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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Mar 10 Sep 2013 - 13:35
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Les Cosaques Zaporogues écrivant une lettre au sultan Mahmoud IV de Turquie par Ilya Repin
Réponse des Cosaques Zaporogues au sultan de Constantinople
Plus criminel que Barrabas Cornu comme les mauvais anges Quel Belzébuth es-tu là-bas Nourri d'immondice et de fange Nous n'irons pas à tes sabbats
Poisson pourri de Salonique Long collier des sommeils affreux D'yeux arrachés à coup de pique Ta mère fit un pet foireux Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant Des plaies des ulcères des croûtes Groin de cochon cul de jument Tes richesses garde-les toutes Pour payer tes médicaments
(Extrait de "La Chanson du mal-aimé", in Alcools/ Bibliothèque Gallimard)
Poème mis en musique par Chostakovitch (symphonie N°14/ Op. 135) :
Par Léo Ferré, texte précédé des trois dernières strophes du poème précédant "Réponse des Cosaques Zaporogues au sultan de Constantinople, et débutant par le vers "Beaucoup de dieux ont péri":
Je suis fidèle comme un dogue Au maître le lierre au tronc Et les Cosaques Zaporogues Ivrognes pieux et larrons Aux steppes et au décalogue
Portez comme un joug le Croissant Qu'interrogent les astrologues Je suis le Sultan tout-puissant O mes Cosaques Zaporogues Votre Seigneur éblouissant
Devenez mes sujets fidèles Leur avait écrit le Sultan Ils rirent à cette nouvelle Et répondirent à l'instant A la lueur d'une chandelle
GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Mar 10 Sep 2013 - 14:47
@Constance : merci pour ce viril partage !
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Mer 11 Sep 2013 - 8:23
GrandGousierGuerin a écrit:
@Constance : merci pour ce viril partage !
Une manière ludique d'enseigner l'Histoire à nos chères têtes blondes ou brunes ...
GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Mer 11 Sep 2013 - 8:59
Constance a écrit:
GrandGousierGuerin a écrit:
@Constance : merci pour ce viril partage !
Une manière ludique d'enseigner l'Histoire à nos chères têtes blondes ou brunes ...
Cette part d'histoire m'était inconnue ... alors tête grise aussi
Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Mer 11 Sep 2013 - 20:30
Mon préféré..
Le poète
Je me souviens ce soir de ce drame indien Le Chariot d'Enfant un voleur y survient Qui pense avant de faire un trou dans la muraille Quelle forme il convient de donner à l'entaille Afin que la beauté ne perde pas ses droits Même au moment d'un crime Et nous aurions je crois À l'instant de périr nous poètes nous hommes Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes
Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté N'est la plupart du temps que la simplicité Et combien j'en ai vu qui morts dans la tranchée Étaient restés debout et la tête penchée S'appuyant simplement contre le parapet
J'en vis quatre une fois qu'un même obus frappait Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes Avec l'aspect penché de quatre tours pisanes
Depuis dix jours au fond d'un couloir trop étroit Dans les éboulements et la boue et le froid Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture Anxieux nous gardons la route de Tahure
J'ai plus que les trois cœurs des poulpes pour souffrir Vos cœurs sont tous en moi je sens chaque blessure Ô mes soldats souffrants ô blessés à mourir Cette nuit est si belle où la balle roucoule Tout un fleuve d'obus sur nos têtes s'écoule Parfois une fusée illumine la nuit C'est une fleur qui s'ouvre et puis s'évanouit
La terre se lamente et comme une marée Monte le flot chantant dans mon abri de craie Séjour de l'insomnie incertaine maison De l'Alerte la Mort et la Démangeaison
GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Jeu 12 Sep 2013 - 8:59
@Marie : Ce poème a également une résonance en moi ... merci du partage !
