colimasson Abeille bibliophile
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| Sujet: Re: Edmond Rostand Ven 16 Sep 2011 - 14:26 | |
| Parmi les critiques adressées à Cyrano de Bergerac, en voici quelques unes qui ont retenu mon attention : Un commentaire de Théophile Gautier : « Certains physiologistes prétendent que la longueur du nez est le diagnostic de l’esprit, de la valeur et de toutes les belles qualités, et qu’on ne peut être un grand homme si l’on n’a un grand nez. –Beaucoup de physiologistes femelles tirent aussi de la dimension de cette honnête partie du visage un augure on ne peut plus avantageux. – Quoi qu’il en soit, Socrate était camus : aussi Socrate avouait-il qu’il était né avec les dispositions les plus vicieuses, et qu’il ne tenait peut-être qu’à un peu de paresse qu’il ne fût un grand scélérat ; César, Napoléon ont un bec d’aigle au milieu de la figure ; le vieux Pierre Corneille a le promontoire nasal très développé. Voyez les médailles, voyez les portraits ; vous trouverez que les héros ont le nez proportionné à la grandeur de leur gloire et qu’il n’y en a point de punais. Ce qui fait que les nègres sont en général stupides, ce n’est pas qu’ils aient le crâne écrasé, le crâne n’y fait rien ; c’est qu’ils sont aussi camards que la mort elle-même. Les éléphants, qui ont de l’intelligence à faire rougir bien des poètes, ne doivent cet esprit qu’on leur voit qu’à la prodigieuse extension de leur nez ; -car leur trompe est un véritable nez de cinq ou six pieds de long. – Excusez du peu ! »
Une critique qui tranche dans le vif, d’ André-Ferdinand Herold : « M. Edmond Rostand est le plus excellent cacographe dont puissent, aujourd’hui, s’enorgueillir les lettres françaises : aussi commence-t-il à être compté parmi les poètes patriotes. Il ne se contente pas, comme presque tous les auteurs dramatiques, d’écrire en une langue quelconque, et il ne lui suffit pas, pour rendre la banalité de sa pensée, d’employer les mots usuels. Il semble que M. Rostand ait compulsé de copieux vocabulaires, et en ait extrait un recueil de mots vagues et inharmoniques ; ces mots, il les place au hasard, et le plus souvent là où ils sont impropres. Je ne crois pas qu’aucun écrivain ait eu, jamais, une telle horreur de l’expression juste. En outre, il connaît mille moyens de torturer la phrase : il n’est pas d’inversion désagréable et illogique qu’il ne pratique avec joie, et l’on dirait que son suprême bonheur est d’introduire dans un vers les formes syntaxiques spéciales aux commerçants. »L'illustration, 1898Une autre critique, pas plus enthousiaste, de Victorien Sardou : « Il n’est rien de plus odieux que l’attitude de ce goujat qui, abusant de sa force à l’escrime, vient insolemment défendre à un pauvre comédien de paraître sur la scène ! sous prétexte que son jeu lui déplaît ! Il est absurde, contraire à l’Histoire jusqu’à en crier, de montrer Richelieu, l’homme qui coupait les têtes pour fait de combat singulier, admettre cela, et l’approuver. Il est scandaleux que toute l’assistance ne jette pas hors de la salle le goujat ! Je voudrais bien que les mêmes spectateurs qui applaudissent à cette scène qui, pour ma part, me révolte, vissent les mêmes choses se produire dans une de nos salles de théâtre ! Les cris « à la porte’ auraient bientôt fait de délivrer la salle de ce faquin et le même Coquelon qui l’incarne serait le premier à approuver le bon public. »Coquelin, 1898Et un commentaire de Patrick Besnier : « Sa [Edmond Rostand] personnalité, sa carrière avant Cyrano expliquent sa réaction négative en profondeur. Jeune (il n’avait pas trente ans), créateur jusque là plutôt abondant, sa prompte métamorphose en héros national (Cyrano lui valut aussitôt la Légion d’honneur !) et en rédempteur du théâtre français le voua comme à la stérilité : il ne donna plus ensuite que L’Aiglon, opéra morbide, hymne à l’impuissance et à l’autodestruction, puis Chanteclerc, dont la principale vertu est d’être injouable : ces œuvres d’ailleurs remarquables signifiaient discrètement, mais clairement, le refus d’accepter le rôle échu au lendemain de Cyrano. » | |
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