Jonathan Safran Foer

Extrêmement fort et incroyablement près

Un livre dont je ne peux m’empêcher d’être légèrement déçue, j’en avais lu et entendu tellement de bien, trop de bien, et je crois que m’attendais vraiment à quelque chose d’extraordinaire, d’où ma sensation d’être restée légèrement sur ma faim.

Cependant il y a de nombreuses choses à garder de ce livre, qui traite de façon à la fois touchante et décalée du sujet sensible du deuil. Un livre bien écrit, qui parvient à éviter les écueils du sentimentalisme et des clichés trop attendus sur un sujet universel, celui de la perte et du deuil. En suivant les pérégrinations d’un jeune enfant qui a perdu son père dans les attentats des Twin Towers, le lecteur déambule dans un New York post 11 septembre, désemparé et en quête de sens.

Ce que je retiendrai de ce roman, et qui m’a le plus touchée, au-delà de plusieurs passages divers où la prose devient vraiment extraordinaire, c’est le traitement qui est fait de l’enfance. A travers le regard du jeune héros de l’histoire se dessine ce « paradoxe » de l’enfance qui est ici si bien rendu à mon sens : à la fois une grande naïveté et une lucidité incroyable. Naïveté et délicieuse fraîcheur, par exemple, dans les nombreuses inventions loufoques que l’enfant invente, dans son imagination débordante, mais aussi dans l’obstination qu’il met à croire à tout prix que la clef qu’il a retrouvée dans les affaires de son père sera effectivement une clef dans sa vie, qui le mènera à la « solution », à la découverte d’un sens dans la tragédie qui l’a frappé et qui a privé sa vie de ce sens. Et terrible lucidité, dans ses réflexions sur le monde, et aussi parce qu’ il sent bien, dans le même temps, que cette vaste entreprise qu’il mène pour découvrir l’origine de cette clef n’est sûrement qu’un leurre, qu’il construit car c’est la dernière solution qui lui reste pour parvenir à avancer dans cette tragédie absurde qu’est devenue sa vie après la mort de son père…

Une vision de l’enfance que je trouve très juste, très bien rendue par l’écriture de Jonathan Safran Foer et qui fait la force du roman.

D’autres parties sont je trouve un peu moins réussies, comme l’histoire de ses grands-parents et tout l’aspect autour des mots et du langage, qui est intéressant mais qui laisse un peu sur sa faim. On sent peut-être que l’auteur avait là quelque chose d’intéressant à creuser mais que ce n’est pas vraiment bien exploité ? Enfin, c’est mon ressenti en tout cas. On sent la dimension toute symbolique de cette partie de l’histoire mais elle est traitée de façon un peu étrange je trouve. On explore la généalogie de la famille, qui vient s’enraciner dans les drames de la Seconde Guerre Mondiale en Europe de l’est, et qui m’a un peu rappelé, en un certain sens, l’histoire de Lignes de failles de Nancy Huston, qui en fait un roman autrement plus prenant. Le parallèle entre les atrocités d’aujourd’hui et celles d’hier et la perpétuation de la violence d’époque en époque est pertinent mais je ne suis pas sûre qu’ici il apporte vraiment au propos de l’auteur.

Cependant malgré ces quelques réserves, dans l’ensemble un roman qui m’a laissé une bonne impression, avec un vrai style et une vraie originalité, qui se lit avec plaisir et qui donne envie de continuer avec cet auteur !

Une invention d'Oskar Schell :

Citation :

Et si l’eau de la douche était traitée avec un produit chimique qui réagirait à une combinaison de choses, les battements du coeur, la température du corps, les ondes du cerveau, de manière à ce que la couleur de la peau change selon les humeurs ? Quand on serait extrêmement excité, la peau deviendrait verte, si on était en colère, on deviendrait rouge, évidemment, d’une humeur de mer(de)Chine on virerait au marron et quand on aurait le blues, on deviendrait bleu.