MartineR Main aguerrie
Messages : 364 Inscription le : 10/09/2010 Localisation : essonne
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Mar 1 Oct 2013 - 18:05
Son oeuvre *tombe* dans le domaine public dans télérama mais aussi dans l'Express
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Jeu 19 Déc 2013 - 21:02
C'est un de mes tout préférés de lui, publié dans son ouvrage Calligrammes. La vérité ? En fait, la richesse scripturale, sous apparence dépouillée, et l'art de la sublimation manifestés dans ce Palais du tonnerre m'ont si longtemps accompagné qu'aujourd'hui encore j'ai l'impression de ne pas en avoir tout à fait effectué le tour, bien que je sache presque le réciter sans lire le texte, sans avoir cherché à l'apprendre par coeur:
Le palais du tonnerre
Par l’issue ouverte sur le boyau dans la craie En regardant la paroi adverse qui semble en nougat On voit à gauche et à droite fuir l’humide couloir désert Où meurt étendue une pelle à la face effrayante à deux yeux réglementaires qui servent à l’attacher sous les caissons Un rat y recule en hâte tandis que j’avance en hâte Et le boyau s’en va couronné de craie semé de branches Comme un fantôme creux qui met du vide où il passe blanchâtre Et là-haut le toit est bleu et couvre bien le regard fermé par quelques lignes droites Mais en deçà de l’issue c’est le palais bien nouveau et qui paraît ancien Le plafond est fait de traverses de chemin de fer Entre lesquelles il y a des morceaux de craie et des touffes d’aiguilles de sapin Et de temps en temps des débris de craie tombent comme des morceaux de vieillesse À côté de l’issue que ferme un tissu lâche d’une espèce qui sert généralement aux emballages Il y a un trou qui tient lieu d’âtre et ce qui y brûle est un feu semblable à l’âme Tant il tourbillonne et tant il est inséparable de ce qu’il dévore et fugitif Les fils de fer se tendent partout servant de sommier supportant des planches Ils forment aussi des crochets et l’on y suspend mille choses Comme on fait à la mémoire Des musettes bleues des casques bleus des cravates bleues des vareuses bleues Morceaux du ciel tissus des souvenirs les plus purs Et il flotte parfois en l’air de vagues nuages de craie Sur la planche brillent des fusées détonateurs joyaux dorés à tête émaillée Noirs blancs rouges Funambules qui attendent leur tour de passer sur les trajectoires Et font un ornement mince et élégant à cette demeure souterraine Ornée de six lits placés en fer à cheval Six lits couverts de riches manteaux bleus Sur le palais il y a un haut tumulus de craie Et des plaques de tôle ondulée Fleuve figé de ce domaine idéal Mais privé d’eau car ici il ne roule que le feu jailli de la mélinite Le parc aux fleurs de fulminate jaillit des trous penchés Tas de cloches aux doux sons des douilles rutilantes Sapins élégants et petits comme en un paysage japonais Le palais s’éclaire parfois d’une bougie à la flamme aussi petite qu’une souris Ô palais minuscule comme si on te regardait par le gros bout d’une lunette Petit palais où tout s’assourdit Petit palais où tout est neuf rien rien d’ancien Et où tout est précieux où tout le monde est vêtu comme un roi Une selle est dans un coin à cheval sur une caisse Un journal du jour traîne par terre Et cependant tout paraît vieux dans cette neuve demeure Si bien qu’on comprend que l’amour de l’antique Le goût de l’anticaille Soit venu aux hommes dès le temps des cavernes Tout y était si précieux et si neuf Tout y est si précieux et si neuf Qu’une chose plus ancienne ou qui a déjà servi y apparaît Plus précieuse Que ce qu’on a sous la main Dans ce palais souterrain creusé dans la craie si blanche et si neuve Et deux marches neuves Elles n’ont pas deux semaines Sont si vieilles et si usées dans ce palais qui semble antique sans imiter l’antique Qu’on voit que ce qu’il y a de plus simple de plus neuf est ce qui est Le plus près de ce que l’on appelle la beauté antique Et ce qui est surchargé d’ornements A besoin de vieillir pour avoir la beauté qu’on appelle antique Et qui est la noblesse la force l’ardeur l’âme l’usure De ce qui est neuf et qui sert Surtout si cela est simple simple Aussi simple que le petit palais du tonnerre
shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Jeu 19 Déc 2013 - 21:46
merci pour ce poème, Sigismond, d'Apollinaire je ne connais que Alcools et encore, très mal, je n'arrive pas à me familiariser avec son rythme.
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Ven 20 Déc 2013 - 17:39
...Et pour quelques vers d'Apollinaire de plus, tous extraits de "Calligrammes". Je ne sais si vous les trouvez aussi poignants ("Chant de l'horizon en Champagne", "Dans l'abri-caverne") mais malgré tout sensuels ("à l'Italie", "Merveille de la guerre", "Fusée"), chantants ("Il y a", "Exercice") que moi...
Il y a
Il y a :
Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venant on dirait des asticots dont naîtraient les étoiles Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d'obus autour de moi Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Gœthe et de Cologne Il y a que je languis après une lettre qui tarde Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète Il y a une batterie dont les servants s'agitent autour des pièces Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l'Arbre isolé Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme l'horizon dont il s'est indignement revêtu et avec quoi il se confond Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur l'Atlantique Il y a à minuit des soldats qui scient des planches pour les cercueils Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres Il y a des croix partout de-ci de-là Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie Il y a les longues mains souples de mon amour Il y a un encrier que j'avais fait dans une fusée de 15 centimètres et qu'on n'a pas laissé partir Il y a ma selle exposée à la pluie Il y a les fleuves qui ne remontent pas leur cours Il y a l'amour qui m'entraîne avec douceur Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos Il y a des hommes dans le monde qui n'ont jamais été à la guerre Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s'ils les reverront Car on a poussé très loin durant cette guerre l'art de l'invisibilité
A l'Italie
A l'Italie:
À l'Italie
À Ardengo Soffici.
