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Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Oedipe (Sophocle/Enescu/Edmond Fleg/Alex Olié) Sam 5 Nov 2011 - 15:19
Oedipe de George Enescu
L'éternité d'Oedipe nous parle de l'actualité de la tragédie: le désarroi de l'individu dominé par un destin qu'il s'efforce de contrôler; au-delà de notre méfiance proverbiale, la méfiance de l'homme occidental, face au hasard, au destin, à la fatalité et tout ce qui est incontrôlable. Mais le fait est que les catastrophes, si nombreuses dernièrement, démentent régulièrement sa capacité d'y parvenir. Alex Olié, metteur en scène
Oedipe est l'un des suprêmes chefs-d'oeuvre du théâtre lyrique de tous les temps, l'une des cimes de l'opéra du XXe siècle, de celles qu'à l'égal de Pelléas, de Wozzeck, de Lulu ou des Soldats on cite sur les doigts de la main. La musique d'Oedipe est l'une des plus sompteuses et des plus totalement originales qui soient, l'une des plus neuves et des plus audacieuses aussi, mais aux antipodes de la brutalité tout extérieure d'un Richard Strauss dans Elektra, par exemple. Infiniment nuancé, l'orchestre d'Enescu, aux effectifs considérables, demeure discret, ce qui ne fait que mettre davantage en valeur son écrasante puissance aux rares moments où il se déchaîne. Harry Halbreich
Oedipe est l'oeuvre majeure de toute une vie. Enescu l'a composée par fragments sur une vingtaine d'années. Le langage musical de cet opéra est très élaboré, faisant appel à diverses influences, du leitmotiv wagnérien à l'impressionnisme de Debussy ou aux sonorités mystérieuses et orientales de Szymanowski (on pense beaucoup au Roi Roger qui le précède de très peu). L'ensemble est d'une grande beauté qui restitue bien le caractère mythologique et sacré de cette tragédie antique.
Le livret d'Edmond Fleg condense les 2 pièces de Sophocle, Oedipe Roi et Oedipe à Colone, auxquelles il ajoute une sorte de prologue qui montre la naissance d'Oedipe et la menace de la prophétie de Tiresias.
Oedipe Roi se passe au moment où Oedipe est déjà roi de Thèbes après avoir vaincu la sphinge et surtout tué son père et épousé sa mère sans le savoir. La peste a détruit la cité. L'oracle annonce que le meurtrier de Laïos est la cause du fléau et Oedipe entreprend de mener une enquête qui se révèle être la recherche de ses propres origines. La vérité surgissant peu à peu de ses rencontres avec Tiresias, Jocaste, un messager et le berger qui l'avait recueilli enfant. La découverte de la vérité provoque le suicide de Jocaste et Oedipe se crève les yeux. Antigone vient le réconforter. Les thébains le chassent hors de la cité.
Oedipe à Colone est le cheminement qu'entreprend Oedipe vieillissant avec sa fille Antigone sur les routes qui le mènent près du bois sacré des Euménides (et près d'un sanctuaire de Poséidon). Créon tente de le ramener à Thèbes car l'oracle y voit le salut de la cité. Oedipe ne veut pas mêler son sang à cette terre maudite par sa faute. Il se met sous la protection de Thésée, roi d'Athènes, et meurt dans un lieu secret. A noter que la pièce a été écrite au moment de la défaite d'Athènes dans la guerre du Péloponnèse.
Edmond Fleg et Enescu, en plus de la scène inaugurale et d'une confrontation impressionnante avec la sphinge, ont donné à la fin de cette tragédie antique une dimension christique qui n'est pas sans évoquer Parsifal. Oedipe se transfigure après avoir été purifié par l'eau d'une fontaine sacrée et rejoint la lumière divine. Mais s'il a trouvé la paix, en revanche la malédiction s'est déplacée sur la génération suivante.
