Maddalena Rodriguez-Antoniotti

Wittgen a écrit:

Je n'avais pas encore lu ce fil

je suis sur ce forum depuis presque deux ans et je n'ai moi-même pas encore lu tous les fils.. il y en a tellement

Wittgen a écrit:

Pourquoi n'est-elle pas plus connu... ?

petite maison d'édition? sujet un peu à part? ...

en tout cas ce livre est vraiment un 'must' pour quelqu'un qui aime Conrad

"Est-ce qu'il faut vraiment connaître Joseph Conrad pour apprécier ce
livre?"

Personnellement , je viens de lire Au coeur des ténèbres pour avoir au moins lu un Conrad avant d'entamer Bleu Conrad !
Mais j'ai l'intention de lire aussi Lord Jim ( la lecture qu'en fait Finkielkraut dans Un coeur intelligent m'y incite ) et surtout Nostromo qui semble être son chef-d'oeuvre...

Après lecture, je pense qu'il vaut mieux avoir lu Conrad pour pleinement apprécier - et se montrer aussi critique !
Comme sur ce site on ne peut - c'est bien dommage - renvoyer vers son blog , sans se faire accuser de toutes les turpitudes, je tâcherai de vous rendre compte de l'essentiel.




Bleu Conrad s'ouvre comme un livre d'art illustré de très beaux diptyques photographiques couleur de l'auteure – qui est aussi peintre – et de clichés d'archives traités en en sépia.
C'est une biographie érudite et romancée de Joseph Conrad nous le présentant sous un aspect peu connu, sa facette française et, plus particulièrement, meditérranéenne.
M. Rodriguez-Antoniotti s'approprie le grand écrivain en s'abandonnant avec lui à une rêverie poétique palpitante de souvenirs. Elle fait surgir l'image d'un autre Conrad, associée à celle de Dominique Cervoni, ce capcorsin rencontré à Marseille qui fut son mentor et son ami et l'inititia au métier de marin tout en le révélant à lui-même.
Et au travers du lien unissant l'écrivain à ce Corse qui fut aussi son frère, « isulatu », étranger parmi ses semblables, et sans doute le reflet idéalisé de la figure paternelle, l'auteure semble effectuer un transfert, faisant de Conrad « son Cervoni », son ami, son frère, comme une image de son propre père Joseph...

A suivre ...

Comme j'étais encore toute imprégnée de ma lecture de Au coeur des ténèbres de Conrad, et de La Corse, île de granit de Dorothy Carrington (1971) ,ma lecture de Bleu Conrad fut plus critique !

Bleu Conrad est donc un livre riche et complexe. Il est écrit dans une langue élégante et poétique, très travaillée et même apprêtée.
C'est un récit fortement digressif, une promenade épousant délicieusement les méandres des rêveries auxquelles on s'abandonne en contemplant la mer.

Malheureusement, ce beau livre ne tient pas totalement ses promesses.
Outre le style parfois trop artificiel, ce qui rompt le charme du climat suscité – impression très subjective -, l'auteure semble s'être laissée submerger par sa très forte implication personnelle.
Et il est décevant de lui voir abandonner le minimum d'objectivité convenant à une grande connaisseuse de l'oeuvre de Conrad et à une historienne de formation quand elle aborde un livre comme Au coeur des ténèbres ou une constitution ( celle de Paoli ). Dommage que ces dérapages entachent un si beau livre !

(...)Au « travers » de cette mort, une jouissance définitive. La « note complexe » tant recherchée par Debussy. Car, Joseph s'évade, à bord de lui-même, pour se baigner dans le poème de la mer cher à Rimbaud et à Saint-John Perse, un poème « infusé d'astres et latescent ». Couché sur le dos, flottaison blême et ravie, une vague le recouvre, puis une autre, puis une autre encore. Avec, au-dessus de lui, une lumière bleu doré. Happé par ce désir de l'impossible, il s'abandonne au baiser montant de « la mer immense qui commence » , il vogue lentement dans l'illimité et la magnifiscence de l'absolu féminin. En son indigo d'éternité. Mort imaginaire, mort réelle, il n'importe. Lui qui prétend « n'avoir jamais cherché dans l'acte d'écrire autre chose qu'une forme du beau », sait qu'il n'a qu'une ressource avec la mort qui l'attend, celle de faire de l'art avec elle. Une espérance à flanc d'abîme, un leurre magnifique. Dans ce salut à la Méditerranée et cet adieu tout à la fois, Conrad s'offre un voyage sans escale*. Pour toujours dans son élément. A ce jeu-là, désormais irrécupérable. Sauvé. Ainsi soit-il.
(...)


*Le-Frère-de-la-Côte, écrit (dicté) à partir d'octobre 1921, est achevé en juin 1922. Pendant que Conrad s'alite cinq fois. Le roman paraît à l'automne 1923. Joseph Conrad meurt le 3 août 1924 et L'Attente ne sera publié ( sous sa forme inachevée) qu'à titre posthume.D'une île l'autre, Conrad repose dans le carré des émigrés italiens du cimetière de Canterbury. Sens suspendu en terre anglaise. Pour ne pas rester sans nouvelles d'un destin méditerranéen.

merci pour ces extraits.. je voudrais tellement que d'autres auront l'envie de lire ce livre...