L'amour a remué ma vie comme on remue la terre dans la zone des armées J'atteignais l'âge mûr quand la guerre arriva Et dans ce jour d'août 1915 le plus chaud de l'année Bien abrité dans l'hypogée que j'ai creusé moi-même C'est à toi que je songe Italie mère de mes pensées Et déjà quand von Kluck marchait sur Paris avant la Marne J'évoquais le sac de Rome par les Allemands Le sac de Rome qu'ont décrit Un Bonaparte le vicaire espagnol Delicado et l'Arétin Je me disais Est-il possible que la nation Qui est la mère de la civilisation Regarde sans la défendre les efforts qu'on fait pour la détruire
Puis les temps sont venus les tombes se sont ouvertes Les fantômes des Esclaves toujours frémissants Se sont dressés en criant SUS AUX TUDESQUES Nous l'armée invisible aux cris éblouissants Plus doux que n'est le miel et plus simples qu'un peu de terre Nous te tournons bénignement le dos Italie Mais ne t'en fais pas nous t'aimons bien Italie mère qui es aussi notre fille Nous sommes là tranquillement et sans tristesse Et si malgré les masques les sacs de sable les rondins nous tombions Nous savons qu'un autre prendrait notre place Et que les Armées ne périront jamais
Les mois ne sont pas longs ni les jours ni les nuits C'est la guerre qui est longue
Italie Toi notre mère et notre fille quelque chose comme une sœur J'ai comme toi pour me réconforter Le quart de pinard Qui met tant de différence entre nous et les Boches J'ai aussi comme toi l'envol des compagnies de perdreaux des 75 Comme toi je n'ai pas cet orgueil sans joie des Boches et je sais rigoler Je ne suis pas sentimental à l'excès comme le sont ces gens sans mesure que leurs actions dépassent sans qu'ils sachent s'amuser Notre civilisation a plus de finesse que les choses qu'ils emploient Elle est au-delà de la vie confortable Et de ce qui est l'extérieur dans l'art et l'industrie Les fleurs sont nos enfants et non les leurs Même la fleur de lys qui meurt au Vatican
La plaine est infinie et les tranchées sont blanches Les avions bourdonnent ainsi que des abeilles Sur les roses momentanés des éclatements Et les nuits sont parées de guirlandes d'éblouissements De bulles de globules aux couleurs insoupçonnées
Nous jouissons de tout même de nos souffrances Notre humeur est charmante l'ardeur vient quand il faut Nous sommes narquois car nous savons faire la part des choses Et il n'y a pas plus de folie chez celui qui jette les grenades que chez celui qui plume les patates Tu aimes un peu plus que nous les gestes et les mots sonores Tu as à ta disposition les sortilèges étrusques le sens de la majesté héroïque et le courageux honneur individuel Nous avons le sourire nous devinons ce qu'on ne nous dit pas nous sommes démerdards et même ceux qui se dégonflent sauraient à l'occasion faire preuve de l'esprit de sacrifice qu'on appelle la bravoure Et nous fumons du gros avec volupté
C'est la nuit je suis dans mon blockhaus éclairé par l'électricité en bâton Je pense à toi pays des 2 volcans Je salue le souvenir des sirènes et des scylles mortes au moment de Messine Je salue le Colleoni équestre de Venise Je salue la chemise rouge Je t'envoie mes amitiés Italie et m'apprête à applaudir aux hauts faits de ta bleusaille Non parce que j'imagine qu'il y aura jamais plus de bonheur ou de malheur en ce monde Mais parce que comme toi j'aime à penser seul et que les Boches m'en empêcheraient Mais parce que le goût naturel de la perfection que nous avons l'un et l'autre si on les laissait faire serait vite remplacé par je ne sais quelles commodités dont je n'ai que faire Et surtout parce que comme toi je sais je veux choisir et qu'eux voudraient nous forcer à ne plus choisir Une même destinée nous lie en cette occase
Ce n'est pas pour l'ensemble que je le dis Mais pour chacun de toi Italie Ne te borne point à prendre les terres irrédentes Mets ton destin dans la balance où est la nôtre
Les réflecteurs dardent leurs lueurs comme des yeux d'escargots Et les obus en tombant sont des chiens qui jettent de la terre avec leurs pattes après avoir fait leurs besoins
Notre armée invisible est une belle nuit constellée Et chacun de nos hommes est un astre merveilleux
