Angle mort
Silence pensant d’un père face aux souvenirs oppressants d’une fille qui hurle pour qu’on lui réponde. Le texte de Anne Brécart est teinté de douleur et de désespoir, tout en étant, en même temps, un formidable cri d’amour d’une fille à son père.
Un père morne, absent, à la tenue impeccable, toujours en partance, promettant monts et merveilles à une petite fille qui demande surtout de l’attention, de l’affection. Un père que la mort emportera par accident, brisant brutalement et cruellement toute possibilité de réconciliation relationnelle. Cassure totale chez cette adolescente de quinze ans qui prendra la plume vingt ans plus tard dans le but d’exorciser sa colère et d’apaiser ses souvenirs.
Hanna raconte son enfance, se souvient de son père, de ses absences, de ses manques. C’est douloureux, triste, révoltant par moments. Le chagrin de cette femme semble inconsolable car la frustration est énorme et le dialogue désormais impossible. Le père d’Hanna est passé à côté de son rôle. La mère d’Hanna ne vaut guère mieux. Aimante, elle l’est, certes, mais il n’existe aucune réelle complicité entre elle et sa fille. Qui ne peut dès lors qu’accepter en silence ce formalisme parental qui la blesse au plus haut point. Au moment où l’adolescence pointe le bout de son nez, où les premières révoltes voient le jour, où les crises de colère de la fillette pourraient enfin percer l’abcès et forcer le dialogue avec son père, celui-ci meurt dans un accident. C’est le drame. L’absence est dorénavant définitive et officialisée. Il faudra du temps à Hanna pour faire son deuil. Elle n’y arrivera d’ailleurs jamais complètement. beaucoup de violence dans ses propos et ses actes. Un jour, elle prend la plume. Peut-être qu’en essayant de capturer les mots et les souvenirs, elle leur rendra une forme de vie. Mais ce travail ne fait que révéler ce qui se savait déjà : le père est un être figé, un point dans le décor, quelqu’un dont on parle mais qu’on ne voit jamais, un repère immobile et invisible dans la vie de la fillette. La démarche d’Hanna est-elle pour autant un échec ? La question reste posée. La violence est encore plus forte, la rancune tenace et la frustration toujours aussi présente. Mais qui sait… ce travail entamé de deuil sera peut-être le déclic qui poussera Hanna à enfin vivre ailleurs que dans l’ombre des siens.
Quelques lignes:
"Hanna va et vient dans l'appartement, perplexe. Qu'y a-t-il de changé ? Quelque chose dans la qualité du silence d'où peut s'élever une voix d'homme. Un silence qui porte cette possibilité en lui. Quoi d'autre ? Mais tout, tout est autre : la lumière qui vient du dehors et la manière dont les bruits de la rue ne l'atteignent plus. La manière dont l'intérieur de l'appartement se creuse et s'élargit pour devenir une tanière habitée et pas seulement ce lieu abandonné où la mère et la fille se retrouvent parce qu'elles n'ont nulle part ailleurs où aller. La musique qu'ils écoutent, toujours les mêmes disques en vinyle qui tournent lentement en reflétant la lumière, cette musique résonne différemment, plus pleine, plus rassurante, comme si elle prolongeait la voix du père."