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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Marguerite Duras Ven 9 Sep 2011 - 22:21
Le camion
version papier. commentaire à mi chemin. je n'ai pas encore lu la deuxième partie, l'entretien.
Citation :
Comment peut-on concevoir un film qui repose uniquement sur la parole ?
Le Camion ne repose pas uniquement sur la parole, il y a quelqu’un qui lit, quelqu’un qui écoute. Le camion sur une route, c’est une image, c’est de l’image. Ça n’aurait pas pu être du théâtre, Le Camion n’est pas joué, il est lu, et il n’a pas été répété. S’il l’avait été, ç’aurait été un autre film. Je ne sais pas si on peut parler de mise en scène ni même de montage dans Le Camion, mais peut-être seulement d’une mise en place. Dans la chaîne de la représentation, il y a un créneau blanc : en général, un texte, on l’apprend, on le joue, on le représente. Là, on le lit. Et c’est l’incertitude quant à l’équation Camion. Je ne sais pas ce qui s’est passé, j’ai fait ça d’instinct, je m’aperçois que la représentation a été éliminée. Le Camion, c’est seulement la représentation de la lecture elle-même. Et puis il y a le camion, élément uniforme, constamment identique à lui-même, qui traverse l’écran comme le ferait une portée musicale. Je dis Le Camion comme j’entends l’écriture se faire. Car on l’entend, avant la projection sur la page. Avant la sortie de la phrase, elle est entendue. Je me tiens dans cet espace-là, c’est être au plus proche de l’énoncé interne. En général, il y a la projection sur la page et la préhension de l’écrit par un tiers. C’est le spectacle, Là, ça n’existe pas. On ne descend pas vers l’éclatement du texte. La lecture fait remonter vers lui, vers le lieu où il n’est pas encore dit. Dans une relation personnelle, dans la vie, il y a surgissement de la parole, et rien à faire, on ne le retrouve, jamais, ni au cinéma ni au théâtre. Il y a une sorte de passage à I’acte du texte qui l’use qui le vieillit. Dans Le Camion, sauf moi qui le connaissais pour l’avoir écrit, personne n’avait entendu le texte. Bien sûr, c’est un risque très grand. Le Camion, c’est ce risque là. C’est un texte approximatif et interchangeable pour la plus grande part. Il y a ça qui compte beaucoup. À tout moment, je pouvais m’autoriser à tout changer. Le film s’est fait en même temps qu’il s’est filmé.
source : leseditionsdeminuit.fr
J'ai bien aimé le film (voir ici) qui était à la fois un très bel exercice sur le film et le texte, l'écrit, un exercice et réussit et intéressant et en plus, en plus de la sensualité brumeuse de l'auteur un intéressant dépassement d'une certaine gêne politique, l'impression de morceaux rajoutés d'autres textes vers un mélange plus intéressant encore et révélateur avec l'instant humain.
J'étais donc très curieux depuis que j'avais ce Camion sur un accoudoir de mon canapé, avec d'autres livres. L'exergue, postée hier, désolé, est révélatrice de la posture :
Citation :
C'est par tradition que l'on considère le conditionnel comme un mode. On peut estimer qu'il est en réalité un temps (un futur hypothétique) du mode indicatif. Le conditionnel proprement dit exprime un fait éventuel ou irréel dont la réalisation est regardée comme la conséquence d'un fait supposé, d'une condition. (...) [Il est employé aussi] pour indiquer une simple imagination transportant en quelque sorte les événements dans le champ de la fiction (en particulier, un conditionnel préludique employé par les enfants dans leurs propositions de jeu). Maurice Grevisse, Le bon usage, Ed. Hatier
Attaquons les différences. La lecture rend le texte plus serré malgré l'indication des temps, des pauses et ce qui frappe rapidement de par les mots et la construction c'est la plus forte densité politique du texte, ou post politique en un sens. L'identification à une mer abstraite et effaçante de ZAC des Yvelines est plus forte, mais les mots et les noms se perdent eux aussi pour laisser l'état de solitude de cette femme, passagère du Camion et qui discute avec son chauffeur. Le texte est indirect, lecture commune de M. Duras et G. Depardieu. La différence est donc intéressante, à la fois témoin d'un malaise d'époque (fin d'une croyance politique, de lutte sociale) et de mutation d'état individuel, sorte de déréférencement (possible synonyme du déclassée du texte lui même). Reste une espèce de peur identitaire elle aussi déréférencée par l'ombre du gamin Abraham.
