Le nouveau Woody est prévu pour Octobre chez nous
et voici déjà une interview en attendant
Leçons de séduction par Woody AllenIl a beau porter des pulls difformes, des pantalons en toile beige démodés, être binoclard, avoir une voix inaudible, être dur de la feuille et disposer d'un physique de nain de Central Park, Monsieur Allen est un séducteur malgré lui. Avec son nouveau film «Vicky Cristina Barcelona», ce génie du Septième art de 73 ans prouve surtout qu'il n'a rien de perdu de son humour décalé.
Propos recueillis par Frank RousseauDans cette production (Vicky Cristina Barcelona) avec Penelope Cruz, Scarlett Johansson, Rebecca Hall et Javier Bardem qui sortira courant octobre chez nous, le réalisateur décortique avec humour les relations amoureuses et passionnelles de couples hauts en couleur. Des relations homme-femme, bien sûr, mais aussi homosexuelles puisque Penelope et Scarlett partagent une scène… lesbienne. Woody s'encanaillerait-il?
Quels sont les rapports de Woody Allen avec la séduction?Woody Allen: «Des rapports pénibles! (Rires) Quand j'étais enfant, j'étais le seul mâle parmi les femmes. C'était facile. J'ai été élevé, en effet, au milieu de ma mère, ma sœur, les sept mères de ma sœur et de mes cousines. J'étais donc très chouchouté. Les choses se sont compliquées lorsque j'ai quitté le giron familial. Là, il a fallu que je fasse plus d'efforts pour séduire les dames. Avec le physique dont je dispose, je ne pouvais évidemment pas me prendre pour Javier Bardem!»
Et nous qui pensions que vous aviez été un beau bébé?W. A.: «Erreur! Vous vous souvenez de ce que j'écrivais dans Zelig? "A sa naissance, il était tellement laid que sa mère a failli devenir antisémite." Finalement, c'était une réplique très autobiographique! (Rires)
Jeune, je voulais ressembler à Cary Grant, mais avec une grand-mère qui ressemblait à Groucho Marx, génétiquement parlant, j'avais peu de chance de rouler des mécaniques. Du coup, pour draguer les femmes, je me suis concentré sur un truc dont elles raffolent toutes: l'humour. A froid!»
Quel type de femme vous attire?W. A.: «Quand j'étais plus jeune, j'avais une vraie attirance pour les folles, les hystériques. Toutes mes petites amies avaient d'ailleurs des cicatrices aux poignets. Mais à la longue, ça m'a fatigué. Ces filles étaient impossibles à vivre. Du coup, je me suis intéressé progressivement à des femmes peut-être moins excitantes sexuellement mais plus stables psychologiquement!»
Comment expliquez-vous que le sexe dit faible soit toujours en décalage avec les attentes libidineuses que peuvent avoir les hommes? W. A.: «Vous savez, les femmes ont souvent le sentiment que les hommes ne s'intéressent à elles que pour satisfaire leurs pulsions sexuelles. L'expérience m'a appris qu'elles ont très souvent raison!»
Vous êtes né Allen Stewart Konigsberg, pourquoi avoir choisi le pseudo de Woody Allen?W. A.: «Parce qu'il sonnait bien, parce qu'il avait le mérite d'être court, mémorisable donc; et parce que je voulais rendre hommage à Woody Herman, un célèbre clarinettiste!»
On dit qu'avant la sortie de vos films, vous observeriez les mêmes drôles rituels?W. A.: «Au petit déjeuner, je coupe ma banane en sept morceaux. Parce que le chiffre sept porte bonheur. J'avale surtout des pruneaux dénoyautés. C'est bon pour calmer ce que j'ai avant que mes films soient projetés aux journalistes! Je ne vous ferai pas un dessin…»
Vous avez beau vous dévaluer, vous apparaissez pour beaucoup comme étant un génie du Septième Art.W. A.: «C'est gentil! Mais je n'ai aucun mérite. Si j'ai réussi mes films, c'est tout bonnement parce que j'ai raté le plupart de mes mariages. Il faut bien que vous vous épanouissiez quelque part! Et comme je l'ai un jour écrit: "Entre le génie et moi, il n'y avait qu'un obstacle. Moi"!»
