Aimé Césaire

Merci beaucoup pour ce fil:

Citation :

"Et dans cette ville inerte, cette foule criarde si étonnamment passée à côté de son cri comme cette ville à côté de son mouvement, de son sens, sans inquiétude, à côté de son vrai cri, le seul qu'on eût voulu l'entendre crier parce qu'on le sent sien lui seul; parce qu'on le sent habiter en elle dans quelque refuge profond d'ombre et d'orgueil, dans cette ville inerte, cette foule à côté de son cri de faim, de misère, de révolte, de haine, cette foule si étrangement bavarde et muette."

In Cahier d'un retour au pays natal, page 9.

Ecoutons Haïti ces derniers jours, écoutons ses peuples qui crient leurs misères, écoutons ces foules qui passent à côté de leurs cris. Césaire résonne déjà étonnamment.

Moi, laminaire...

Comme je voulais en parler, j'ai relu hier soir Moi, laminaire.(Je l'avais lu il y a 15 ans peut-être) Quel plaisir !

Ce recueil d'une soixantaine de poèmes, tous très beaux est une gourmandise délicieuse pour ceux qui se régalent de poésie. Le poète observe son histoire antillaise, comme un grand fleuve au crépuscule et redit la sérénité des plantes et des animaux, parlant des mangroves, du varech, des poulpes ou des hippocampes... C'est tout un monde qu'il crée, un monde d'une nature complexe et irréelle, tellement envoûtant...

Parole de critiques :

Citation :

« Un livre-univers, l'homme, comme une algue laminaire, participe à la grande fête cruelle du monde accroché à son rocher. » Michel Nuridsany.

Heureusement que c'est lui qui dit qu'il s'agit d'un « livre-univers », vous auriez pu penser de moi que j'avais décidément une forte tendance à l'hyperbole!

Citation :

« Impossible de lire Césaire avec désinvolture. C'est toujours une expérience urticante et écorchante, une sorte de nage à travers un langage raboteux et fascinant comme une barrière corallienne... » Jean-charles Gateau

C'est vrai que cette lecture est une expérience qui remue profondément quelque chose en nous...

Citation :

« Par la découvrete et l'approfondissement de l'identité singulière, Césaire s'achemine vers l'universel. » Tahar Ben Jelloun

Et voilà deux des poèmes du recueil :

Citation :

La force de regarder demain
Les baisers des météorites
le féroce dépoitraillement des volcans à partir
de jeux d'aigle

la poussée des sous-continents arcs-boutés
eux aussi aux passions sous-marines

la montagne qui descende ses cavalcades à grand galop
de roches contagieuses

ma parole capturant des colères
soleils à calculer mon être
natif natal
cycopes violets des cyclones
n'importe l'insolent tison
silex haut à brûler la nuit
épuisée d'un doute à renaître
la force de regarder demain

algues
le relance ici se fait
par le vent qui d'Afrique vient
par la poussière d'alizé
par la vertu de l'écume
et la force de la terre

nu
l'essentiel est de sentir nu
de penser nu
la poussière d'alizé
la vertu de l'écume
et la force de la terre
la relance ici se fait par l'influx
plus encore que par l'afflux
la relance
se fait
algue laminaire

Voilà...bonne découverte !

Citation :

La force de regarder demain
Les baisers des météorites
le féroce dépoitraillement des volcans à partir
de jeux d'aigle

la poussée des sous-continents arcs-boutés
eux aussi aux passions sous-marines

la montagne qui descend ses cavalcades à grand galop
de roches contagieuses

ma parole capturant des colères
soleils à calculer mon être
natif natal
cycopes violets des cyclones
n'importe l'insolent tison
silex haut à brûler la nuit
épuisée d'un doute à renaître
la force de regarder demain

Je commets le copié-collé Cachemire. Ce texte va s'inscrire sur mes tablettes.

Citation :

Babelle a écrit :

Je commets le copié-collé Cachemire. Ce texte va s'inscrire sur mes tablettes.

Je suis ravie qu'il te plaise ! Nous sommes deux à l'admirer maintenant...
(Il est aussi recopié dans le petit recueil de mes poèmes préférés)

Dépêche AFP:

Citation :

Décès du poète martiniquais Aimé Césaire, chantre de la "négritude"
17/04/2008 12h14

Aimé Césaire, le 26 janvier 2007 à Fort-de-France
- Le poète martiniquais Aimé Césaire, 94 ans, chantre de la "négritude", est décédé jeudi matin au CHU de Fort-de-France (Martinique), où il était hospitalisé depuis le 9 avril.

La mort de l'homme de lettres, grande figure politique et morale des Antilles françaises, a été annoncée par une source gouvernementale à Paris, et par une source hospitalière à Fort-de-France, qui a précisé qu'il était décédé à 05H20, heure locale (11H20 à Paris).

Des obsèques nationales seront organisées à une date qui n'est pas encore fixée.

Les Martiniquais, qui vivaient depuis plusieurs jours dans l'attente d'une telle annonce, ont appris la nouvelle au petit matin. Depuis son hospitalisation, pour des affections "de nature cardiologique", à l'hôpital Pierre Zobda-Quitman de Fort-de-France, des rumeurs alarmistes circulaient tous les jours sur son état de santé, qualifié de "préoccupant" par ses médecins.

Selon des sources proches de la mairie de Fort-de-France, une veillée strictement privée sera organisée au domicile du défunt, dans le quartier Redoute, à Fort-de-France, et une veillée publique, un peu plus tard, par la Mairie.

Aimé Césaire fut, avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Guyanais Léon-Gontran Damas, l'un des chantres du courant de la "Négritude".