La mise en scène d'Alex Olié de La Fura del Baus m'a semblé moins aboutie et séduisante que son travail sur Le Grand Macabre de Ligeti. Il y a beaucoup de bonnes idées mais l'illustration, qui cherche à créer une sorte d'intemporalité en donnant le sentiment de voir s'animer des bas-reliefs (l'introduction est fascinante), lasse par l'austérité de ces tons couleur bronze uniformes. Ce n'est pas très beau finalement même si c'est pertinent dans la mesure où on se situe dans une sorte de monde post-industriel dévasté qui cherche la lumière.
La peste est remplacée par l'irruption dans la cité d'une boue rouge toxique qui s'inspire de la catastrophe survenue en Hongrie en octobre 2010. Mais sur scène le résultat n'est pas assez contrasté et si je n'avais pas lu cette précision je ne l'aurais pas remarqué.
La séquence avec la sphinge est très impressionnante en revanche. Elle est matérialisée par un avion de guerre dont les hélices se mettent à tourner lorsqu'elle s'éveille. Le jeu halluciné de la contralto Marie-Nicole Lemieux donne vie à cette créature menaçante dans un climat musical magique (avec Célesta, harpe et Glockenspiel...).
La référence à Freud est suggérée au début du 2e acte lorsque Oedipe se penche sur son passé, allongé sur un divan qui est la réplique de celui du psychanalyste. Interprétation et récupération freudiennes par ailleurs très contestées et contestables mais qui ne demeurent qu'une vision parmi bien d'autres de cette oeuvre universelle sur les thèmes de la destinée et de la fatalité.
Vocalement le résultat est en partie décevant. La plupart des solistes sont faibles (Jocaste, Laïos, le berger et Tirésias en tête), la prosodie française n'est pas respectée (les chanteurs sont étrangers pour la plupart ce qui est incompréhensible pour un opéra si rarement monté), Oedipe a une belle voix mais trop faible et souvent recouverte par l'orchestre. On est loin de la performance du génial José Van Dam qu'on peut entendre au disque heureusement. Les choeurs s'en sortent bien et permettent les plus beaux moments de l'oeuvre. Marie-Nicole Lemieux est parfaite dans le rôle de la sphinge. L'orchestre est la plupart du temps bien dirigé mais parfois un peu cafouillique. La musique reste impressionnante et il y a quelques ascensions très puissantes. La note finale sur les vibrations d'un gong nous laisse devant l'évidence d'un chef-d'oeuvre.
Le spectacle devrait être repris dans une autre distribution à l'opéra Bastille d'ici 2 ou 3 ans. La direction sera certainement plus aboutie.
En approchant de la Sphinge:
P.S. La radio classique belge Musiq3 diffuse cet opéra le 6/11 à 20h
Dernière édition par Marko le Sam 5 Nov 2011 - 17:48, édité 1 fois
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Oedipe (Sophocle/Enescu/Edmond Fleg/Alex Olié) Sam 5 Nov 2011 - 16:10
Marko a écrit:
Le spectacle devrait être repris dans une autre distribution à l'opéra Bastille d'ici 2 ou 3 ans. La direction sera certainement plus aboutie.
En voilà une bonne nouvelle, pour le moment je n'ai assisté qu'à une version de concert.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Oedipe (Sophocle/Enescu/Edmond Fleg/Alex Olié) Sam 5 Nov 2011 - 16:18
Arabella a écrit:
Marko a écrit:
Le spectacle devrait être repris dans une autre distribution à l'opéra Bastille d'ici 2 ou 3 ans. La direction sera certainement plus aboutie.
En voilà une bonne nouvelle, pour le moment je n'ai assisté qu'à une version de concert.
Une sortie opéra parfumée en perspective ?
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Oedipe (Sophocle/Enescu/Edmond Fleg/Alex Olié) Sam 5 Nov 2011 - 16:20
Marko a écrit:
Une sortie opéra parfumée en perspective ?
Pourquoi pas ? Il reste pas mal de temps pour tout organiser.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Oedipe (Sophocle/Enescu/Edmond Fleg/Alex Olié) Sam 5 Nov 2011 - 16:21
Arabella a écrit:
Marko a écrit:
Une sortie opéra parfumée en perspective ?
Pourquoi pas ? Il reste pas mal de temps pour tout organiser.
Oui! Apparemment c'est une co-production mais prévue pour... 2016