Un capharnaüm organiséComment expliquez-vous qu'une star comme Tom Cruise n'ait jamais tourné dans l'une de vos productions?W. A.: «Je ne suis pas sûr que j'aurais eu le budget pour l'embaucher. Si je versais un cachet de vingt millions de dollars pour un acteur, je serais contraint de manger du tofu jusqu'à la fin de mes jours. Or, s'il y a bien quelque chose que je déteste, c'est le tofu et donner des sueurs froides à mon banquier!»
A part la sortie en salle de vos films, de quoi avez-vous peur, globalement?W. A.: «Des changements! Je n'aime pas les changements dans ma sphère personnelle. Changer de chaussures, de grille-pain, etc., ça me perturbe. Vous ne pouvez savoir à quel point j'étais désespéré le jour où nous sommes passés du XXe au XXIe siècle. J'étais inconsolable!»
Pourquoi l'introverti ultra sensible que vous êtes s'est-il lancé dans le cinéma, ce milieu rude et impitoyable? N'est-ce pas un paradoxe? Ou alors du masochisme?W. A.: «Parce que, quand j'étais gamin, je séchais les cours pour aller m'engouffrer dans les salles obscures. Je choisissais celles de Manhattan et non celles de ma banlieue, parce que à Manhattan les salles étaient plus spacieuses, les sièges plus moelleux, les ouvreuses avaient des gants blancs et surtout les pop-corn n'avaient pas un goût de beurre rance! Pour moi, le cinéma, c'était l'antichambre du paradis!»
N'était-ce pas plutôt une manière de fuir la dure réalité?W. A.: «C'est vrai! J'ai toujours détesté la réalité. Malheureusement, elle nous rattrape. Enfin, moi un peu moins que les autres parce que j'habite dans un vaste appartement à Manhattan aujourd'hui, et pour l'enfant de Brooklyn que j'étais, c'est comme si je vivais dans une comédie musicale. A plus de 70 ans, je m'attends toujours d'ailleurs à ce que les chauffeurs de limousine se mettent à danser. Si je tourne film sur film, c'est pour échapper à la cruauté de cette ville, à sa froideur. Dès que je m'arrête, je la retrouve et c'est horrible. Alors je me jette dans un nouveau projet qui va permettre, enfin je l'espère, de vivre avec des personnages imaginaires, qui sont à mon gré et obéissent à mes désirs…»
A quoi ressemble votre appartement de Manhattan?W. A.: «C'est un capharnaüm organisé. Il n'y a pas d'ordinateur car je tape mes scri pts sur ma vieille machine à écrire Olympia, achetée en 1951. Elle marche très bien, je n'ai donc aucune raison de la changer! Je n'ai pas de chien ou de chat, par contre j'aime être envahi par les livres et des souvenirs de mes tournages. Une vieille bobine par-ci, un scri pt par-là, quelques photos, etc.»
Vous écrivez avec quelle périodicité!W. A.: «Tout le temps! C'est une envie constante et frénétique. Je couche mes idées sur des morceaux de papier ou, plus insolite, sur des boîtes d'allumettes que je garde dans des boîtes de chaussures. Inutile de préciser que j'ai beaucoup de boîtes de chaussures!»
Une centrifugeuse épileptique"Vicky Cristina Barcelona" a été tourné en Espagne. C'est une première pour vous. New York n'aurait donc plus aucun attrait à vos yeux? W. A.: «Si c'était le cas, je n'y habiterais plus! Je ne pourrais pas me passer des bruits de cette ville. Il m'est arrivé de dormir à la campagne. J'entendais le silence et de rares criquets ou quelques crapauds. C'était insupportable pour mes oreilles qui n'étaient pas habituées à ce genre de "mélodie". A la campagne, les choses sont trop tranquilles. C'est joli trente minutes, à la rigueur une heure, mais après je deviens nerveux, je veux retourner à New York.
J'aime entendre les voitures klaxonner dans les embouteillages, les sirènes de pompiers qui essaient de se frayer un chemin et les marteaux piqueurs pour rythmer le tout! (rires). Bref, il faut que ça bouge, qu'il y ait de l'animation. New York est une centrifugeuse épileptique et j'aime ça! Allez donc à Wazoo Falos, dans le Mississippi, et vous comprendrez!»
