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| John Burnside | |
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Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: John Burnside Mer 8 Sep 2010 - 16:38 | |
| - sentinelle a écrit:
- Les empreintes du diable
Vous l'aurez compris, ce récit à des allures de conte initiatique et un style à nul autre pareil que lui confère la plume singulière de John Burnside. Encore un très beau livre qui n'atteint pas malgré tout la force impressionnante de son roman autobiographique "Un mensonge sur mon père". Je croyais lire une histoire fantastique, un conte horrifique sur les pas de "La maison muette", mais il s'agit en fait comme le dit Sentinelle d'un roman d'apprentissage. Un adulte se rémorant son adolescence, la cruauté des autres enfants, l'hostilité des autochtones envers les étrangers, la nature comme refuge, la découverte de la perversité et le poids du secret et du mensonge. Les choix moraux que nos actes impliquent parfois. Une morale qui ne se situe pas nécessairement là où on le penserait. Le thème de la monstruosité est à nouveau présent et hante tous ses livres. Les empreintes du diable à la fin du roman deviennent les propres empreintes du narrateur. Elles sont le le signe de la présence du mal en chacun de nous et les compromis que cela implique. Le récit est très bien construit et se lit comme un thriller. Mais il lui insuffle une dimension bien plus grande à travers de belles réflexions sur la nature humaine, comme dans ce passage sur le délitement du couple (p.118/119), qui a défaut d'être systématiquement originales sont souvent très bien exprimées. L'ennui avec le mariage, c'est qu'il s'affadit lentement. Quelquefois, il s'affadit pour se muer en affection, pareil à la tiédeur qui émane de draps pliés dans une armoire, mais il s'affadit et personne ne semble s'en apercevoir pendant un temps incroyablement long. Parfois, il met des années à s'éteindre puis, tout à coup, il n'y a plus rien, à peine une faible trace, une illusion de bordure dorée, semblable au sceau craquelé sur un contrat inutile caché dans le grenier d'un vieillard. Notre mariage, celui qu'Amanda et moi avions contracté, s'affadit rapidement, mais aucun de nous deux n'eut l'idée de faire quoi que ce soit pour en stopper la décomposition. Nous poursuivîmes, tête basse, notre avancée pesante, en essayant de mener l'existence à laquelle nous aspirions vraiment, nous le comprenions désormais - laquelle, dans le cas d'Amanda autant que dans le mien, me semble-t-il, n'était autre que l'existence que nous menions précédemment, lorsque nous étions célibataires. Quand j'y repense, je m'étonne qu'elle n'ait pas réagi plus tôt. (...)
L'autre caractéristique du mariage, c'est qu'il s'agit d'une histoire. Il faut continuellement y ajouter quelque nouvelle péripétie de temps à autre, une ligne par-ci, un paragraphe par-là, des chapitres entiers que les protagonistes, même s'ils ne restent pas jusqu'à la fin de la pièce, pourront toujours partager, indirectement, pendant qu'ils sont sur scène. Je ne devrais sans doute pas parler du mariage dans l'abstrait, comme je le fais, bien sûr que non, mais je pense que beaucoup d'autres couples vivent, en cet instant même, comme Amanda et moi le fîmes longtemps, et je pense qu'ils sont bien trop nombreux à accomplir le petit miracle qui consiste à aller jusqu'au bout sans s'apercevoir du dénuement qui est le leur.
