Aimé Césaire

Depuis la République des Lettres (j'aime particulièrement ce site dont le titre s'inscrit si bien au profil de certains auteurs que nous chérissons), il y a Le petit matin d'Aimé Césaire, écrit par René Despestre.

Citation :

"En 1944, jeunes gens en colère à Port-au-Prince (Haïti), où en étions-nous aux jours qui précédèrent l'arrivée d'Aimé Césaire dans notre vie ? Jusque-là on avait vécu en vase clos, dans un ghetto insulaire, une moitié d'île coupée de la Caraïbe et du monde, et mise atrocement en coupe réglée par les profiteurs de ses épreuves. On manquait d'idées et de livres capables d'éclairer notre révolte. Cheminant seuls, en temps de guerre mondiale, on avançait à tâtons dans le black-out étouffant de nos incertitudes."

Sa voix

Une pensée à Aimé Césaire , très malade actuellement, que je remercie du plaisir qu'il m'a donné à la lecture notamment de Une tempête (théâtre, 1969) et Moi, laminaire (Poésie, 1982).

(Si cela intéresse quelqu'un, je peux les commenter)

Tout d'abord merci à Babelle pour avoir ouvert ce fil.. j'espère y trouver des idées de lecture.. je connais seulement de nom.. donc..

Cachemire a écrit:

(Si cela intéresse quelqu'un, je peux les commenter)

oui - cela m'intéresserai

Cachemire a écrit:

Une pensée à Aimé Césaire , très malade actuellement, que je remercie du plaisir qu'il m'a donné à la lecture notamment de Une tempête (théâtre, 1969) et Moi, laminaire (Poésie, 1982).

(Si cela intéresse quelqu'un, je peux les commenter)

Ah oui Cachemire...ton commentaire m'intéresserait...
Je le connais peu...

Un poème: Le crystal automatique

allo allo encore une nuit pas la peine de chercher c'est moi l'homme des cavernes il y a les cigales qui étour- dissent leur vie comme leur mort il y a aussi l'eau verte des lagunes même noyé je n'aurai jamais cette couleur- là pour penser à toi j'ai déposé tous mes mots au monts de-piété un fleuve de traineaux de baigneuses dans le courant de la journée blonde comme le pain et l'alcool de tes seins


allo allo je voudrais etre à l'envers clair de la terre le bout de tes seins à la couleur et le gout de cette terre-la


allo allo encore une nuit il y a la pluie et ses doigts de fossoyeur il y a la pluie qui met ses pieds dans le plat sur les toits la pluie a mangé le soleil avec des baguettes de chinois


allo allo l'accroissement du cristal c'est toi...c'est toi ô absente dans le vent et baigneuse de lombric quand viendra l'aube c'est toi qui poindras tes yeux de rivière sur l'émail bougé des îles et dans ma tête c'est toi le maguey éblouissant d'un ressac d'aigles sous le banian
Aimé Césaire

"Aimé Césaire est un Noir qui est non seulement un Noir; mais tout l'homme, qui en exprime toutes les interrogations, toutes les angoisses, tous les espoirs et toutes les extases, et qui s'imposera de plus en plus à moi comme le prototype de la dignité"
André Breton

Ami de André Breton, Aimé Césaire fut fortement influencé par le surréalisme. Chantre de la négritude, il cherche à se dégager de la culture occidentale pour retrouver son identité initiale et par là celle de l'africain exilé.

Prophétie

Là
où l'aventure garde les yeux clairs
là où les femmes rayonnent de langage
là où la mort est belle dans la main comme un oiseau
saison de lait
là où le souterrain cueille de sa propre génuflexion un luxe
de prunelles plus violent que des chenilles
là où la merveille agile fait flèche et feu de tout bois


là où la nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs végétaux



là où les abeilles des étoiles piquent le ciel d'une ruche
plus ardente que la nuit
là où le bruit de mes talons remplit l'espace et lève
à rebours la face du temps
là où l'arc-en-ciel de ma parole est chargé d'unir demain
à l'espoir et l'infant à la reine,


d'avoir injurié mes maîtres mordu les soldats du sultan
d'avoir gémi dans le désert
d'avoir crié vers mes gardiens
d'avoir supplié les chacals et les hyènes pasteurs de caravanes


je regarde
la fumée se précipite en cheval sauvage sur le devant
de la scène ourle un instant la lave
de sa fragile queue de paon puis se déchirant
la chemise s'ouvre d'un coup la poitrine et
je la regarde en îles britanniques en îlots
en rochers déchiquetés se fondre
peu à peu dans la mer lucide de l'air
où baignent prophétiques
ma gueule
ma révolte
mon nom.

