Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Parfum de livres… parfum d’ailleurs

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 Henry Bauchau [Belgique]

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monilet
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyLun 1 Oct 2012 - 20:05


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Maintenant et toute la semaine à 20h, France Culture, Henry Bauchau.
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyLun 1 Oct 2012 - 22:00

Merci Monilet de cette information. Je vais écouter ces émissions.

Je n'ai pas assez de mots pour exprimer mon désarroi devant la disparition de ce "compagnon d'âme". De l'avoir cru immortel sans doute me laisse désemparée. Je pense à l'instant à une citation de René Char :

" Si nous habitons un éclair, il est le coeur de l'éternel".

Je crois que pour moi Henry Bauchau est le coeur de l'éternel.
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Esperluette
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyVen 5 Oct 2012 - 12:32

Je suis devant un paradoxe troublant : les livres d’Henry Bauchau me parlent et me touchent aime et je constate, désolée confused que je n’arrive pas à trouver les mots justes pour en parler. Embarassed

Son écriture itinérante entre poésie mythique et prose où le rêve côtoie une réalité universelle me bouleverse et trouve un fort écho en moi. Qu’il s’agisse de L’enfant bleu, d’Œdipe sur la route, d’Antigone, ces trois livres réussissent à évoquer l’art à travers la mythologie ou l’inverse, et pas uniquement. Son écriture et son œuvre est d’une telle richesse que je ne peux être que démunie.

Mais je pense avoir trouvé enfin une piste, pour tenter une approche à travers la figure du labyrinthe qui est un thème récurrent dans son œuvre.

Wink
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyVen 5 Oct 2012 - 17:18

Esperluette a écrit:
Je suis devant un paradoxe troublant : les livres d’Henry Bauchau me parlent et me touchent aime et je constate, désolée confused que je n’arrive pas à trouver les mots justes pour en parler. Embarassed

Son écriture itinérante entre poésie mythique et prose où le rêve côtoie une réalité universelle me bouleverse et trouve un fort écho en moi. Qu’il s’agisse de L’enfant bleu, d’Œdipe sur la route, d’Antigone, ces trois livres réussissent à évoquer l’art à travers la mythologie ou l’inverse, et pas uniquement. Son écriture et son œuvre est d’une telle richesse que je ne peux être que démunie.

Mais je pense avoir trouvé enfin une piste, pour tenter une approche à travers la figure du labyrinthe qui est un thème récurrent dans son œuvre.

Wink

Ne sois pas désolée, ce que tu dis là, c'est déjà pas si mal... content
La difficulté vient peut-être, je le ressens aussi, qu'il y a beaucoup à lire entre ses lignes...Il doit y avoir comme une intimité, une proximité, une affinité très personnelle qui se crée, ou non, entre Henry Bauchau et son lecteur.
J'ai l'impression qu'il me parle au passé... mais aussi du présent...et pour l'avenir...
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tina
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyVen 5 Oct 2012 - 18:32

Son récit totalement atemporel prend la force du mythe et c'est cela qui est virtuose. Limite s'il y a pas une force prophétique dans ses livres.
J'ai presque fini mes 2 lectures simultanées d'Oedipe et d'Antigone.
Des tas d'horizons s'ouvrent.
Une écriture quintessenciée, dont il est très dur de parler. Je tenterai peut-être sur ce fil, pas sûr, je capitule aussi face à un tel talent.
D'ailleurs, après cela, je reprends Sophocle et Anouilh, car Bauchau m'a fait redécouvrir complètement Oedipe. J'étais passée à côté de beaucoup de choses il y a quelques années.

Coline parlait de "bonheur" pour cette lecture là. Terme juste et qui dit tout.
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coline
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyVen 5 Oct 2012 - 19:18

tina a écrit:
Son récit totalement atemporel prend la force du mythe et c'est cela qui est virtuose. Limite s'il y a pas une force prophétique dans ses livres.
J'ai presque fini mes 2 lectures simultanées d'Oedipe et d'Antigone.
Des tas d'horizons s'ouvrent.
Une écriture quintessenciée, dont il est très dur de parler. Je tenterai peut-être sur ce fil, pas sûr, je capitule aussi face à un tel talent.
D'ailleurs, après cela, je reprends Sophocle et Anouilh, car Bauchau m'a fait redécouvrir complètement Oedipe. J'étais passée à côté de beaucoup de choses il y a quelques années.