Le chauffeur se fait lui aussi plus absent à la lecture, peut-être l'absence visuelle du camion, et les temps encore.
J'aime beaucoup ce texte, peut-être plus encore que les autres que j'ai lus jusqu'ici, j'aime son mélange complexe et désolé, dans lequel la position n'est, paradoxalement au milieu de tout ce vide des longues plaines à blé), plus abstraite.
Les textes de présentation qui suivent sont très différents les uns des autres et précis quant à la position du texte, notamment par rapport au cinéma qui fixe le texte et suit une logique commerciale 'à perte', plus précisément en plaçant sa rupture avec le texte (avec son côté définitif) à la source d'une séparation avec le spectateur... texte critique mais beau.
Non, j'ai vraiment beaucoup aimé les deux, je ne sais pas comment je l'aurai lu si je n'avais pas vu le film.
Invité Invité
Sujet: Re: Marguerite Duras Sam 22 Oct 2011 - 13:19
Marguerite Duras vient d'entrer dans la Bibliothèque de La Pléiade. Les deux premiers volumes viennent de paraitre ce 20 octobre 2011. Deux autres sont annoncés.
Le tome I : Introduction Chronologie Note sur la présente édition Les impudents La vie tranquille Un barrage contre le Pacifique Le marin de Gibraltar Les petits chevaux de Tarquinia Des journées entières dans les arbres Le square Moderato cantabile Les viaducs de la Seine-et-Oise Dix heures et demie du soir en été.
Le tome II : Chronologie Avertissement Hiroshima mon amour Une aussi longue absence L après-midi de monsieur Andesmas Le Ravissement de Lol V. Stein Les eaux et forêts Le square (théâtre) La musica Le Viceconsul L Amante anglaise Suzanna Andler Des journées entières dans les arbres (théâtre) Yes, peut-être Le shaga Un homme est venu me voir Le théâtre de l Amante anglaise Détruire dit-elle Abahn Sabana David L amour Nathalie Granger La femme du Gange India Song
Au total : 3504 pages.
Dossier Duras dans Le magazine littéraire de ce mois de novembre :
Citation :
Les écrivains ont toujours raison. Les grands écrivains encore plus que les autres. Les femmes écrivains, n'en parlons pas : c'est imbattable.
Philippe Besson dans Paroles d'écrivain, p.69
Citation :
Si vous ne lui dites pas qu'elle est un écrivain, elle se tuera.
Robert Antelme dans Hors limites, p.50
Citation :
Je trouve qu'en littérature aucune mère d'écrivain ne vaut la mienne.
Marguerite Duras dans Les liens du sang, p.64
Citation :
[...] on a une sorte de logement en soi, d'ombre, où tout va, où l'intégralité du vécu s'amasse, s'entasse.
Entretien avec Michelle Porte, citation p.73
Citation :
L'alcool a été fait pour supporter le vide de l'univers, le balancement des planètes, leur rotation imperturbable dans l'espace, leur silencieuse indifférence à l'endroit de votre douleur ; l'homme qui boit est un homme interplanétaire. C'est dans un espace interplanétaire qu'il se meut. C'est là qu'il guette. L'alcool ne console de rien, il ne meuble pas les espaces psychologiques de l'individu, il ne remplace pas le manque de Dieu. Il ne console pas l'homme. C'est le contraire, l'alcool conforte l'homme dans sa folie, il le transporte dans les régions souveraines où il est maître de sa destinée.
M. Duras dans La vie matérielle, citation p.53
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Marguerite Duras Sam 22 Oct 2011 - 21:37
sentinelle a écrit:
Marguerite Duras vient d'entrer dans la Bibliothèque de La Pléiade. Les deux premiers volumes viennent de paraitre ce 20 octobre 2011. Deux autres sont annoncés.
Je lui ai consacré toute mon année 2000!...Si seulement j'avais le temps de relire...
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Marguerite Duras Sam 22 Oct 2011 - 22:15
Je vais en rêver de ces volumes de la Pléiade maintenant.
