Apparus dans la littérature spécialisée à partir de 1911, les termes "expressionnisme" et "expressionniste" désignent d'abord le mouvement d'avant garde européen au tournant du siècle. Ce serait le marchand d'art berlinois Paul Cassirer (1871-1926) qui aurait employé le terme d'expressionnisme en premier à propos des oeuvres d'Edvard Munch (1863-1944), voulant les différencier des tableaux impressionnistes.
En août 1911, le terme est repris dans une revue (Sturn) pour les oeuvres de Paul Cézanne (1839-1906), Van Gogh (1853-1890) et Matisse (1869-1954).
Vers 1912 et 1914, l'expressionnisme est surtout attribué aux artistes allemands. Il faut dire que depuis la fin du 18ème siècle les allemands semblent avoir la main mise sur une sorte d'état d'urgence émotionnel
dans l'art. L'Allemand apparaît aux autres peuples comme poussé, entraîné dans un tourbillon par un véritable génie démoniaque du devenant et jamais étant.
Le peintre Max Pechstein (1881-1955), ancien membre du groupe "Brücke" ("Die Brücke" : le pont, nom emprunté d'Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche : "ce qu'il y a de grand dans l'homme, c'est qu'il est un pont et non un but : ce que l'on peut aimer dans l'homme, c'est qu'il est un passage et un déclin". Formé en 1905 par des étudiants en architecture grandira rapidement, ayant pour membres des peintres renommés. Munch en fera plus ou moins parti. Entre 1905 et 1913 Die Brücke fera 70 expositions), paraphrase en 1920 le travail créatif dicté par des forces spirituelles "tourbillonnantes" en utilisant un vocabulaire fracassant : "Travailler ! Extase ! Ecraser les cervelles ! Mâcher, dévorer, engloutir, mettre en désordre ! Douleurs voluptueuses de l'enfantement ! Craquement du pinceau, enfoncer les toiles avec jubilation. Piétiner les tubes de couleur[...]".
L'expressionnisme c'est donc de se rebeller contre les traditions, provoquer. Le travail et l'élaboration de l'oeuvre prennent le pas sur l'oeuvre elle-même.
"L'expressionnisme ne se voit pas, il regarde" (Kasimir Edschmid). L'esprit crée et ne reproduit pas : il forme l'image du monde selon sa volonté, ce sont en premier lieu ses visions qui "créent" la réalité.
Il faut toucher à l'essentiel, sans artifice, ni la sécurité des codes pré-établis. Symboles, métaphores, métaphysique. Des sens qui restent parfois très obscures pour les non-initiés.
L'expressionniste ne crée pas "l'impression à partir du dehors" mais "l'expression à partir du dedans" (Herwarth Walden) : une phrase qui, réellement, pourrait s'appliquer à tous les mouvements artistiques et qui traduit du problème de définition qui entoure le courant expressionniste.
Le problème vient aussi du fait que les artistes dit expressionniste que le style diverge énormément d'un expressionniste à l'autre : difficile de trouver un point commun entre les tableaux de Kandinsky, de Kokoschka, de Dix. L'expressionnisme n'est donc pas vraiment considéré comme un style mais plutôt comme un courant.
Au départ, il s'agit de s'affranchir de la description impressionniste de la nature et de mettre en valeur la force expressive du sujet en adoptant des coloris violents et en simplifiant "brutalement" les formes. Les lois de la perspective, de la précision physique, des couleurs naturelles n'ont plus d'importance. La déformation est synonyme d'imprégnation du matériau par l'esprit. (Kandinsky donne pour titre à son livre de 1910 : Du spirituel dans l'art).
Les expressionnistes s'associent énomément aux romantiques allemands, leur empruntant quelques notions comme "la conscience de soi élevée à l'extase", "le sens symbolique donnant au monde", "la quête des fondements métaphysiques ou des ordres cosmologiques, des projets utopiques et des domaines élémentaires au-delà de l'histoire", la passion de l'obscur, de ce qui est à l'écart.