Coline parlait de "bonheur" pour cette lecture là. Terme juste et qui dit tout.

Comme c'est juste aussi ce que tu dis!
Il faudrait au moins ne pas passer à côté d' Oedipe sur la route et d'Antigone...
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyVen 5 Oct 2012 - 22:19

coline a écrit:
Esperluette a écrit:
Je suis devant un paradoxe troublant : les livres d’Henry Bauchau me parlent et me touchent aime et je constate, désolée confused que je n’arrive pas à trouver les mots justes pour en parler. Embarassed

Son écriture itinérante entre poésie mythique et prose où le rêve côtoie une réalité universelle me bouleverse et trouve un fort écho en moi. Qu’il s’agisse de L’enfant bleu, d’Œdipe sur la route, d’Antigone, ces trois livres réussissent à évoquer l’art à travers la mythologie ou l’inverse, et pas uniquement. Son écriture et son œuvre est d’une telle richesse que je ne peux être que démunie.

Mais je pense avoir trouvé enfin une piste, pour tenter une approche à travers la figure du labyrinthe qui est un thème récurrent dans son œuvre.

Wink

Ne sois pas désolée, ce que tu dis là, c'est déjà pas si mal... content
La difficulté vient peut-être, je le ressens aussi, qu'il y a beaucoup à lire entre ses lignes...Il doit y avoir comme une intimité, une proximité, une affinité très personnelle qui se crée, ou non, entre Henry Bauchau et son lecteur.
J'ai l'impression qu'il me parle au passé... mais aussi du présent...et pour l'avenir...

Oui parfaitement Coline. Henry Bauchau a vraiment le don d'entrer en résonance avec son lecteur.
Il arrive effectivement à rendre par exemple Oedipe tellement proche de nous tout en gardant sa dimension mythique.
Je vais revenir sur cette figure du labyrinthe et certainement dévier à un moment ou un autre.

tina a écrit:
Son récit totalement atemporel prend la force du mythe et c'est cela qui est virtuose. Limite s'il y a pas une force prophétique dans ses livres.
J'ai presque fini mes 2 lectures simultanées d'Oedipe et d'Antigone.
Des tas d'horizons s'ouvrent.
Une écriture quintessenciée, dont il est très dur de parler. Je tenterai peut-être sur ce fil, pas sûr, je capitule aussi face à un tel talent.
D'ailleurs, après cela, je reprends Sophocle et Anouilh, car Bauchau m'a fait redécouvrir complètement Oedipe. J'étais passée à côté de beaucoup de choses il y a quelques années.

Coline parlait de "bonheur" pour cette lecture là. Terme juste et qui dit tout.

Oui Tina, c'est toute la difficulté de parler de l'écriture de Bauchau. Lui-même disait qu'il avait besoin de retravailler ses récits. Je tenterai aussi de parler d'Oedipe et Antigone, à plusieurs, nous allons bien réussir à évoquer l'aura qui se dégage de son oeuvre.
J'ai pensé capitulé aussi mais je crois qu'il est nécessaire de laisser mûrir notre réflexion.

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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyMar 9 Oct 2012 - 18:34

Ainsi dans L’enfant bleu, Véronique, la « psycho-prof-un-peu-docteur » d’Orion a soudain une illumination lorsqu’elle tente de calmer son patient alors en pleine crise.

L'extrait se situe au début et j’aime imaginer qu’il est là comme un symbole. Bauchau entraîne son lecteur dans son roman comme dans un labyrinthe : nous progressons dans la découverte du personnage d’Orion pas à pas, en revenant sur nos propres démarches en l’accompagnant, mais aussi à travers nos propres parcours intérieurs. Ainsi en chacun de nous réside un petit labyrinthe intérieur qui coïncide ou non avec le labyrinthe de nos vies.