Aimé Césaire

coline a écrit:

Ami de André Breton,

cela me rappelle que j'ai dans le livre de l'exposition de Yves Tanguy (vu l'an dernier à Quimper) vu une ou deux photos où il y a aussi Aimé Césaire.
Déjà à ce moment je voulais m'informer sur ses livres.. comme Lekhan le dit - on croit toujours avoir encore de temps.. plus de temps...

Partir.

Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-
panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture
on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot

mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme la
face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait
dans sa soupière un crâne de Hottentot?

Son visage:

Une tempête
Théâtre

Aimé Césaire est, avec Léopold Sédar Senghor, le grand poète de la « négritude », celui qui sait crier les souffrances et l'âme de ses frères noirs. Une tempête : il s'agit de l'adaptation libre de la Tempête de Shakespeare pour « un théâtre nègre », comme le précise l'auteur. Le maître est blanc, l'esclave noir, et Ariel l'enchanteur est aussi un esclave, mulâtre. La pièce est le chant de la liberté d'un peuple qui se révolte. C'est très court, bien écrit, volontairement dépouillé et en un mot... poignant! Une lecture qui m'a marquée.

Deux extraits :

Citation :

Ariel : « Tu me désespères. J'ai souvent fait le rêve exaltant qu'un jour, Prospero, toi et moi, nous entreprendrions, frères associés, de bâtir un monde merveilleux, chacun apportant en contribution ses qualités propres : patience, vitalité, amour, volonté aussi, et rigeur, sans compter les quelques bouffées de rêve sans quoi l'humanité périrait d'asphyxie. »

Caliban :
Il faut que tu comprennes Propero :
Des années j'ai courbé la tête,
des années j'ai accepté
tout accepté :
tes insultes, ton ingratitude
pis encore, plus dégradante que tout le reste,
ta condescendance.
Mais maintenant c'est fini !

Cachemire a écrit:

Une tempête
poignant!

"Poignant", c'est en effet le sentiment physique qui m'envahit à travers les quelques lectures d'extraits poétiques que j'ai faite jusque là. Merci Cachemire, car l'auteur de théâtre est sans doute moins connu.
Le terme de négritude apparait pour la première fois dans l’Etudiant noir, journal fondé en 1934 à Paris auprès de Léopold Sédar Senghor. De jeunes Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais ou Sénégalais, découvrent cette part refoulée de leur identité : la composante africaine que les clichés occidentaux occultèrent sous couvert du "doudouisme" depuis cette France coloniale qui maintenait son étau dans ses vœux d’assimilation.

"Va-t-en, lui disais-je, gueule de flic, gueule de vache..." "Des mots ? Ah oui, des mots !"… "ASSEZ DE CE SCANDALE !"
Puis...
"Partir. Mon cœur bruissait de générosités emphatiques. Partir... j'arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J'ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies"
(Cahier d'un retour au pays natal)

coline a écrit:

Le crystal automatique

allo allo encore une nuit pas la peine de chercher c'est moi l'homme des cavernes il y a les cigales qui étour- dissent leur vie comme leur mort il y a aussi l'eau verte des lagunes même noyé je n'aurai jamais cette couleur- là pour penser à toi j'ai déposé tous mes mots au monts de-piété un fleuve de traineaux de baigneuses dans le courant de la journée blonde comme le pain et l'alcool de tes seins

allo allo je voudrais être à l'envers clair de la terre le bout de tes seins à la couleur et le gout de cette terre-la

allo allo encore une nuit il y a la pluie et ses doigts de fossoyeur il y a la pluie qui met ses pieds dans le plat sur les toits la pluie a mangé le soleil avec des baguettes de chinois

allo allo l'accroissement du cristal c'est toi...c'est toi ô absente dans le vent et baigneuse de lombric quand viendra l'aube c'est toi qui poindras tes yeux de rivière sur l'émail bougé des îles et dans ma tête c'est toi le maguey éblouissant d'un ressac d'aigles sous le banian
Aimé Césaire

Difficile de résister à la lumière de ces lignes. On la voudrait définitivement sur nos tables de chevet.

Cachemire a écrit:

Une tempête
Théâtre

Une tempête : il s'agit de l'adaptation libre de la Tempête de Shakespeare pour « un théâtre nègre », comme le précise l'auteur. Le maître est blanc, l'esclave noir, et Ariel l'enchanteur est aussi un esclave, mulâtre. La pièce est le chant de la liberté d'un peuple qui se révolte. C'est très court, bien écrit, volontairement dépouillé et en un mot... poignant! Une lecture qui m'a marquée.

Mon premier Césaire sera celui-là...Je vais commencer par le théâtre...Merci Cachemire!

Je ne connais que son nom, merci de vos extraits, merci à Cachemire.