L'auteur du "Cahier d'un retour au pays natal" avait consacré sa vie à la poésie et à la politique. Principale figure des Antilles françaises, il fut depuis les années 1930 de tous les combats contre le colonialisme et le racisme.

Maire de Fort-de-France pendant 56 ans, de 1945 à 2001, il avait fondé en 1957 le Parti progressiste martiniquais (PPM) qui revendique l'existence d'une communauté historique martiniquaise et veut jouer le jeu de la décentralisation. Il l'avait présidé jusqu'en 2005.

Aimé Césaire est l'auteur de pièces comme "La Tragédie du roi Christophe" (1963, sur la décolonisation) ou "Une saison au Congo" (1966, sur Patrice Lumumba). En poésie, il a signé "Les Armes miraculeuses", "Soleil cou coupé", "Corps perdu", "Ferrements" ou "Moi laminaire".

Il a aussi été essayiste et polémiste avec son "Discours sur le colonialisme", cri de révolte contre l'Occident, juché sur "le plus haut tas de cadavres de l'humanité" ou "Lettre à Maurice Thorez".

Voilà arrivé ce que je redoutais depuis des jours...

Adieu Césaire, aujourd'hui Haïti cri encore sa Négritude et les Antilles, et la France...

Je suis triste...
C'est un grand poète et j'ose même dire un grand homme qui nous quitte. Heureusement, ses écrits restent. A nous de le relire et de la faire connaître pour honorer sa mémoire.

Je suis tombée sur ce beau poème en prose du poète aujourd'hui disparu:

Jour et Nuit

Le soleil le bourreau la poussée des masses la routine de mourir et mon cri de bête blessée et c'est ainsi jusqu'à l'infini des fièvres la formidable écluse de la mort bombardée par mes yeux à moi-même aléoutiens qui de terre de ver cherchent parmi terre et vers tes yeux de chair de soleil comme un négrillon la pièce dans l'eau où ne manque pas de chanter la forêt vierge jaillie du silence de la terre de mes yeux à moi-même aléoutiens et c'est ainsi que le saute-mouton salé des pensées hermaphrodites des appels de jaguars de source d'antilope de savanes cueillies aux branches à travers leur première grande aventure: la cyathée merveilleuse sous laquelle s'effeuille une jolie nymphe parmi le lait des mancenilliers et les accolades des sangsues fraternelles.

extrait de "Les armes miraculeuses" 1946

préservez moi de toute haines

ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n'ai que haine

car pour me cantonner en cette unique race

vous savez que ce n'est point par haine des autres races

que je m'exige bêcheur de cette unique race

que ce que je veux

c'est pour la faim universelle

pour la soif universelle



la sommer libre enfin

de produire de son intimité close

la succulence des fruits.

(dans Retour au Pays natal)

L’oeuvre d’Aimé Césaire actuellement disponible (in Livres-hebdo) :

- Ferrements et autres poèmes , Points, « Poésie », février 2008.
- Aimé Césaire : une parole pour le XXIe siècle , Max Milo, 2006.
- Cadastre , Points, « Poésie », 2006.
- La poésie , Seuil, 2006.
- Briseurs d'entraves : 24 poèmes , Livraphone, 2005.
- Discours sur le colonialisme , Présence africaine, 2004.
- Toussaint Louverture : la Révolution française et le problème colonial ,
Présence africaine, 2004.
- Une saison au Congo , Points, 2001.
- Et les chiens se taisaient , Présence africaine, 1997.
- Une tempête : d'après La tempête de Shakespeare, adaptation pour un
théâtre nègre , Seuil, « Points », 1997.
- Anthologie poétique , Impr. Nationale, « La Salamandre », 1996.
- Quand Césaire écrit, Lumumba parle : édition commentée de Une
saison au Congo, Suzanne Brichaux-Houyoux, L'Harmattan, « Critiques
littéraires », 1993.
- Cahier d'un retour au pays natal , Présence africaine, « Poche », 1971.
- Les armes miraculeuses , Gallimard, « Poésie », 1970.
- La tragédie du roi Christophe , Présence africaine, « Poche », 1970.
Premiers jalons pour une politique de la culture , Présence africaine,
1968.

Je viens de terminer La tragédie du Roi Christophe, pièce en trois actes d'Aimé Césaire.

J'avoue que je reste perplexe après cette lecture.
Au début, je trouvais son écriture formidable et au fil de la pièce,
je sentais la longueur et la répétition structurelle du texte..
Qui mélange, qui plus est, l'écriture poétique qui est si difficile et
si âpre avec Césaire, que je me perdais... Comme si le texte ne pouvait pas
s'ouvrir à des lecteurs métropolitains..

Par exemple, le parler populaire d'Haïti (ou pas, d'ailleurs), même si nous ne
le comprenons pas, doit nous laisser une musicalité, une douceur poétique..
Mais, je ne sais pas, c'était plutôt opaque.. J'hésite à retenter l'aventure théâtrale
de Césaire, tandis que j'adore "Cahier d'un retour au pays natal".

Une grosse gêne du texte en définitive, qui a dévalorisé cette lecture,
dont le fond est très prenant.. D'où ma perplexité : il s'agit de la volonté d'indépendance
de l'île d'Haïti à l'égard de la France, mais le Roi Christophe se transforme en véritable
Staline, voire Big Brother au nom de la défense de la liberté. Bien sûr, ce personnage est
porteur de valeurs plus nobles, car, s'il est intraitable, c'est pour rattraper les sociétés occidentales
afin que les "nègres" ne soient plus à la traîne.

Un sujet vraiment profond, et qui ne se limite pas aux sociétés africaines.