Le voici :

Citation :
« Orion s’affole de plus en plus, moi aussi, c’est à ce moment que e me rappelle l’intérêt qu’il a manifesté pour des images de labyrinthes, que je lui ai montrées. Je crie presque : "Un labyrinthe, Orion, dessine un labyrinthe !" Ce mot semble l'atteindre de plein fouet. Il arrête de sauter, il me voit, ce qui l’apaise. Je ramasse sa chaise, il s’assied devant sa table, voit son papier, ses crayons. Je n’ai plus peur, je répète : « Fais un labyrinthe !
- Comment ?
- Comme tu les aimes. Toi tu dessines les contours en noir et je t’aiderai à mettre les couleurs où tu me diras. »
Il regarde le rectangle blanc du papier, le mot labyrinthe le travaille, le fascine. Il prend un gros crayon noir, écrit le mot : entrée à gauche, puis se met à tracer très vite des voies complexes qui vont vers le centre ou d'un côté à l'autre de son dessin. Penché sur le papier, il est totalement absorbé par son travail et ne semble plus avoir conscience de ma présence. Pourtant, relevant les yeux, il me dit : « tu mets du rouge, tout autour, comme un cadre. Ne déborde pas sur mon dessin ! »
C’est un ordre, c’est lui le maître maintenant et je suis son élève. Je prends un gros crayon et, en face de lui pour ne pas le gêner, je commence à faire un cadre rouge. Je suis étonnée de la rapidité et de la sûreté de son dessin pourtant très sinueux. Je vois naître sous mes yeux un vrai labyrinthe, encore obscur pour moi mais au parcours clair et assuré pour lui.
A droite du labyrinthe, il écrit : SORTIE.
Je regarde l’heure, il a fait ce dessin en cinquante minutes. Je n’en reviens pas (…)."


L’enfant Bleu. Actes Sud. Babel. p. 33 à 34.

Ce passage comme tant d’autres illustre la formidable énergie qui se dégage du travail de Véronique. Sa force intérieure la guide et la conduit à proposer à Orion une solution qui semble dicter par l’inconscient et tout l’intérêt réside en fait dans ce mince fil que nous entretenons tous ensemble. Il suffit de peu pour qu’il ne casse mais le lecteur sent entre ces deux personnages un lien très fort et respectueux. On a l’impression que tous deux veillent l’un sur l’autre, qu’une forte complicité les unit que tous deux une fois plongés dans l’univers de l’art oublient la réalité et sont entraînés par une sorte de folie qui les pousse en avant et conduit Orion pas à pas dans sa guérison ou plutôt dans son émancipation dans sa réconciliation avec ses démons, les apprivoiser pour en faire l’œuvre de sa vie à travers le dessin, la peinture ou la sculpture.

Cette figure m’interpelle puisque le roman Œdipe sur la route qui semble structuré comme un labyrinthe évoque également le mythe du Minotaure et du labyrinthe. En y réfléchissant, le récit est pris en charge par plusieurs narrateurs qui viennent éclairer le parcours d’Œdipe d’une autre dimension.

Je vois dans ce labyrinthe une façon de lier l’art à l’écriture, la dimension mythologique à la création artistique et littéraire et en même temps nous sommes englobés dans une vaste référence symbolique. Henry Bauchau nous invite peut-être à trouver notre chemin intérieur comme il a pu le trouver en exerçant différents métiers au cours de sa vie.

J’ai encore des pistes à explorer : notamment avec le personnage de Véronique !
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyDim 14 Oct 2012 - 21:26

Pour revenir au personnage de Véronique et à son travail avec Orion, j’ai été particulièrement sensible à sa façon d’encourager son patient à persévérer en lui prescrivant chaque semaine un dessin à réaliser. Elle l’incite ainsi à donner forme à son imaginaire, à passer de l’invisible au visible. En l’accompagnant au quotidien de sa présence bienveillante, encourageante et rassurante, elle accomplit une tâche difficile mais au cours de laquelle elle parviendra à amener Orion à trouver sa voie.

Je mets un extrait qui montre qu’Orion a perçu la grande qualité d’écoute de Véronique en réalisant un dessin intitulé « Le monstre à genoux ». A travers les lignes qui vont suivre, Bauchau montre au lecteur le lien étroit qui s’est tissé entre le patient et sa thérapeute.