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| | | odrey Sage de la littérature
Messages : 1958 Inscription le : 27/01/2009 Age : 46
| Sujet: Re: John Burnside Jeu 9 Sep 2010 - 13:51 | |
| Très beau roman en effet. Moi aussi je m'attendais à quelque chose de fantastique mais Burnside s'est lancé dans un autre registre. Ca lui va bien (même si j'ai préféré la maison muette). | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: John Burnside Mer 15 Sep 2010 - 21:17 | |
| Un mensonge sur mon pèretraduit de l'anglais ( Ecosse) par Catherine Richard Editions Métailié En exergue, on trouve Edgar Allan Poe et Saint Augustin. Poe parle de la fascination du vide : il n’est pas dans la nature de passion plus diaboliquement impatiente que celle d’un homme qui, frissonnant sur l’arête d’un précipice, rêve de s’y jeter.. Saint Augustin s’interroge sur son libre arbitre.. Cela introduit de façon très intelligente ce livre dans lequel John Burnside creuse- et très lucidement, profondément- son propre parcours , et chaque parcours est bien sûr dominé par l’enfance, et les vides que l’on s’efforce de remplir par tous les moyens possibles jusqu’à ce qu’on s’aperçoive, qu’on comprenne et qu’on accepte que certains ne le seront jamais. De même cet extrait du tout début: J’aurais pu ajouter qu’il était simpliste ,je le savais, de dire que mon père m’avait blessé et que j’avais mis des années à guérir de cette blessure. Je savais, bien sûr que je savais, que la vie est toujours plus complexe que nos récits. J’aurais même pu dire- si je l’avais compris- que j’avais conscience du fait que mon père avait lui-même souffert de blessures que je ne pouvais même pas imaginer, quand il avait été abandonné, un matin du moi de mai, sur le seuil d’une maison ,et qu’il y avait sans doute repensé toute sa vie durant en s’efforçant sans relâche d’absoudre, d’accepter ou d’oblitérer cette douleur originelle, dans l’intérêt, au moins, de sa famille, sinon le sien propre. Il ne lui vint jamais à l’idée, je crois, de regarder ailleurs, de s’oublier lui-même: il y eut toujours ce vide qu’il lui fallait remplir, toujours cette faille dans une personnalité à laquelle il ne put jamais se fier. J’aurais pu dire toutes ces choses, et, ensuite, j’aurais pu raconter à Mike- un inconnu croisé sur la route, que je ne reverrais jamais- qu’à ma façon, j’avais pardonné ses agissements à mon père, mais que je ne les oublierais jamais.
Je rejoins tout à fait l’avis de Marko quand il écrit: - Citation :
- Cette autobiographie est magistrale parce qu'elle évite tous les clichés du genre. Il ne fera pas de son père un monstre, et malgré la violence, les humiliations, la colère, qu'on sent dévastatrices, il ne s' appesantit jamais. Pas de sordide, pas de complaisance.
Effectivement, le récit ne s’attarde jamais sur les violences subies, qui sont simplement évoquées au fil des pages, ponctuées de réflexions sur ce qui pouvait en être à l’origine. Il a sans doute fallu beaucoup de temps, de distance et de recul à John Burnside pour parvenir à cette écriture tout à fait -apparemment -dépassionnée. Pas grand-chose à rajouter donc, sur ce témoignage , cette analyse , cette vision personnelle et subjective bien sûr d’une histoire familiale qui démontre bien que pour pouvoir continuer l’histoire sans répéter et infliger les mêmes dégâts, il faut s’efforcer ni d’oublier, ni d’utiliser, mais de comprendre. Juste un détail qui revient régulièrement, et qui n’est pas souvent remarqué dans ce genre de récit, la notion de volonté de s’épargner mutuellement dans cette famille, les enfants ( on parle peu de la sœur, mais maltraitée elle-aussi, elle reste jusqu’au bout..) souhaitent un père heureux: « nous pensions qu’il serait plus heureux ailleurs, et que s’il était plus heureux, nous le serions aussi »« J’aimerais me le représenter heureux.. Ou du moins content. »Et la mère, qui apprenant de la bouche de son fils qu’elle va bientôt mourir, souhaite qu'il ne le dise pas au père.. Et même ce père, finalement, cela revient plusieurs fois dans le livre, élevant son fils à la dure, seul moyen pour lui, qui n’a connu que cela, pour qu’il souffre moins plus tard… On ne ressent à la lecture, contrairement à ce qui m’avait frappée dans le récit grinçant de Lionel Duroy , jamais aucune haine , mais au contraire beaucoup d’attention, de compréhension, et même d’amour finalement , c’est un très beau livre. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: John Burnside Jeu 16 Sep 2010 - 12:21 | |
