un poème est une ville dans de sales draps
ses boutiques de barbiers remplies d’ivrognes cyniques,
un poème est une ville où Dieu chevauche nu
à travers les rues comme Lady Godiva,
où les chiens aboient la nuit et chassent
le drapeau ; un poème est une ville de poètes, la plupart d’entre eux interchangeables,
envieux et amers... »

Personnellement cet ouvrage m'a quelque peu rebuté, car j’ai dû mal à concevoir l’art poétique sans portée esthétique clairement assumée. Mais le style d’écriture de Bukowski est tellement particulier que tout à chacun pourra se faire son avis sur la question après la lecture de seulement quatre ou cinq de ses poèmes. Envie de broyer des idées noires ? Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines est sans doute le livre qu’il faut.

SCOman a écrit:

Les jours s'en vont comme les chevaux sauvages dans les collines

Personnellement cet ouvrage m'a quelque peu rebuté, car j’ai dû mal à concevoir l’art poétique sans portée esthétique clairement assumée. .

Je ne comprends pas ... l'art poétique, et l'art en général, doivent-ils répondre à une demande d'esthétique qui, selon l'ère du temps, donc de la mode correspondraient à un état d'esprit ?
Par essence, toutes les formes artistiques qui ont traversé les siècles n'ont-elles pas été une déconstruction permanente des archétypes poussiéreux qui nous enfermaient dans le carcan du classicisme ?

Constance a écrit:

Par essence, toutes les formes artistiques qui ont traversé les siècles n'ont-elles pas été une déconstruction permanente des archétypes poussiéreux qui nous enfermaient dans le carcan du classicisme ?

Je ne sais pas : néoclassicisme... pré-raphaélisme...

Constance a écrit:

SCOman a écrit:

Les jours s'en vont comme les chevaux sauvages dans les collines

Personnellement cet ouvrage m'a quelque peu rebuté, car j’ai dû mal à concevoir l’art poétique sans portée esthétique clairement assumée. .

Je ne comprends pas ... l'art poétique, et l'art en général, doivent-ils répondre à une demande d'esthétique qui, selon l'ère du temps, donc de la mode correspondraient à un état d'esprit ?
Par essence, toutes les formes artistiques qui ont traversé les siècles n'ont-elles pas été une déconstruction permanente des archétypes poussiéreux qui nous enfermaient dans le carcan du classicisme ?

J'exprimais là un simple goût personnel. J'aime quand la poésie abonde vers une recherche du beau, de l'esthétique.

Charles Bukowski ne fut pas beaucoup cité dans sa poésie. Pour ma part, je me fais un devoir d'y remédier surtout après sa nomination. Je vous montre «une petite bombe atomique», poème qu'on peut lire dans Jouer du piano ivre [...] :

Charles Bukowski, Journal, souvenirs et poèmes, 2007, Grasset, p. 323-324. a écrit:

«une petite bombe atomique»

ô donnez-moi juste une petite bombe atomique
pas une grosse
juste une petite
assez pour tuer un cheval dans la rue
mais il n'y a pas de chevaux dans la rue

(commentaire de JHB : ça paraît qu'il n'est pas venu voir les calèches dans le Vieux-Port de Montréal)

alors, assez pour renverser les fleurs dans un bol
mais je ne vois pas de
fleurs dans un
bol

(Commentaire : pas de bol, Buk...)

assez alors
pour faire peur à mon amour
mais je n'ai pas d'
amour

bon
donnez-moi alors une bombe atomique
pour nettoyer ma baignoire
comme un enfant sale et adorable

(j'ai une baignoire)

juste une petite bombe atomique, général,
avec un nez épaté
des oreilles roses
qui sent comme des sous-vêtements en
juillet

vous croyez que je suis fou?
moi aussi
je crois que vous êtes fou
et que vous pensez :
expédiez-m'en une avant que quelqu'un d'autre
le fasse.

C' est assez drole, on dirait un peu du Boris Vian !

Faut bien continuer à dévoiler les grandes lignes du personnage Bukowski :

Charles Bukowski, Journal, souvenirs et poèmes, 2007, Grasset, p. 494-496. a écrit:

«comment devenir un grand écrivain»

vous devez baiser le maximum de femmes
de belles femmes et écrire
le minimum de poèmes d'amour courtois.

et ne vous préoccupez pas de leur âge
et/ou des questions de talent.

simplement buvez de la bière
de plus en plus

et allez aux courses au moins une fois
par semaine

et gagnez
si possible.

apprendre à gagner n'est pas à la portée
de tous - n'importe quel plouc
peut devenir un excellent perdant.

et n'oubliez pas ce cher Brahms
et ce cher Back et cette chère
bière.

mais pas de forcing.

dormez jusqu'à midi.

