Flannery O'Connor

Je suis extrêmement content, darkanny, que tu apprécies tant! Et, à mon avis, à juste titre. Quand j'ai lu Flannery la première fois (on a envie de la tutoyer), je me suis dit, "ce n'est pas possible: tant de lucidité! humour, profondeur!". Non, même sans être croyant, on devrait pouvoir apprécier cette croyante, car elle est d'une ouverture, d'une honnêteté à toute épreuve. Elle voit -vous l'avez si bien dit - très bien les pièges de la bigotterie etc. et elle dévoile l'homme dans sa fausse recherche de sécurité. Mais cela pour mieux dégager un chemin de vérité?!

J' aime bien tes relations d' empathie et de familiarité avec les écrivains, Tom ! Moi aussi j' aime aimer ceux que je lis.

Mais il y a parfois incompatibilié. Je me disais hier au soir que jamais décidément, je ne me hasarderai à lire Philippe Solers. Trop d' arrogance, d' egocentrisme, de mesquinerie...

Autoportrait

Je viens de découvrir l'émission Ça peut pas faire de mal, on ne fait pas d'analyse mais lit de longs extraits qui peuvent donner une bonne impression d'une oeuvre...

pour réécouter l'émission consacrée à Flannery O'Connor, c'est par ici

Merci pour le lien , kenavo !!!  

merci Kena !

Noémie rentre le chat !  

Et ce sont les violents qui l´emportent


Le vieux Tarwater est un homme qui se prend pour un prophète. Il n’est que colère et vit sa foi dans un obscurantisme à la limite de la folie appuyé par une interprétation de la bible restreinte et littérale. Il a l’impression d’être un sauveur et c’est dans cette optique qu’il enlève son petit neveu Francis Tarwater pour le faire vivre sa « prédestination ». Il sait que c’est un élu, qui comme lui, se doit de devenir prophète. Francis est élevé par cet homme qui n’est que colère et paranoïa et qui lui assène ses prophéties qui n’ont ni queue ni tête. Mais Francis sent qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans l’éducation que lui donne son oncle, il analyse la situation et n’hésite pas à se défendre. Quand son grand-oncle meurt il repart vivre avec son oncle George Rayber, lui-même enlevé par le vieux Tarwater quelques années auparavant….

Flannery O’Connor décrit bien l’aliénation de la religion quand elle est vécue dans la contrainte et la terreur. Elle fait ressortir les instincts les plus enfouis et les plus sombres de ses personnages. Elle décrit le refus de l’évolution de son personnage du grand-oncle Tarwater qui se sert de la religion pour cacher ses peurs, pour se donner le pouvoir de se sentir moins minable et ne pas vivre dans le présent dans lequel il n’a pas trouvé sa place. Elle décrit les idées tordues que cela peut amener dans l’esprit d’un enfant et la difficulté de se libérer de ses idées. Je trouve intéressant qu’elle ait écrit ce livre alors que je m’imagine que pour elle qui était très croyante, les principes de la religion devait être la bonté et l’amour et pas ces semonces apocalyptiques et effrayantes de culpabilité. Une écriture très forte.

Et qu'est-ce que tu voudrais relire d'elle? Bonne relecture Bix!

pia a écrit:

Et qu'est-ce que tu voudrais relire d'elle? Bonne relecture Bix!

Tout ! Ce n' est pas très long.
Peut etre Les Braves gens ne courent pas les rues et Ce sont les violents qui l' emportent.
Les deux titres se complètent !

Merci à Pia pour ce commentaire très éclairant!

C'est ce qui est tellement passionant chez Flannery: femme d'une grande foi elle-même, elle ne cesse de dénoncer toutes les dérives possibles d'une foi vivante vers une réligion sans âme, mais avec une pure hantise de convaincre, de charger le monde avec culpabilité.

Je continue pour l'instant la lecture de la biographie de Brad Gooch qui me laisse un peu dans ma faim...