Ô nuit ô nuit éblouissante Les morts sont avec nos soldats Les morts sont debout dans les tranchées Ou se glissent souterrainement vers les Bien-Aimées Ô Lille Saint-Quentin Laon Maubeuge Vouziers Nous jetons nos villes comme des grenades Nos fleuves sont brandis comme des sabres Nos montagnes chargent comme cavalerie
Nous reprendrons les villes les fleuves et les collines De la frontière helvétique aux frontières bataves Entre toi et nous Italie Il y a des patelins pleins de femmes Et près de coi m'attend celle que j'adore Ô Frères d'Italie
Ondes nuages délétères Métalliques débris qui vous rouillez partout Ô frères d'Italie vos plumes sur la tête Italie Entends crier Louvain vois Reims tordre ses bras Et ce soldat blessé toujours debout Arras
Et maintenant chantons ceux qui sont morts Ceux qui vivent Les officiers les soldats Les flingots Rosalie le canon la fusée l'hélice la pelle les chevaux Chantons les bagues pâles les casques Chantons ceux qui sont morts Chantons la terre qui bâille d'ennui Chantons et rigolons Durant des années Italie Entends braire l'âne boche Faisons la guerre à coups de fouets Faits avec les rayons du soleil Italie Chantons et rigolons Durant des années Partager Partager
Exercice
Exercice:
Vers un village de l'arrière S'en allaient quatre bombardiers Ils étaient couverts de poussière Depuis la tête jusqu'aux pieds
Ils regardaient la vaste plaine En parlant entre eux du passé Et ne se retournaient qu'à peine Quand un obus avait toussé
Tous quatre de la classe seize Parlaient d'antan non d'avenir Ainsi se prolongeait l'ascèse Qui les exerçait à mourir
Merveille de la guerre
Merveille de la guerre:
Merveille de la guerre
Que c'est beau ces fusées qui illuminent la nuit Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour regarder Ce sont des dames qui dansent avec leurs regards pour yeux bras et cœurs
J'ai reconnu ton sourire et ta vivacité
C'est aussi l'apothéose quotidienne de toutes mes Bérénices dont les chevelures sont devenues des comètes Ces danseuses surdorées appartiennent à tous les temps et à toutes les races Elles accouchent brusquement d'enfants qui n'ont que le temps de mourir
Comme c'est beau toutes ces fusées Mais ce serait bien plus beau s'il y en avait plus encore S'il y en avait des millions qui auraient un sens complet et relatif comme les lettres d'un livre Pourtant c'est aussi beau que si la vie même sortait des mourants
Mais ce serait plus beau encore s'il y en avait plus encore Cependant je les regarde comme une beauté qui s'offre et s'évanouit aussitôt Il me semble assister à un grand festin éclairé a giorno C'est un banquet que s'offre la terre Elle a faim et ouvre de longues bouches pâles La terre a faim et voici son festin de Balthasar cannibale Qui aurait dit qu'on pût être à ce point anthropophage Et qu'il fallût tant de feu pour rôtir le corps humain C'est pourquoi l'air a un petit goût empyreumatique qui n'est ma foi pas désagréable Mais le festin serait plus beau encore si le ciel y mangeait avec la terre Il n'avale que les âmes Ce qui est une façon de ne pas se nourrir Et se contente de jongler avec des feux versicolores
Mais j'ai coulé dans la douceur de cette guerre avec toute ma compagnie au long des longs boyaux Quelques cris de flamme annoncent sans cesse ma présence J'ai creusé le lit où je coule en me ramifiant en mille petits fleuves qui vont partout Je suis dans la tranchée de première ligne et cependant je suis partout ou plutôt je commence à être partout C'est moi qui commence cette chose des siècles à venir Ce sera plus long à réaliser que non la fable d'Icare volant
Je lègue à l'avenir l'histoire de Guillaume Apollinaire Qui fut à la guerre et sut être partout Dans les villes heureuses de l'arrière Dans tout le reste de l'univers Dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé Dans les femmes dans les canons dans les chevaux Au zénith au nadir aux 4 points cardinaux Et dans l'unique ardeur de cette veillée d'armes
Et ce serait sans doute bien plus beau Si je pouvais supposer que toutes ces choses dans lesquelles je suis partout Pouvaient m'occuper aussi Mais dans ce sens il n'y a rien de fait Car si je suis partout à cette heure il n'y a cependant que moi qui suis en moi
Chant de l’horizon en Champagne
Chant de l’horizon en Champagne:
Chant de l’horizon en Champagne
À M. Joseph Granié.