| La Maison muette Peut-être commencer par souligner le remarquable travail de Catherine Richard, la traductrice, de ce somptueux roman. Le style classique, précis, méticuleux, le vocabulaire recherché, minutieux, le rythme parfait ornant de belles phrases empreintes de poésie, donnent à ce livre une rare puissance d'évocation. Maintenant permettez moi de vous poser une question : quel est le nom du narrateur ? Pendant 200 pages nous suivons la vie, de l'enfance à l'âge adulte d'un personnage, nous découvrons sa mère, son père, ses femmes, ses 'enfants', mais nous ne savons pas comment il s'appelle. Pas de nom, pas de surnom, pas d'appellation... rien... Or, ce roman nous apprend que nommer c'est créer, donner une existence. Sans mot pas de réalité, la langue structure la pensée, il est impossible d'imaginer un être penser sans qu'il ait recourt aux mots. Donc si le personnage n'a pas de nom, alors il n'existe pas. Ouf, un tel monstre n'est donc qu'un personnage fictif et nous pouvons donc lire ce roman sans crainte. Il s'agit d'une fiction. Je poursuis. Le narrateur est John Burnside. Le tour de force magistral de Burnside est d'avoir écrit un roman qui est une métaphore totale du travail de l'écrivain. Qu'est-ce qu'un écrivain ? Un monstre qui se nourrit de livres. Et dans La Maison muette, pas un seul évènement ne touche le narrateur sans qu'il ait un rapport direct avec les livres. Sa mère tire des livres les histoires qu'elle raconte le soir à l'enfant, c'est grâce aux livres que l'enfant utilisera sa trousse de biologiste cadeau du père, c'est à la bibliothèque qu'il rencontre Lillian, la femme qui lui permettra d'aller au bout de son expérience, c'est grâce aux livre des morts tibétains qu'il adoucira la douleur de cette dernière, c'est dans les livres de la bibliothèque qu'il circonscrira sa folle entreprise, c'est sur le chemin de la bibliothèque qui croisera Jimmy. Ainsi dans ce roman, le livre est partout, image réccurente, pulsatile d'une vérité obscure. La vie serait-elle dans les livres ? En tout cas, si elle ne l'est pas, Burnside nous invite à penser qu'elle est dans le langage. La quête du narrateur (qui est la quête de l'écrivain) est d'atteindre 'l'essence du langage', tenter (comme d'autres auteurs l'ont tenté) de découvrir le mot magique qui permet de traverser le temps, de retrouver le passé, de réécrire l'histoire. Découvrir le mot que l'on a sur le bout de la langue et qui transforme la réalité, la rend atroce ou bien réconfortante, la rend encore plus réelle. Vertigineux. Mais si Burnside est le narrateur, ce texte n'est pas humainement lisible. Il est trop atroce, trop dérangé et dérangeant, trop 'immoral', il faut le brûler, le jeter, sans défaire... Impossible. Car le second tour de force est de disculper son personnage à chaque acte délictueux. Le narrateur ne croit pas au hasard, il pense que le monde n'est pas le résultat d'une succession de rencontres hasardeuses, il pense que le monde existe parce qu'il a été créé dans un but (c'est donc qu'il y a un démiurge, non pas Dieu, mais l'auteur, l'écrivain, celui qui en nommant crée le monde...). Or s'il n'y a pas de hasard, si le destin n'existe pas, alors le narrateur a choisi de devenir le monstre qu'il est. p.142 le narrateur pense : "Mais on ne gagne rien, jamais, à émettre des suppositions. Il n'y a qu'une voie possible dans la vie, celle qu'on adopte. Aucune autre décision ne pouvait être prise, aucune autre situation ne pouvait se présenter." Discours... mensonge... puisque l'auteur passe son temps à trouver des circonstances atténuantes à son personnage (sinon le livre serait insoutenable, illisible) : S'il est monstrueux c'est : parce que sa mère a instauré avec son enfant une relation bizarre, maladroite, inconfortable, vicieuse, parce que son père au lieu