[…]

Une autre raison pour laquelle ce serait une bonne invention, c’est toutes les fois où on sait qu’on ressent très fort quelque chose mais qu’on ne sait pas quoi. C’est de la colère ? Ou en fait simplement de la panique ? On est perdu et ca change notre humeur et on devient une personne perdue, grise. Mais avec cette eau spéciale, on aurait qu’à regarder ses mains orange pour se dire, Je suis heureux ! Pendant tout ce temps-là, j’étais heureux en fait ! Quel soulagement !

Et deux passages que j'ai trouvé sublimes :

Citation :

Parfois j'entends mes os se tendre à craquer sous le poids de toutes les vies que je ne vis pas.

Citation :

Dans mon rêve, le printemps suivait l'été, qui suivait l'automne, qui suivait l'hiver, qui suivait le printemps. [...]
Dans mon rêve, les peintres séparaient le vert pour en faire du jaune et du bleu.
Le brun pour en faire l'arc-en-ciel.
Les enfants ôtaient les couleurs des cahiers de coloriage avec leurs crayons et les mères qui avaient perdu leurs enfants raccommodaient leurs vêtements noirs avec des ciseaux..
[...]
Mon rêve remontait tout là-bas jusqu'au commencement.
La pluie retrouvait les nuages et les animaux descendaient la passerelle.
[...]
A la fin de mon rêve, Eve remettait la pomme sur la branche. L'arbre redescendait dans le sol. Il devenait une pousse, qui devenait une graine.
Dieu réunissait la terre et les eaux, le ciel et les eaux, les eaux et les eaux, le soir et le matin, quelque chose et rien.
Il dit, Que la lumière soit.
Et les ténèbres furent.

Magnifique non ?? J'adore cette dernière citation....

Faut-il manger les animaux ?

Je ne peux pas dire que j'ai appris grand-chose à la lecture de Faut-il manger les animaux ?. Des précisions, des détails, des chiffres plus précis certes, mais les grandes lignes, je l’avais déjà lu ou entendu ailleurs (notamment dans We feed the world de Erwin Wagenhofer et des lectures que j’avais faites après, particulièrement des  écrits de jean Ziegler). La précision des descriptions de Safran Foer est tout à fait impressionnante, (parfois un peu répétitive et assommante, mais pas trop souvent) et parle d'une façon différente des images que j'avais pu voir dans le film, ils se complètent donc l’un l’autre.

On ne croirait que la moitié de ce qui nous est dit sur la souffrance infligée aux animaux, sur les désastres écologiques et sociologiques, qu’on serait déjà convaincus de la justesse du plaidoyer. Nous vivons dans un mode de dingues, ça n’est pas nouveau, mais il est quand même utile de le rappeler de temps en temps.
Seulement Safran Foer y croit, c’est la grande cause de sa vie, et il prend son bâton de pèlerin. Et comme il est  malin, il sait la lourdeur de l’inertie des comportements humains, il sait que des faits ne suffiront pas à nous faire bouger en tout cas pour la plupart d’entre nous , il sait que les chiffres nous assomment .



…. Il a donc ajouté un tas de choses à cet aspect informatif et statistique , car, bien évidemment ce qui fait changer les opinions, ce qui fait changer les comportements, ce ne sont pas les chiffres, ce sont les émotions. Il  nous fait un numéro de charme, bien au-delà du bourreau de travail, de l' acharné de la précision , il nous parle de ses doutes, de sa responsabilité de petit-fils de survivante, et de père de famille, il raconte des histoires,  il nous parle de lui, et, cela tombe bien, puisque nous sommes sur un fil de fiction sur un forum de littérature,  c’est  le meilleur du livre : Safran Foer est un merveilleux conteur, drôle, tendre plein d’humour (et aussi de tolérance , ou au moins d’ouverture d’esprit)