Big Apple, vous la connaissez bien? Jusqu'au trognon, si j'ose dire….W. A.: «Ce que j'en connais est très limité, finalement. Contrairement à ce qu'on dit, je ne connais pas NYC. Je connais un certain type de familles juives de Brooklyn et je connais les bourgeois de Park Avenue, dont je fais partie. Mon New York, il va de la 53e Rue au sud à la 70e au nord, et de la 6e Avenue à l'est à la 2e Avenue à l'ouest!»
Et quelle est la ville du monde où vous n'aimez pas mettre vos mocassins?W. A.: «Probablement Los Angeles. En Californie, les gens ont un mode de vie radicalement différent. Prenez le climat: ensoleillé en permanence, avec une lumière frontale, terrible, affreuse, aveuglante. Je préfère définitivement la poésie des platanes, des saules, des bouleaux ou des érables à celle des palmiers et des cocotiers.
Et puis, en Europe ou à New York, je rencontre des artistes, des gens qui travaillent aux Nations unies, des éditeurs, des politiciens. Tandis qu'à Hollywood tout le monde œuvre dans le show-biz, fait du cinéma ou de la télé. Vous allez dans un restaurant et vous pouvez être sûr qu'au bout de trente secondes, la serveuse – qui est en fait une actrice ou scénariste en transit – vient vous glisser son CV dans le menu! Je vous assure que c'est vrai! Je sais, j'en ai été témoin!»
Quand on dit de vous que "Woody Allen est un réalisateur intello", vous adhérez ou pas?W. A.: «C'est faux. Gamin, je voulais devenir joueur de base-ball. Le problème, c'est que je n'avais pas la carrure. Et puis, à l'école, j'avais un niveau consternant. Il y n'y avait que le cinéma qui pouvait me procurer un job! (Rires)»
Vous pratiquez un sport aujourd'hui?W. A.: «Je dispose dans mon appartement d'un tapis roulant sur lequel je marche de façon soutenue. Généralement en regardant les infos. Comme ces "news" durent une demi-heure pile poil, j'ai fait l'économie d'un chronomètre!»
Vous aurez 73 ans le 1er décembre prochain. Vieillir vous effraie-t-il?W. A.: «J'ai détesté avoir 40 ans. J'ai été malade d'en avoir 50. J'ai été pétrifié lorsque j'ai passé le cap des 60, alors la perspective des 80, ça me glace les sangs. Ma grosse crainte, c'est qu'un jour, je laisse tomber le tapis roulant pour ne plus regarder que les news!»
Comment et où aimeriez-vous mourir?W. A.: «A Paris, tant qu'à faire! En riant ou en faisant l'amour à ma femme, si possible! Mourir en épectase, c'est comme ça que disent les poètes! Mais je ne suis pas sûr que ce soit perçu comme une fin très excitante pour celle qui me survivra!»
Exigerez-vous que l'on joue de la clarinette au cours de vos funérailles?W. A.: «La seule exigence que j'aurai, c'est que le gars joue juste! Il n'y a rien de pire que de réveiller un mort! (Rires) Je joue de la clarinette depuis l'âge de 15 ans. C'est Gene "Honey Bear" Sedric, un proche du grand Fats Waller, qui m'a enseigné les bases. Depuis plus de vingt ans, je joue avec des Rico Royal N°5, une espèce de bambou qui autorise un son très ample. Un son qu'aurait probablement apprécié Boris Vian…»
Vous n'avez pas le sentiment, parfois, que vous vous êtes trompé de métier?W. A.: «Faire des films n'est pas évident. Il faut se lever de bonne heure, rester dans le froid et parfois la neige toute la journée. Jouer du jazz, c'est un plaisir, par contre. Hélas! je ne suis pas très bon musicien. Vous avez les peintres du dimanche, moi, je suis un clarinettiste du lundi car le dimanche, c'est sacré pour moi!»
Il paraît que vous jouez de votre instrument partout? W. A.: «Je n'ai pas encore essayé sous l'eau. Remarquez, le ridicule ne tue pas. J'ai bien interprété, un soir, un morceau à la clarinette déguisé en araignée géante!»
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