Alice Munro

Du côté de Castle Rock

Un livre d'Alice Munro qui n'est pas un livre de nouvelles. Quoique. Il s'agit en fait d'une sorte de projet autobiographique. En commençant l'histoire avec les ancêtres. Répertoriés, venus d'Ecosse. Donc nous nous rendons d'abord en Ecosse. Puis nous traversons l'Atlantique avec ceux qui sont partis au Nouveau Monde. Puis nous les voyons y vivre et s'installer. Enfin certains d'entre eux. Et à certains moments. Alice Munro braque le projecteur sur certains protagonistes, à un moment choisi, généralement court, pendant lequel nous le suivons de très près, puis elle passe à quelqu'un d'autre. A un moment dans le futur, avec un nouvel personnage central. La moitié est réelle, provient de l'état civil, de faits avérés, de lettres, journaux. L'autre moitié, celle qui concerne l'intime, le subjectif, le vécu vient de l'imagination de l'écrivain. Puis nous arrivons aux parents de l'auteur et à elle-même. Avec le même procédé qui consiste à saisir un instant, à le décrire en détails avant de passer à un autre moment, parfois loin dans le temps. Nous saisissons ainsi des moments forts d'une vie, des moments clés. Cela fait pratiquement du livre une sorte de recueils de nouvelles, mais qui raconteraient dans leur discontinuité la continuité d'une lignée et d'une vie.

C'est très prenant, original, et très authentique. J'avoue quand même préférer les nouvelles d'Alice Munro à ce livre, aussi réussi soit-il. Mais en quelque sorte contraire à l'art naturel de l'auteur. Même si par un artifice brillant elle contourne ce qui n'est dans sa nature.

The view from Castle Rock

(c'est le même que celui lu par Arabella !)

J'ai relu avant de posté cette avis ce que j'avais écrit après ma première approche avec deux petites nouvelles de l'auteur (voir page 1) et ça colle. A la fois nouvelle et recueil autobiographique, en passant par la case biographie familiale, le livre va des farouches ancêtres écossais (XVIIIème siècle) à la vie de famille "d'intellectuels de la ville" de l'auteur.

J'ai eu du mal avec les premières dizaines de pages, l'Écosse pittoresque et le semi-dialecte occasionnel ça m'a paru un peu lourd, et ça brasse ce qui peut ressembler à du cliché ou de l'idée reçu dans les considérations de conditions et de caractères hommes-femmes.

Et puis des pensées profondes, tadam :

The past is full of contradictions and complications, perhaps equal to those of the present, though we do not usually think so.

traduction maison : Le passé est riche de contradictions et de complications, sans doute comparable à celles du présent, bien qu'on ne le pense généralement pas de cette façon.

Heureusement une fois franchi l'océan ça s'arrange, les vies de famille sont rustiques mais se développent, colonisation du canada, dur labeur, mortalité élevée et des caractères qui se dessinent plus normalement bien qu'on sente de l'artifice potentiel de temps à autres ou des effets trop appuyés. Mais les caractères.

Ce qui va encore en s'améliorant quand on arrive aux grand-parents et aux parents, au voisinage aussi, on ressent une communauté avec ses tendances humaines et culturelles et on en est venu à s'attacher aux personnalités partagées, souvent ébréchées ou bancales. Une découverte légèrement émerveillée du monde, de la vie, sans être trop cucul et sans dommages pour les fêlures. C'est le grand point fort de l'auteur dirait-on.

La suite qui concerne la vie adulte de l'auteur est intéressante aussi (ça fait quand même un ensemble conséquent deux siècles de famille, un océan traversé et pas mal de bois coupé) et expose autrement ce qu'on a lu : la recherche de quelque chose dans l'histoire, dans le pays, la famille, une identité mais commune, en se rapprochant du voisin forcément différent et probablement pas tout à fait glorieux.

ça n'empêche pas que dans cette partie on retrouve ce qui peut gêner, ce qui semblait trop définitif, trop simple ou trop utilitaire du point de vue de la fiction dans la première partie. Cependant on comprend mieux ce trait. Et si j'ai des réserves encore, un peu plus en fait qu'après les deux petites nouvelles, je ne regrette pas la lecture et je pense que je ma prochaine lecture (je ne me jèterai pas dessus mais n'écarterai pas l'opportunité) se fera sur des bases plus claires qui permettront éventuellement de profiter plus sereinement du savoir faire d'Alice Munro et de ce que ses choix peuvent apporter de bon. Parce que sans être fracassant (dans l'écriture ou le contenu) ça peut-être bien, pour de vrai.

merci pour ce commentaire, livre pas inintéressant quand on connait l'oeuvre d'Alice Munro et qu'on n'a plus rien d'elle à lire.. mais honnêtement ce n'est pas le livre que je conseillerais à quelqu'un pour la découvrir, ni pour continuer avec elle..

Il y a quand même des choses dedans, et c'est une lecture qui fait remonter des souvenirs, rappelle des choses...

animal a écrit:

Il y a quand même des choses dedans, et c'est une lecture qui fait remonter des souvenirs, rappelle des choses...

ah oui, certainement que c'est un bon livre, surtout pour moi, quand il y a écrit Alice Munro sur la couverture, c'est du bon
mais si j'aurais à faire un choix entre ses livres pour relire ou recommander, ce ne serait pas celui-là

 je n'y crois pas, elle l'a, elle l'a, elle l'a!!
 félicitations pour le Prix Nobel de Littérature 2013!!