Voici le tétin rose de l’euphorbe verruquée Voici le nez des soldats invisibles Moi l’horizon invisible je chante Que les civils et les femmes écoutent ces chansons Et voici d’abord la cantilène du brancardier blessé
Le sol est blanc la nuit l’azure Saigne la crucifixion Tandis que saigne la blessure Du soldat de Promission
Un chien jappait l’obus miaule La lueur muette a jailli À savoir si la guerre est drôle Les masques n’ont pas tressailli
Mais quel fou rire sous le masque Blancheur éternelle d’ici Où la colombe porte un casque Et l’acier s’envole aussi
Je suis seul sur le champ de bataille Je suis la tranchée blanche le bois vert et roux L’obus miaule Je te tuerai Animez-vous fantassins à passepoil jaune Grands artilleurs roux comme des taupes
Bleu-de-roi comme les golfes méditerranéens Veloutés de toutes les nuances du velours Ou mauves encore ou bleu-horizon comme les autres Ou déteints Venez le pot en tête Debout fusée éclairante Danse grenadier en agitant tes pommes de pin Alidades des triangles de visée pointez-vous sur les lueurs Creusez des trous enfants de 20 ans creusez des trous Sculptez les profondeurs Envolez-vous essaims des avions blonds ainsi que les avettes
Moi l’horizon je fais la roue comme un grand Paon Écoutez renaître les oracles qui avaient cessé Le grand Pan est ressuscité Champagne viril qui émoustille la Champagne Hommes faits jeunes gens Caméléon des autos-canons Et vous classe 16 Craquements des arrivées ou bien floraison blanche dans les cieux J’était content pourtant ça brûlait la paupière Les officiers captifs voulaient cacher leurs noms OEil du Breton blessé couché sur la civière Et qui criait aux morts aux sapins aux canons Priez pour moi Bon Dieu je suis le pauvre Pierre
Boyaux et rumeur du canon Sur cette mer aux blanches vagues Fou stoïque comme Zénon Pilote du coeur tu zigzagues
Petites forêts de sapins La nichée attend la becquée Pointe-t-il des nez de lapins Comme l’euphorbe verruquée
Ainsi que l’euphorbe d’ici Le soleil à peine boutonne Je l’adore comme un Parsi Ce tout petit soleil d’automne
Un fantassin presque un enfant Bleu comme le jour qui s’écoule Beau comme mon coeur triomphant Disait en mettant sa cagoule
Tandis que nous n’y sommes pas Que de filles deviennent belles Voici l’hiver et pas à pas Leur beauté s’éloignera d’elles
Ô Lueurs soudaines des tirs Cette beauté que j’imagine Faute d’avoir des souvenirs Tire de vous son origine
Car elle n’est rien que l’ardeur De la bataille violente Et de la terrible lueur Il s’est fait une muse ardente
Il regarde longtemps l’horizon Couteaux tonneaux d’eaux Des lanternes allumées se sont croisées Moi l’horizon je combattrai pour la victoire
Je suis l’invisible qui ne peut disparaître Je suis comme l’onde Allons ouvrez les écluses que je me précipite et renverse tout
Désir
Désir:
Mon désir est la région qui est devant moi Derrière les lignes boches Mon désir est aussi derrière moi Après la zone des armées
Mon désir c’est la butte du Mesnil Mon désir est là sur quoi je tire De mon désir qui est au-delà de la zone des armées Je n’en parle pas aujourd’hui mais j’y pense
Butte du Mesnil je t’imagine en vain Des fils de fer des mitrailleuses des ennemis trop sûrs d’eux Trop enfoncés sous terre déjà enterrés
Ca ta clac des coups qui meurent en s’éloignant
En y veillant tard dans la nuit Le Decauville qui toussote La tôle ondulée sous la pluie Et sous la pluie ma bourguignotte
Entends la terre véhémente Vois les lueurs avant d’entendre les coups Et tel obus siffler de la démence Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût
Je désire Te serrer dans ma main Main de Massiges Si décharnée sur la carte
Le boyau Goethe où j’ai tiré J’ai tiré même sur le boyau Nietzsche Décidément je ne respecte aucune gloire Nuit violente et violette et sombre et pleine d’or par moments Nuits des hommes seulement
Nuit du 24 septembre Demain l’assaut Nuit violente ô nuit dont l’épouvantable cri profond devenait plus intense de minute en minute Nuit qui criait comme une femme qui accouche Nuit des hommes seulement
Lueurs des tirs – Fusée
Fusée:
Fusée
La boucle des cheveux noirs de ta nuque est mon trésor Ma pensée te rejoint et la tienne la croise Tes seins sont les seuls obus que j’aime Ton souvenir est la lanterne de repérage qui nous sert à pointer la nuit
En voyant la large croupe de mon cheval j’ai pensé à tes hanches
Voici les fantassins qui s’en vont à l’arrière en lisant un journal
Le chien du brancardier revient avec une pipe dans sa gueule
Un chat-huant ailes fauves yeux ternes gueule de petit chat et pattes de chat
Une souris verte file parmi la mousse
Le riz a brûlé dans la marmite de campement Ça signifie qu’il faut prendre garde à bien des choses
Le mégaphone crie Allongez le tir
Allongez le tir amour de vos batteries
Balance des batteries lourdes cymbales Qu’agitent les chérubins fous d’amour En l’honneur du Dieu des Armées
Un arbre dépouillé sur une butte
Le bruit des tracteurs qui grimpent dans la vallée
Ô vieux monde du XIXe siècle plein de hautes cheminées si belles et si pures
Virilités du siècle où nous sommes Ô canons
Douilles éclatantes des obus de 75 Carillonnez pieusement
Dans l'abri-caverne
Dans l'abri-caverne:
Dans l’abri-caverne
