Coeur tomate (2014) :
J'ai eu la chance de lire
Coeur tomate il y a un bon moment déjà. Je n'avais pas encore accumulé les lectures de poésie québécoise que j'ai effectuées depuis quelques mois.
Mathieu Boily est assez original dans ce recueil. Il ne réinvente pas nécessairement la roue, mais il fait le tour de force de colorer son langage pour qu'il fasse penser un peu aux expérimentations langagières de
Réjean Ducharme et des automatistes québécois, ie.
Claude Gauvreau.
Coeur tomate fut publié aux éditions
Le Quartanier. Encore là, nous sentons que les expériences formelles épousent bien les théories pratiquées et le ludisme de la maison d'édition qui renouvelle la pratique de l'écriture au Québec.
Si je vous dis que
Mathieu Boily est original dans ce livre, il faut encore que je vous le démontre et l'explique...
- Mathieu Boily, Coeur tomate, 2014, Montréal : Le Quartanier, p. 12. a écrit:
- comment t'appelles-tu
demande brique je m'en
fonce regard fait verre
et question et qu'auras-tu fait
de ta vie matière à projeter
des orages des visages
une scène verticale
un bocal de langues
à coeur d'air
que sais-je
Je suis bel et bien conscient qu'il y a un niveau de langue et je pense qu'il est plus d'usage québécois que de français international, mais je vais vous montrer un extrait pas piqué des vers :
- Ibid., p. 36. a écrit:
- ce qui est à toi se dilue
tu rêvais d'un monde
grelot et lousse
parti pour ne plus finir
puis tu te réveilles glousses
desserres un cou
un clou cou
grises
autour tousse un paysage endormi
des néons qui coulent
une colle un pays
plastico-agrémenté
de folklore accroire
sucre et l'esprit
du sucre
eu
*
Je vous parlais d'une dimension ludique dans les jeux de langage utilisés par
Mathieu Boily et dans les expérimentations formelles
Le Quartanier. Voici un exemple ici :
- Ibid., p. 45. a écrit:
- te voilà éclabouse
oussé par le mobilier
balle d'oubli d'à bas les amo
enfin pratiques en miettes à niet
toyer autour de la bouche
du monde au long de la manche
du monde orteils en pointe
sur le champ de mauvaises mines
du monde mis bas
et tant pis où tu marches tes
ours et où tout cela t'éclate clabouse
tousse et qui pourrait te jeter
son je t'aime je t'abime son
je t'abilime ou sa roche
d'abats cette pièce à finir
le jour où tu y as mis
les pieds
Cette expérimentation du langage est tout à fait consciente et assumée comme nous pouvons le voir ici :
- Ibid., p. 48. a écrit:
- de ci de ça du fond
d'ici d'iça du bout du nez
d'une langue à remonter
chaque soir comme une âme
cette langue remords c'te
slangue de remorlangue
jusqu'au nombril de toutes les absences
et il n'y a plus qu'absence ici
et bien peu d'amour
pour les fleurs
Mathieu Boily fait un lien entre la langue et la notion du corps :
- Ibid., p. 54. a écrit:
- et puis le voudrait-on
que faire
dire ou faire dire
de si incompréhensible
du fond d'ici à partir
d'une langue qui s'enraye
si souvent prise au corps
éprise au corps
rise du corps
le corps sort
pris
La poésie prend corps ici :
- Ibid., p. 57. a écrit:
- corps pâte en train
de lisser quoi encore
à ton abstraction
à ton usine à pâtir
ton corps pâti pâturage
et les autres reliques
comme une broute
une dentition
une dent d'intention
(on se dit que vivre
chair vive et oeil poreux
c'est être conducteur
mais qu'en pense le corps
la pâte du corps
conductrice
corductrice)
La description prend un tour intéressant :
- Ibid., p. 66. a écrit:
- redevenir atome
bête comme élan
refuser de croire
permanence fini
adopter les marchés du corps
sans les organes ravir
une paire de pinces
s'en donner quelque part
entre cortex souffle et foie
à la leur
Aux pages 72 et 73, ça prend drôlement forme. Je vous dis ici que ça vaut la peine de lire le recueil. Je viens de sauter trois extraits que j'avais placés en signets, et un autre à la page 76. Je le confirme ici,
Mathieu Boily est un bon poète et il a sa place dans un corpus de poésie contemporaine. Toutefois, à la réflexion, je dois dire que même si j'apprécie le Quartanier et ses excentricités littéraires, je suis plus sensible au niveau de langue employé chez
Poètes de brousse -
François Guerrette et
Philippe More pour en nommer deux - et
Les herbes rouges.
Coeur tomate est pleinement décrit jusqu'à la fin du recueil et c'est une évolution métaphorique intéressante.