Alors la seule question que je peux me poser à l'issue de ce livre c'est : comment se fait-il que tout le monde, ou la plus grande partie des gens, et moi en particulier, continuons à manger de la viande après avoir acquis toutes ces notions, entendu et reconnu vrais tous ces arguments ? Et bien, c'est sans doute que nous sommes  pris dans le carcan de nos habitudes de notre paresse et de même que nous continuons à rouler avec une voiture, un diesel qui plus est, à voyager en avion, à porter des vêtements venant de Pétaouchnok …. nous continuons à manger des animaux…. Voilà, ce livre est bien ennuyeux car il nous fait ressortir de sa lecture avec un sentiment de honte. Je SAIS mais je MANGE…Il n’y a plus qu’à se dire qu’il constitue une petite pierre du grand édifice que construisent courageusement quelques rêveurs/ illuminés/sages/précurseurs, appelez-les comme vous voulez, et que cela  finira (peut-être) par l’emporter, faire changer les mentalités, les comportements et les politiques, à condition d’être patient. Que ce livre est indispensable en cela, et que si je n’ai pas rejeté la viande malgré ma lecture, du moins j’aurai fait un petit pas sur un chemin qui finira par me rendre meilleure, malgré ma paresse, mon manque de courage, mon hypocrisie, malgré moi-même en quelque sorte.

Mais n’est ce pas une façon bien facile de me donner bonne conscience?

Voilà ce qui arrive lorsqu'on arrive après 6 ans ...
On passe à côté d'un tel auteur !
Merci Topocl pour avoir remonté ce fil ...
Tout est illuminé est l'ouvrage qui m'a le plus ébloui et qui est nonchalamment venu se poser sur ma LAL ...

GrandGousierGuerin a écrit:

Tout est illuminé est l'ouvrage qui m'a le plus ébloui et qui est nonchalamment venu se poser sur ma LAL ...

Ca me parait le meilleur choix .

Comme tu le dis : "on SAIT mais on MANGE".

Et ce n'est pas la moindre de nos prisons : le corps.


J'ai honte aussi.

Heureusement, on en sortira les pieds devant.

topocl a écrit:

Voilà, ce livre est bien ennuyeux car il nous fait ressortir de sa lecture avec un sentiment de honte. Je SAIS mais je MANGE…Il n’y a plus qu’à se dire qu’il constitue une petite pierre du grand édifice que construisent courageusement quelques rêveurs/ illuminés/sages/précurseurs, appelez-les comme vous voulez, et que cela  finira (peut-être) par l’emporter, faire changer les mentalités, les comportements et les politiques, à condition d’être patient. Que ce livre est indispensable en cela, et que si je n’ai pas rejeté la viande malgré ma lecture, du moins j’aurai fait un petit pas sur un chemin qui finira par me rendre meilleure, malgré ma paresse, mon manque de courage, mon hypocrisie, malgré moi-même en quelque sorte.

Mais n’est ce pas une façon bien facile de me donner bonne conscience?

Je me retrouve forcément bien dans ce que tu exprimes. De tels livres aideront ils à faire changer les mentalités et les habitudes? J'en doute. Mais tu m'as donné envie de le lire.

tina a écrit:

J'ai honte aussi.
Heureusement, on en sortira les pieds devant.

je cite Igor qui cite Chaon:

Marko a écrit:

topocl a écrit:

Voilà, ce livre est bien ennuyeux car il nous fait ressortir de sa lecture avec un sentiment de honte. Je SAIS mais je MANGE…Il n’y a plus qu’à se dire qu’il constitue une petite pierre du grand édifice que construisent courageusement quelques rêveurs/ illuminés/sages/précurseurs, appelez-les comme vous voulez, et que cela  finira (peut-être) par l’emporter, faire changer les mentalités, les comportements et les politiques, à condition d’être patient. Que ce livre est indispensable en cela, et que si je n’ai pas rejeté la viande malgré ma lecture, du moins j’aurai fait un petit pas sur un chemin qui finira par me rendre meilleure, malgré ma paresse, mon manque de courage, mon hypocrisie, malgré moi-même en quelque sorte.

Mais n’est ce pas une façon bien facile de me donner bonne conscience?

Je me retrouve forcément bien dans ce que tu exprimes. De tels livres aideront ils à faire changer les mentalités et les habitudes? J'en doute. Mais tu m'as donné envie de le lire.

