Au fil de nos lectures

En lisant L'oeuvre de Jung de Charles Baudouin, page 195.

Citation :

Au reste, sans quitter la seule expérience de Jung, on observera qu'il lui arrive de s'écarter lui-même de Freud dans les deux directions opposées, à partir de cet infantile qui est le champ d'exploration privilégié du maître de Vienne. Naguère en effet, nous l'avons vu, par l'inconscient collectif (chap. II), remonter au-delà de l'infantile vers l'inné et l'ancestral; à présent nous le voyons, dans l'existence même de l'individu, redescendre le cours du temps, de l'infantile vers l'actuel. Entre ces deux mouvements, il n'aperçoit, avec raison, aucune contradiction. Simplement, il s'efforce de décongestionner dans les deux sens le point unique que le microscope freudien lui paraît charger à l'excès.

J'en avais un peu parlé dans les lectures de ce mois. Vous avez maintenant la citation telle qu'elle est esquissée par Charles Baudouin.

Au fond du salon de thé encalminé, dans une pénombre brune d'ambiances surannées où de vieilles rombières, tannées comme des peaux de bête ayant connu les alternances éprouvantes des hivers rudes et des étés caniculaires, font goûter à leur kiki le thé au lait qu'elles ont commandé et que ledit kiki lape avec une indifférence narquoise qui fait peine à voir, estompant dans un nuage blanc les contours de sa gueule stupide d'être sans esprit, Kate Moss feuillette un magazine de mode : l'exhibition sereine de la fausse conscience.

Bruce Bégout, L'accumulation primitive de la noirceur

je rebondis de l'autre fil, cet extrait pourrait me rappeler pourquoi j'ai par contre décroché (et abandonné) très vite Lieu commun.   

et c'est, moi, ce qui me donne envie de découvrir cet auteur...

huhu. qui sait, ça remotivera peut-être les troupes ?

pour faire un parallèle et tenter d'illustrer mon possible blocage, c'est du même ordre d'impression que pour mon expérience avec le Dépaysement de Jean-Christophe Bailly.

Par instinct de conservation, je vous livre cette lecture en vrac :

«Un ami m'a déclaré un jour que Les rédactions de Fritz Kocher étaient peut-être le plus fin, le meilleur de mes livres. Que j'avais tout ce qu'il fallait pour devenir un Dostoïevski, déclare-t-il encore, mais je ne me suis pas trop laissé impressionner. Ce genre de phrases éveille en moi une voix qui me dit qu'il n'est ni nécessaire ni souhaitable de ressembler à un autre écrivain, de se présenter comme un auteur du passé, mais que le plus sain, le plus urgent, c'est de rester paisiblement soi-même. Notre époque hâtive, fébrile, accorde beaucoup trop de considération à ce qui est passé, et nous nous imaginons tous beaucoup trop vivement et trop rapidement que nous n'avons pas grand-chose à offrir.»

Le territoire du crayon. Microgrammes. Robert Walser, 2013 (2003), Genève : Zoé, p. 12-13.

Bien vu ! Il avait déjà anticipé sur le pire, le futur !

Merci type, tu m'as fait gagner 30 ans.

colimasson a écrit:

Merci type, tu m'as fait gagner 30 ans.

C' est ainsi, Coli, on ne peut pas anticiper sur le temps... C' est peut etre mieux ?!

Citation :

Il connaissait les formes des nuages austraux de l'aube du trente avril mil huit cent quatre-vingt-deux et pouvait les comparer aux marbrures d'un livre en papier espagnol qu'il n'avait regardé qu'une fois et aux lignes de l'écume soulevée par une rame sur le Rio Negro la veille du combat de Quebracho.

Funes ou la mémoire, Jorge Luis Borges

même dans le contexte, le sens finalement ... 