Je me jette vers toi et il me semble aussi que tu te jettes vers moi Une force part de nous qui est un feu solide qui nous soude Et puis il y a aussi une contradiction qui fait que nous ne pouvons nous apercevoir En face de moi la paroi de craie s’effrite Il y a des cassures De longues traces d’outils traces lisses et qui semblent être faites dans de la stéarine Des coins de cassures sont arrachés par le passage des types de ma pièce Moi j’ai ce soir une âme qui s’est creusée qui est vide On dirait qu’on y tombe sans cesse et sans trouver de fond Et qu’il n’y a rien pour se raccrocher Ce qui y tombe et qui y vit c’est une sorte d’êtres laids qui me font mal et qui viennent de je ne sais où Oui je crois qu’ils viennent de la vie d’une sorte de vie qui est dans l’avenir dans l’avenir brut qu’on n’a pu encore cultiver ou élever ou humaniser Dans ce grand vide de mon âme il manque un soleil il manque ce qui éclaire C’est aujourd’hui c’est ce soir et non toujours Heureusement que ce n’est que ce soir Les autres jours je me rattache à toi Les autres jours je me console de la solitude et de toutes les horreurs En imaginant ta beauté Pour l’élever au-dessus de l’univers extasié Puis je pense que je l’imagine en vain Je ne la connais par aucun sens Ni même par les mots Et mon goût de la beauté est-il donc aussi vain Existes-tu mon amour Ou n’es-tu qu’une entité que j’ai créée sans le vouloir Pour peupler la solitude Es-tu une de ces déesses comme celles que les Grecs avaient douées pour moins s’ennuyer Je t’adore ô ma déesse exquise même si tu n’es que dans mon imagination
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Ven 20 Déc 2013 - 18:01
Si je mourais là-bas sur le front de l'armée Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt Un obus éclatant sur le front de l'armée Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace Couvrirait de mon sang le monde tout entier La mer les monts les vals et l'étoile qui passe Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace Comme font les fruits d'or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant dans toutes choses Je rougirais le bout de tes jolis seins roses Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde Donnerait au soleil plus de vive clarté Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde Un amour inouï descendrait sur le monde L'amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie - Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur - Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô mon unique amour et ma grande folie La nuit descend On y pressent Un long destin de sang
Guillaume APOLLINAIRE, Poèmes à Lou
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Apollinaire Sam 21 Déc 2013 - 7:14
Guillaume Apollinaire, deux poèmes tirés d' Alcools cette fois-ci, avec cet anxieux Chef de section, contrebalancé (et c'est très caractéristique d'Apollinaire) par la sensualité obtenue par l'emploi du mot bouche à sept reprises en dix vers, et de celui-ci d'amour, qui semble tomber comme un cheveu sur la soupe, mais vient arrondir, adoucir l'ensemble:
Chef de section
Chef de section:
Chef de section
Ma bouche aura des ardeurs de géhenne Ma bouche te sera un enfer de douceur et de séduction Les anges de ma bouche trôneront dans ton cœur Les soldats de ma bouche te prendront d'assaut Les prêtres de ma bouche encenseront ta beauté Ton âme s'agitera comme une région pendant un tremblement de terre Tes yeux seront alors chargés de tout l'amour qui s'est amassé dans les regards de l'humanité depuis qu'elle existe Ma bouche sera une armée contre toi une armée pleine de disparates Variée comme un enchanteur qui sait varier ses métamorphoses L'orchestre et les chœurs de ma bouche te diront mon amour Elle te le murmure de loin Tandis que les yeux fixés sur la montre j'attends la minute prescrite pour l'assaut
Et ce "Chevaux de frise" qui développe encore ces thèmes amour-mort, et obus-fleurs (de mort), avec cette variante obus-pluie de larmes magnifiques. Apollinaire parfait le tableau en y adjoignant les arbres-chevaux, le mélange arbres déchiquetés-barbelés-neige qui met des fleurs qui est, ce n'est que mon avis, une trouvaille magnifique. Ce Chevaux de frise est un exemple de plus, si vous n'en êtes pas convaincus, de la délicatesse la plus exquise dans la barbarie mortifère la plus brutale, et de la rencontre de la beauté dans la laideur la plus inhumaine, tout l'art du chansonnier du mal-aimé, tel que je tente de vous l'illustrer par ces quelques poèmes de guerre. Si l'on garde bien ça en tête, on comprend -ça vire même à l'évidence- pourquoi tant les surréalistes que les poètes qui ont suivi, et jusqu'à nos jours, le tiennent en si haute estime. Parce que c'est pour cette raison, pour ce fond-là bien davantage que pour l'écriture-dessin "en calligrammes", que pour les vers libres, que pour l'absence de ponctuation - ces trois derniers éléments, ceux qu'on retient peut-être en premier de Guillaume Apollinaire, n'étant que de l'ordre de la forme.
Le poète n'a pas survécu à la guerre de 14-18. Mort de la grippe espagnole le 9 novembre 1918, il est enterré, ironie du sort, deux jours après, soit le jour même de l'armistice, le 11 novembre 1918.