Je sens que je ne vais pas tarder à craquer....
Invité Invité
Sujet: Re: Marguerite Duras Dim 23 Oct 2011 - 7:12
Moi aussi D'autant plus qu'ils font une mini réduction jusqu'en fin février 2012 si mes souvenirs sont bons, toujours bon à prendre à ce prix là. Le site Amazon est déjà "Temporairement en rupture de stock", alors qu'il vient à peine de sortir ! C'est finalement un très bonne nouvelle
jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
Sujet: Re: Marguerite Duras Sam 29 Oct 2011 - 8:52
Écrire... Comment ne pas évoquer cette pièce référentielle de l'oeuvre de Duras... Écrire paraît si facile à parcourir les mêmes lignes du livre.
Pour un aperçu de cette même oeuvre, Marguerite Duras cite l'attente de Robert Antelme et de sa soeur Marie-Louise. Dans la même foulée, elle confie :
« Se trouver dans un trou, au fond d'un trou, dans une solitude quasi totale et découvrir que seule l'écriture vous sauvera. Être sans sujet aucun de livre, sans aucune idée de livre c'est se trouver, se retrouver, devant un livre. Une immensité vide. Un livre éventuel. Devant rien. Devant comme une écriture vivante et nue, comme terrible, terrible à surmonter. Je crois que la personne qui écrit est sans idée de livre, qu'elle a les mains vides, la tête vide, et qu'elle ne connaît de cette aventure du livre que l'écriture sèche et nue, sans avenir, sans écho, lointaine, avec ses règles d'or, élémentaires : l'orthographe, le sens. (p. 20) »
Écrire est si structuré, si métaphorique et léger à la fois... Marguerite Duras aura beau citer Blanchot, se référer à certaines scènes de tragédie, d'art quotidien et de nostalgie, elle ne nous lassera jamais par les effets stylistiques de sa plume. Et pourtant, ses lignes lassent... voilà la beauté d'une écrivaine à l'oeuvre.
J'ai toujours la brique de Quattro dans ma bibliothèque. Écrire manquait à ma culture livresque, donc...
Sujet: Re: Marguerite Duras Mer 15 Fév 2012 - 19:53
j'ai jamais lu du Duras ... Mais ça fait 2 fois que j'entends la nouvelle "le boa" et ça roxe. Vraiment. Faut que je m'y mette. (il y a 2 émissions "ça peut pas faire de mal" sur elle, dépechez vous, elles disparaitront) clic !
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Marguerite Duras Mar 28 Fév 2012 - 21:32
- Moderato Cantabile. 124 pages (suivies d'un petit dossier d'une quarantaine de pages sur la réception critique de l'ouvrage).
Le roman commence ainsi :
Citation :
"- Veux-tu lire ce qu'il y a d'écrit au-dessus de ta partition ? demanda la dame. - Moderato cantabile, dit l'enfant. La dame ponctua cette réponse d'un coup de crayon sur le clavier. L'enfant resta immobile, la tête tournée vers sa partition. - Et qu'est-ce que ça veut dire, moderato cantabile ? - Je ne sais pas. Une femme, assise à trois mètres de là, soupira." (page 7).
Nous sommes chez Mademoiselle Giraud, professeur de piano. La femme assise Anne Desbaresdes, la mère du garçon qui fait sa mauvaise tête. Il ne veut pas jouer la sonatine de Diabelli.
Citation :
"- Je ne veux pas apprendre le piano, dit l'enfant. Dans la rue, en bas de l'immeuble, un cri de femme retentit. Une plainte longue, continue, s'éleva et si haut que le bruit de la mer en fut brisé. Puis elle s'arrêta, net. - Qu'est-ce que c'est ? cria l'enfant. - Quelque chose est arrivé, dit la dame. Le bruit de la mer ressuscita de nouveau. Le rose du ciel, cependant, commença à pâlir." (page 12)
(extrait du film de Peter Brook, 1960, avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo)
Le cours de piano est fini, Anne Desbaresdes et son enfant descendent et s'approchent du café.