Tu m'as donné grande envie de lire Fugitives car ce que tu décris est précisément ce dont j'ai besoin en ce moment  :

kenavo a écrit:

Vous n'en pouvez plus de ces horizons étriqués ? Vous rêvez de prendre la clé des champs ou la poudre d'escampette ? Lisez Munro... Vous voulez changer de vie, déchirer le rideau qui bouche le paysage, vous fausser compagnie ? Encore une fois, lisez Munro...

(La traduction française est est de bonne tenue ?)

Je suis absolument ravie qu'Alice Munro a eu le prix Nobel de littérature. J'ai déjà passé beaucoup d'heures à les lire mais je suis heureusement loin d'en avoir fait le tour.

Le jury Nobel a fait un excellent choix. J'ai fini un livre d'elle il y a quelques jours, et parmi les candidats cités en lice cette année, je la trouvais la plus judicieuse. Moins connue que certains écrivains à la mode, elle est d'une densité et d'une profondeur rare.

Honte à moi ! J'ai cru que cet auteur parlait de courses de motocyclettes ...
Je viens de me rendre compte que j'ai confondu avec Burt Munro  

Sullien a écrit:

(La traduction française est est de bonne tenue ?)

je suis navrée, je ne pourrais pas te le dire, mon premier contact avec Alice Munro était un livre en allemand, par après, j'ai fait toutes mes lectures en anglais  

Arabella a écrit:

Moins connue que certains écrivains à la mode, elle est d'une densité et d'une profondeur rare.

C’est bien que je sois sur le forum, j’en découvre des choses ! Et maintenant j’ai bien envie de lire Alice Munro. Il parait qu’elle veut s’arrêter d’écrire ???? C’est possible ça ? Malgré son grand âge, je me demande si ça ne va pas la démanger un jour de reprendre la plume…. Voilà ce que j’ai entendu à la radio Néerlandaise. Elle ne supporte plus la solitude de l’écrivain. Bon je ne sais pas si je peux croire tout ce que j’entend. Félicitations à Alice Munro et tous ce qui l’aime !  

Depuis le temps que je le dis, je ne vais plus retarder surtout que j'ai Trop de bonheur dans ma PAL maintenant, je vais en profiter, ce sera ma prochaine lecture.

Je me mettrai sur le cas d'Alice Munro un jour. En attendant, savourons un peu sa victoire!

on va devenir international
la photo a été prise dans une librairie allemande et les textes sont en anglais... mais depuis une heure je suis en train de lire les nouvelles concernant son gain et je ne peux que me réjouir ce que je lis, donc, j'ai envie de partager



ce que les écrivains disent d'elle:

Margaret Atwood
Canadians will be thrilled, Alice will be bowled over, and we will all have a party once she has made her way out of the coat closet, where she has probably gone to hide.

Julian Barnes
Alice Munro can move characters through time in a way that no other writer can. You are not aware that time is passing, only that it has passed—in this, the reader resembles the characters, who also find that time has passed and that their lives have been changed, without their quite understanding how, when, and why. This rare ability partly explains why her short stories have the density and reach of other people’s novels. I have sometimes tried to work out how she does it but never succeeded, and I am happy in this failure, because no one else can—or should be allowed to—write like the great Alice Munro.

Sheila Heti
In this vast country without a vast number of people, there are few (for me, anyway) cultural heroes. Glenn Gould is one of them. Alice Munro is another. I think of them all the time, actually. They represent something similar: consistency, seriousness, an uncompromising attitude, and work that is daunting, single-minded, and perfect.

Jhumpa Lahiri
Her work felt revolutionary when I came to it, and it still does. She taught me that a short story can do anything. She turned the form on its head. She inspired me to probe deeper, to knock down walls. Her work proves that the mystery of human relationships, of human psychology, remains the essence, the driving force of literature. I am rejoicing at this news. I am thrilled for her; my respect for her is boundless. And I am thrilled for the readers of the world, who will now discover her thanks to this tremendous recognition, and continue to discover her and treasure her into the future.

Lorrie Moore
The selection of the brilliant Alice Munro is a thrilling one, a triumph for short-story writers everywhere, who have held her work in awe from its beginning.

Joyce Carol Oates
A wonderful writer, whom I first began reading in the nineteen-sixties, when I lived in Ontario, Canada. Alice Munro has always been, among her other attributes, “a writer’s writer”—it is just a pleasure to read her work. And how encouraging to those of us who love short stories that this master of the realistic, “Chekhovian” short story is so honored. In a world so frantically politicized and partisan, the achievement of Alice Munro is truly exceptional.

Roxana Robinson
Like Chekhov, Alice Munro never sets out to make a political point. She isn’t sexist, she has no axe to grind. She’s simply bearing witness to the human experience, reporting from the front lines. Yet she is making a political point, one that’s radical because it’s so enormous and so unsettling. The point is that girls and women, even those who lead narrow and constricted lives, those who wield no influence, who have a limited experience in the world, are just as significant and important as boys and men, those who take drugs, ride across the border, drift down the river, or hunt whales.

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