Paul Nizan

Antoine Bloyé

Carrément beau.
Où Nizan nous montre à voir que le plus bel âge de la vie reste à définir.
Antoine Bloyé, une vie à cheval sur les XIX et XXèmes siècles, illusions et désillusions d’un homme révélatrices dune époque.

Parfait parcours d’un enfant d’ouvrier, sorti du lot par le travail, encore le travail, marié, père de famille , arrivé. Mais arrivé où ? Les failles souterraines sont là, creusant leurs galeries de mélancolie et de désespoir. La façade est splendide mais cache des interrogations qui s’insinuent d’abord discrètement, pour s’épanouir en gouffres béants. La tragédie de la réussite, quand elle trahit l’homme qu’elle est sensée porter, dans une société qui n’ a pas fini de se venger. Nos choix ne sont ils pas des renoncements perpétuels ?

Et puis il y a la langue, sérieuse, noble. Puissante. L’impression d’une densité intense où chaque mot est utile, chaque phrase signifiante. Sans concession, comme le message de l’auteur. Des pages entières qu’on a envie de relire à haute voix, d’une perfection formelle qui remue.




Petite question à ceux qui ont lu Zola: quel parallèle entre les deux auteurs?

Merci pour ton petit commentaire qui confirme la place d'Antoine Bloyé dans ma LAL.

Pas facile le parallèle avec Zola, surtout que j'en ai peu lu et "assez loin" maintenant, mais je vais tout de même tenter mon ébauche de réponse des fois que d'autres viennent rectifier.

Les deux ont un œil social, les deux expriment un engagement qu'on peut dire humaniste. Question de génération ? Si Zola me laisse le souvenir d'une grande description avec ses grandes misères il m'apparait comme spectateur. Nizan est plus sec et plus sur l'action, il est sans doute politique, bizarrement c'est dans sa froideur, par ses tendances abrasives avec lesquelles il ne s'épargne pas qu'on le sent présent.

C'est différent mais s'ils avaient cohabité auraient ils été si différents, c'est la question mystère, le poids de l'histoire et du changement des manières, je crois.

Malgré tout l'implication et la lucidité de Nizan font fuir toute idée de spectacle édifiant (ce qui n'empêche pas les démonstrations mais pas par un spectacle), j'ai des souvenirs de l'Assommoir très vivants très imbibés très dessinés, une approche différente de ce qu'on peut chercher de factuel chez ces deux auteurs ?


Content de lire tes impressions sur ce livre et cet auteur que je n'arrive pas à oublier.

Merci pour ces pistes. Ca serait intéresasnt en effet d'avoir d'autres avis. Quand même Nizan me tente plus que Zola. Cette vision sombre des choses qu'il a s’oppose à la beauté profonde du texte.

Quelques extraits d'Antoine Bloyé:

Citation :

Ainsi Antoine commence à éprouver, maladroitement encore ce soir-là, ainsi à la porte de la maison, que le monde dans lequel ses études le poussent, où l'entraîne une naïve ambition est assez loin du monde où depuis leur jeunesse otn vécu ses parents, et sent un commencement de séparation, il n'est plus exactement de leur sang et de leur condition, il souffre déjà comme d’un adieu, comme d'une infidélité sans retour.

Citation :

Anne Guyader appartenait à un tout autre univers sentimental que Marcelle : Antoine se demandait sans beaucoup de clarté dans les idées, si l’ardent royaume des femmes sans avenir et sans caution n'était pas d'un plus grand prix pour un homme que les douceurs virginales, les chastes conspirations des vertus bourgeoises.

Citation :

La vie est ainsi, un soir dans l'hiver. La lampe charbonne, sous son abat-jour de papier glacé couleur vert d’eau. On mourra, mais on a des fils : après tout il n'y a pas lieu de regretter d'être un homme et de vivre…

Citation :

Quand Anne lui demande s’il se trouve heureux, il répond qu'il l’est, à peine y a-t-il dans un recoin de sa personne une résistance, une petite force de protestation et d'angoisse solitaire qui est écrasée sous les tissus de l'homme social et qui ne demande qu'à grandir, qui ne peut pas mourir : c'est à cause d'elle qu'Antoine attend toujours une seconde avant de répondre qu'il est heureux de. Car il faut qu’il l’écarte… Lorsqu'elle est écartée, il se voit enfin du même regard que les autres hommes, il s'approuve comme ils l'approuvent et il étend les bras à droite et à gauche dans l'espace de sa journée, comme un être agréable à la terre. Le soleil est pour lui à mi-course : il est comme éternellement suspendu à une place nuageuse de l'été où il ne déclinera plus.
Le soleil déclinera.