Citation :
"Au fond du café, dans la pénombre de l'arrière-salle, une femme était étendue par terre, inerte. Un homme, couché sur elle, agrippé à ses épaules, l'appelait calmement - Mon amour. Mon amour. Il se tourna vers la foule, la regarda, et on vit ses yeux. Toute expression en avait disparu, exceptée celle, foudroyée, indélébile, inversée du monde, de son désir." (pages 17-18).
Que s'est-il passé ? Après chaque leçon de piano, Anne Desbaresdes va retourner dans ce café, encore et encore, pour parler avec un certain Chauvin, un ancien employé de son mari qui, lui non plus, n'a pas vraiment vu le meurtre. Parler, ou parfois monologuer, tant il semble qu'ils ne s'écoutent pas toujours. Elle est d'un milieu aisé, bourgeois ; lui non. Leurs discussions sont parfois des injonctions réciproques à parler, à raconter ce qui s'est passé, ce qui a pu se passer. Elle en a besoin, de ça et de boire : sa main se met à trembler tant qu'elle n'a pas bu ses verres de vin. Elle a découvert son goût pour le vin (symbole de beaucoup de choses : émancipation, désir de s'extirper des carcans de son éducation, ou bien désir d'oublier sa vie... ?).
"Vous savez, je sais très peu de choses" (page 91), répète Chauvin. Mais ils parlent néanmoins, inventent. L'assassin voulait autant voir la femme morte que vivante. Il l'aimait. Elle voulait qu'il l'a tue... Il se passe quelque chose entre Anne Desbaresdes et Chauvin. Elle paraît n'avoir aucune volonté, ou si peu. Chauvin lui dit de rester, elle reste. Elle n'a que peu de volonté, mais elle est fascinée par l'acte violent, sanglant, qui s'est déroulé dans le café, pour elle un acte désiré par la femme - et par elle-même -, comme si c'était une porte de sortie à sa vie étouffante.
Le livre lui-même est étouffant, ou du moins renfermé dans quelques rares lieux où l'on revient, encore et encore. Le café, le soleil qui se couche, le plafond seul qui est encore éclairé par les rayons rasants, le reste du café dans l'ombre ; la sirène qui retentit, les ouvriers du port qui arrivent. C'est un étrange cérémonial auquel assiste la patronne du café. Anne trompe son mari en parlant avec Chauvin. Elle le sent, et tout le monde le sent.
"La difficulté matérielle de vivre distrait (mais à quel prix !) l'immense majorité des hommes de la difficulté d'être. [...] Il y a dans Moderato cantabile un admirable chapitre qui nous permet enfin de mieux situer les personnages et de comprendre le peu qui, en eux, peut être compris. Bien des lecteurs auront fermé le livre avant d'y arriver. C'est que la nouvelle littérature ne flatte pas notre paresse ni nos goûts et qu'elle doit être méritée" (Claude Mauriac, Le Figaro, 12-03-1958 ; pages 130-131).
Est-ce vraiment difficile à lire ? C'est un livre tellement court. Très ambigu, très mystérieux, souvent fascinant, à l'écriture étrange, aux temps très fluctuants. Très bien.
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Marguerite Duras Mer 29 Fév 2012 - 14:54
A propos de Marguerite Duras, je viens de relire Cet amour-là, le livre écrit quelques années après sa mort par celui qui fut le tendre compagnon-secrétaire de ses dernières années, celui qu'elle avait elle-même baptisé Yan Andrea Steiner. Un homme beaucoup plus jeune qu'elle, un étudiant qui, ayant découvert chez des amies, Les petits chevaux de Tarquinia s'était mis à lire toute l'oeuvre de Marguerite Duras, et à lui écrire de nombreuses lettres auxquelles elle ne répondait pas. Ceci pendant cinq ans. Puis en 1980, elle lui envoie L'homme assis dans le couloir...le Navire Night...les Aurélia Steiner...Les mains négatives... Jusqu'au jour où, à son invitation "Venez!", il arrive à Trouville, aux Roches noires et ils ne se quittèrent plus...Enfin, si...Souvent...Mais seulement pour de courtes durées, entre scènes violentes et réconciliations... Il lui inspira, entre autres, L'homme atlantique, La maladie de la mort...