de lui parler lui offre tout ce qu'il désire, parce que la femme inconsciente dont il abuse l'excite, qu'elle est consentante, terriblement consentante en se laissant prendre n'importe où selon le désir du narrateur. Il maltraite Jérémy ? mais Jérémy l'a attaqué, il n'a fait que se défendre. Il commet le pire avec Jimmy ? mais Jimmy est tombé, il a trébuché, sans cela rien ne serait arrivé. Lillian ne verra pas ses enfants grandir ? c'est elle qui l'a choisie, elle qui a remué la tête refusant d'aller à l'hopital. Il est odieux avec les jumeaux ? mais les jumeaux sont des animaux... Alors ? Qui est le monstre ? Celui qui profite des évènements pour mettre en pratique son expérience scientifique ou celui qui écrit ? A moins que ce ne soit celui qui lit. Celui qui va au bout de cette horreur, qui n'a aucun moyen, lui de se disculper de sa fascination. Je voudrais, pour finir, vous parler des sensations, de la sensualité, de la perméabilité au monde du narrateur. On a parlé d'un style 'clinique', d'une vision extérieure du monde, d'un éloignement du sentiment. Je ne suis pas d'accord avec la tentative de distanciation de la 4ème de couverture. Non. Le narrateur est profondément charnel, il suffit de l'entendre parler avec tant d'amour de sa mère, des parfums de sa mère, de l'odeur de sa mère mourante pour être bouleversé par tant de sensibilité. Le narrateur n'est pas sourd aux sentiments humains, il faut le voir désirer Karen, puis Lillian, se laisser envahir par l'envie, par la bestialité pour être submergé par tant d'amour charnel. Il faut lire attentivement les pages sur le jardin, sur la campagne enneigée, sur les odeurs (j'insiste, elles sont palpables dans ce roman) pour comprendre à quel point le narrateur est réceptif, à quel point il est un médium. Exactement, comme un écrivain qui restitue sensation et beauté, horreur et palpation dans ce roman décidément incandescent. Mais tout de même je vous déconseille de confier vos enfants à Burnside. | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: John Burnside Jeu 16 Sep 2010 - 15:46 | |
| Très bien Shanidar ! J' aimerais te conseiller un livrequi m' avait déconcerté tout autant que la Maison muette et j' aimerai avoir ton impression : Après moi le silence de Karl Heinz Ott. Je n' ai pas vraiment aimé ce livre (tu comprendras pourquoi si tu le lis), mais je n' ai pas pu m' en débarrasser ! Bien entendu ce n' est qu' une suggestion ! Mais quand meme ... | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: John Burnside Jeu 16 Sep 2010 - 16:17 | |
| Je note le nom et le titre, Bix. J'aime quand les auteurs nous invitent à poser des questions, à nous poser des questions. Lire les pages 165-166 de La Maison muette est l'expression même de ce qu'est la littérature pour moi : un choix, un auteur choisit les situations, les personnages, les mots, en cela il nous retire toutes les autres situations, les autres possibilités d'écriture. En décidant d'écrire son livre à la première personne, Burnside nous plonge dans la tête du narrateur et je crois qu'aucun lecteur ne voudrait en sortir avant d'avoir été tout au bout du roman, ce choix là était judicieux, mais Burnside aurait pu en faire un autre, c'est ce questionnement là qui m'occupe quand je lis et c'est exactement de cela dont témoigne le livre de Burnside. | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: John Burnside Jeu 16 Sep 2010 - 17:29 | |
| Après moi le silence est plein de questions, le (ou les) personnage est plutot antipathique, et le lecteur est manipulé.... Mais c' est interessant intellectuellement ! Dostoievski utilise aussi ce genre de personnage, je pense au narrateur de Dans mion souterrain... | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: John Burnside Jeu 16 Sep 2010 - 18:34 | |
| dans La Maison muette, Burnside parle de deux anatomistes de la Renaissance, en voici deux images : André Vésale : et Léonard de Vinci : | |
| | | Aeriale Léoparde domestiquée
Messages : 18120 Inscription le : 01/02/2007
| Sujet: Re: John Burnside Jeu 16 Sep 2010 - 20:01 | |
| - shanidar a écrit:
- Mais tout de même je vous déconseille de confier vos enfants à Burnside.