ça y-est, j' ai cédé à l' autoémulation : je viens de commander le Biblio/Gallimard contient pratiquement toutes les nouvelles  de Flannery :

La sagesse dans le sang, Les  braves gens ne courent pas les rues, Et ce sont les violents
qui l' emportent, Mon mal vient de plus loin...

bix229 a écrit:

ça y-est, j' ai cédé à l' autoémulation : je viens de commander le Biblio/Gallimard contient pratiquement toutes les nouvelles  de Flannery :

La sagesse dans le sang, Les  braves gens ne courent pas les rues, Et ce sont les violents
qui l' emportent, Mon mal vient de plus loin...

  Je l'ai entre les mains, hé, hé, hé...traduction Maurice-Edgar Coindreau, oui, celui qui a tant traduit Faulkner...

Commençons donc par le début:


Il s'agit de la première nouvelle (tendant sur le format court roman) publiée par Flannery O'Connor.

D'abord, ces avertissements préliminaires, trouvés dans la préface (signée Roger Grenier):

Citation :

Alors qu'elle [Flannery O'Connor] soit être interviewée à la télévision par un certain Harvey Breit, à New-York, elle ironise: "Tous ceux qui ont lu La Sagesse dans le sang me prennent pour une sorte de nihiliste des montagnes, alors que je voudrais profiter de la télévision pour donner l'impression que je suis une thomiste des broussailles, mais sans doute ne parviendrai-je à dire à Mr Harvey Breit que "hein ?" et "J'sais pas". Et à mon retour, je crains de devoir passer trois mois, jours et nuits, dans le poulailler pour me purifier de toutes les mauvaises influences"  

Citation :

"La signification de la nouvelle devrait s'imposer peu à peu au lecteur, au fur et à mesure qu'il y réfléchit; inutile d'espérer la saisir à la faveur d'une interprétation. Si les professeurs ont aujourd'hui pour principe d'attaquer une oeuvre comme s'il s'agissait d'un problème de recherche pour lequel toute réponse fait l'affaire, à condition de n'être pas évidente, j'ai peur que les étudiants ne découvrent jamais le plaisir de lire un roman. Trop d'interprétations me semblent pire que trop peu; lorsque le le sentiment est absent aucune théorie ne le remplacera."

 En une hideuse lâcheté   j'assène un pire "je ne suis pas professeur", chère Flannery O'Connor, mais j'ai quand même une furieuse envie de parler un petit peu ce cette longue nouvelle, ou court roman.

 Tout commence dans un train. Probablement au lendemain de la seconde guerre mondiale, le héros Hazel Motes, d'emblée antipathique au possible, sort de quatre ans d'armée qui lui ont fait parcourir "la moitié du monde". Déjà l'atmosphère du texte est d'une grande moiteur, irrespirable, étouffante. On sait qu'il va à Taulkinham, Tennesse, sans qu'il en soit originaire. Plus tard nous découvrirons le lieu dont il est originaire (un trou nommé Eastrod, près de Mesly).

La sagesse dans le sang est en quelque sorte le journal des derniers mois de la brève existence d'Hazel Motes, seul au monde, plus de famille, pas d'ami ni de petite amie, démobilisé de l'armée. D'entrée Hazel Motes communique une sorte d'anti-religiosité agressive, à la moindre occasion, quitte à la créer lui-même. On découvre peu à peu que pourtant, paradoxe: il forme le projet de devenir prédicateur.
Arrivé à Taulkinham, Motes fait une double rencontre, celle d'une prostituée, Leora Watts, grâce à une adresse trouvée en graffiti sur un mur de toilettes publiques, et qui va le déniaiser, avant de s'en prendre, par lassitude et amusement, à son chapeau une autre fois, ce qui termine leurs relations.  
Dans le même temps, auprès d'un attroupement de badauds venus entendre un bonimenteur vanter une machine à éplucher les pommes de terres, un adolescent (18 ans ??) Enoch Emery, un peu "Lou Ravi", très paumé, gardien de zoo de profession, lâché dans cette ville-là par abandon paternel, fait irruption, presque effraction, dans les caractères de ce texte.