L'homme atlantique fut écrit à partir des rushes du film Agatha ou les lectures illimitéesoù Duras fit, contre son gré, interpréter le personnage à Yann Andrea.
« Je l’ai pris et je l’ai mis dans le temps gris, près de la mer, je l’ai perdu, je l’ai abandonné dans l’étendue du film atlantique. Et puis je lui ai dit de regarder, et puis d’oublier, et puis d’avancer, et puis d’oublier encore davantage, et l’oiseau sous le vent, et la mer dans les vitres et les vitres dans les murs. Pendant tout un moment il ne savait pas, il ne savait plus, il ne savait plus marcher, il ne savait plus regarder. Alors je l’ai supplié d’oublier encore et encore davantage, je lui ai dit que c’était possible, qu’il pouvait y arriver. Il y est arrivé. Il a avancé. Il a regardé la mer, le chien perdu, l’oiseau sous le vent, les vitres, les murs. Et puis il est sorti du champ atlantique. La pellicule s’est vidée. Elle est devenue noire. Et puis il a été sept heures du soir le 14 juin 1981. Je me suis dit avoir aimé. » Marguerite Duras
A sa mort, Yan Andrea qui ne vivait que pour Duras (la femme ou l'écrivain?) sombra dans le laisser-aller, l'alcoolisme, la déchéance puis se ressaisit en écrivant Cet amour-là...
"Je voudrais parler de ça: ces seize années entre l'été 80 et le 3 mars 1996. Ces années vécues avec elle."
Le style est incroyable...On dirait du Duras!...Yan Andréa est complètement imprégné de cette écriture si particulière. Le récit est touchant.
L'homme qui parut pour le présenter sur des plateaux de télé avait l'air mal à l'aise, timide peut-être... Archives INA
Josée Dayan fit un film de ce récit, en 2001, avec Jeanne Moreau.
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Marguerite Duras Jeu 1 Mar 2012 - 8:07
coline a écrit:
Le style est incroyable...On dirait du Duras!...Yan Andréa est complètement imprégné de cette écriture si particulière. Le récit est touchant.
L'homme qui parut pour le présenter sur des plateaux de télé avait l'air mal à l'aise, timide peut-être... Archives INA
Merci pour le lien, Coline ! Ah oui, je me souviens, quand ce livre avait paru, ça avait été un petit événement...
Il est touchant, Yan Andréa...
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Marguerite Duras Jeu 3 Mai 2012 - 22:44
Le Ravissement de Lol V. Stein. 1964. Folio. 191 pages.
Citation :
"Lol V. Stein est née ici, à S.Tahla, et elle y a vécu une partie de sa jeunesse. Son père était professeur à l'Université. Elle a un frère plus âgé qu'elle de neuf ans - je ne l'ai jamais vu - on dit qu'il vit à Paris. Ses parents sont morts. Je n'ai jamais rien entendu dire sur l'enfance de Lol V. Stein qui m'ait frappé, même par Tatiana Karl, sa meilleure amie durant leurs années de collège. Elles dansaient toutes les deux, le jeudi, dans le préau vide. Elles ne voulaient pas sortir en rangs avec les autres, elles préféraient rester au collège. [...] C'est ce que je sais. Cela aussi : Lol a rencontré Michael Richardson à dix-neuf ans pendant des vacances scolaires, un matin, au tennis. Il avait vingt-cinq ans. Il était fils unique de grands propriétaires terriens des environs de T. Beach. Il ne faisait rien. Les parents consentirent au mariage. Lol devait être fiancée depuis six mois, le mariage devait avoir lieu à l'automne, Lol venait de quitter définitivement le collège, elle était en vacances à T. Beach lorsque le grand bal de la saison eut lieu au Casino municipal. Tatiana ne croit pas au rôle prépondérant de ce fameux bal de T. Beach dans la maladie de Lol V. Stein. " (pages 11-12).
Arrive le moment où "les dernières venues, deux femmes, franchissent la porte de la salle de bal du Casino municipal de T. Beach." (page 14).
Il arrive donc quelque chose, qui semble accentuer la maladie de Lola Valérie Stein, une sorte d'apathie, ou plus exactement d'absence de douleur, de sensation : une sorte de vie mécanique non réellement vécue dans ses sensations, ses couleurs, ses émotions. Elle semble se mouvoir dans un monde ouaté.