De toute façon, JSF n'incite pas à la conversion immédiate... le fait de ressentir de la honte à l'issue de la lecture de son livre est déjà, en soi, signe de quelque chose... qui agira peut-être sur le long terme, cumulé avec d'autres expériences ?

Quoiqu'il en soit, le livre fait cogiter, et c'est déjà beaucoup.

colimasson a écrit:

Marko a écrit:

topocl a écrit:

Voilà, ce livre est bien ennuyeux car il nous fait ressortir de sa lecture avec un sentiment de honte. Je SAIS mais je MANGE…Il n’y a plus qu’à se dire qu’il constitue une petite pierre du grand édifice que construisent courageusement quelques rêveurs/ illuminés/sages/précurseurs, appelez-les comme vous voulez, et que cela  finira (peut-être) par l’emporter, faire changer les mentalités, les comportements et les politiques, à condition d’être patient. Que ce livre est indispensable en cela, et que si je n’ai pas rejeté la viande malgré ma lecture, du moins j’aurai fait un petit pas sur un chemin qui finira par me rendre meilleure, malgré ma paresse, mon manque de courage, mon hypocrisie, malgré moi-même en quelque sorte.

Mais n’est ce pas une façon bien facile de me donner bonne conscience?

Je me retrouve forcément bien dans ce que tu exprimes. De tels livres aideront ils à faire changer les mentalités et les habitudes? J'en doute. Mais tu m'as donné envie de le lire.

De toute façon, JSF n'incite pas à la conversion immédiate... le fait de ressentir de la honte à l'issue de la lecture de son livre est déjà, en soi, signe de quelque chose... qui agira peut-être sur le long terme, cumulé avec d'autres expériences ?

Quoiqu'il en soit, le livre fait cogiter, et c'est déjà beaucoup.

Point besoin pour moi de lire ce genre de littérature dans le but de changer d'habitudes alimentaires: je suis végétarienne depuis toujours (les bouts de viande que ma mère a essayé de me faire avaler , en vain , durant mon enfance , finissaient systématiquement sous la table ....Malheur à moi quand le chat n'était pas fidèle au poste !!!!" mes fesses m'en cuisaient" ! Mais je crois que mon aversion violente et mon entêtement a lassé mes parents très rapidement et je n'ai qu'un ..... très très lointain souvenir du goût de cette nourriture ....).

Ceci étant mes enfants en consomment mais avec modération et surtout en conscience .... Il ne faut pas tout diaboliser .....

Malgré tout ...... j'ai bien envie d'avoir ce livre entre mes mains .....un sujet qui me tient à coeur évidemment !

Au fait, lisez aussi les romans de Safran Foer, si ce n' est déjà fait. C' est un brillant conteur.

églantine a écrit:

Point besoin pour moi de lire ce genre de littérature dans le but de changer d'habitudes alimentaires: je suis végétarienne depuis toujours (les bouts de viande que ma mère a essayé de me faire avaler , en vain , durant mon enfance , finissaient systématiquement sous la table ....Malheur à moi quand le chat n'était pas fidèle au poste !!!!" mes fesses m'en cuisaient" ! Mais je crois que mon aversion violente et mon entêtement a lassé mes parents très rapidement et je n'ai qu'un ..... très très lointain souvenir du goût de cette nourriture ....).

Ceci étant mes enfants en consomment mais avec modération et surtout en conscience .... Il ne faut pas tout diaboliser .....

Malgré tout ...... j'ai bien envie d'avoir ce livre entre mes mains .....un sujet qui me tient à coeur évidemment !

Le chat devait être bien nourri...

Même si tu es déjà convertie, ne te prive pas de cette lecture... je n'ai pas lu d'autre roman de JSF mais je sais que le jour où cela arrivera, je le lirai en pensant à lui tel qu'il s'est décrit dans Faut-il manger les animaux ? -ce livre qui m'aura permis de le découvrir par chemin détourné...

topocl a écrit:

Faut-il manger les animaux ?

J'aime ton commentaire sur ce livre Topocl, surtout que je me reconnais beaucoup dans ce que tu dis.