Eh bien, Shanidar nous a encore soufflés, incroyable commentaire! Difficile de poster après ça, tout ce que je peux dire c'est que ce roman, comme tous les récits dérangeants, m'a fascinée autant que déroutée. On est happé dans une sorte de vide et le souci de Burnstide m'a paru être principalement de nous faire perdre nos repaires. Emotifs, sensoriels, moraux, toutes nos données conscientes ou acquises sont ainsi malmenées. Shanidar a raison de souligner que chacune des actions du narrateur a une raison d'être bien précise, rien n'est dû au hasard. On a affaire à un homme qui suit son plan parce que c'est sa logique, la seule vision qu'il a de l'extérieur, comme 'le prisonnier depuis sa fenêtre' L'impression surtout que le narrateur (ou l'auteur) est à la recherche de limites. Isolé tout jeune dans un monde dénué d'affects où les livres et l'érudition ont pris tout l'espace, Il ne peut appréhender ce monde qu'au travers des signes qu'on lui a appris: les mots, le verbe, le raisonnement logique. Mais lorsqu'il tente de percer le mystère du langage au travers des jumeaux, il n'y parvient pas et se sent banni, 'exclu' dit il. Où chercher l'âme de toute chose, comment percer le mystère d'une relation, 'comment en ressentir l'essence', là est la trame de sa vie, son but, son histoire. Dans ses rapports avec sa mère (l'extrait où il cherche à se confondre en elle lorsqu'elle meurt, s'aspergeant de ses parfums, et s'allongeant dans son lit est assez parlant) autant que dans ses relations avec les femmes (toutes offertes, consentantes et volontairement jouets de ses fantasmes sans que l'on puisse y voir un couple se former réellement) il n'existe pas à proprement parler d'échanges, mais plutôt une dévoration de l'autre. Aucun sentiment humain n'apparait, on est dans l'expérimentation froide et aseptisée et pourtant c'est vrai, on a droit à des descriptions sensorielles très poussées, poétiques même, sans doute le seul domaine où ses facultés jouent à plein, contraste étrange avec le reste. En bref encore un auteur à suivre c'est certain. Merci au forum pour cette superbe découverte! | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: John Burnside Ven 17 Sep 2010 - 10:05 | |
| quelque chose me turlupine et j'ai peu dormi cette nuit jusqu'à ce que je comprenne (enfin je crois...). Comme je vais parler de la fin de La Maison muette, je cache le texte afin que ceux qui ne l'ont pas encore lu (chanceux, va) n'aient pas le sentiment de voir un livre défloré. - Spoiler:
Je disais donc que l'auteur ne donnait pas de nom au personnage et ce n'est pas tout à fait vrai. Il faut attendre la page 184 (c'est-à-dire 16 pages avant la fin du roman) pour que Burnside lâche un nom. Le narrateur qui jusque là était innommé car innommable, entre pleinement dans l'existence en étant appelé. Je l'ai dit, je ne crois pas que Burnside fasse les choses par hasard, la narration est trop bien menée, le personnage trop bien construit pour que ce prénom n'est pas une valeur.
Donc j'ai longtemps réfléchi et je suis arrivée à cette idée : quelque chose me gênait dans le récit, j'avoue que l'absence de référence à Dieu me semblait étrange, problématique, une fois encore quand on cherche l'essence de l'âme, il me semblait évident qu'à un moment donné dieu fasse son apparition. Quand on cherche le siège du langage, il est bien difficile de ne pas faire référence à Babel, à la Bible et autres textes car c'est en nommant que dieu créa le monde... Le Verbe se fit chair... Bien sur, le narrateur est un scientifique absolu, il ne voit que par la raison raisonnante, il ne cherche pas l'âme nous explique-t-il mais le LOGOS que l'on trouve... dans l'evangile de Saint Jean (première piste), la seconde étant l'évocation du bouddhisme à travers le Livre des morts tibétain. Bon. Je me suis donc tournée vers le prénom : Luke. Luke, c'est presque la chance en anglais et c'est aussi l'un des rédacteurs des évangiles... En le nommant, Burnside avait donc décidé de lui donner une chance et puis j'ai vu les deux derniers mots du texte : grâce divine. Et j'ai cru comprendre alors qu'en nommant son personnage, Burnside lui donnait enfin la possibilité d'être un Créateur, d'être l'égal de dieu, d'être celui qui assume totalement ce qu'il est, ce qu'il a fait et qu'il peut librement en parler, l'écrire, devenir Burnside lui-même. La chance de Luke c'est de devenir dieu, d'atteindre cette grâce divine qui est joie absolue. mais Burnside est diabolique car si luck au féminin veut dire la chance, au masculin il veut dire... le hasard !