Citation :
"Lorsqu'il pleuvait on savait autour d'elle que Lol guettait les éclaircies derrière les fenêtres de sa chambre. Je crois qu'elle devait trouver là, dans la monotonie de la pluie, cet ailleurs, uniforme, fade et sublime, plus adorable à son âme qu'aucun autre moment de da vie présente, cet ailleurs qu'elle cherchait depuis son retour à S.Tahla." (page 44).
On va mettre du temps à rencontrer le narrateur, qui semble si bien connaître Lol V. Stein.
Citation :
"Je connais Lol V. Stein de la seule façon que je puisse, d'amour." (page 46).
, ce qui contribue à la bizarrerie de la narration, l'absence de repères, le flottement. La vie de Lol V. Stein continue :
Citation :
"Elle se promène encore. Elle voit de plus en plus précisément, clairement ce qu'elle veut voir. Ce qu'elle rebâtit c'est la fin du monde." (page 47).
Citation :
"A cet instant précis, une chose, mais laquelle ? aurait dû être tentée qui ne l'a pas été. A cet instant précis Lol se tient, déchirée, sans voix pour appeler à l'aide, sans argument, sans la preuve de l'inimportance du jour en face de cette nuit, arrachée et portée de l'aurore à leur couple dans un affolement régulier et vain de tout son être. Elle n'est pas Dieu, elle n'est personne. Elle sourit, certes, à cette minute pensée de sa vie. La naïveté d'une éventuelle douleur ou même d'une tristesse quelconque s'en est détachée. Il ne reste de cette minute que son temps pur, d'une blancheur d'os. [...] Et cela recommence : les fenêtres fermées, scellées, le bal muré dans sa lumière nocturne les aurait contenus tous les trois et eux seuls. [...] Que ce serait-il passé ? Lol ne va pas loin dans l'inconnu sur lequel s'ouvre cet instant. [...] Mais ce qu'elle croit, c'est qu'elle devait y pénétrer, que c'était ce qu'il lui fallait faire, que ç'aurait été pour toujours, pour sa tête et pour son corps, leur plus grande douleur et leur plus grande joie confondues jusque dans la définition devenue unique mais innommable faute d'un mot. J'aime à croire, comme je l'aime, que si Lol est silencieuse dans la vie c'est qu'elle a cru, l'espace d'un éclair, que ce mot pouvait exister. Faute de son existence, elle se tait. Ç'aurait été un mot-absence, un mot-trou, creusé en son centre d'un trou, de ce trou où tous les autres mots auraient été enterrés. On n'aurait pas pu le dire mais on aurait pu le faire résonner. Immense, sans sfin, un gong vide, il aurait retenu ceux qui voulaient partir, il les aurait convaincus de l'impossible, il les aurait assourdis à tout autre vocable que lui-même, en une fois il les aurait nommés, eux, l'avenir et l'instant." (pages 47-48).
Ce passage est vraiment bien écrit, presque incantatoire.
Le narrateur reconstitue, et parfois imagine, le passé de Lol V. Stein. Mais que signifie signifie le livre ?
Citation :
"Cette obscurité que porte le livre - d'une façon malgré tout très délibérée -, c'est ce qui dès lors fait qu'il échappe à celle qui l'a produit : « L'attitude de Lol V. Stein, je ne sais pas la traduire, dire le sens qu'elle a parce que je ne sais pas la traduire, dire le sens qu'elle a parce que je suis avec Lol V. Stein et qu'elle, elle ne sait pas tout à fait ce qu'elle fait et pourquoi elle le fait. » [...] "Initié pour Lol par l'omission de la douleur au moment où le couple l'a quittée, cet oubli lui ouvre les portes d'un espace mal défini qui devient sa demeure, un espace que les mots semblent inaptes à désigner et que Duras propose de nommer « ravissement »" (Bernard Alazet, La Pléiade,volume II, Notice, page 1685).
Bernard Alazet, un peu plus loin dans la même notice, remarque que ce "ravissement" est un mot qui ne figure pas dans le texte lui-même. Il cite Lacan, parle des différents sens du mot "ravissement"...