Chapitre XI a écrit:

Quand il avait quatre ans, son père lui avaait apporté du pénitencier une boîte en fer-blanc. Elle était orange, et fermée d'un couvercle orné d'un dessin: du nougat aux noisettes avec des lettres vertes qui disaient: "une surprise à la noix". Quand Enoch avait ouvert la boîte, un ressort d'acier s'était détendu et, lui sautant au nez, lui avait brisé deux dents. Il avait eu tellement d'aventures de ce genre, au cours de sa vie, qu'on aurait pu penser qu'il serait devenu plus sensible à l'imminence d'un danger.

Chapitre XII a écrit:

C'était la vertu d'Espérance, qui, dans le cas d'Enoch, se composait de deux tiers de soupçon et d'un tiers de concupiscence.

Au cours de la même soirée, près du même bonimenteur, Motes fait la rencontre de deux autres d'entre les caractères principaux de cette histoire, un prévaricateur aveugle, Hawks, escorté de sa jeune fille, Sabbath Lily.

Il finit par se loger chez la même tenancière de meublés que les Hawks, poursuivant ceux-ci, et, entretemps, il s'achète une auto (l'"objet" important de l'histoire, le seul au reste qu'on retient, avec les chapeaux et le complet bleu de Motes), une vieille Essex:

Comme abreuvés un écoeurant alcool frelaté qui s'écoule lentement dans le corps, avec son cortège de brûlures, hauts-le-coeur, moiteurs, petits rires nerveux et de dérision, sueurs plus ou moins fraîches, nous, lecteurs, passons au fil de ces pages, embarqués dans cette humanité tout à fait digne de la Nef des fous de Jérôme Bosch, même notre rire -car l'ensemble est non dénué d'un certain humour- n'y est pas franc. Il faut lire avec son sang, exigez-vous du lecteur, chère Flannery O'Connor, sang qui figure au titre, provenant d'une phrase-leitmotiv d'Enoch.

Mais l'ivresse est là, au bout.
La sensation d'avoir affaire à un auteur original, de poids, un univers à part.

Avec ces prévaricateurs faussaires, ces gens de peu, ces intercesseurs apocalyptiques que semblent être les mécaniciens, vendeurs de voitures et gérants de stations-service, cette misère qui est plus de l'ordre intellectuel que de celui de la pauvreté économique (on est, pourtant, immergés dans la populace populeuse, si vous m'autorisez cette maladresse, mais leur vraie misère n'est pas là). Obscène par ambiance, et ça c'est brillant, sans que ce soit par images-chocs, ni suggestions à gros sabots. Et la destinée de chacun, ne s'apparente-elle pas au sort ?

Promis, je ne transgresse pas, je respecte et ne révèle pas plus, pardonnez-moi les quelques lignes qui précèdent; "La signification de la nouvelle devrait s'imposer peu à peu au lecteur, au fur et à mesure qu'il y réfléchit; inutile d'espérer la saisir à la faveur d'une interprétation".

Merci, Sigismond, un vrai délice, tes lignes!!!

tom léo a écrit:

C'est ce qui est tellement passionant chez Flannery: femme d'une grande foi elle-même, elle ne cesse de dénoncer toutes les dérives possibles d'une foi vivante vers une réligion sans âme, mais avec une pure hantise de convaincre, de charger le monde avec culpabilité.

Je continue pour l'instant la lecture de la biographie de Brad Gooch qui me laisse un peu dans ma faim...

Oui c'est très intéressant qu'elle ait pris ce parti de dénoncer.
La biographie te laisse sur ta faim parce qu'il n'a pas cerné qui était Flannery O'Connor? OU pour d'autres raisons?

bix229 a écrit:

ça y-est, j' ai cédé à l' autoémulation : je viens de commander le Biblio/Gallimard contient pratiquement toutes les nouvelles  de Flannery :


La sagesse dans le sang, Les  braves gens ne courent pas les rues, Et ce sont les violents
qui l' emportent, Mon mal vient de plus loin...

Autoémulation et peut-être un peu d'émulation de notre part? Enfin j'espère!   

Bonne lecture!

Merci pour ton commentaire Sigismond. Je n'ai pas encore lu le livre que tu as lu mais nos commentaires se rejoignent sur pas mal de choses.

Une petite photo de Flannery O'connor avant que la maladie ne l'atteigne. Avec Arthur Koestler et Roby Macauley à l'université d'Iowa en 1947.