Chevaux de frise
Chevaux de frise:
Chevaux de frise
Pendant le blanc et nocturne novembre Alors que les arbres déchiquetés par l'artillerie Vieillissaient encore sous la neige Et semblaient à peine des chevaux de frise Entourés de vagues de fils de fer Mon cœur renaissait comme un arbre au printemps Un arbre fruitier sur lequel s'épanouissent Les fleurs de l'amour
Pendant le blanc et nocturne novembre Tandis que chantaient épouvantablement les obus Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient Leurs mortelles odeurs Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine La neige met de pâles fleurs sur les arbres Et toisonne d'hermine les chevaux de frise Que l'on voit partout Abandonnés et sinistres Chevaux muets Non chevaux barbes mais barbelés Et je les anime tout soudain En troupeau de jolis chevaux pies Qui vont vers toi comme de blanches vagues Sur la Méditerranée Et t'apportent mon amour Roselys ô panthère ô colombes étoile bleue Ô Madeleine Je t'aime avec délices Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches Si je pense à ta bouche les roses m'apparaissent Si je songe à tes seins le Paraclet descend Ô double colombe de ta poitrine Et vient délier ma langue de poète Pour te redire Je t'aime Ton visage est un bouquet de fleurs Aujourd'hui je te vois non Panthère Mais Toutefleur Et je te respire ô ma Toutefleur Tous les lys montent en toi comme des cantiques d'amour et d'allégresse Et ces chants qui s'envolent vers toi M'emportent à ton côté Dans ton bel Orient où les lys Se changent en palmiers qui de leurs belles mains Me font signe de venir La fusée s'épanouit fleur nocturne Quand il fait noir Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses De larmes heureuses que la joie fait couler Et je t'aime comme tu m'aimes Madeleine
shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Sam 21 Déc 2013 - 11:09
Voilà rapatriés les messages de Sigismond et bix à propos des poèmes de guerre d'Apollinaire. Bonne lecture !
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Dim 22 Déc 2013 - 8:59
Pablo Picasso, Apollinaire blessé (1916)
Dans L'assassin, poème de guerre, Apollinaire "définit", à moins qu'il ne se contente d'illustrer, le terme "alcools" qui intitule l'un de ses recueils les plus connus:
L'assassin:
Citation :
L'assassin
Chaque matin quand je me lève Une femme se dresse devant moi Elle ressemble à tout ce qu'hier J'ai vu de l'univers
Le jour d'avant j'ai pénétré Dans cette chevelure Forêt profonde forêt obscure Où poussent et s'entrelacent Les branches de mes pensées Et aux usines de la face Ô mon ennemie matinale On fondait et façonnait hier Tous les métaux de mes paroles
Et dans ses poings qui la défendent Masses de fonte impitoyables Je reconnais je reconnais Les marteaux-pilons De ma volonté
MON ALAMBIC vos yeux ce sont mes ALCOOLS Et votre voix m'enivre ainsi qu'une eau-de-vie Des clartés d'astres saouls aux monstreux faux cols Brûlaient votre ESPRIT sur ma nuit inassouvie
JE suis au bord de l'océan sur une plage, Fin d'été : je vois fuir les oiseaux de passage. Les flots en s'en allant ont laissé des lingots : Les méduses d'argent. Il passe des cargos Sur l'horizon lointain et je cherche ces rimes Tandis que le vent meurt dans les pins maritimes.
Je pense à Villequier ' arbres profonds et verts ' La Seine non pareille aux spectacles divers L'Église les tombeaux et l'hôtel des pilotes Où flotte le parfum des brunes matelotes. Les noirceurs de mon âme ont bien plus de saveur.
Et le soleil décline avec un air rêveur Une vague meurtrie a pâli sur le sable Ainsi mon sang se brise et mon cœur misérable Y déposant auprès des souvenirs noyés L'échouage vivant de mes amours choyés.
L'océan a jeté son manteau bleu de roi Il est sauvage et nu maintenant dans l'effroi De ce qui vit. Mais lui défie à la tempête Qui chante et chante et chante ainsi qu'un grand poète.