Citation :
Je vois des lignes pleines d’angle et de défenses s’élaborer. Orion plonge dans le travail comme on s’enfonce dans le sommeil. Il n’a plus besoin de moi, je descends chez nos voisines pour voir – car il ne me reste rien - si je ne trouverais pas chez elles un peu de jus d’orange et des biscuits pour le dîner d’Orion.
(..)

Son travail a bien avancé. Il y a déjà sur la feuille un monstre qui se cache. Le corps n’est qu’un tracé mais la tête tourne vers nous de grands yeux innocents, effrayés par tout le poids, toute la cruauté que le monde fait peser sur le peuple des handicapés. Ce sont les yeux d’Orion, ceux qui me lient à lui, malgré la colère qui peut les animer ou le délire qui les chavire et les fait tourner dans tous les sens.

« Ses yeux sont très beaux, Orion, tu vois qu’il valait mieux le dessiner que le garder en toi avec tous ses malheurs. »
Il rit : « C’est un monstre pour protéger moi, Madame. »

p.114

« Elle a mis un disque et m’a dit : « tu peux dessiner. On a demandé : Le monstre ? Elle a dit : oui, fais-le. Tu en as de la chance de pouvoir dessiner moi on pouvait seulement quand on était petite … On a d’abord dessiné la tête et le corps ensuite se dessinait presque tout seul. Les cornes et les défenses servent à se défendre contre le démon de Paris et les mauvais coups. Elles servent aussi à être gentil avec le copain… Le copain, c’est moi, mais pas pour commander comme celui de Jasmine.
Jasmine regardait le dessin, on voyait qu’elle aimait. Elle a dit avec les hommes c’est pas si tant facile et que c’est bien d’avoir des défenses. Vers sept heures on a dîné les deux, on a mangé du lapin, après de la glace, on aime ça. On voulait regarder la télé mais elle a dit : Non, continue ! On faisait celle du monstre comme celle d’un éléphant … Les éléphants sont forts, ils n’ont pas besoin d’anges gardiens, ils ne connaissent pas encore le démon surnaturel, mais il va les attraper et les enfermer dans les parcs.
Le monstre a de grandes oreilles….c’est pour effrayer, c’est aussi pour bien écouter comme toi. Il a des défenses sur le dos, quand il y des avalanches ou des ovnis, il les coupe en deux. Le monstre peut se tenir à quatre pattes ou sur deux, pour être plus fort il s’appuie sur sa queue de crocodile…si on reçoit des rayons surnaturels dans la tête, il me met sur son dos entre deux cornes et il me protège. Si une défense casse, elle repousse. On a achevé tout le contour du monstre et on est allé dormir. Le matin Jasmine a dit : Finis ton brouillon, comme ça tu pourras le montrer à ta psychololo. On répond : Moque-toi pas du monstre, il aime pas ça ! Quand les parents sont revenus, Jasmine a montré le monstre…On a vu que ça ne plaisait pas temps à maman, mais Jasmine a dit que c’était très bien. Elle a son bac, Jasmine, et maman seulement le certificat et Jasmine pense qu’elle comprend mieux l’art que maman et papa pense cela aussi, mais il préfère pas trop rien dire…Il n’est pas trop pour la discute, papa. Toi, on était sûr que tu allais aimer le monstre. C’est presque comme s’il y avait un téléphone entre toi et moi. Un téléphone sans se parler.

Fin de la dictée d’angoisse.