évitez les cartes de crédit
et aussi de payer
cash.

rappelez-vous qu'il n'y a pas un cul
dans ce vaste monde qui ne vaille plus
de 50$ (en 1977).

et si vous avez envie d'aimer
aimez-vous d'abord
mais en gardant
toujours à l'esprit la possibilité
d'une défaite complète
quelle qu'en soit la raison
fondée ou non -

un avant-goût de la mort n'est pas
nécessairement une mauvaise chose.

ne mettez pas les pieds dans les églises
les bars et les musées et telle l'araignée
soyez patient -
le temps est notre croix à tous
avec
l'exil
la défaite
la trahison

toutes ces saletés.

restez en tête-à-tête avec la bière.

chaque bière est comme du sang nouveau.

comme une maîtresse éternelle.

prenez une grosse machine à écrire
et comme si vous ne faisiez que
marcher et remarcher
attaquez-la
attaquez-la durement

comme si vous disputiez un combat de
poids lourds

comme le taureau quand il charge

et rappelez-vous les vieux chiens
qui se battirent si bien :
Hemigway, Céline, Dostoïevski, Hamsun.

et si vous croyez qu'ils ne sont pas
devenus fous
dans leurs trous
comme vous êtes en train de le devenir

sans femmes
sans nourriture
sans espoir

alors vous n'êtes pas encore mûr.
buvez encore plus de bière.
vous avez le temps.
et si ce n'était pas le cas
ce serait tout aussi
bien.

Chose certaine, il avait de la suite dans les idées. J'ai tiré ce poème de L'amour est un chien de l'enfer.

Dans Le ragoût du septuagénaire, poésie et prose se côtoient. Je me suis arrêté à ce poème de Bukowski qui le précède dans la genèse de son personnage :

Charles Bukowski, Journal, souvenirs et poèmes, 2007, Grasset, p. 1257-1259. a écrit:

«la bonne vieille machine»

j'avais 50 ans quand ce type
m'a arraché du
marché
du travail
pour que je puisse rester assis toute la journée
et toute la nuit à
écrire.
il m'a promis une somme d'argent
à vie
quoi qu'il arrive.
ce n'était pas beaucoup
mais c'était de
l'argent.

et ses encouragements
comme je n'en avais guère eu
m'ont filé un sacré coup de
main
surtout qu'il était
éditeur.

il m'a même acheté
cette grosse machine à écrire sur laquelle je pouvais
cogner à loisir
une belle et puissante
vieille machine.
(il m'a aussi envoyé de petites
enveloppes de
timbres, un très gentil
geste).
assis en short
buvant du scotch et de la bière
je tapais comme un sourd.

et une nuit
vers 2 heures et demie je crois
impossible de
taper
et j'ai téléphoné à mon
bienfaiteur :

hé! ces touches sont collées!
il y a quelque chose qui cloche avec cette
putain de machine!

mais non, la machine n'a
rien, ce qu'il faut c'est
avoir le sens du rythme...

cette putain de machine ne vaut rien!
j'ai hurlé avant de
raccrocher.

le lendemain et la
nuit suivante
je me suis aperçu qu'il avait
raison :

que
la machine marchait très bien
si bien, en fait, que
les versements qu'il continuait à m'expédier
sont devenus des droits d'auteur au lieu d'être des
aumônes.

et
après 14 ans la machine
marchait toujours mais
je suis devenu précieux et
j'ai acheté une électrique
dont je me sers aujourd'hui
et qui tape plus vite
(sinon mieux)
et la vieille machine
est maintenant en bas
sur le bureau de ma femme
où parfois je
l'oublie
mais d'autres fois
comme ce soir
je repense à cette vieille
folle pugnace.
on a été si heureux ensemble, mais
ce que je me rappelle le mieux c'est
ce coup de téléphone à 2 heures et demie du matin
quand je me suis plaint que
les touches étaient collées.

ce qui en dit long
sur ma gratitude.

les écrivains, mon ami, ne savent parfois
qu'écrire.