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| | | Aeriale Léoparde domestiquée
Messages : 18120 Inscription le : 01/02/2007
| Sujet: Re: John Burnside Ven 17 Sep 2010 - 12:02 | |
| Eh bien chapeau Shanidar. On peut dire que toi non plus tu ne laisse rien au hasard J'avoue que je n'ai pas remarqué tous ces clins d'oeil, je me trouve bien barbare à côté, mais ton interprétation se tient. On attend les réponses des autres (Marko, Sentinelle...) | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: John Burnside Ven 17 Sep 2010 - 12:11 | |
| merci Aériale, j'ai lu ton avis avec beaucoup d'intérêt (non, non pas de pommade), une explication du ventre vaut autant (même plus) qu'une de la tête. J'aime ton idée de "dévoration", il me semble qu'en effet le personnage agit avec les autres comme un ogre, et je me demande si finalement dans cette histoire nous ne serions pas comme le Petit Poucet... | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: John Burnside Ven 17 Sep 2010 - 15:36 | |
| - aériale a écrit:
- Eh bien chapeau Shanidar. On peut dire que toi non plus tu ne laisses rien au hasard
J'avoue que je n'ai pas remarqué tous ces clins d'oeil, je me trouve bien barbare à côté, mais ton interprétation se tient. On attend les réponses des autres (Marko, Sentinelle...)
Vos 2 analyses sont complémentaires. Qu'on envisage le personnage principal comme une figure démiurgique et omnisciente à l'image de l'écrivain ou un ogre de conte de fée, on est dans les deux cas face à la figure d'un "monstre". Et cette monstruosité (en même temps que sa transmission) est le véritable sujet de Burnside dans tous ses livres (je n'ai pas encore lu "Une vie nulle part"). Mais je ne pense pas qu'il s'identifie véritablement au monstre. Il exorcise plutôt la figure du père monstrueux... Son propre père dans son autobiographie " Un mensonge sur mon père" (par un processus identificatoire malgré tout), un père fictif diabolique et probablement psychotique dans " La Maison Muette" qui est une version fantasmée et cauchemardesque de cette peur d'un père castrateur tout puissant (ici il veut leur couper les cordes vocales). Monstruosité qui contamine tout un village dans "Les empreintes du Diable" jusqu'à pénétrer le narrateur lui-même. Autant de façon de s'interroger sur la notion du mal et de son rapport à la morale, à la raison, au langage... | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: John Burnside Ven 17 Sep 2010 - 15:47 | |
| - aériale a écrit:
- Eh bien chapeau Shanidar. On peut dire que toi non plus tu ne laisse rien au hasard
J'avoue que je n'ai pas remarqué tous ces clins d'oeil, je me trouve bien barbare à côté, mais ton interprétation se tient. On attend les réponses des autres (Marko, Sentinelle...)
Ma lecture fut proche de la tienne Aériale, dans le ressenti essentiellement (ce fut d'ailleurs une réelle délivrance pour moi que de terminer ce roman tant je n'en pouvais plus de tant de noirceur, je me sentais limite mal, c'est dire si je m'y étais immergé totalement sans aucun recul), je n'ai donc pas du tout intellectualisé ma lecture mais bravo à Shanidar qui apporte un nouvel éclairage à cette oeuvre, cela vaudrait d'ailleurs la peine que je relise ce roman (car ma lecture date déjà un peu) avec ces pistes de réflexion Je rejoins Marko : la monstruosité est un thème récurrent dans son oeuvre, parfois dans des perspectives inversées. Ainsi, dans "Les empreintes du Diable", les monstres sont d'abord les autres... |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: John Burnside Ven 17 Sep 2010 - 20:34 | |
| - Citation :
- A moins que ce ne soit celui qui lit. Celui qui va au bout de cette horreur, qui n'a aucun moyen, lui de se disculper de sa fascination.