La lecture de la notice dans la Pléiade découragerait de tenter soi-même une quelconque analyse ("état que Bataille nomme « théopathique »", scopophilie, termes psychanalytiques divers et variés, etc.). "Duras place son lecteur face à cette évidence : entrer dans ce récit, c'est faire l'épreuve du ravissement plus que celle de sa compréhension ou, davantage encore, de sa maîtrise." (page 1695). Cela veut donc dire que, si je n'ai pas tout compris, c'est normal. Je suis rassuré.
Citation :
"Une correspondance échangée entre Joseph Losey et Marguerite Duras de 1964 à 1966 confirme un projet de réalisation cinématographique du Ravissement, pour lequel sont sollicitées Jeanne Moreau et Silvana Mangano." (page 1691).
On comprend l'intérêt de Losey, c'est bien le genre d'oeuvre qu'il aime porter à l'écran.
C'est un texte pas très clair - on peut même dire souvent obscur -, intéressant intellectuellement parlant, parfois un peu long, singulier. Parfois vraiment bien écrit, parfois plus descriptif, analytique. Un roman difficile à cerner.
Premier roman écrit en 1943, à vingt-quatre ans à peine, « Les impudents » n’est pas vraiment une pièce maîtresse de l’œuvre de Marguerite Duras. L’auteur le reniera d’ailleurs longtemps en le qualifiant tout simplement de « mauvais roman », tout juste bon « à mettre au tiroir ».
Citation :
Comme tout le monde, j’avais écrit ce roman pour me décharger d’une adolescence que l’on croit toujours singulière, chargée de signification unique – ce qu’on peut être bête !
Si le récit est plutôt mal ficelé et assez longuet malgré sa brièveté, il n’en demeure pas moins intéressant comme toutes les premières œuvres de grands auteurs tant il contient les premiers germes de l’univers durassien : l’emprise familiale mortifère, la relation fusionnelle de la mère et du frère aîné au détriment de la fille, le désœuvrement, les amours délétères, la terre stérile et la question de la subsistance à n’importe quel prix, fusse celui d'une jeune fille à marier, posée en sacrifice au bien-être de la famille restante.
Reste le désenchantement d’une jeune fille solitaire en manque de tendresse maternelle et fraternelle, étrangère à elle-même et comme possédée par un vide existentiel qui ne peut être comblé que par l’assouvissement d’un désir sans cesse renouvelé.
Marguerite Duras mettra deux ans à écrire son second roman, La vie tranquille, pour commencer ensuite son premier grand roman, Le barrage contre le Pacifique.
Citation :
Les deux autres livres, c’était une diversion avant de l’attaquer.
à force on oubliera sans doute les frasques de Duras, pour ne garder que l'aspect emblématique de la femme et surtout conserver ce qu'elle a de novateur, d'irrévérencieux, d'incroyablement stylé (pour ne pas dire stylisé). Plus je lis vos commentaires, plus j'ai envie de revenir à Duras. Celle par qui (pour moi) la littérature est devenue essentielle. Et puisque je parlais de regard chez Semprun, je me souviens encore, je me souviens pour toute la vie du visage ravagé de Duras se décrivant elle-même dans L'amant, avec cette lucidité, cette serpe, cette évidence qui fait non pas son charme, mais son chamboulement.
Et parce qu'il y a des écritures qui sont faites pour heurter et non pas pour séduire, je serai extrêmement curieuse de savoir comment des locuteurs 'étrangers' (kenavo ?) entendent la langue de Duras...
M. Duras va m'accompagner longtemps cette année, et l'année suivante aussi, après l'acquisition des deux premiers volumes de la Bibliothèque de La Pléiade paru le 20 octobre 2011. Je vais les lire/relire dans l'ordre de parution, d'où la lecture de ce premier roman Les impudents.
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Marguerite Duras Mar 14 Aoû 2012 - 0:54
sentinelle a écrit:
M. Duras va m'accompagner longtemps cette année, et l'année suivante aussi, après l'acquisition des deux premiers volumes de la Bibliothèque de La Pléiade paru le 20 octobre 2011. Je vais les lire/relire dans l'ordre de parution, d'où la lecture de ce premier roman Les impudents.
Numéro spécial du Magazine Littéraire qui lui est consacré (août 2012):