Je lui passe le texte de sa dictée, mais il ne veut pas la lire ni la corriger. IL veut que nous regardions ensemble le dessin. La grande tête grise n’a pas du tout l’assurance majestueuse d’une tête d’éléphant. L’innocence de ses grands yeux implore et ses multiples cornes et ses défenses paraissent bien fragiles. Le corps est humain, agenouillé sur les jambes de devant. Les jambes arrière repliées sur elles-mêmes auront-elles la force de soulever la tête énorme et le dos arrondi, hérissé de cornes ? Comment peut-il se lever, marcher, courir ? Il ne peut pas, c’est clair, il ne peut se déplacer que dans un espace restreint, il ne peut que se défendre, mais si ses défenses cassent elles repoussent.
Le monstre est surpris d’être au monde, dans le monde tel qu’on dit qu’il est. Ce n’est pas celui dans lequel il vit, ni celui dans lequel il peut vivre. Comment ne serait-il pas effrayé de ce gouffre, de cette énorme faille entre ces deux mondes où pourtant il lui faut tenter d’exister ? Comment s’étonner qu’il soit surchargé de toutes ces défenses dont il faudra qu’il se délivre, si un jour il en a moins besoin ? Il faut qu’il marche, qu’il prenne la route, mais il est clair qu’il ne pourra vraiment marcher, courir et même voler que dans le domaine imaginaire qui est le sien. Vasco me dirait peut-être que je veux mener Orion plus loin qu’il ne peut, mais ce dessin, si lucide en somme, dément cette crainte qui est aussi la mienne. Je sens avec force que la voie où nous sommes est bien celle d’Orion. Certes, demain je douterai de nouveau, mais la certitude que j’éprouve en cet instant est juste.
Les grandes oreilles du monstre dessinées avec beaucoup plus de douceur et de précision que le reste. Elles ressemblent à trois feuilles superposées, la feuille blanche séparant celle d’un gris très fort d’une autre feuille au gris adouci. Pour Orion, ces oreilles sont les miennes quand je l’écoute. Il perçoit donc obscurément que je ne puis pas l’écouter dans la profondeur analytique. Je ne peux l’écouter ainsi que par instants. Ceux où nous sommes, comme maintenant, deux enfants qui regardent ensemble la même image intérieure.
C’est un instant de bonheur. Il sourit, nous sourions en regardant ce dessin, nous l’aimons pour ce qu’il est dans le présent, pour ce qu’il est dans le présent, pour ce qu’il promet d’être dans l’incertain futur et nous nous écoutons être heureux dans ce qu’il a appelé notre téléphone sans parler.
Il est temps de me rappeler l’heure, d’inscrire sur son cahier les devoirs et les leçons pour la semaine. Avant de mettre le dessin dans le carton qu’il a apporté et qu’il veut manifestement laisser ici, il touche du doigt avec douceur les grandes oreilles du monstre et dit : « Elles sont belles celles-là ! »
Il accomplit avec sa minutie habituelle toutes les formalités du départ. Nous enfermons chacun dans notre boîte personnelle le téléphone sans parler. Il pousse la porte et les deux enfants, qui étaient là, disparaissent.

p.118
« Le monstre est étonnant, dit Douai. Il mêle effroi et douceur. Je suis frappé de la bonté de ses deux grandes oreilles. Est-ce que ce ne serait pas aux vôtres, si patientes, qu’il a pensé ? »
Je suis touchée par ce qu’il me dit et m’aperçois que cet homme, qui approche seulement de la quarantaine, m’a toujours plu sans que j’en prenne conscience. Tout à coup dans la femme que je suis réapparaît celle que j’ai été, qui plaisait aux hommes et qui aimait ça. Celle que j’étais avant les années graves qui sont venues. Nous rions et plaisantons comme une femme et un homme qui se plaisent, bien résolus à ne pas aller plus loin.
Ce sont les belles et larges oreilles du monstre qui ont suscité l’instant inattendu, que nous vivons, Orion a vu en moi la beauté de l’écoute, une beauté à l’écoute comme dit Vasco, et c’est ce qui m’a rendu la confiance que je ressens à nouveau. Je sais que je peux plaire encore, c’est à la surface que ma confiance s’était fanée. Est- ce Orion qui vient de ma la rendre ?
Il est tard, le RER sera bondé si j’attends encore, je quitte Douai, je vois que notre petit échange lui a plu et que nos rapports à l’avenir en seront transformés. Il ne sera plus jamais avec moi le directeur en face d’un membre de son personnel. Grâce à Orion, je ne serai plus seulement une des psys du Centre qu’il dirige mais une femme. Je ne m’engouffre pas dans le métro ce soir, j’y descends comme autrefois, sûre de plaire, avec la certitude de pouvoir d’un sourire provoquer – si je le veux, mais je ne le veux pas – un autre sourire en réponse. »

(p.119)

L'enfant bleu.