L'expressionnisme est dans l'exacerbation : de lourds contrastes de surface, des formes aiguës, déchiquetées, des hachures (kichner - nuit de pleine lune, l'hiver). Se deploie alors une esthétique de la brutalité et de la laideur considéré comme un appel pour faire sortir l'art du ghetto du beau, du lisse, du mièvre. Sont alors glorifiés : l'exotisme, la liberté sexuelle, l'expression du "naturel" sans entraves.
Beaucoup d'expressionnistes s'interesseront aux arts primitifs africains et aux sculptures polynésiennes, un intérêt poussé par le besoin de découvrir des principes esthétiques neufs. On y trouve des caractéristiques dans certaines toiles : les traits anguleux, les visages ressemblant à des masques, les contours noirs...
(livre de Carl Einstein sur la sculpture nègre, 1915 - kirchner, femme debout, 1912)
Ainsi ils s'interesseront et puiseront beaucoup de leurs inspirations du fauvisme (courant ephémère né en 1905 à Paris et connu en allemagne grâce à une grande exposition en 1908, avec des peintres comme Vlaminck, Matisse, Rouault, Derain, Braque, Dufy : une peinture aux couleurs vives, très abstraites.
Alfred Kubin (1877-1959) membre fondateur en 1911 du "Blauer Reiter", a illustré les récits d'épouvante de Dostoïevski, Hoffman, Poe, Panizza (dessins à la plume faits de traits arachnéens, invoquent un univers onirique fantastique et inquiétant).
LA GUERRE
Les expressionnistes ont une certaine fascination pour la guerre, les champs de bataille et leur violence. Une fascination morbide et extatique qui conduira certains à se porter volontaire pour le front.
Ernst Jünger, 1926 : "La guerre devait bien nous l'apporter, le grand, le fort, le solennel. Elle nous apparaissait comme une action virile, un combat joyeux sur des prairies fleuries à la rosée de sang. Il n'est de mort plus belle dans le monde[...]"
Seulement ce qui leur apparaissait d'abord comme une catharsis de l'humanité, la possibilité de créer quelque chose de fort, se transforme peu à peu en traumatisme devant les cratères d'obus, les tranchées et les hôpitaux de campagne. Beaucoup de peintres y mourront (Marc - Macke - Morgner) et un tournant profond touche le mouvement expressionniste. Avant il s'interessait à refleter leurs états psychiques, après la guerre, leurs oeuvres prennent un sens social fort : le rôle de l'individu dans une société, victime des répressions sociales et politiques. (mais seuls Grosz et Felixmüller s'engagent sur le plan politique).
****
Les expressionnistes s'associent, vivent de manière solidaire, surtout par manque d'argent mais celà leur permet de découvrir la coopération fraternelle. Ils partent à la campagne ensemble, vivant en plein air, se baignant, se peignant, une sorte de communauté hippie avant l'heure (pechstein, plein air (baigneurs à moritzbourg)). Les artistes essayent alors de construire un monde où fusionneraient l'art et la vie, une tentative de purifier le monde devenu matérialiste en se tournant vers l'utopie du paradis terrestre.
Les expressionnistes se concentrent surtout sur Dresde, Berlin ("Brücke"), et l'Allemagne du Sud avec Munich ("Blauer Reiter"). Evidemment on trouve des expressionnistes à travers le monde, mais pas organisés en groupuscule comme en Allemagne. En 1928, par exemple, une exposition a lieu à la Galerie Alice Manteau "L'Expressionnisme Français" où on retrouve les artistes vivant à Paris : le juif lituanien Soutine (l'idiot du village), l'italien Modigliani, les français Vlaminck, Utrillo, le russe Chagall.
Grâce à "Sturn", les artistes de "Brücke" entrent en contact avec l'Expressionnisme littéraire, les aidant ainsi à étendre leur impact à d'autres domaines que la peinture. Un recueil de poèmes "Umbra vitae" de Georg Heym parait en 1924, et est illustré de gravures de bois de Krichner.