La nuit descend comme une fumée rabattue Je suis triste ce soir que le froid sec rend triste Les soldats chantent encore avant de remonter
Et tels qui vont mourir demain chantent ainsi que des enfants D'autres l'air sérieux épluchent des salades J'attends de nouveaux poux et de neuves alertes J'espère tout le courage qu'il faut pour faire son devoir J'attends la banquette de tir J'attends le quart nocturne J'attends que monte en moi la simplicité de mes grenadiers J'attends le grog à la gnole Qui nous réchauffe Dans les tranchées La nuit descend comme une fumée rabattue Les lièvres et les hases bouquinent dans les guérets
La nuit descend comme un agenouillement Et ceux qui vont mourir demain s'agenouillent Humblement L'ombre est douce sur la neige La nuit descend sans sourire Ombre des temps qui précède et poursuit l'avenir
Peut-être soupirerez-vous à l'unisson à la lecture de ces "Soupirs du servant de Dakar" (Calligrammes):
Les soupirs du servant de Dakar:
Citation :
Les soupirs du servant de Dakar
C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier Auprès des canons gris tournés vers le nord Que je songe au village africain Où l’on dansait où l’on chantait où l’on faisait l’amour Et de longs discours Nobles et joyeux
Je revois mon père qui se battit Contre les Achantis Au service des Anglais Je revois ma soeur au rire en folie Aux seins durs comme des obus Et je revois Ma mère la sorcière qui seule du village Méprisait le sel Piler le millet dans un mortier Je me souviens du si délicat si inquiétant Fétiche dans l’arbre Et du double fétiche de la fécondité Plus tard une tête coupée Au bord d’un marécage Ô pâleur de mon ennemi C’était une tête d’argent Et dans le marais C’était la lune qui luisait
C’était donc une tête d’argent Là-haut c’était la lune qui dansait C’était donc une tête d’argent Et moi dans l’antre j’étais invisible C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde Similitudes Pâleurs Et ma soeur Suivit plus tard un tirailleur Mort à Arras
Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l’évêque Si doux si doux avec ma mère De beurre de beurre avec ma soeur C’était dans une petite cabane Moins sauvage que notre cagnat de canonniers-servants J’ai connu l’affût au bord des marécages Où la girafe boit les jambes écartées J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste Le Village Viole les femmes Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute J’ai porté l’administrateur des semaines De village en village En chantonnant
Et je fus domestique à Paris Je ne sais pas mon âge Mais au recrutement On m’a donné vingt ans Je suis soldat français on m’a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir Pourquoi ne pas danser et discourir Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses Sous la tempête métallique Je me souviens d’un lac affreux Et de couples enchaînés par un atroce amour Une nuit folle Une nuit de sorcellerie Comme cette nuit-ci Où tant d’affreux regards Éclatent dans le ciel splendide
Parmi ses oeuvres de guerre, Apollinaire signe aussi ce naïf (ou pseudo-naïf) triptyque, nommé Le brigadier marqué, Le pas de l'embusqué et Sans titre .
Enfin, il existait autrefois une biographie ancienne d'Apollinaire, qui débutait très plaisamment ainsi:
Citation :
Guillaume, né le jour de la Saint-Apollinaire, de père inconnu et de mère ne l'ayant pas reconnu...
Ce qui est tout à fait charmant mais très inexact, si on ne sait qui est son père, il a vécu auprès de sa mère et la Saint-Apollinaire se fête le 5 octobre, or Guillaume naît un 25 août.
Je profite de l'occasion, en signalant ce site dédié à Apollinaire, manière terminer ce message hétéroclite: Site dit officiel de Guillaume Apollinaire
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: Guillaume Apollinaire Mer 25 Déc 2013 - 20:29
Quelques poèmes de guerre furent calligrammés par Apollinaire.
Très connue,
La colombe poignardée et le jet d'eau:
Il y a bien dû y avoir quelques personnes pour étudier l'eau (pluie, jet d'eau, etc...) dans l'oeuvre d'Apollinaire, l'eau (la pluie) est bien présente dans 2ème canonnier conducteur, orné de calligrammes de canon, botte, bock, tour Eiffel et bouteille:
A ce propos et hors thème de la guerre, Il pleut est peut-être l'un de ses calligrammes les plus subtils, pas loin d'être mon préféré en tous cas:
Il pleut
Tout ceci bien sûr pour vous amener à écoute s'il peut écoute s'il pleut, contenu dans le poème calligrammé Du coton dans les oreilles.
Comme avec Du coton dans les oreilles (passage d'écoute s'il pleut écoute s'il pleut, le périscope...), à propos de fumées, on peut parler d'écriture calligrammique, puisque se découpe la pipe de l'agencement du poème:
Fumées
(NB: le tabac "de zone", aussi appelé tabac de cantine, se distribuait à raison de cent grammes tous les sept jours aux combattants)
Visée est aussi "parlant" graphiquement que peut l'être Il pleut ou Fumées. Apollinaire était agent de liaison, et portait donc messages et consignes à travers les unités combattantes, principalement l'artillerie.
Visée
Allez, un petit dernier calligramme de guerre pour clore le message !
la mandoline l'oeillet et le bambou
En rappelant ce que Guillaume Apollinaire lui-même disait de la technique du calligramme, dans une lettre à André Billy:
Citation :
Quant aux Calligrammes, ils sont une idéalisation de la poésie vers-libriste et une précision typographique à l'époque où la typographie termine brillamment sa carrière, à l'aurore de moyens nouveaux de reproduction que sont le cinéma et le phonographe.
Un siècle plus tard il semble pourtant, cher poète, que tant la littérature que la poésie typographiées n'ont pas encore imprimé leur dernier mot !