Bauchau parvient grâce aux émotions et aux sensations que Véronique éprouve face aux dessins d’Orion à encourager le lecteur à créer mentalement l’image que suscite en lui ses sensations. Ainsi, au-delà du lien très fort entre les deux personnages, se fait un échange entre les réactions sensorielles de Véronique et l’imagination du lecteur. Tout l’art de Bauchau est de parvenir à montrer l’image, comme si le dessin s’insérait dans le texte. Le lecteur assiste à la création du dessin sous ses yeux et se le représente. Chaque lecteur, en fonction de sa propre sensibilité évoquera sa propre perception du dessin réalisé par Orion.

Je crois que ce qui me parle dans l'écriture d'Henry Bauchau est cette fluidité qui permet au lecteur de visualiser les images.
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyLun 15 Oct 2012 - 22:25

J'ai fini les 2 livres de Bauchau sur Oedipe et Antigone, relu Anouilh et Sophocle. Un bonheur sur toute la ligne. Ce mythe est comme une symphonie inachevée et je mesure donc encore plus le talent d'HB.
Demain, je jette un oeil sur Cocteau.

Cela étant, j'avais totalement oublié Sophocle et la fin d'Oedipe, fin d'un initié qui délivre un secret à Thésée. Il y a toute la symbolique habituelle d'un réveil à autre chose (éclairs, tonnerre, lieu saint, ablutions, don d'une parole interdite...) .


LE MESSAGER parlant d'Oedipe : "Sache qu'il a conquis une vie qui ne finit pas".

Le même messager parlant de Thésée, après la mort d'Oedipe : "peu après cependant et presque sans délai, nous l'apercevons qui adore à la fois dans la même prière la Terre et l'Olympe divin."

A propos d'Oedipe : "il n'est pas parti escorté de plaintes, ni dans les souffrances de la maladie, mais en plein miracle, s'il en fut jamais de tel pour un homme".

Bauchau a capté cet aspect là du personnage, tout en le renouvelant (avec le fait d'être aspiré par une fresque en fin de parcours). Comment a t-il pu rendre cet éveil si intime, si proche de nous ? C'est là tout le mystère de Bauchau.

Avec Anouilh, nous restons sur un débat plus terre à terre, je trouve : en gros, l'affrontement Antigone/Créon. Raison d'état/sentiments. C'est édifiant aussi, mais pour moi, c'est vraiment Bauchau qui a capté l'essence d'Oedipe.


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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyMer 17 Oct 2012 - 12:49

Oui, Bauchau arrive à écrire un Oedipe proche de nous tout en conservant sa part de mythe. Il a enrichi ce personnage en lui attribuant également des talents de sculpteur, de conteur proche du chant (je crois qu'on pourrait faire un parallèle avec Homère, notamment avec l'aède).
Je crois qu'il faudrait que je relise Sophocle et Anouilh.
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyMer 17 Oct 2012 - 17:29

J'ai lu Cocteau aussi. Mais je trouve qu'il n' a pas l'altitude d'HB.
C'est plus sommaire et pas poétique.
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyMer 17 Oct 2012 - 21:14

Ah oui, Cocteau, je l'avais presque oublié! Reconnaissons-lui le mérite d'être un des premiers à s'être confronté à ce mythe! Encore un autre à relire pour élargir l'éventail. Bon, il faut que je remette un peu d'ordre dans mes notes!
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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptySam 20 Oct 2012 - 19:47

( Je crois que Gide a aussi écrit son OEdipe mais je n'ai pas lu cette pièce. )

Dans Œdipe sur la route, Henry Bauchau arrive à mêler la dimension mythique d’Œdipe à une approche humaine du personnage. Il s’empare de l’histoire en imaginant ce qu’Œdipe a vécu pendant ses longues années d’errance. Animé par une nécessité intérieure qui le dépasse, Œdipe, aveugle et trébuchant, avance inexorablement sans savoir où il va. Cet aspect est relativement bien rendu et fait écho en chacun de nous : parfois nous avançons de la même manière qu’Œdipe, poussé par une force qui nous dépasse (le destin ?).