Puis Kandinsky (fondateur de la "Nouvelle association des artistes de Munich") et Marc veulent sortir un almanach (qui n'ira pas au-delà du premier numéro). "Der Blaue Reiter" paraît en 1912 : un article de Marc sur les Fauves allemands, et un article de Burliuk sur les Fauves russes, Macke parle de masques, Kubin d'improvisation musicale, Kandinsky de composition scénique, Schönberg rédige un article sur la musique et sa relation avec le texte et deux de ses peintures seront reproduites.
Mais les artistes de l'almanach ne sont pas unis comme ceux de "Brücke". Leur but n'est pas de présenter un style commun mais de "montrer dans la diversité des formes représentées comment le désir intérieur des artistes se forme de multiples manières." Ainsi, à la "Première expostition intégrale" de 1912, on retrouve des tableaux de Gauguin, Van Gogh, Cézanne, Matisse, du Douanier Rousseau, Delaunay, Derain, Vlaminck, Picasso, Braque, Larionov, Malévitch, Gontcharova.
FIN DE LA GUERRE ET FIN(?) DE L'EXPRESSIONNISME
Déception, désillusion. Ce n'est pas l'"homme nouveau" qui en surgit, mais l'homme détruit, vaincu. Entre l'inflation et la famine, l'homme est à terre. Les expressionnistes Beckmann, Dix et Grosz peignent alors les estropiés, les invalides, les profiteurs, les putains.
1918, le "Manifeste Dada" attaque les expressionnistes : "ont-ils rempli les espérances d'un art qui nous brûle dans la chair l'essence de vie ? NON ! NON ! NON !". Arrive alors l'ère du "vérisme impitoyable" dans les années 20 chez Dix, Grosz, Hubbuch, Schlitazer.
L'expressionnisme meurt peu à peu, mais est récupéré après 1945 par les américains qui les exposeront aux Etats-Unis. Les premiers ouvrages de référence sur l'expressionnisme ont d'ailleurs été écrit par des américains.
Puis l'expressionnisme est ensuite associé à de nouveaux peintres, laissant jaillir librement les formes, sans contrôle rationnel (comme Kooning, Motherwell, Kline ou encore l'Action Painting de Pollock).
Les expressionnistes allemands qui survivront à la guerre (Schmidt-Rottluff, Pechstein, Hofer) fondent à Berlin L'Ecole supérieure des Beaux Arts où étudieront entr'autres Baselitz, Hödicke, Koberling. Le néo-expressionnisme figural et symbolique surgit au coeur des années 70.
**
CINEMA ET ARCHITECTURE
Les décors des films expressionnistes allemands sont créés par des architectes : perpective déformée des ruelles qui débouchent en biais et se coupent en angles obliques inattendus ; maisons cubiques penchées vers l'avant comme si elles allaient s'effondrer ; reflets de lumière des lampadaires cachés. Des mises en scènes qui rappellent le théâtre. Par exemple, dans Revenants d'Ibsen, Max Reinhardt (1906) fait passer deux interprètes devant une source de lumières ; les ombres effrayantes qu'ils projettent derrière eux donnent une impression qu'ils sont poursuivis par des démons. Dans les films allemands, l'ombre devient également le symbole de la destinée à qui nul n'échappe. Dans Nosferatu de Murnau (1922), on voit d'abord l'ombre du vampire montant l'escalier.
Les architectes, quant à eux, sont plutôt fascinés par le côté utopique de l'expressionnisme. Des structures de verre apparaissent, symboles de pureté. Fin 1919, se forme un groupe d'architecte : "la chaîne de verre" autour de Bruno Taut. (Le grand théâtre de Berlin, de Hans Poelzig - la tour Einstein à Potsdam d'Erich Mendelson).
Liens vers les fils des peintres
Max Beckmann
Otto Dix
Vincent van Gogh
Alexeï von Jawlensky
Vassily Kandinsky
Ernst Ludwig Kirchner
Paul Klee
Alfred Kubin
August Macke
Henri Matisse
Otto Mueller
Edvard Munch
Gabriele Münter
Emil Nolde
Max Pechstein
Karl Schmidt-Rottluff
Chaïm Soutine
Marianne von Werefkin