"Mais tous les sentiments que nous font éprouver la joie ou l'infortune d'une personnage réel ne se produisent en nous que par l'intermédiaire d'une image de cette joie ou de cette infortune ; l'ingéniosité du premier romancier consista à comprendre que dans l'appareil de nos émotions, l'image étant le seul élément essentiel, la simplification qui consisterait à supprimer purement et simplement les personnages réels serait un perfectionnement décisif. Un être réel, si profondément que nous sympathisions avec lui, pour une grande part est perçu par nos sens, c'est-à-dire nous reste opaque, offre un poids mort que notre sensibilité ne peut soulever. Qu'un malheur le frappe, ce n'est qu'en une petite partie de la notion totale que nous avons de lui, que nous pourrons en être émus, bien plus, ce n'est qu'en une partie de la notion totale qu'il a de soi, qu'il pourrait l'être lui-même.
La trouvaille du romancier a été d'avoir l'idée de remplacer ces parties impénétrables à l'âme par une quantité égale de parties immatérielles, c'est-à-dire que notre âme peut s'assimiler. Qu'importe dès lors que les actions, les émotions de ces êtres d'un nouveau genre nous apparaissent comme vraies, puisque nous les avons faites nôtres, puisque c'est en nous qu'elles se produisent, qu'elles tiennent sous leur dépendance, tandis que nous tournons fiévreusement les pages du livres, la rapidité de notre respiration et l'intensité de notre regard. Et une fois que le romancier nous a mis dans cet état, où comme dans tous les états purement intérieurs, toute émotion est décuplée, où son livre va nous troubler à la façon d'un rêve mais d'un rêve plus clair que ceux que nous avons en dormant et dont le souvenir durera davantage, alors, voici qu'il déchaîne en nous pendant une heure tous les bonheurs et tous les malheurs possibles dont nous mettrions dans la vie des années à connaître quelques-uns, et dont les plus intenses ne nous seraient jamais révélés parce que la lenteur avec laquelle ils se produisent nous en ôte la perception ; (ainsi notre coeur change, dans la vie, et c'est la pire douleur : mais nous ne la connaissons que dans la lecture, en imagination : dans la réalité il change, comme certains phénomènes de la nature se produisent, assez lentement pour que, si nous pouvons constater successivement chacun de ses états différents, en revanche la sensation même du changement nous soit épargnée)."

In Du côté de chez Swann.

Sublime passage ! Non loin, le protagoniste se propose d'ailleurs d' « aller avec [sa] pensée au-delà de l’image ou de l’odeur. » C'est en contemplant l'église de Combray je crois...   

Je colimaçonne en cours de route (et je pourrai recycler les bouts de papier qui marquent les pages) :

Citation :

L'Arsenal royal d'Enfield Lock est une colonie insulaire, autrefois enclavée, indépendante, désormais bonne pour la curée. Elle est entourée d'eau et donc désirable pour les promoteurs immobiliers. Le château d'eau néorenaissance, à moins que  ce ne soit un beffroi, sera préservé tandis que les baraquements moins élevés seront transformés en appartements pour primo-accédants, en parc immobilier. En périphérie, la nature des terrains gouvernementaux change. A l'origine, le travail c'était la vie, la liberté (la chaussée pavée menant à ce qui ressemble à une guérite de gardien provoque un authentique frisson de camp de concentration); maintenant le travail est secondaire, il se déroule ailleurs. Les quartiers dortoirs sont devenus la principale industrie. Loisir obligatoire, encore une fois. L'usine s'avérait être une ruche de balcons peu fonctionnels, d'antennes paraboliques surveillant l'eau qui stagne.

un truc pour eXPie :

Citation :

(Nous parlons du nom : Hare-Field. De la nef des fous de Foucault, des péniches hippies sur le Grand Union Canal. du fait que les marins ne prononçaient jamais le mot "lièvre". On considérait que cela portait malheur. Un interdit ancien, inexpliqué, né avec le métier. Lièvres et bateaux ne se mélangent pas. Le lièvre creuse des terriers, c'est un esprit chtonien. Un boxeur, un danseur, une canaille. Les lièvres étaient les compagnons des sorcières. Leurs pattes servaient de talisman contre la sorcellerie.Hare - le lièvre - est déjà présent dans Heart - le cœur. Le lièvre est le cœur, un esprit lunaire. Il est fou en mars. Il a trop bon cœur.)

et des petites phrases (de fin de paragraphes ?) :

Citation :

Le défilé de voitures roulant vers le soleil ascendant ressemble à une procession de revenants. Les chauffeurs solitaires, en chemise propre, qui fument en vérifiant dans le rétroviseur que leur reflet est toujours là, portent tous des lunettes noires.

Citation :

Rouler est une technique de méditation, qui donne accès à des souvenirs du futur : rouler est prophétique.

tout ça toujours dans le London Orbital de I. Sinclair (et il en reste !).