Henry Bauchau est parvenu à donner au couple qu’il forme avec Antigone la lumineuse un relief tout en subtilité. Leur relation est tantôt filiale, tantôt fraternelle et bascule parfois dans une relation mère-fils, toujours irradiée par une tendresse et un amour infini.

J’ai eu du mal à choisir des passages pour montrer la force intérieure qui les anime tous deux. Et ce que je trouve impressionnant est l’osmose entre eux. Lorsque l’un est au bord du renoncement, l’autre va jusqu’à puiser en lui ses dernières ressources pour les sublimer et les insuffler à celui qui en a le plus besoin.

Citation :
« Au moment où lui apparaît l’existence, toute son existence à vivre sans lui, elle éprouve une terreur, une douleur intolérables. Elle voudrait crier et n’y parvient pas. Elle découvre en elle une force, une redoutable réserve de force pour faire front aux épreuves qui s’annoncent. Quelque chose de noir et qui devrait lui faire peur est tout proche. Elle rejoint cette forme sombre, elle la soutient car elle est sur le point de tomber. C’est Œdipe, vacillant, et qui n’avance plus qu’à peine. Qui lui souffle : « Si tu n’étais pas là, je fuirais »

Œdipe sur la route, Acte Sud. p.276
Antigone, comme souvent dans le roman, a une sorte de vision et sait qu’elle est sur le point de perdre son père mais elle a toujours su qu’elle aurait la force suffisante pour accepter l’inévitable et utiliser cette puissance prochainement.

Un autre extrait où Œdipe porte au sens propre Antigone :

Citation :
« Il se lève, il lui dit : « Je vais te porter. » Elle le regarde, jamais il n’en aura la force, il est aussi fatigué et affamé qu’elle. Il la charge sans trop d’effort sur son dos, il franchit le ruisseau, entame la première pente. Elle n’y croit pas, il tombe de nouveau, plusieurs fois. Il ne parvient plus à se relever. Elle dit : « Laisse-moi, essaie de trouver du secours ! » Mais lui le fou, continue d’y croire. La face contre terre, haletant, il dit encore de sa voix de commandement : « Nous réussirons ! » Après un long moment d’attente, elle sent naître dans le corps d’Œdipe, jaillir de son désespoir une merveilleuse colère qu'elle, avec ses yeux, peut guider vers le sommet, malgré les pierres qui se dérobent sous ses pieds, malgré les branches et les ronces qui le déchirent. Le corps, le cher corps qui la porte, ne cesse, dans sa colère, de gagner en force et en taille.
Voici qu'il devient immense et que son poids à elle n'est plus rien. C'est le corps d'un géant qui se rue à l'assaut des pentes. Ses épaules dépassent les cimes des arbres, ses mains saisissent les troncs pour se projeter en avant. Quand la montée s'adoucit, il se met à courir, il franchit les obstacles en bondissant très haut. Et c'est elle, elle qui le guide, qui est son regard bien-aimé et qui se retrouve toute petite comme autrefois, toute petite fille, riant du rire aigu qui le pousse en avant, plus vite, toujours plus vite. »

Œdipe sur la route, Acte Sud. p.211

Œdipe, à bout de force, se transforme peu à peu sous nos yeux en géant. Ou bien est-ce les sensations d’Antigone qui est soudain redevenue petite fille sur les épaules de son père et qui le regarde avec ses yeux d’enfant, comme un géant !
Tous deux parviennent dans une sorte de synergie filiale à se transmettre de façon mystérieuse l’énergie nécessaire pour se relever et continuer d’avancer. Elle devient les yeux de son père et lui semble avoir retrouvé sa prestance de jeune père.

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MessageSujet: Re: Henry Bauchau [Belgique]   Henry Bauchau [Belgique] - Page 23 EmptyJeu 1 Nov 2012 - 6:51

J'ai comme lecture du moment " Oedipe sur la route"
J'aime le passage , quand Clios raconte à Oedipe son histoire. On sent que Clios a besoin dese raconter.
Antigone apprends à son tour l'histoire de Clios.

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