J'ai lu La maison muette il y a déjà un moment, j'avais eu du mal , l'univers de ce psychopathe m'avait terrifiée, et, comme Senti, je me sentais très mal à l'aise. C'est d'ailleurs bien sûr dû au talent de l'écrivain. Mais c'est vrai que maintenant que j'ai lu Un mensonge sur mon père, et vos échanges, j'y ai repensé ! - Citation :
- Mais je ne pense pas qu'il s'identifie véritablement au monstre.
Marko - Citation :
- Le narrateur est John Burnside.
- Citation :
- Mais si Burnside est le narrateur, ce texte n'est pas humainement lisible. Il est trop atroce, trop dérangé et dérangeant, trop 'immoral', il faut le brûler, le jeter, sans défaire... Impossible. Car le second tour de force est de disculper son personnage à chaque acte délictueux. Le narrateur ne croit pas au hasard, il pense que le monde n'est pas le résultat d'une succession de rencontres hasardeuses, il pense que le monde existe parce qu'il a été créé dans un but (c'est donc qu'il y a un démiurge, non pas Dieu, mais l'auteur, l'écrivain, celui qui en nommant crée le monde...). Or s'il n'y a pas de hasard, si le destin n'existe pas, alors le narrateur a choisi de devenir le monstre qu'il est.
p.142 le narrateur pense : "Mais on ne gagne rien, jamais, à émettre des suppositions. Il n'y a qu'une voie possible dans la vie, celle qu'on adopte. Aucune autre décision ne pouvait être prise, aucune autre situation ne pouvait se présenter." Discours... mensonge... puisque l'auteur passe son temps à trouver des circonstances atténuantes à son personnage (sinon le livre serait insoutenable, illisible) :
S'il est monstrueux c'est : parce que Je ne peux m'empêcher d'associer ces phrases à ce qui m'a vraiment frappée dans Un mensonge sur mon père, les éternelles explications de sa conduite vis à vis de sa famille! Il faisait cela parce que..C'est très cérébral et très dépassionné. Il y a plus qu'une mise à distance, qu'une acceptation ,toutes les actions du père,qui ne sont d'ailleurs qu'évoquées ( c'est une des grandes forces de ce livre) sont en permanence analysées à la lumière de faits qui les excusent, en quelque sorte. C'est du moins ce que j'ai ressenti. Et puis surtout, parce que je m'intéresse toujours aux textes choisis pour mettre en exergue, à celui , qui n'a rien d'anodin, d'Edgar Poe , Le Démon de ma perversitéici et peut être surtout à l'endroit où John Burnside a coupé sa citation, donnant un sens tout à fait différent à ce qui est écrit, puisque pour Poe il s'agit d'une introduction à une histoire, alors qu'en le coupant ainsi, Burnside en fait tout autre chose.. Examinons ces actions et d’autres analogues, nous trouverons qu’elles résultent uniquement de l’esprit de perversité. Nous les perpétrons simplement à cause que nous sentons que nous ne le devrions pas. En deçà ou au-delà, il n’y a pas de principe intelligible; et nous pourrions, en vérité, considérer cette perversité comme une instigation directe de l'Archidémon, s'il n’était pas reconnu que parfois elle sert à l’accomplissement du bien.Tout cela pour l'instant contribue simplement pour moi à des associations d'idées, mais Shanidar a raison, ne confiez pas vos enfants à John Burnside, d'autant plus qu'il le dit franchement, il y a encore des moments dans sa vie où il ne sait où il ne sait plus trop ce qu'il fait Contentons-nous de le lire, c'est effectivement un écrivain passionnant ! | |
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